Articles du Vendredi : Sélection du 2 juillet 2010

Climat : les effets pervers des crédits carbone

Grégoire Allix
Article paru dans l’édition du Monde daté du 26.06.10

“Les Français peuvent-ils vouloir renoncer à l’arme nucléaire ?”

Le Comité de Coordination du Mouvement pour une Alternative Non-violente
Le dernier livre de Jean-Marie MULLER / Editions du MAN, 104 pages / Parution le 12 juillet 2010

Marx et la Nature (Deuxième Partie)

Alain Lipietz
Article paru dans EcoRev (Revue Critique d’Ecologie Politique) n. 25, de janvier 2007

« Seule une taxe carbone généralisée peut sauver le climat »

Interview de James Hans le 30 mai à Bonn
Article publié dans l’édition de Médiapart du 16.06.10

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Climat : les effets pervers des crédits carbone

Grégoire Allix
Article paru dans l’édition du Monde daté du 26.06.10

Nouvel accroc dans l’arsenal international de préservation du climat. Selon plusieurs organisations de défense de l’environnement, la moitié des économies de gaz à effet de serre financées dans les pays du Sud sous l’égide des Nations unies, grâce au mécanisme de développement propre (MDP), serait largement fictive et aurait surtout permis à l’industrie chimique d’engranger de substantiels subsides.
Pire, la méthodologie définie par les Nations unies “augmente les émissions totales au lieu de les diminuer”, dénoncent CDM Watch et Noé 21. Cerise sur le gâteau, ces MDP aggraveraient également, indirectement, les atteintes à la couche d’ozone.
Le comité de méthodologie du secrétariat de la Convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques devait rendre un avis technique sur le sujet vendredi 25 juin. Déjà, la peur de voir le bureau exécutif des MDP remettre le système à plat lors de sa prochaine réunion, du 26 au 30 juillet, affole les marchés.
Au coeur de l’affaire : le HFC23, un gaz à effet de serre généré lors de la production d’un gaz réfrigérant très demandé par l’industrie du froid, le HCFC22. La plupart des usines sont implantées en Chine et en Inde, d’autres en Corée du Sud ou en Amérique latine.
Les infrastructures industrielles de captage et de destruction de ce gaz, 11 700 fois plus nocif que le CO2, sont rapidement devenues le premier vecteur de MDP : la moitié du milliard de tonnes d’équivalent CO2 économisé grâce aux MDP de 2004 à 2012 proviendra de la destruction du HFC23.
“Il fallait amorcer la pompe des MDP, or c’était des projets plus faciles à mettre en place que ceux liés aux énergies renouvelables ou aux déchets, et rapidement rentables”, estime Emilie Alberola, chef de projet recherche à la CDC Climat, filiale de la Caisse des dépôts.
Trop rentables, selon les ONG, qui jugent que la vente aux pays du Nord de crédits carbone liés à l’élimination du HFC23 a créé, pour ces industries du Sud, un effet d’aubaine et des conséquences perverses. “Le prix payé pour la destruction du gaz est jusqu’à 70 fois supérieur au coût réel de l’opération”, calcule Eva Filzmoser, directrice de CDM Watch, pour qui il s’agit ni plus ni moins de “crédits bidon”.
Ainsi subventionné par le MDP, le sous-produit est devenu le produit. “Les quantités de HCFC22 et de HFC23 produites apparaissent principalement guidées par la possibilité de générer des crédits carbone”, analyse Lambert Schneider, ancien membre du comité de méthodologie des Nations unies.
Les industriels auraient ainsi artificiellement accru leur production et volontairement maintenu à un niveau élevé le pourcentage de HFC23 généré par le processus. Une bonne partie des gaz à effet de serre détruits grâce à l’argent des crédits carbone n’aurait en fait jamais dû être émis. “On estime que ces abus ont permis à l’industrie de percevoir un milliard de dollars chaque année”, relève Chaim Nissim, de Noé 21.
Au passage, l’incitation créée par le MDP dégrade la couche d’ozone, pour laquelle les HCFC sont très nocifs. Et l’on assiste à la situation absurde dans laquelle un dispositif de l’ONU – le protocole de Kyoto – encourage la production d’un gaz dont un autre dispositif de l’ONU – le protocole de Montréal – demande l’éradication.
Un échec sur toute la ligne ? Pas tout à fait, nuance Anaïs Delbosc, pour la CDC Climat : “Auparavant, aucune régulation n’obligeait à brûler ces HFC, donc il y a bien une diminution des émissions de gaz à effet de serre, même si ces industriels auraient pu financer eux-mêmes ces mesures si une législation nationale les y avait contraints.”
En attendant d’hypothétiques législations, les ONG ont soumis au comité des méthodologies une proposition de réforme qui réduirait de 90 % les crédits carbone engendrés par ce type de projet.
Ce possible tarissement inquiète les marchés. “Les investisseurs redoutent que le bureau du MDP n’applique pas seulement la nouvelle méthodologie aux futurs projets, mais impose une forme de rétroactivité : il a le pouvoir de bloquer les émissions de crédits sur les projets HFC déjà approuvés”, explique Emmanuel Fages, analyste carbone chez Orbeo. Des dizaines de millions de titres attendus par les marchés pourraient ainsi ne jamais arriver. Signe de cette fébrilité, “le prix de ces crédits carbone sur les marchés à terme a commencé à monter de manière spectaculaire depuis quelques jours”, observe l’analyste.
Les investisseurs ne semblent pas s’émouvoir en revanche du risque de financer de fausses réductions des émissions. Le 18 juin, l’International Emissions Trading Association, qui représente les acteurs du marché du carbone, a simplement dénoncé “la nature politique du débat et la pression qu’une telle politisation fait peser sur le régulateur”.

