Articles du Vendredi : Sélection du 1er avril 2022


Les émissions mondiales de CO₂ sont reparties beaucoup trop fortement pour le climat
Emmanuel Clévenot
https://reporterre.net/Les-emissions-mondiales-de-CO%E2%82%82-sont-reparties-beaucoup-trop-fortement-pour-le-climat

Les émissions mondiales de dioxyde de carbone ont largement augmenté en 2021, après la baisse record de 2020 due aux confinements. Un rebond en partie dû à l’électricité, l’industrie et les transports terrestres.

Les émissions mondiales de CO2 ont plus que doublé ces cinquante dernières années. Elles sont même reparties de plus belle en 2021, malgré la baisse enregistrée pendant les confinements dus au Covid-19 (-5,7 %), a révélé une étude de Carbon Monitor, publiée le 21 mars dans Nature Review Earth & Environment.

34,9 milliards de tonnes de CO2 ont ainsi été relâchées dans l’atmosphère en 2021, soit un rebond de 4,8 % des émissions de dioxyde de carbone, a calculé ce programme chargé de fournir des informations en temps quasi réel sur les émissions mondiales. La multiplication des variants et l’explosion du nombre de cas positifs au Covid-19 l’an dernier n’auront donc pas eu l’impact des politiques restrictives de 2020, la vie « normale » ayant repris son cours.

UE, Inde : les plus forts rebonds

Qui blâmer pour ce retour en fanfare ? Avec des sursauts respectifs de 5,0 %, 2,6 % et 8,9 % par rapport aux niveaux de 2020, les émissions provenant de l’électricité, de l’industrie et des transports terrestres sont responsables de 89 % du rebond mondial total. Le secteur de l’aviation intérieure signe également un retour fracassant dans l’élite des pollueurs, avec une augmentation de près d’un quart de ses émissions par rapport à 2020.

Les pays ayant connu un plus fort rebond, eux, sont l’Inde (+9,4 % des émissions) et les vingt-sept pays de l’Union européenne (6,7 %) — auxquels les chercheurs ont ajouté le Royaume-Uni. Ils sont suivis de près par les États-Unis (6,5 %), la Russie (6 %) et la Chine (5,7 %). Le Japon, lui, a conservé une dynamique de réduction de ses rejets de dioxyde de carbone.

Ces hausses ne sont pas inédites, précisent les auteurs de l’étude. Les chocs pétroliers de 1974 et 1980, ainsi que la crise financière de 2008 avaient déjà provoqué des croissances négatives temporaires des émissions. Toutes, sans exception, ont été suivies d’une hausse d’ampleur. « Alors qu’il y avait une baisse record de CO2 en 2020, le rebond de 2021 pourrait signaler que l’histoire se répète, réduisant la confiance dans les actions mondiales d’atténuation du changement climatique », déplorent les scientifiques.

Un trou dans le porte-monnaie

Pour faciliter la compréhension de l’impact de telles émissions, les climatologues ont inventé la notion de « budget carbone mondial » : il s’agit de la quantité de CO2 que l’on peut encore se permettre de rejeter dans l’atmosphère si l’on veut limiter le réchauffement à 1,5 °C. À compter de 2020 et pour un réchauffement de 1,5 °C, ce budget se milite à 400 milliards de tonnes de CO2, selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec).

En 2021, les rejets de dioxyde de carbone ont donc grignoté 8,7 % du budget. Résultat : début 2022, il ne restait à l’humanité qu’une réserve de 332 milliards de tonnes de CO2 pour les années à venir. À ce rythme, neuf années suffiront à vider les caisses du budget carbone mondial. Autrement dit, en 2031, la quantité maximale d’émissions mondiales de CO2 permettant de limiter le réchauffement au niveau de l’Accord de Paris pourrait être dépassée. Le compte à rebours est de courte durée et traduit la nécessité immédiate d’actions contraignantes vers la neutralité carbone : « Même en ignorant les effets de rebond, la diminution temporaire […] des émissions de CO2 [en 2020] est inférieure aux réductions requises de 8 % par an, nécessaires pour limiter le réchauffement anthropique à 1,5 °C d’ici 2100 », disent les auteurs de l’étude.

Aujourd’hui, l’Union européenne, le Royaume-Uni et les États-Unis promettent d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. La Chine et la Russie visent l’année 2060. L’Inde, l’année 2070. Dans l’éventualité où ces pays atteignaient cet objectif, ils émettraient malgré tout à eux seuls plus de 400 milliards de tonnes de CO2 cumulés, entre 2020 et 2045… Asséchant ainsi le budget carbone restant de tous les autres pays.

« Les données préliminaires du Carbon Monitor suggèrent déjà une nouvelle augmentation des émissions mondiales au début de l’année 2022, écrivent les scientifiques. Des actions de réduction des émissions plus coûteuses et plus agressives sont donc nécessaires pour freiner la tendance à la croissance des émissions. »

Cette croissance concerne également les émissions de méthane (CH4), à la durée de vie plus courte, mais à l’impact comparatif plus important que le CO2. Après une chute de 5,7 % entre 2019 et 2020, elles ont enregistré une hausse de 3,7 % en 2021. La raison principale : la demande accrue de gaz naturel et d’autres combustibles fossiles, que devraient amplifier les conséquences de la guerre contre l’Ukraine.

