Suisse : les gros salaires bientôt abolis ?
Citazine
www.reporterre.net/spip.php?article3908
Une fiscalité écologique française peu efficace
Rémi Barroux
Le Monde du 02.03.2013
Il est temps de fermer le marché du carbone européen
Aitec, Amis de la Terre, Attac, Confédération paysanne
www.reporterre.net/spip.php?article3904
Alain Lipietz : “La conversion verte rapportera plus d’emplois que le maintien de l’ancien système”
Weronika Zarachowicz – Télérama n° 3273
www.telerama.fr/idees/alain-lipietz-la-conversion-verte-rapportera-plus-d-emplois-que-le-maintien-de-l-ancien-systeme,87571.php
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Suisse : les gros salaires bientôt abolis ?
Citazine
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Le 3 mars, la population suisse est appelée à se prononcer sur les rémunérations abusives des grands patrons.
En Suisse, on appelle ça l’Initiative Minder, et ça fait beaucoup parler. Lundi prochain, les Suisses sont effectivement invités à se rendre aux urnes pour se prononcer sur un sujet très sensible : les rémunérations abusives des grands patrons.
A l’origine de cette nouvelle « votation », un scrutin populaire organisé plusieurs fois par an dans le pays, on retrouve un entrepreneur. Son nom : Thomas Minder, qui est devenu, au fil du temps, le champion de la lutte contre les très gros chèques versés aux très gros patrons, comme l’expliquent Les Echos.
Touchés directement par les déboires financiers de SwissAir, Minder et son entreprise ont bataillé longtemps pour obtenir le paiement d’une facture dont devait s’acquitter la compagnie aérienne. En vain. Une pilule très difficile à avaler pour le patron installé à Schaffhouse. Et pour cause : Mario Corti, le PDG de la société a touché une indemnité de 12,5 millions lorsqu’il a rejoint l’entreprise… or, il n’a pas restitué cette somme quand les finances de SwissAir ont plongé.
Il n’en a fallu guère plus pour que Minder monte au créneau. Et qu’il lance cette votation. Si le scrutin remporte une majorité de « oui », La rémunération des grands patrons sera décidée par les actionnaires, qui n’avaient jusqu’alors aucun droit. Les parachutes dorés et autres indemnités deviendraient illégaux.
Et en cette fin février, la tendance va en faveur de cette option. Mais si le « non » venait à l’emporter, ce ne serait pas pour autant le statu quo. Dans ce cas de figure, un texte de loi proposé par les Chambres fédérales entrerait effectivement en vigueur. Celui-ci propose aussi des solutions pour limiter les hauts salaires… sans aller aussi loin.
Le vent est-il en train de tourner pour les grands patrons suisses ? Ça se pourrait bien.
Une fiscalité écologique française peu efficace
Rémi Barroux
Le Monde du 02.03.2013
Cette fois, ce ne sont pas les associations de défense de l’environnement qui pressent le gouvernement d’accélérer la mise en oeuvre d’une fiscalité écologique. En désignant, dans un référé rendu public vendredi 1er mars, « les nombreuses dépenses fiscales dont le recensement est incomplet et qui répondent davantage au souci de préserver certains secteurs d’activité qu’à des objectifs environnementaux », la Cour des comptes apporte un renfort de poids aux partisans de la mise en place rapide d’une fiscalité verte.
Le projet de loi de finance (PLF) 2013, adopté en décembre 2012, avait déçu les écologistes et une partie de la gauche : le verdissement de la fiscalité, promis par le chef de l’Etat et son premier ministre, n’était qu’à peine amorcé. « Si on n’attaque pas sérieusement ce chantier d’ici à la fin 2013, il sera trop tard : la fiscalité écologique ne verra pas le jour pendant le quinquennat », s’était impatienté le président socialiste de la commission du développement durable à l’Assemblée nationale, Jean-Paul Chanteguet.
De fait, malgré l’adoption de quelques mesures dans le PLF 2013 – comme le durcissement du malus automobile –, la fiscalité environnementale représente seulement 5 % des prélèvements obligatoires en France, contre 10 % au Danemark par exemple.