Un milliard de tonnes de CO2 économisées

MDP : Le mécanisme de développement propre est le principal outil de réduction des émissions de gaz à effet de serre institué par le protocole de Kyoto. Il permet aux pays industrialisés de financer des projets dans les pays en développement, en échange des crédits carbone nécessaires pour atteindre leurs propres objectifs.
HFC-23 : La destruction ce gaz représente la moitié du milliard de tonnes de crédits carbone que devrait générer le MDP d’ici à 2012. Cet hydrofluorocarbure a un effet de serre 11 700 fois plus puissant que le CO2. Il est émis lors de la production du HCFC-22, un hydrochlorofluorocarbure utilisé comme gaz réfrigérant.
Investisseurs : On trouve, parmi les acquéreurs de crédits carbone liés aux projets HFC, des industriels dépassant leurs quotas d’émission (centrales électriques, raffineries, aciéries, cimenteries…), les fonds carbone tel celui de la Banque mondiale, et les intermédiaires financiers comme les grandes banques.

“Les Français peuvent-ils vouloir renoncer à l’arme nucléaire ?”

Le Comité de Coordination du Mouvement pour une Alternative Non-violente
Le dernier livre de Jean-Marie MULLER / Editions du MAN, 104 pages / Parution le 12 juillet 2010