S’orienter écologiquement par temps de guerre et de choc pétro-gazier
Maxime Combes , Économiste, Membre d’Attac et Nicolas Haeringer , Activiste, Chargé de campagne chez 350.org
https://aoc.media/opinion/2022/03/27/sorienter-ecologiquement-par-temps-de-guerre-et-de-choc-petro-gazier/

Les pays européens ont déboursé plus de 20 milliards d’euros en hydrocarbures à la Russie depuis le début de son invasion de l’Ukraine le 24 février. Financer l’effort de guerre russe, entretenir notre dépendance périlleuse aux énergies fossiles : ce laisser-aller est indéfendable. Voici dix lignes directrices pour sevrer l’économie européenne, en évitant les embûches.

Les crises les plus graves, a fortiori quand les dirigeant.e.s ne les ont pas anticipées, sont celles qui provoquent des aggiornamento idéologiques inédits, dans les discours sinon dans les actes. En réaction à la pandémie de Covid-19, les thuriféraires de la libéralisation des marchés ont ainsi soutenu des formes de relocalisation et d’autonomie en matière économique. Ces jours-ci, l’invasion de l’Ukraine par la Russie de Vladimir Poutine pousse nos dirigeant.e.s et responsables politiques à soutenir l’idée de « sobriété énergétique » – y compris celles et ceux qui jusqu’alors n’ont fait que renforcer notre dépendance aux énergies fossiles.

Les lignes bougent, mais de manière confuse. Clarifier les choses est de ce fait essentiel : de quoi parle-t-on ? Quelles sont les conditions d’une politique de sobriété énergétique efficace, adaptée et juste ? Alors que le gouvernement vient d’annoncer un « plan de résilience » peu convaincant, voici dix hypothèses, nécessairement provisoires, sur les immenses défis énergétiques auxquels nous faisons face. Dix hypothèses, soit autant de lignes directrices, pour nous orienter dans des discussions difficiles, telles que celles d’un possible embargo européen sur les importations d’hydrocarbures russes.

Thèse n°1 : rien ne justifie de contribuer à l’effort de guerre russe

Rien, absolument rien, ne peut justifier de contribuer à financer l’effort de guerre de la Russie de Vladimir Poutine en Ukraine. C’est pourtant ce que nous faisons. Chaque jour qui passe, en raison de notre dépendance au charbon, au gaz et au pétrole russe, nous contribuons à financer la guerre de Poutine. Depuis le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les pays de l’Union européenne (UE) ont déboursé 20,2 milliards d’euros à la Russie pour se fournir en énergies fossiles : 12,6 milliards d’euros de gaz, 7 milliards d’euros de pétrole, 0,5 milliards d’euros de charbon, soit entre 650 et 700 millions d’euros par jour[1].

Sur une année normale, la moitié des exportations énergétiques russes sont dirigées vers l’UE, pour un coût supérieur à 125 milliards de dollars, soit 8,5 % du PIB russe. On ne peut d’un côté claironner faire tout ce que l’on peut pour soutenir les Ukrainien.ne.s, tout en continuant à financer l’effort de guerre de leurs bourreaux.

Thèse n°2 : rien ne justifie que TotalEnergies reste en Russie

C’est un corollaire du principe précédent. Rien, absolument rien, ne peut justifier la décision de TotalEnergies (ex-Total) de rester en Russie, sinon la rentabilité financière des investissements russes de la multinationale française. La présence de TotalEnergies en Russie n’a rien de résiduel. Elle est structurante : son avenir industriel et stratégique en dépend[2].

Avec l’appui des pouvoirs publics français et européens, TotalEnergies a multiplié les investissements gigantesques. En 2018, Emmanuel Macron appuyait le PDG de TotalEnergies, Patrick Pouyanné, pour signer un accord en faveur d’une participation directe de 10 % dans Arctic LNG 2, le nouveau projet géant de gaz naturel liquéfié promu par Novatek dans le nord de la Sibérie[3]. TotalEnergies renforçait par là même, avec la bénédiction de M. Macron, la dépendance gazière européenne envers la Russie. Par ce choix délibéré de rester en Russie, TotalEnergies et la France financent les crimes de guerre de Vladimir Poutine. Injustifiable.

Thèse n°3 : l’incurie de nos dirigeants ne date pas d’hier

Une fois le principe précédent posé, le chemin est encore long et rien ne sert d’appeler de manière grandiloquente à un « embargo sur les hydrocarbures russes ». Que François Hollande, Pascal Lamy, et d’autres (ex)dirigeant.e.s français.e.s et européen.ne.s réclament à cor et à cri de telles mesures est même absurde et indécent : ils n’ont jusqu’alors jamais rien entrepris pour réduire notre dépendance aux énergies fossiles russes. François Hollande n’a-t-il pas laissé, voire encouragé, Gérard Mestrallet, alors patron de GDF-Suez (désormais Engie) et du lobby gazier Magritte, guerroyer il y a une dizaine d’années contre la transition énergétique en Europe et le développement des énergies renouvelables ?