OBJECTIF DE 3 MILLIARDS
Pour aller plus loin, la ministre de l’écologie, Delphine Batho, a installé, le 18 décembre 2012, un comité pour la fiscalité écologique, présidé par l’économiste Christian de Perthuis. Composé de représentants des six collèges de la conférence environnementale (ONG, syndicats, patronat, collectivités locales, parlementaires et Etat), il doit remettre au printemps des propositions susceptibles d’être intégrées dans le prochain projet de loi de finance. Et offrir une première réponse à l’engagement contenu dans le Pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi de dégager 3 milliards d’euros de fiscalité écologique « à l’horizon 2016 ».
Rééquilibrer les taxes sur les carburants, qui favorisent le diesel, figure bien au menu des mesures étudiées par le comité pour la fiscalité écologique. « La question est de savoir à quel rythme et comment pour ne pas pénaliser un certain nombre de professionnels », note M. de Perthuis. Qui ajoute : « Il y a dans la fiscalité actuelle des incitations défavorables à l’écologie, il faudra les supprimer et le plus tôt sera le mieux. »
Au-delà du diesel et du kérosène, également visé par la Cour des comptes, la taxe carbone, sujet de prédilection de M. de Perthuis, pourrait revenir à l’ordre du jour. Mais Delphine Batho a prévenu : la fiscalité verte devra respecter trois critères : « l’efficacité écologique, l’impact économique et le respect de la justice sociale ». Trois critères difficiles à concilier, comme le débat sur le diesel ne devrait pas manquer de le souligner.
Il est temps de fermer le marché du carbone européen
Aitec, Amis de la Terre, Attac, Confédération paysanne
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Plus de cent-dix organisations de la société civile exigent de l’Union européenne (UE) qu’elle abandonne le marché du carbone européen (ETS). Après sept ans d’échecs répétés, l’UE a perdu toute crédibilité lorsqu’elle annonce vouloir « corriger » ses défaillances.
Inefficace, coûteux et dangereux, le marché carbone européen entrave toute politique climatique à la hauteur des enjeux, c’est-à-dire qui permette de réduire drastiquement la forte dépendance de l’UE aux énergies fossiles et de transformer profondément nos modes de production et de consommation.
Le Parlement Européen va être amené à se prononcer sur les propositions de la Commission européenne visant à réduire (faiblement) le nombre excessif de droits d’émission actuellement en circulation afin de stopper l’effondrement du marché du carbone européen. Cette proposition, publiquement soutenue par le gouvernement français sans qu’il n’y ait eu de débat, n’est pas acceptable.
Les organisations soutenant la déclaration « Il est temps de mettre fin au marché du carbone européen ! » invitent les institutions européennes, les élu-e-s, la société civile et les citoyen-ne-s européen-ne-s à regarder les faits en face et en tirer les conclusions qui s’imposent.
En l’absence [1] de preuves établissant un lien de causalité entre les réductions d’émissions observées après 2008 – principalement dues à la crise économique – et le marché du carbone européen, les organisations soussignées rappellent que le marché du carbone européen :
• n’est pas efficace : les émissions des secteurs économiques relevant du marché carbone diminuent moins vite (1,8 %) que celles des secteurs ne relevant pas de ce système (3 %) ;
• ne permet de pas de réduire les émissions domestiques : en prenant en compte les émissions liées aux produits importés, les émissions n’ont baissé que 4% entre 1990 et 2012, et non 17,5 % ;
• sert d’échappatoire au secteur industriel : l’introduction de certificats de réductions d’émissions liés à des opérations de compensation menées hors UE s’accroît considérablement, au point de représenter 13% des émissions domestiques du secteur (+ 85 % en 2011 par rapport à 2010), aggravant la situation de surabondance de crédits carbone ;
• contribue à accroître les conflits sociaux et environnementaux en encourageant l’accaparement des terres, les violations des droits de l’homme, les déplacements forcés et les atteintes à l’environnement liés à la mise en œuvre des projets de compensation carbone ;