Avant-propos.
La force du présent document repose sur la vigueur et l’actualité de l’analyse politique qui y est présentée. Les références au passé et les textes cités, bien au-delà de leur sortie des archives historiques, sont devenus indispensables aujourd’hui, afin de comprendre pour agir.
La question nucléaire est ici abordée sous l’angle de la contestation de tout pouvoir autoritaire, de la remise en question de notre pratique démocratique affadie, et surtout du défi philosophique, face aux périls qui se dressent devant l’humanité. Avec Étienne de La Boétie, bien sûr, il convient, en effet, de se demander jusqu’où ira notre servitude ?
Nous voici confrontés à la terrible interpellation qu’a exposée Valéry Giscard d’Estaing, à Auschwitz, puis dans ses Mémoires où il avoue l’impossibilité de décider qu’il aurait rencontrée, s’il s’était trouvé en situation d’avoir à recourir à l’arme nucléaire et donc de voir, probablement, disparaître la France. Il est une autre politique de défense possible que celle qui s’en tient à un pseudo réalisme, au risque de compromettre toutes les espérances terrestres ?
Nous voici, et ce n’est pas vrai seulement de l’armement nucléaire, ramenés devant des évidences rappelées par Albert Camus, Lanza del Vasto, Théodore Monod, et tant d’autres, dont Jean-Marie Muller, au cours des précédentes décennies :
• la Bombe porte atteinte à la démocratie
• elle fonde la monarchie présidentielle
• elle est incompatible avec tous les idéaux de la civilisation occidentale et la contredit donc.
C’est par ce biais qu’il convient d’aborder l’hypothèse du désarmement unilatéral de la France. Le système institutionnel de la Ve République, d’origine gaulliste, enferme l’État dans une logique monarchique du pouvoir qui s’appuie sur la volonté de puissance représentée par l’armement nucléaire.
Jean-Marie Muller nous invite à considérer sérieusement cette situation à laquelle nous voici, plus que jamais, confrontés, et il nous incite à nous interroger sans plus tarder.
Le MAN s’associe à cette interrogation et la livre au débat public. Il n’est, de toute façon, plus possible de rester engoncés dans une doctrine de la dissuasion obsolète, qui nous fait vivre non dans la sécurité mais l’insécurité permanente.
Plus encore que les risques, évidents, liés à la prolifération nucléaire, aux dangers que cette prolifération étend à des utilisations terroristes de la Bombe, miniaturisée ou pas, il y va de notre survie, dès lors que, quelle qu’en soit la cause, l’arme nucléaire peut échapper au contrôle de la petite minorité d’hommes, faillibles, en charge de surveiller le dispositif militaire.
Devant des milliards d’hommes impuissants ou résignés, la dignité de l’humanité se trouve violemment atteinte. Il faut sortir de ces turbulences où il peut être mis fin à notre histoire. Avec ce texte nous visons à réveiller la vigilance démocratique des Français, des Européens qu’ils sont, des citoyens du monde qu’ils deviennent chaque jour davantage, sur une Planète qui nous apparaît de plus en plus étroite et fragile.

Marx et la Nature (Deuxième Partie)

Alain Lipietz
Article paru dans EcoRev (Revue Critique d’Ecologie Politique) n. 25, de janvier 2007