Notre dépendance aux énergies fossiles russes n’est pas nouvelle, pas plus que les aventures militaires et les guerres de Poutine (Géorgie, Tchétchénie, Crimée, Syrie, Kazakhstan, etc.). Alors que Gazprom fournit 40 % du gaz naturel consommé en Europe, nos importations de gaz russes continuent d’augmenter de 4 % par an depuis 2015 et la COP21 sur le climat[4]. 

Thèse n°4 : il ne faut pas « remplacer » le pétrole et le gaz russes, mais sevrer l’économie européenne

Alors que les appels visant à réduire la dépendance énergétique européenne envers les hydrocarbures russes se multiplient, le débat sur sa mise en œuvre concrète se limite souvent à la question de la substitution du pétrole et du gaz russes par l’augmentation des importations d’autres pays (de Norvège, des États-Unis, mais aussi d’Algérie, du Qatar, ou de l’Azerbaïdjan). Comme si une telle substitution pouvait permettre d’assurer une forme d’indépendance ou d’autonomie énergétique. Il n’en est rien. Ce qui vaut désormais pour la Russie doit désormais prévaloir pour tous les régimes autoritaires : pas un euro ne devrait financer des États qui bafouent les droits humains, violentent les populations ou mènent la guerre hors de leurs frontières.

Ce principe est pleinement cohérent avec celui qui devrait orienter notre action sur le plan de l’urgence climatique : l’Agence internationale de l’énergie a montré en 2021 que « si les gouvernements sont sérieux au sujet de la crise climatique, il ne peut y avoir de nouveaux investissements dans le pétrole, le gaz et le charbon, à partir de maintenant »[5]. Zéro euro, voilà ce que les pays de l’UE devraient se donner comme objectif en termes d’investissement dans de nouvelles infrastructures d’énergies fossiles, pour mieux financer les énergies renouvelables. Réduire notre dépendance signifie nous organiser pour nous sevrer des énergies fossiles et transformer nos besoins (cf. thèse n°10).

Thèse n°5 : la sobriété n’est pas un concours Lépine des idées farfelues

Faire sa lessive la nuit plutôt qu’en journée ; baisser ses radiateurs d’un degré ; faire du vélo plutôt que prendre la voiture : depuis le début de la guerre en Ukraine, les responsables politiques s’adonnent à une surenchère d’idées visant à réduire notre consommation d’énergie et notre dépendance aux hydrocarbures russes. Nul ne prend la peine de préciser l’impact attendu. Les écogestes citoyens sont bien sûr essentiels, notamment parce qu’ils permettent l’engagement de chacune et chacun. Mais, ils reproduisent les inégalités sociales, laissent de côté et culpabilisent celles et ceux qui n’ont pas les moyens de les mettre en œuvre. Surtout, même généralisés, ils ne suffiront pas au sevrage dont nous avons besoin.

Nous sommes socialement et économiquement enchâssés dans un système dont les soubassements énergétiques et matériels doivent être intégralement transformés. Alors que 12 millions de personnes vivent en situation de précarité énergétique en France, il y a quelque chose d’indécent à entendre des PDG de multinationales de l’énergie et des personnalités politiques nous demander de baisser nos thermostats d’un degré : le secteur résidentiel représente 87 % des sites raccordés au gaz, pour 38 % de la consommation nationale[6], alors que les grands sites industriels, de bureaux et de commerce (1 GWh de consommation annuelle), soit 0,1 % des sites raccordés au gaz, en représentent 40 %. Le secteur de l’agroalimentaire, de la chimie, du plastique et la métallurgie font partie des plus gros consommateurs industriels.

Que ces mêmes PDG et personnalités publiques nous expliquent plutôt comment ils comptent s’y prendre pour sevrer notre industrie de gaz russe, et de gaz en général. La sobriété n’est pas un mot d’ordre gadget qu’il s’agirait d’agiter pendant la guerre en Ukraine. C’est un horizon et un principe d’action, déjà valables avant la guerre, qui engagent tant des transformations structurelles que des mesures de justice sociale pour celles et ceux qui vivent dans la précarité énergétique.

Thèse n°6 : l’impératif de sobriété disqualifie tous les projets du passé

À mesure que les conséquences de la guerre en Ukraine se font sentir, certain.e.s dirigeant.e.s ressortent de leurs cartons des projets abandonnés, souvent grâce à des mobilisations citoyennes importantes. Au Royaume-Uni, Boris Johnson envisage d’autoriser la fracturation hydraulique afin d’exploiter les hydrocarbures de schiste sur le territoire national, en dépit d’un moratoire décidé en novembre 2019[7]. En France, Barbara Pompili aurait encouragé la secrétaire d’État américaine à l’énergie, Jennifer Granholm, à stimuler la production de gaz de schiste aux États-Unis pour en importer plus en France[8]. L’entreprise Française de l’Énergie s’imagine fournir du gaz de Lorraine, s’impatientant en vue de l’obtention du feu vert du gouvernement pour exploiter un gisement de gaz de couche, projet que rejettent les populations et les élus locaux[9]. Plus au sud, on reparle du projet de gazoduc MidCat qui permettrait de mieux connecter l’Espagne et ses sept terminaux méthaniers au réseau gazier nord-européen via la Catalogne, les Pyrénées, le Languedoc et la Vallée du Rhône[10]. À Bruxelles, le Parlement européen vient tout juste de voter en faveur de 30 nouveaux projets d’infrastructures gazières transfrontalières, d’une valeur de 13 milliards d’euros, qui pourront accéder à des fonds publics européens[11].