• fonctionne comme un système de subvention des pollueurs : l’attribution gratuite des permis est de facto une subvention qui permet aux industriels – notamment Arcelor Mittal et Lafarge – d’engranger des milliards d’euros : 14 milliards [2] entre 2005 et 2008 et 7 milliards par an jusqu’en 2020 pour les 75% de permis qui seront toujours distribués gratuitement ;
• fait retomber le coût sur les consommateurs : presque l’intégralité du coût de mise en conformité du secteur industriel avec le marché carbone européen aurait été financé par les consommateurs ;
• incite les secteurs industriels au statu-quo : en raison de son fonctionnement, du trop grand nombre de permis existants et de comportements spéculatifs, le marché carbone ne délivre aucune incitation économique pouvant provoquer une transformation profonde du système productif ;
• est coûteux et particulièrement sujet à la fraude : fondé sur des mesures d’émissions souvent incertaines ou invérifiables et faiblement encadré sur le plan réglementaire, il est propice aux abus et aux fraudes – plus de 5 milliards d’euros de perte en 2010 – faisant dire à Europol que « dans certains pays, jusqu’à 90 % du marché du carbone était le fait d’activités frauduleuses » [3] ;
• sert d’excuse à l’Union Européenne : bloquée sur un engagement de 20% de réduction d’émissions – soit un objectif légèrement inférieur pour la deuxième période du protocole de Kyoto (1,5 % par an) que pour la première (1,6% par an) – l’UE refuse de passer à des objectifs de 40 % de réduction d’ici 2020 et de 80 à 95 % d’ici 2050, seuls à -même d’être à la hauteur des défis climatiques.
Avec un tel bilan, n’importe quel dispositif devrait être supprimé et enterré. Pas le marché carbone européen. La Commission européenne lui voue un attachement idéologique sans faille, déterminée à maintenir cet instrument comme le pilier central de ses politiques climatiques. Au point de le promouvoir comme le modèle à suivre auprès d’autres pays ou pour instituer de nouveaux marchés portant sur la biodiversité, l’eau et les sols.
Par ses que quelques mesures cosmétiques, la Commission Européenne refuse de s’affranchir d’une vision marchande et financière de la « gestion de l’environnement ». Elle entrave ainsi toute possibilité d’une transition énergétique qui réduise drastiquement la très forte dépendance de l’UE aux énergies fossiles et qui permette de mettre en oeuvre des systèmes énergétiques, agricoles, financiers et de transports adéquats.
En exigeant de « mettre fin aux marchés carbone européen » les organisations signataires de cette déclaration exigent que l’UE n’hypothèque plus l’avenir de la planète et des populations avec des politiques climatiques aussi inefficaces que désuètes.
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Notes :
[1] European Environmental Agency (2011) Greenhouse gas emission trends and projections in Europe ; 2011 : Tracking progress towards Kyoto and 2020 targets, Copenhagen : EEA, p.37, lien.
[2] Bruyn, S. et al. (2010) Does the energy intensive industry obtain windfall profits through the EU ETS ? CE Delft, lien.
[3] Lien.
Alain Lipietz : “La conversion verte rapportera plus d’emplois que le maintien de l’ancien système”
Weronika Zarachowicz – Télérama n° 3273
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Notre modèle économique ? C’est toujours celui de l’après-guerre. Productiviste, nucléarisé. Inapte à aborder la révolution écologique, selon l’économiste et eurodéputé Vert Alain Lipietz.
Pourquoi la France rate-t-elle la révolution écologique ? Parce qu’il lui faudrait entrer dans une nouvelle économie, et qu’il s’agit, fondamentalement, d’une mutation culturelle. Or, la France a construit après guerre son modèle gaulliste, ultra centralisé, planifié, et il lui colle à la peau comme un vieux Scotch. Cette critique du modèle vient d’un de nos économistes les plus reconnus, l’écologiste Alain Lipietz, d’autant mieux fondé à le critiquer qu’il le connaît de l’intérieur, que c’est son histoire. Rencontre avec cet esprit brillant et humaniste à l’éternelle moustache et aux yeux azur, véritable puits de culture économique, politique, philosophique, et qui connut mille vies, polytechnicien, ex-militant maoïste, organisateur des marches sur le Larzac, eurodéputé Vert, auteur de polars comme d’essais économiques alertes, dont le stimulant Green Deal (La Découverte, 2012), le dernier en date. (EXTRAITS)
Avez-vous été surpris par les résultats du rapport Séralini sur l’effet des OGM ?