Fidélité ou fixation ?
À partir de là va se développer tout le caractère révolutionnaire du marxisme. Mais Marx, et c’est également son très grand mérite, n’en a pas fini avec la Nature. Le tourbillon du clinamen ne lui sert pas seulement d’image et de schéma intellectuel. Jusqu’à son dernier manuscrit, le rapport « Homme transformateur-Nature transformée » restera la matrice de toute sa réflexion philosophique, économique et politique.
[….] Le livre I du Capital relèverait tout autant, dans la classification actuelle des sciences humaines, des sciences de l’ingénieur ou de la sociologie du travail que de l’économie politique. Il fourmille d’exemples montrant l’incroyable érudition de Marx en matière de botanique, de minéralogie, et de tous les « métiers » bien concrets qui constituaient alors « le travail », un demi siècle avant que la révolution taylorienne ne sépare l’ouvrier de son propre savoir faire.
Donc, soyons honnêtes, Marx n’a pas réduit le rapport Homme-Nature aux rapports d’organisation entre les hommes dans la production, et encore moins aux rapports de propriété juridiques sur les moyens de production (comme on pourrait le reprocher au Ken Loach de Terre et Liberté). Il a très correctement hiérarchisé la dynamique entre ces rapports entre les humains dans la production (ce qu’on appellera «rapports de production») et les rapports entre l’humanité et la nature (ce qu’on appellera «forces productives»).
Une grande partie des débats entre marxistes portera d’ailleurs sur cette hiérarchisation. Pour simplifier, de la fin du XIXe siècle au milieu du XXe siècle, les successeurs de Marx et en particulier les staliniens supposeront que les forces productives, c’est-à-dire, pour eux le «niveau de développement des sciences et des techniques», déterminent les rapports sociaux (c’est à dire le passage de la féodalité au capitalisme puis au socialisme). Les tentatives ultimes et tardives de rectification du marxisme reviendront à la source : ce sont bien les rapports entre les Hommes qui déterminent l’évolution de leur rapport avec la Nature. C’est à partir de cette rectification que de nombreux marxistes hétérodoxes, venus par exemple de Socialisme ou barbarie, en France (comme Didier Anger), ou de l’opéraisme en Italie (comme Toni Negri), viendront à l’écologie politique. C’est-à-dire à l’idée que si le rapport entre l’Homme et la Nature est mauvais, c’est que le rapport des humains entre eux est déjà mauvais. Et c’est finalement la plus grande idée que nous ait léguée René Dumont.
Bon. Mais est-ce bien suffisant pour devenir vraiment écologiste ?
Aujourd’hui, dans le désert de la pensée marxiste, on se croit déjà écologiste quand on ajoute à la critique du libéralisme une dose de critique du « productivisme ».
Au mieux cela donne : « Le monde n’est pas une marchandise, on ne devrait pas produire pour faire des marchandises sources de profits, et même on ne devrait pas produire pour produire. Il faut subordonner la production aux besoins. » Malheureusement, ce n’est pas seulement cela, l’écologie politique.
On devient véritablement écologiste quand précisément on rompt avec le présupposé que le rapport des humains à la nature se réduit à un rapport de production. Quand on pose le triangle des rapports entre l’individu, la société, et son environnement. Environnement qui est à la fois la condition d’existence des individus et le produit des transformations que lui impose l’activité sociale : modes de production, mais aussi de consommation, de transport, urbanisation, appropriation touristique, etc.
Et là, force est de reconnaître que les plus beaux passages de Marx, les plus «éco-marxistes», si l’on veut, ne rompent pas avec ce présupposé. La phrase du Manuscrit de 1844 : «La nature est le corps inorganique de l’Homme», comme la phrase de la Critique du programme de Gotha ( 1875, vers la fin de la vie de Marx ) : «Il n’est pas vrai que le travail soit la source de toute richesse, il en est seulement le père, la nature en est la mère», affirment une continuité de pensée indéfectible dont il faut savoir reconnaître la grandeur. La Nature et l’Humanité sont dans un rapport de coévolution indissoluble, l’Homme étant la force directrice de cette coévolution. Mais l’image mobilisée dans la Critique du programme de Gotha, en fait une très vieille image d’Aristote, «La matière aspire à la forme comme la femelle au mâle», nous fait dresser l’oreille.
Quelle que soit l’importance, voir la primordialité (il n’est pas question de primauté !) que Marx concède à la nature, il ne la pense que comme objet, comme matière à la mise en forme dont la responsabilité revient à l’Humanité. Et cette mise en forme est bien une mise-en-forme, c’est-à-dire une transformation physique, une réorganisation, une artificialisation. Encore une fois, ce faisant, Marx se distingue notoirement des économistes ou des révolutionnaires qui n’auraient aucun souci de la nature comme telle ! Même dans les passages les plus abstraits et mathématisables du livre III, les chapitres consacrés à la théorie de la rente, il prend soin de partir de l’existence de terres de qualités différentes, qualités pédologiques inhérentes à la terre, pour ensuite introduire la distance aux villes ou la somme d’engrais et de machines investie : un accès légal à un environnement naturel différencié, capable de fonder à soi seul une différence dans le prix des sols. Mais cette spécificité de la terre pour elle même, il ne la considère encore une fois que sous l’angle de ce que l’homme pourra en « faire ».