Plus généralement, face à l’envolée des prix et aux risques de pénuries, les géants des énergies fossiles, qui pourraient vouloir tirer parti de la guerre en Ukraine, disposent d’un puissant pouvoir de négociation envers des pouvoirs publics qui se sont dessaisis de nombreux outils de politique énergétique (régulation des marchés, fixation des prix, etc.). D’autant que des centaines de nouveaux projets deviennent rentables à la faveur de l’envolée des prix des hydrocarbures : une nouvelle ruée charbonnière, gazière et pétrolière pourrait s’annoncer, y compris au nom de l’aide à apporter aux Ukranien.ne.s. Nous devons la stopper.

Thèse n°7 : l’UE n’est pas préparée à faire face à un choc pétro-gazier d’une telle ampleur

À l’automne 2021, le gouvernement se voulait rassurant : sous prétexte de limiter les effets de l’envolée des prix du gaz et de l’électricité sur le budget des ménages, il promettait un retour à la normale au printemps. Cette promesse était intenable. Elle vole désormais en éclats. Faiblement pourvus en hydrocarbures, les pays de l’UE n’ont cessé de faire des mauvais choix en matière de sécurité énergétique. Le monde est aujourd’hui confronté à son plus grave choc pétro-gazier depuis les années 1970. Et cette fois-ci, le choc concerne charbon, gaz et pétrole, soit 75 % de la consommation d’énergie primaire dans le monde.

Les pays de l’UE y sont très mal préparés : pendant des années, ils se sont limités à libéraliser les marchés de l’énergie et à construire de nouvelles interconnexions pour le gaz et l’électricité. Plutôt que d’agir sur la demande, Bruxelles préfère diversifier l’approvisionnement et en confier la gestion à des marchés toujours plus connectés entre eux, et toujours plus financiarisés. La concurrence attendue devait garantir un approvisionnement au meilleur coût. Supposé bon marché, climatiquement propre et accessible, le gaz devait être l’énergie de transition idéale. Il n’en est rien, et les marchés européens ne sont en mesure de garantir ni le meilleur coût ni la garantie d’approvisionnement à moyen-terme.

Thèse n°8 : l’UE doit débrancher l’électricité du prix du gaz, et enclencher la sortie des énergies fossiles

L’UE et ses États-membres ont fait encore pire. Au nom d’une logique économico-financière qui échappe à toute analyse rationnelle des réalités géopolitiques, Bruxelles a décidé de coupler le prix de l’électricité européenne au prix du gaz. La France dénonce aujourd’hui un choix qu’elle a fortement soutenu, convaincue que notre industrie électrique nucléaire en tirerait de substantiels avantages. Sur le marché de gros de l’électricité, lui aussi progressivement interconnecté et financiarisé, le prix se fonde sur le coût de production de la dernière centrale appelée à fournir le réseau européen et satisfaire la demande prévue. Énergie éolienne, solaire et nucléaire, dont les coûts de production sont les plus faibles – ou supposés faibles pour le nucléaire – sont appelées en premier. Le charbon et le gaz en dernier. Lorsque la demande s’accroît, comme en hiver, ce sont donc le charbon et le gaz qui fixent les prix. Si les centrales à gaz ne produisent qu’environ 20 % de l’électricité européenne, le prix du gaz, s’il explose comme c’est le cas aujourd’hui, devient alors le déterminant majeur du prix de l’électricité en Europe.

Et le prix de l’électricité explose. L’UE s’est tirée une balle dans le pied. Ou plutôt trois, en privilégiant l’extension du marché et de ses logiques financières, en fondant le prix de l’électricité sur celui du gaz qu’elle doit importer de régions incertaines, et en aggravant sa dépendance aux énergies fossiles. Tout l’enjeu des semaines à venir est de corriger ces trois erreurs : découpler le prix de l’électricité du prix du gaz, réinstaurer de puissants instruments de régulation publique des marchés de l’énergie en Europe et, enfin, nous sevrer collectivement de notre dépendance aux énergies fossiles. Un tel sevrage sera d’autant plus aisé qu’il sera organisé méthodiquement, plutôt que subi. Les premières annonces de la Commission européenne qui renvoient aux calendes grecques la réduction de notre dépendance à la Russie, et les mesures du premier plan de résilience annoncé par Jean Castex, ne permettent ni d’alléger la facture énergétique et notre dépendance russe à court terme, ni de reconvertir notre appareil productif à moyen terme.

Thèse n°9 : socialiser le magot des profiteurs de guerre

Sevrer l’économie européenne représente une tâche gigantesque, qui nécessite des moyens conséquents. Face à l’ampleur du choc pétro-gazier, des mesures d’amortissement d’une très grande ampleur seront nécessaires pour soutenir ménages et entreprises : du blocage des prix aux soutiens directs, les mesures à mettre en œuvre sont nombreuses et doivent garantir à chacune et chacun d’accéder aux services fournis par l’énergie dans des conditions acceptables. À ces mesures d’urgence doivent s’ajouter des investissements massifs et rapides pour reconvertir notre appareil productif et le sevrer de ce gaz et de ce pétrole. À l’échelle européenne, il s’agit de centaines de milliards d’euros, peut-être plus. À ce jour, ni l’UE ni la France ne se placent à la hauteur de cet effort.