Non. Mais il ne faut pas s’enfermer dans les polémiques experts vs contre-experts, tant les multinationales sont capables de faire asséner un démenti par un « expert » complaisant, comme on l’a vu sur le nucléaire, l’effet de serre ou l’amiante. Le vrai problème, c’est que les consommateurs ne veulent plus servir de cobayes et que les paysans ne veulent plus être asservis aux firmes agro-industrielles. Mais les gouvernements n’osent plus affronter celles-ci, tant elles sont puissantes, encore plus qu’Areva ! Pourtant, cette agriculture productiviste est au cœur de la crise actuelle.
Pourquoi ?
Nos dirigeants, y compris chez les Verts, n’envisagent que la crise financière, et au mieux la crise « énergie-climat ». Ils refusent de voir la crise alimentaire. Il s’agit pourtant de l’autre grande crise écologique de ce début de siècle, qui résulte à la fois de l’artificialisation de l’agriculture – depuis les engrais jusqu’aux OGM – engagée dans les années 50 et du libéralisme de la Banque mondiale, qui a poussé tous les pays à se spécialiser dans les cultures d’exportation au détriment des cultures vivrières. D’où la famine au Sud et la malbouffe au Nord, celle-ci débouchant à son tour sur une gigantesque crise sanitaire (obésité, diabète, cancers…). En outre, elle renforce la crise énergétique : 50 % des gaz à effet de serre sont produits par le système alimentaire, qui s’étend bien au-delà de la seule agriculture !
Les crises énergétique et alimentaire seraient devenues interdépendantes ?
Elles se nourrissent l’une l’autre. La crise climatique née de l’effet de serre provoque des sécheresses et des incendies qui détruisent périodiquement les greniers à grains de la planète. Et les agrocarburants, réponse productiviste à la crise de l’énergie, rongent la surface disponible. En 2007-2008, l’incendie de l’Australie, joint à la hausse du pétrole, fut le détonateur de la crise mondiale. Puis, il y a deux ans, la Russie et l’Ukraine ont flambé. Cet été, l’Europe de l’Est et les Etats-Unis ont connu la pire sécheresse jamais enregistrée. C’est désormais une tendance lourde.
(…)
Le programme sur l’isolation des bâtiments, c’est une belle avancée, non ?
Les socialistes ont enfin compris que l’isolation des logements représente un énorme gisement d’emplois, d’économies d’énergie, de CO2 et de devises : bref, la tartine est beurrée de tous les côtés et peut faire gagner des voix, celles des artisans ! Très significativement, ces avancées reprennent les décisions législatives du Grenelle de Sarkozy. En 2007, beaucoup de choses intéressantes étaient sorties des discussions, mais la plupart avaient été retoquées, à l’Assemblée, par la droite. Sauf sur le bâtiment. Pourquoi ? Parce que le « lobby de l’isolation des bâtiments » existait déjà et n’attendait que ça. Le chaînon manquant, c’est la formation professionnelle, ce qui passe par une revalorisation des métiers et de leur image.
Comment expliquez-vous que l’actuel gouvernement manque de vision sur la transition écologique ?
Alors que l’Union européenne passe son temps à planifier, à fixer des horizons avec des dates et des quantités, et à rendre cette conversion envisageable, la France, elle, ne sait plus faire car elle a détruit des outils précieux, comme le Commissariat général au plan. On emploie le terme « plan » par hostilité au libéralisme, mais on est incapable de lui donner un vrai contenu. On organise des Grenelle, des grand-messes express, comme la conférence environnementale. Mais un compromis ne peut se construire aussi vite ! Alors que les syndicats avaient fait un pas énorme vers l’écologie au cours du premier Grenelle, ils se sont cette fois crispés sur leurs positions anciennes.
La faute à la crise ?