De la production à la responsabilité
Pour ceux qui viennent du marxisme, un pas de plus est nécessaire. Ce pas n’est pas la rupture entre l’histoire de l’Humanité et l’histoire de la Terre , bien au contraire.L’écologie politique ne renie rien de ce que Marx nous a appris quant à la détermination du rapport Homme Terre par les rapports sociaux, idéologiques, juridiques, politiques etc. Mais elle exige de considérer que la terre existe pour elle-même, indépendamment de l’Homme, et que l’Homme est un enfant de la terre et pas l’inverse. Mais un enfant qui peut détruire la propre source de son existence.
Dès lors, une écologie politique, même harnachée de concepts marxistes, affirme d’abord que le rapport entre l’humanité et la nature ne doit pas se réduire à un rapport de production. Il est, au minimum, le nécessaire et bien compris respect qu’on doit à celle qui nous fait vivre, par la respiration et tous les contacts permanents qu’entretient avec elle notre corps d’humains, bien plus fondamentalement que par la production, pour qu’elle puisse continuer d’assurer cette « fonction » qui n’est pas en soi sa « mission ». Et, au delà, un rapport d’amour et de contemplation, le rapport de responsabilité que doit assumer, vis à vis de la Nature tout entière, l’Humanité, partie consciente de la matière.

« Seule une taxe carbone généralisée peut sauver le climat »

Interview de James Hans le 30 mai à Bonn
Article publié dans l’édition de Médiapart du 16.06.10