Dans le même temps, les profiteurs de guerre voient leurs profits exploser, parce qu’ils ont des coûts fixes et que les prix de marché des hydrocarbures s’envolent. Bref, les géants de l’énergie sont en train d’accumuler des surprofits sans même bouger un orteil. Ils profitent de la guerre et de l’envolée des prix.

Pire : ils n’utilisent pas ces formidables liquidités pour investir dans la transition énergétique et la reconversion de leur appareil productif, mais préfèrent rémunérer leurs actionnaires. Ces liquidités, amassées par temps de guerre, doivent servir à financer « l’effort de paix » : les pouvoirs publics doivent mettre la main sur les profits de TotalEnergies, Shell, BP, ENI, Repsol, Engie, etc.

Thèse n°10 : basculer dans la sobriété, transformer nos besoins

Subie dans une économie inégalitaire organisée pour rechercher une croissance sans limite, la sobriété n’est que récession et souffrance. Face à la flambée des prix, venir en aide aux secteurs industriel et agricole, sans en reconvertir l’appareil productif ; aux populations les plus pauvres, sans leur donner les moyens de vivre-bien : c’est penser que le monde de demain pourrait ressembler à celui d’hier. Rien n’est sans doute plus faux. Selon les principes énoncés plus hauts, nous devons nous préparer à un rationnement prolongé de l’offre d’énergies fossiles en Europe. Plutôt qu’intervenir avec des milliards d’euros en espérant le retour du jour d’avant, mieux vaut s’organiser pour nous préparer au jour d’après, à ce monde qui vient où l’ébriété énergétique ne sera plus possible.

Mais on ne résoudra pas notre dépendance au gaz russe en réduisant notre chauffage d’1°C quand les trois quarts de la consommation de gaz en France n’est pas liée à la consommation de gaz dans le secteur résidentiel. Par contre, il est certain que la dépendance de notre agriculture aux engrais de synthèse – dont la production absorbe 5 % de la consommation mondiale en gaz naturel – doit être profondément réduite : sevrer notre agriculture de sa dépendance aux engrais azotés, fabriqués à partir de gaz naturel – une tonne d’engrais nécessite une tonne d’équivalent pétrole – est un défi autrement redoutable. L’énergie la moins chère, la moins difficile à produire et qui a l’impact le plus limité sur la planète est l’énergie que l’on ne consomme pas.

Marc Dufumier : « Si le gouvernement le voulait, on pourrait commencer la transition agricole la semaine prochaine »
Nolwenn Weiler
https://basta.media/Agriculture-industrielle-dependance-au-gaz-pesticides-urgence-de-la-transition-agricole-climat-GIEC-agroecologie-Marc-Dufumier

Le dernier rapport du groupe international d’experts sur le climat désigne l’agriculture comme l’un des leviers à actionner pour mieux encaisser le réchauffement climatique. L’agronome Marc Dufumier nous explique l’urgence de la transition agricole.

 

Basta! : Le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) a publié fin février un nouveau rapport, très alarmiste, qui revient notamment sur le poids de l’agriculture dans le changement climatique. Comment l’agriculture contribue-t-elle à cette évolution du climat qui menace la vie sur terre ?

Marc Dufumier : L’agriculture industrielle est une grande contributrice à l’effet de serre. La première cause d’émission de gaz à effet de serre, à l’échelle mondiale, c’est la déforestation, notamment amazonienne, qu’impose la culture de soja nécessaire à l’alimentation de nos élevages industriels. Ces émissions sont certes lointaines, mais bien réelles.

Il y a ensuite les émissions de méthane, produits par les rots des ruminants ; brebis, chèvres, vaches. Le méthane est 28 fois plus réchauffant que le CO2. C’est le second gaz en terme de contribution à l’effet de serre de l’agriculture mondiale, et française. Mais en France la principale source de production de gaz à effet de serre, c’est le protoxyde d’azote (N20). Libéré quand on épand des engrais azotés de synthèse (dont notre pays fait grand usage), il est presque 300 fois plus réchauffant que le CO2. C’est très grave, et totalement ignoré.

Ces engrais sont en plus très coûteux en termes de consommation d’énergie fossile, puisqu’ils sont fabriqués à partir de gaz russe et norvégien. Avec l’actualité de la guerre en Ukraine, on voit à quel point cela pose des problèmes de dépendance. Les coûts de ces engrais vont grimper monstrueusement. Cela va mettre de nombreux agriculteurs en difficulté. On aurait pu anticiper cette dépendance il y a déjà une trentaine d’années, en tournant le dos à l’agriculture industrielle.

Le rapport du Giec insiste par ailleurs sur le lien entre le climat et la biodiversité. Protéger l’un, c’est prémunir la destruction de l’autre. Et vice-versa. Or, les effets de l’agriculture industrielle sur la biodiversité sont désastreux…

Tout à fait. C’est le « syndrome du pare-brise ». Il y a vingt ans, quand on traversait la France de nuit en voiture, on avait plein d’insectes qui venaient se coller sur nos pare-brises.

Aujourd’hui, il n’y a plus rien. Mais la biodiversité, ce n’est pas seulement une liste d’espèces d’insectes, de variétés végétales ou de races animales.