Certainement, mais aussi au fait que la conférence n’a duré que deux jours ! Du coup, la CGT, le Medef et même la CFDT ont campé sur des positions extrêmes, caricaturales. Construire un consensus, c’est un boulot à temps plein, avec débats publics, experts qui alimentent le débat, testent des modèles macroéconomiques… Voyez ce qu’on a réussi à faire au niveau européen ! Les écologistes européens n’hésitent pas à demander à Joël Decaillon, ancien secrétaire général adjoint de la Confédération européenne des syndicats (CES), venu de la CGT française, de les représenter au Forum social mondial ! Comme si, chez nous, les Verts demandaient la même chose à Bernard Thibault…
Pourquoi est-ce possible au niveau européen ?
On passe du temps à bâtir des convergences ! Les syndicats ont compris que la conversion verte rapportera plus d’emplois que le maintien de l’ancien système. Selon la CES, si vous remplacez une agriculture chimique par une agriculture bio, c’est 40 % d’emplois en plus. Si vous développez les transports en commun pour diminuer de 30 % la production de gaz à effet de serre d’ici 2020, vous détruisez 4,5 millions d’emplois dans l’industrie européenne de l’automobile individuelle, mais vous en créez 8 dans les transports en commun, depuis la construction des autobus ou des tramways jusqu’à leur conduite, via l’aménagement de sites propres. Bref, vous réduisez la pollution, vous créez de l’emploi, des rentrées fiscales, car vous relancez l’activité, et donc vous avez les moyens de rembourser ces grands chantiers de la conversion verte.
Sauf que les rentrées d’argent ne se font pas tout de suite !
Ce décalage constitue LE problème fondamental de la transition écologique : on investit aujourd’hui pour créer demain un modèle de développement sobre et économe. Donc on emprunte. Autrement dit, le traité budgétaire européen, le « traité de la règle d’or », qui nous interdit d’avoir un déficit, est fondamentalement anti-écolo et nous enlise dans la crise.
D’où son rejet par Europe Ecologie ?
Et par un nombre croissant d’économistes, même de droite ! On doit, exactement comme l’Allemagne et la France de l’après-guerre, ou comme l’Allemagne de l’Est lors de la réunification, investir pendant dix ans et rembourser les dix années suivantes. Nous avons proposé, au Parlement européen, un outil simple. La Banque européenne d’investissement, contrôlée par le Parlement, finance la transition verte. Les emprunts des Etats auprès de cette banque ne sont pas comptés dans l’endettement des Etats car ils servent le futur de l’Europe. Et cette banque se refinance à taux zéro auprès de la Banque centrale. Nous sommes libérés du problème de la dette, la porte est ouverte à la transition écologique, et cela rassure le petit épargnant allemand, qui a peur de payer pour « l’incurie méditerranéenne », ou de devoir assumer un accident nucléaire en France alors que lui-même doit financer la sortie du nucléaire en Allemagne…
Vous êtes l’enfant d’une autre planification, la planification gaulliste, ultra productiviste…
Bien sûr, les « planistes » de l’après-guerre sont mes maîtres, mes collègues, toute ma jeunesse. Nous avons été formés jusqu’en 1968 pour servir la grande technostructure française et ses champions industriels nationaux grâce à la planification. Nous étions convaincus que, pour assurer la prospérité et l’indépendance de la France, il fallait qu’elle soit championne dans le modèle productiviste. Aujourd’hui, on traîne ces vieux colosses, nés dans le giron de l’Etat – l’industrie nucléaire, pétrolière, l’agroalimentaire artificialisé… –, alors que le modèle a changé. On a tout faux ! Il faudrait une nouvelle planification, un « New Deal vert », pour créer et accompagner les « champions » d’une nouvelle façon de vivre et de produire. Mais les énormes bastions du modèle périmé résistent et nous entraînent dans le déclin.
Vous croyez donc au déclin de la France ?
Non ! Mais la France s’entête dans des industries du siècle dernier. C’est la force des modèles : on n’arrive pas à lâcher la culture des années 60. Quand les vieux colosses, EDF, Areva, se diversifient – un peu… – vers l’éolien, ils le font sur le modèle du nucléaire : des fermes marines ultra centralisées, reliées par des lignes très haute tension aux consommateurs… C’est absurde, à tous égards. Si Pierre Mendès France ou Pierre Massé revenaient parmi nous, ils seraient écolos. Mais le responsable actuel du Redressement productif, Arnaud Montebourg, campe sur ces industries du passé, comme s’il ne voyait pas ce qui se développe partout dans le monde.