Directeur de l’institut Goddard d’études spatiales de la NASA, James Hansen est considéré comme un grand climatologue américain. A partir de la fin des années 1980, il joua un rôle majeur dans la prise de conscience — progressive, trop lente à ses yeux — de l’élite politique et économique aux Etats-Unis quant aux dangers du changement climatique. Fin 2009, il provoque un scandale en déclarant souhaiter l’échec du sommet de l’ONU sur le climat de Copenhague. A ses yeux, les bases de la négociation actuelle sont trop mauvaises, dessinant un système trop inefficace. Il est aujourd’hui un fervent avocat de l’instauration d’une taxe carbone aux Etats-Unis, et ailleurs dans le monde.
L’année dernière, vous aviez publiquement espéré que la conférence de Copenhague sur le climat soit un échec. Selon vous, la négociation était engagée sur une trop mauvaise voie. Maintenant qu’elle a échoué, la situation s’est-elle améliorée ?
Ca dépend. Pour faire progresser l’accord international, il faut donner un prix au carbone, et donc instaurer une taxe carbone généralisée. Le mécanisme de marche des quotas d’émissions («cap and trade»), qui correspond à l’approche du protocole de Kyoto, ne pourra jamais exister au niveau mondial. Je ne crois pas que l’Inde et la Chine accepteront de limiter leur développement économique. Par contre, il y a de très bonnes raisons de croire qu’ils pourraient accepter un prix du carbone. Ils investissent dans l’énergie solaire, éolienne, nucléaire. Ils pourraient réussir à se sortir des énergies fossiles pour passer aux renouvelables. En réalité, ils doivent le faire s’ils veulent nettoyer leur atmosphère et les eaux qui sont gravement polluées. Et s’ils veulent éviter les effets du changement climatique qui vont les affecter plus que l’Europe et les Etats-Unis. Ils sont donc ouverts à cette approche.
Pourquoi selon vous seraient-ils plus ouverts à une taxation qu’au marché du carbone ?
La Chine peut avoir intérêt à taxer son carbone. Le reste du monde va avoir besoin de sources d’énergies propres. Les Chinois investissent dans ces secteurs et vont pouvoir vendre beaucoup d’éoliennes et de panneaux photovoltaïques. Aujourd’hui, leurs produits sont moins chers que ceux des Occidentaux. Ils sont donc en position de leur en vendre. Ils en écouleront d’autant plus qu’il existe une taxe carbone générale.
Ils investissent dans les énergies propres.Mais tant que les carburants fossiles seront l’énergie la moins chère, les gens continueront de les utiliser. Y compris en Chine. Donc pour qu’ils réduisent leur usage des carburants fossiles, il faut que les prix montent. Le problème, c’est que le prix des carburants fossiles ne reflète pas les dommages qu’ils causent a la société: leurs effets sur la santé humaine, l’environnement, le futur des jeunes générations. Le gouvernement chinois est très rationnel. Il comprend que la Chine va beaucoup souffrir du changement climatique. Ils ont 300 millions d’habitants qui vivent très près du niveau de la mer. Ils ne veulent donc pas que la calotte glaciaire se déstabilise. C’est plus facile de faire comprendre cela à la Chine qu’aux Etats-Unis.
En Europe, les autorités politiques ont échoué à créer une taxe carbone, ce qui a conduit par défaut a la création du marché du CO2. Ne craignez-vous pas de défendre une option économiquement et diplomatiquement efficace, mais politiquement irréaliste ?
C’est un problème de communication. Il faut taxer les compagnies pétrolières à la source, par une taxation sur le pétrole, le gaz et le charbon, et redistribuer ces recettes au public, soit par un cheque vert mensuel, soit par le biais de la réduction d’autres impôts. Mais il faut que ce soit transparent et qu’il soit clair pour tout le monde que l’argent collecté revient au public. Il faut l’expliquer pour que les gens comprennent, et ne croient pas que le gouvernement fait porter tout l’effort sur eux. La communication sur ce sujet n’a pas été aussi bonne qu’elle aurait du l’être.
C’est ce que le gouvernement français a voulu faire, avant de renoncer, après la censure du Conseil constitutionnel. L’opposition a la reforme était trop forte.
Les gouvernements doivent mieux communiquer. Mais ce sera plus facile si la taxe carbone fait l’objet d’un accord international. Il sera plus clair que c’est aux bénéfices des plus jeunes, des futures générations et des espèces de la planète. Si la France est la seule à le faire, ca n’apporte pas grand-chose. Elle ne représente qu’une toute petite part des émissions globales. Un accord mondial ferait une grosse différence.
En plus du marché de quotas d’émissions de CO2, le protocole de Kyoto a aussi mis en place un système de compensations : l’entreprise d’un pays industrialisé peut réduire ses émissions de gaz à effet de serre dans un pays en voie de développement en y investissant dans les énergies propres. Vous êtes très critique de ces compensations que vous comparez à des indulgences. Pourquoi ?