C’est aussi un grand nombre d’interactions entre tous ces éléments : entre les végétaux domestiques et sauvages ; entre les animaux domestiques et la faune sauvage ; entre les champignons, les insectes, et tous les micro-organismes du sol (vers de terre et autres…). Dans l’agriculture, les interactions entre tous ces individus sont très importantes. Il faut aussi citer ce que l’on appelle « les services écosystémiques » : l’abeille qui pollinise, la coccinelle qui neutralise un puceron et nous permet d’éviter l’usage d’un pesticide. Tout cela est en voie d’extinction et cela met en péril encore notre agriculture.

Notre agriculture industrielle est très destructrice : elle détruit la biodiversité mais aussi l’humus de nos sols. Elle consomme du carburant, elle use les tracteurs et elle est « suicidogène » pour nos agriculteurs. De plus, elle n’est pas du tout compétitive sur un plan monétaire. La filière des betteraves à sucre destinées à faire de l’éthanol ne tient que parce qu’elle est subventionnée. Idem pour les poulets bas de gamme nourris au soja brésilien et destinés à être exportés vers l’Arabie saoudite. Ce ne sont pas ces produits bas de gamme qui font nos excédents de balance commerciale. Ce sont les fromages, les vins, les spiritueux, etc. : les produits à très haute valeur ajoutée. Et pour revenir à l’éthanol : quel sens a cette agriculture qui consomme des énergies fossiles (pour fabriquer des engrais et faire rouler les tracteurs) pour faire pousser des légumes qui serviront ensuite à fabriquer des carburants ?

Si l’agriculture apparaît comme un problème, elle peut aussi être une solution, disent les experts du climat. Qu’en pensez-vous ?

Il y a des alternatives, bien sûr. Reprenons le cas des engrais azotés : au lieu d’aller acheter des produits de synthèse fabriqués avec du gaz russe, les agriculteurs pourraient planter du trèfle, de la luzerne, du sainfoin ou toute autre légumineuse qui apportent naturellement de l’azote au sol. Nous pourrions remettre nos animaux à pâturer ces prairies de légumineuses au lieu de les enfermer dans des élevages industriels et d’importer du soja de l’autre bout du monde pour leur fournir des protéines. Cela protège en plus de l’érosion et assure une meilleure rétention de l’eau. Si, depuis trente ans, on avait imposé des malus aux usagers d’engrais azotés de synthèse et accordé des subventions aux agriculteurs qui mettent des légumineuses, la transition agricole aurait déjà bien démarré et nous ne serions pas dans cette situation aujourd’hui.

Vous avez évoqué la rétention de l’eau. Pouvez-vous nous expliquer de quoi il s’agit ? Et en quoi est-ce un point fondamental ?

L’agriculture du futur devra composer avec le dérèglement climatique. Les agriculteurs devront s’adapter à un climat de plus en plus aléatoire et chaotique. On aura une fréquence et une intensité accrues des phénomènes climatiques extrêmes qui affectent notamment la distribution de l’eau : les sécheresses, les canicules et les pluies abondantes. Pour que les cultures ne manquent pas d’eau, il va falloir faire en sorte qu’un maximum de l’eau de pluie, celle qui nous est donnée gratuitement, soit stockée dans les sols, à hauteur de racines de plantes. Pourquoi est-ce si important ? Pour intercepter le gaz carbonique, puis relarguer l’oxygène si nécessaire à nos poumons, les plantes sont constellées de petits trous par lesquels elles transpirent. Et plus il fait chaud, plus les plantes transpirent.

Mais contrairement aux humains qui doivent absolument boire pour ne pas se déshydrater, les plantes peuvent – si elles manquent d’eau – arrêter momentanément de transpirer pour ne pas se dessécher. Pour cela, elles ferment les petits trous dont nous venons de parler. Le problème, c’est que ces orifices leur servent aussi à intercepter le gaz carbonique et libérer l’oxygène. On voit là l’importance d’avoir des sols en mesure de retenir l’eau. Cela permet aux plantes de continuer à transpirer, et faire de la photosynthèse même s’il s’arrête de pleuvoir pendant de longues périodes.

Pour retenir l’eau dans les sols, il faut avoir une couverture végétale maximale : plus de champs nus l’hiver, terminés les rangs de maïs entre lesquels rien ne pousse. Place aux mélanges de cultures : blé-féverole par exemple. Autre condition pour que l’eau soit retenue à hauteur des racines : la présence d’humus (couche supérieure et sombre du sol issue de la décomposition de la matière organique, malmenée par l’agriculture industrielle, ndlr). Cet humus peut être naturellement nourri par le fumier, qui est un mélange de déjections animales et de paille. De cette façon, l’azote des déjections animales, au lieu de fertiliser les algues vertes, est restitué au sol. Et pour que ce sol soit poreux, et que l’eau puisse y courir, faisons confiance aux vers de terre et aux cloportes, et bannissons les produits en « cide » (pesticide, herbicide, fongicide, etc, ndlr), dévastateurs pour la biodiversité.

 

 

 

 

Vous parlez aussi de faire un usage intensif des rayons du soleil qui sont, comme l’eau de pluie, gratuits. Pouvez-vous revenir sur ce point ?