Et la France s’agrippe au nucléaire…
A l’inverse des pays limitrophes – l’Allemagne, la Suisse, l’Italie… – et du Japon ! Les pays les plus avancés savent que, d’ici quelques années, il faudra abandonner cette industrie, trop dangereuse. Le Japon, malgré ses vieux lobbies, annonce sa sortie du nucléaire d’ici 2030 ? La presse française boude cette révolution d’une des trois superpuissances nucléaires mondiales : moins d’un quart de page dans Libération, un article mi-figue mi-raisin dans Le Figaro, et deux articles critiques dans Le Monde et Les Echos ! Et quand l’Allemagne annonce sa sortie et ferme une partie de son parc nucléaire, les Français ricanent : « Vous verrez cet hiver quand ils achèteront notre électricité nucléaire ! » Eh bien, le jour du pic de la consommation française, le 8 février, nous avons acheté 9 millions de kWh sur les 10 produits par le solaire allemand ! Cette énergie avait coûté 240 euros le MWh aux électriciens allemands, ils les ont revendus 1 700 euros à la France. Qui est responsable du déséquilibre de notre balance commerciale, de notre endettement ? Ceux qui ricanent quand l’Allemagne et le Japon sortent du nucléaire.
Comment accélérer notre changement de culture ?
Quand les citoyens résistent, se mobilisent et innovent, quand l’Etat fixe les perspectives, on obtient des accords, y compris des lobbies les plus arrogants, qui comprennent qu’ils doivent bouger. Angela Merkel a pu décider une sortie du nucléaire sans que ce soit perçu comme une capitulation devant les écolos, qui venaient de remporter le Bade-Wurtenberg, mais, au contraire, comme une grande offensive. Parce qu’un lobby industriel comme Siemens peut abandonner progressivement une de ses trois pattes, le nucléaire, pour renforcer les deux autres, l’éolien et le ferroviaire, dès lors qu’un nouvel horizon est fixé.
Si c’est si évident, pourquoi les Français ont-ils tant de mal à fixer ces fameux horizons ?
C’est un cocktail : perte de vue du collectif, perte de la culture des négociations collectives sur l’avenir, poids des lobbys d’Etat, même privatisés. Et parce qu’une partie de la population ne comprend toujours pas ce qu’est la crise écologique. Nous sommes encore sous la coupe du modèle profondément anti-écolo des années 60, et que Rudolf Bahro appelait « les intérêts compensateurs ». Vous êtes malheureux à l’usine, vous bossez comme des bêtes, mais, en échange, vous aurez des autos, le bifteck midi et soir et la baignoire dans chaque HLM : c’est le grand compromis auto-boulot-bifteck et non pas métro-boulot-dodo ! Evidemment, renverser cet imaginaire – très machiste ! – est douloureux : allez convaincre que les légumes ne sont pas une nourriture de gonzesses, que le vrombissement de la bagnole n’est pas l’indice de la virilité ! On ne transforme pas du jour au lendemain une culture, une organisation du territoire, surtout quand elle est sédimentée. C’est moins une mutation politique que culturelle. Et donc personnelle. Aux écolos de faire rêver d’un modèle sobre, mais convivial et joyeux, et d’en jeter les bases dès maintenant, sur le terrain…
Alain Lipietz en six dates
1947 Naissance le 19 septembre à Charenton-le-Pont.
1966 Diplômé de l’Ecole polytechnique.
1973 Entre au Centre d’études prospectives d’économie mathématique appliquées à la planification.
1999 Député Vert européen.
2001 Candidat Vert à l’Elysée.
2011 Parution de son livre sur son père, La SNCF et la Shoah.
A lire
Green Deal. La crise du libéral-productivisme et la réponse écologiste, d’Alain Lipietz, 182 p., 16 €, éd. La Découverte.