Prise une à une, la plupart de ces compensations sont en fait inefficaces. On sait combien de carbone il y a dans le pétrole, le gaz et le charbon. On sait qu’on ne peut pas tout émettre dans l’atmosphère. On va devoir laisser la plupart du charbon dans le sol. C’est absurde de vouloir partir à la recherche de la moindre goutte de pétrole pour la consommer, parce que si on le fait, il faudra ensuite trouver le moyen de l’extirper de l’atmosphère. Les projets de compensation concernent souvent les forêts. Mais ca ne résout pas le problème des carburants fossiles. La demande de bois ne diminue pas. La demande de terre pour cultiver de la nourriture ne fléchit pas. Si vous préservez une forêt, la coupe du bois se fera ailleurs. A moins que vous ne parveniez à contrôler toutes les forêts de la planète, ca ne marchera pas. Donc, ces compensations ne sont pas seulement inefficaces: la plupart du temps, elles sont tout simplement imaginaires. Elles peuvent peut-être temporairement réduire les émissions, mais elles ne résolvent pas le problème principal: il faut laisser les carburants fossiles dans le sol.
L’autre problème, c’est qu’elles permettent aux pays riches d’échapper aux changements fondamentaux qui doivent être conduits. Les gens se sentent beaucoup mieux à l’idée qu’ils peuvent brûler du carbone et le compenser. Mais la réalité, c’est qu’ils ne peuvent pas vraiment le compenser. Par exemple, quand les gens font le tour du monde en avion, ils peuvent acheter des compensations, mais ca ne compense pas vraiment le carburant qu’ils ont consommé. Parce que le carburant est brûlé de toute façon, même si vous le ralentissez un peu. Une fois que le carbone est présent dans l’atmosphère ou dans l’océan, il y reste pendant des millénaires. Ca ne change absolument rien que vous le dépensiez cette année, ou l’année suivante. La seule chose à faire, c’est de ne pas le brûler! Planter des arbres ne résoudra pas le problème du climat. Si nous consommons tout le carbone qui se trouve dans les réserves de pétrole, de gaz et de charbon, nous allons plus que doubler la teneur en CO2 dans l’atmosphère. Cela renverrait la planète à l’époque où il n’y avait plus de glace (ice free, la mer était 70 mètres plus haute qu’aujourd’hui, note de traduction TACA).
La raison aussi pour laquelle ces compensations sont séduisantes, c’est que les pays en développement eux aussi y gagnent. Ils en attendent de l’argent. C’est comme les indulgences: les riches pouvaient continuer à pécher et l’église touchait l’argent. Tout le monde était content. Mais c’est un bénéfice financier a court terme pour les pays en développement.
Croyez-vous qu’une taxe carbone existera un jour aux Etats-Unis ?
Ce sera sans doute plus dûr aux Etats-Unis. Mais malheureusement, nous n’avons pas le choix, il faut le faire. Car aussi longtemps que les carburants fossiles seront les moins chers, nous continuerons à les brûler. C’est aussi évident que l’existence de la gravité terrestre. Aux Etats-Unis, nous avons cette dépendance aux carburants fossiles, qui est la source de bien des problèmes. Ce sont des centaines de milliards de dollars par an que nous versons a des pays étrangers qui les utilisent parfois d’une façon qui ne nous plait pas, comme le financement du terrorisme. Il y a des bénéfices au prix du carbone. Il faut que nous passions aux énergies propres dans le futur. Je crois que cela peut être expliqué au grand public. Mais il faut le faire de manière non partisane. Et aujourd’hui, le débat américain est tellement clive que c’est très difficile.
Pourquoi l’administration Obama a-t-elle écarté la taxe carbone ?
Je crois qu’ils n’étaient pas bien informés. Les principales ONG américaines défendent le marché des quotas de CO2 et le premier projet de loi sur le climat, adopté l’année dernière par la Chambre des représentants, qui ne permettra qu’une légère baisse des émissions. Il donne beaucoup d’argent aux industries fossiles, ce sont 200 pages pour servir les intérêts des uns et des autres. A ce stade, je crois que les grosses ONG sont devenues l’une des sources du problème: le National Ressources Défense Council (NRDC), l’Environnemental Défense Fund… Elles ont passé trop de temps à Washington. Elles touchent de l’argent du milieu des affaires.
Mais ce n’est pas qu’une question d’argent. L’Environnemental Défense Fund par exemple a joué un rôle déterminant dans l’élaboration du système du marché des quotas mis en place pour réduire les émissions de soufre (SO2) dans les années 1990. Ils considèrent que ca a bien marché. C’est vrai que les émissions ont été réduites, mais c’est un problème très différent car on a pu substituer un type de soufre avec un autre. C’est très différent du CO2. Car pour en réduire les émissions, il faut changer de mode de vie. Changer les modes de consommations et la vie des affaires au-delà des frontières. Il faut faire changer la société à une très grande échelle.
La marée noire qui touche les côtes américaines et la Louisiane peut-elle accélérer la prise de conscience de la nécessité de sortir des hydrocarbures ?
Les résistances aux forages sur les terrains publics, en offshore et en Alaska aident beaucoup. On se comporte comme des drogues du pétrole. Il faut en sortir. Je ne crois pas que les différentes versions actuelles du projet de loi sur le climat ont la moindre chance de passer. C’est bien, puisqu’elles n’apportent pas grand-chose. De mon côté, je travaille avec le Carbon Tax Center pour écrire un autre projet de loi qui donne un prix au carbone et le ferait augmenter chaque année pour atteindre au bout de 10 ans le niveau d’un dollar par gallon d’essence. Cela réduirait les émissions américaines de 30%.

De vraies réductions, pas de la compensation. Cela mettrait la tonne de CO2 à 115 dollars (93 euros). C’est beaucoup plus que les niveaux de taxe carbone dont on parle aujourd’hui un peu partout. Mais c’est le prix qu’il faut pour changer le mode de vie des gens.