L’énergie que l’on trouve dans notre alimentation nous vient de l’énergie solaire, via la photosynthèse. La plante intercepte le carbone du gaz carbonique de l’atmosphère pour fabriquer les glucides et lipides : ces molécules carbonées constituent la partie énergétique de notre alimentation. L’usage intensif du soleil peut donc accroître les rendements caloriques à l’hectare. C’est une énergie gratuite, pléthorique, pour laquelle aucune pénurie ne menace au cours des cinq prochains milliards d’années. Il faut nous en servir. Et pour cela, faire l’inverse de ce que pratique l’agriculture industrielle depuis 30 ans.

Reprenons nos rangs de maïs entre lesquels rien ne pousse : les rayons de soleil qui tombent au sol ne servent à rien. Du point de vue de l’efficacité de la photosynthèse, et de la lutte anti-érosive, c’est désastreux. Cela s’appelle vraiment avoir tout faux. A contrario, les cultures diversifiées, en même temps qu’elles assurent un couvert végétal garant de la protection du sol et de la rétention de l’eau, permettent de faire un usage intensif de l’énergie du soleil : les rayons de soleil qui ne tombent pas sur la feuille de la céréale, tombent sur la légumineuse et donc on fait un meilleur usage de la lumière pour la photosynthèse.

Vous insistez par ailleurs sur l’importance des arbres, que l’agro-industrie a rasés par centaines de milliers. Pourquoi ?

Pour croître, les cultures n’ont pas seulement besoin de l’énergie du soleil mais aussi d’éléments minéraux : le calcium, le potassium, le phosphore, etc. On trouve tout cela dans nos sols et sous-sols, y compris dans ce que l’on appelle la roche mère (composée de grès, de granit, de schiste ou d’argile) qui, en s’usant, en libère tous les jours. Les arbres, qui ont des racines profondes peuvent intercepter ces minéraux. Ils les remontent vers les feuilles via la sève. Quand elles tombent sur le sol à l’automne, les feuilles restituent ces éléments minéraux au sol, et fertilisent la couche arable. Le pommier dans la prairie, il fertilisait la prairie. Il ne servait pas à qu’à produire des pommes. Mais l’agriculture industrielle l’a supprimé. De même qu’elle a supprimé le très précieux bocage. Ce faisant, elle a appauvri les sols et est allé chercher des minéraux très loin pour venir fertiliser à nouveau la prairie, par exemple avec des phosphates. Or, les gisements de phosphates diminuent et la menace d’une pénurie d’ici quelques dizaines d’années fait flamber les prix. Là encore, cela met les agriculteurs en difficulté alors qu’ils pourraient bénéficier de ces nutriments gratuitement. Simplement en plantant des arbres.

On peut nourrir durablement l’humanité tout entière avec des produits de grande qualité sanitaire, nutritionnelle et gustative, tout en maintenant une grande biodiversité, tout en s’adaptant au dérèglement climatique, tout en réduisant nos émissions de gaz à effet de serre, sans pollution de la nappe phréatique, sans pollution du littoral breton. Techniquement, c’est possible. Il ne s’agit pas seulement d’un discours scientifique de quelqu’un qui parle depuis son laboratoire ; il y a déjà des gens qui pratiquent ces formes d’agriculture. On pourrait faire cela dès la semaine prochaine si le gouvernement en était d’accord.

Si toutes ces solutions ne coûtent rien en termes d’intrant, elles sont coûteuses en travail et imposent à la plupart des agriculteurs français d’aller à l’encontre de leurs pratiques et de ce qu’on leur a dit depuis des années à l’école, à la banque ou dans les coopératives agricoles. Comment intégrer tant de changements ?

Les changements que je préconise ne consistent pas en des petits aménagements à la marge ; on parle là d’une vraie révolution agricole, d’une transformation radicale, exigeante en travail. Il faut le dire aux agriculteurs. Et cette transition doit évidemment être accompagnée. L’un des outils, c’est la rémunération des agriculteurs. Et pas seulement par les consommateurs. Sinon, on se retrouve comme actuellement avec une agriculture bio pour les gens qui ont les moyens et des perturbateurs endocriniens et des antibiotiques pour les couches modestes. C’est insupportable. Il faut impérativement que le contribuable paie les agriculteurs pour leurs services environnementaux.

Les ministres gèrent des rapports de force et écoutent plutôt Limagrain, Danone, Nestlé, Monsanto, Bayer, Syngenta et consorts. Il y a urgence à plaider pour le bien être du plus grand nombre.

Les agriculteurs doivent être payés quand ils mettent en place des techniques susceptibles de séquestrer du carbone dans le sol avec la fabrication de fumier, quand ils replantent des haies qui abritent des oiseaux qui mangent les papillons de nuit ravageurs de pommes, quand ils adoptent des techniques culturales sans pesticides et protègent ainsi la ressource en eau… On pourrait pour cela piocher dans les neuf milliards d’euros de la Politique agricole commune (PAC) et les quatre milliards de la politique agricole française. Croyez-moi, la transition, dans ces conditions, irait beaucoup plus vite. Les agriculteurs se rapprocheront du cahier des charges de l’agriculture biologique. Il y aura des bons produits en quantité supérieure qui deviendront accessibles aux classes sociales les plus modestes ; et les agriculteurs seront correctement rémunérés.

Toutes les solution dont vous parlez – diversification des cultures, diminution de la taille des parcelles, plantation d’arbres, arrêt des pesticides – sont à l’inverse des choix politiques de nos gouvernants. En juin 2021, le gouvernement français a décidé de flécher une grande partie des aides de la politique agricole européenne (PAC) vers les agriculteurs qui se servent de pesticides et d’engrais de synthèse plutôt que vers ceux qui pratiquent l’agriculture bio. Pourquoi continuer à soutenir un modèle que l’on sait destructeur pour la biodiversité et pour le climat ?

Il est vrai que nos ministres de l’Agriculture parlent d’agroécologie et défendent des pratiques qui ne s’en inspirent pas du tout. Et cela en dépit de l’opinion publique, qui commence à changer. À l’échelle européenne, on parle de green deal et quand on vote la nouvelle politique agricole commune (PAC), on fait tout le contraire. Il y a un discours. Et une réalité. C’est vrai en France et à l’échelle européenne.

Il m’arrive pourtant de rencontrer des ministres, qui écoutent les fondements scientifiques de l’agroécologie. Mais mon discours les dérange plus qu’il ne les aide. Eux, ils gèrent des rapports de force et ils écoutent plutôt Limagrain, Danone, Nestlé, Monsanto, Bayer, Syngenta et consorts. Il y a urgence à plaider pour le bien être du plus grand nombre, les scientifiques doivent sortir de leur tour d’ivoire pour parler au grand public, et rendre la complexité de cette question agricole la plus intelligible possible. Les médias doivent aussi nous aider. Mais les forces en face sont puissantes.

Marc Dufumier est agronome. Il a enseigné à AgroParisTech de 2002 à sa retraite en 2011. Expert auprès de la Banque mondiale et de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation (FAO), il a été membre du Conseil stratégique de l’agriculture et de l’agro-industrie durables (CSAAD) au ministère de l’Agriculture. Il a écrit de nombreux ouvrages dont De la terre à l’assiette. 50 questions essentielles sur l’agriculture et l’alimentation, publié en 2020 chez Allary Éditions.

Ekonomia ez da gerra
Beñat Irasuegi Ibarra
www.argia.eus/argia-astekaria/2772/ekonomia-ez-da-gerra

Gerra inguruan, gerra gero eta hurbilago, gerra egunerokoan, gerra bizirauteko, zer da ekonomia ez bada gerra. Desjabetze, metaketa eta zapalkuntza harremanetan oinarritutako ekonomiara ohitu gaituzte, eta gerraren aurkako jarrera etikoz blai bagaude ere, normala iruditzen zaigu despareko harreman ekonomikoek sortzen dituzten gerrez inguraturik egotea. Beti aurkituko dugu super bilau bat nekrokapitalismoa onargarri egingo duena. Izan ere, ekonomia kapitalistaren balore hegemonikoak onartu ditugu, lehia, merkatua eta kapitala dira gure gizarteak gobernatzeko tresna nagusiak, horrek gerrak behar baditu ere. Zeren hori da ekonomia, ezta? Ez.

Bada garaia ekonomia kapitalista behar den bezala izendatzeko. Desjabetze, metaketa eta zapalkuntza harremanak oinarri dituena, agortutako eredua, bizitza guztiarekin amaituko duena dekadentzia onartu aurretik. Hori gerra da, eta ez ekonomia.

Beraz, polarizazio garaiotan, onartu dezagun kolapsoa, amaiera. Ez dugu merkatuan aukerarik egingo, ez dugu gerrazale humanitarioaren alde egingo, ezta langileen bizkar metatutako boterea herritarren kontra gerra egiteko erabiltzen duenaren alde ere. Erdiko biderik ez dugu maite, amaiera da nahi duguna, bizitzak lurrean iraun dezan.

Elkarlaguntza oinarri duen harremanen lurraldea, gizabere kooperatiboa bizi den toki hori, beste dimentsio bat da batzuentzat, eguneroko errealitatea askorentzat. Elkartasun erradikalez eraikitzen dira harremanak bertan, baliabideak komunak dira, eta beharrak ekonomia moralak antolatzen ditu. Ekonomia, beharrak eta nahiak kolektiboki asetzeko autoeratutako tresnek egiten dute, berdinen arteko harremanen metaketa bidez. Ekologiak, feminismoak eta lan burujabeak zedarritzen dute lurralde komunala, harreman askeen eta konpromisozko loturen bidez. Bizitzarako ekonomia da. Ekonomia.

“Honekin guztiarekin bukatuko dugu, eta ez zaigu inoiz ahaztuko gauza eder txikienarekin eta onenarekin ahalik eta gehien gozatzea”, idatzi zuen momentu estuenetan Rosa Luxenburg burkide komunistak eta, beraz, gerraren kontrako militanteak. Guzti honekin amaitu, eta lurralde burujabeak eraikitzeko proiektuak sortzen jarraitu beharko dugu, behetik, lurretik hasita, bizitzak denontzat bizigarriak izan daitezen egunero. Harreman berriak saretuz eta burujabetzak landuz, kolapsoaren ondotik ere bide luzea dugu ekonomia berreskuratzeko, baina ez dago beste biderik oparotasuna denontzat izan dadin.