Articles du Vendredi : Sélection du 19 octobre 2018

Climat et effondrement : « Seule une insurrection des sociétés civiles peut nous permettre d’éviter le pire »

Ivan du Roy
www.bastamag.net/Climat-et-effondrement-Seule-une-insurrection-des-societes-civiles-peut-nous

Après les marches pour le climat, «l’amorce d’une rupture avec le néolibéralisme»

Coralie Schaub
www.liberation.fr/france/2018/10/14/apres-les-marches-pour-le-climat-l-amorce-d-une-rupture-avec-le-neoliberalisme_1685248

Urgence climatique: quels défis relever pour passer à la vitesse supérieure?

Maxime Combes, économiste et auteur de Sortons de l’âge des fossiles ! Manifeste pour la transition, Seuil, Anthropocène, 2015.
https://blogs.mediapart.fr/maxime-combes/blog/151018/urgence-climatique-quels-defis-relever-pour-passer-la-vitesse-superieure

«Emakumeak ingurumen politiken hartzaileak izan ohi gara, ez egileak»

Alice Bouman-Dentener. Biologoa eta Women for Water Partnership sareko ohorezko lehendakaria
www.berria.eus/paperekoa/1870/010/001/2018-10-16/emakumeak_ingurumen_politiken_hartzaileak_izan_ohi_gara_ez_egileak.htm

Climat et effondrement : « Seule une insurrection des sociétés civiles peut nous permettre d’éviter le pire »

Ivan du Roy
www.bastamag.net/Climat-et-effondrement-Seule-une-insurrection-des-societes-civiles-peut-nous

Sommes-nous sous la menace d’un « effondrement » imminent, sous l’effet du réchauffement climatique et de la surexploitation des ressources ? Pour l’historien Christophe Bonneuil, la question n’est déjà plus là : des bouleversements sociaux, économiques et géopolitiques majeurs sont enclenchés et ne vont faire que s’accélérer. Il faut plutôt déplacer la question et produire une « pensée politique » de ce qui est en train de se passer : qui en seront les gagnants et les perdants ? Comment peser sur la nature de ces changements ? Migrations de masse, émergence d’un « capitalisme éco-fasciste », risque de conflits pour les ressources : malgré un constat brutal sur le monde qui se dessine, l’historien appelle à éviter le piège d’un « romantisme » de l’effondrement. « Une autre fin du monde est possible », affirme-t-il. Il revient aux sociétés civiles d’écrire le scénario final. Entretien.

Basta ! : Comment la situation climatique a-t-elle évolué depuis la signature des accords de Paris – dans le cadre de la Cop 21 –, à la fin de l’année 2015 ?

Christophe Bonneuil [1] : Les émissions de gaz à effet de serre continuent d’augmenter partout, y compris en France. Au regard de la trajectoire des émissions mondiales, si nous continuons sans changer, nous prenons la direction d’une augmentation globale des températures d’au moins +3°C, bien avant la fin du siècle. Nous voyons là les limites du caractère facultatif de l’accord signé lors de la Conférence sur le climat de Paris, la COP 21, il y a trois ans. L’accord de Paris ressemble dangereusement aux accords de Munich en 1938 qui, croyant éviter une guerre mondiale, l’ont précipitée. Cet été, la concentration en CO2 de l’atmosphère a dépassé les 411 ppm (partie pour millions), un niveau inégalé depuis 800 000 ans à 4 millions d’années. Il faut être encore plus bête qu’un « munichois » pour croire que cela ne va pas avoir des conséquences d’ampleur géologique, ni provoquer des désastres humains et des bouleversements géopolitiques majeurs.

Quels sont les indicateurs et voyants qui montrent qu’un seuil fatidique, qui ouvrirait la voie à une « Terre étuve », pourrait être franchi dans les décennies à venir ?

Depuis l’ère quaternaire, la Terre oscille environ tous les 100 000 ans entre un état glaciaire et un état interglaciaire, entre deux périodes de glaciation. Ce qui nous menace c’est une sortie des limites de cette oscillation. La probabilité d’un scénario où la Terre basculerait vers un état d’étuve a été accréditée par un article paru en juillet dans la revue de l’Académie des sciences américaines [2]. En Inde, les projections des températures dans dix ou quinze ans montrent que certaines régions connaîtront des pics à plus de 50°C [3], ce qui pourrait arriver en France aussi à la fin du siècle [4]. Les corps ne pourront le supporter, des régions deviendront invivables, et les plus pauvres seront les plus touchés.

Une partie de nos émissions de gaz à effet de serre est absorbée dans les océans, qui n’ont jamais été aussi acides depuis 300 millions d’années. Cela détruit les récifs coralliens et menace la faune aquatique. Sur les continents, la vitesse de migration des plantes n’est pas non plus assez rapide pour s’adapter au changement climatique [5]. S’y ajoute l’extension de la déforestation, la fragmentation des habitats et les dégâts chimiques de l’agriculture intensive : dans les réserves naturelles allemandes, les scientifiques ont observé une chute de plus de 75% des populations d’insectes en trois décennies [6].

Certains évoquent un « effondrement » à venir. Est-ce une manière adéquate de présenter les risques ?

Il ne s’agit plus de se positionner comme optimiste ou pessimiste, comme catastrophiste éclairé – en appeler à la possibilité d’une catastrophe, pour susciter la mobilisation qui l’évitera – ou encore, au contraire, comme quelqu’un qui refuse d’utiliser la peur parce que ce serait un sentiment politiquement problématique. Que cela nous plaise ou non, un rapport a été présenté au dernier congrès mondial de géologie en 2016, déclarant que la Terre a quitté l’Holocène pour entrer dans une nouvelle époque géologique, l’Anthropocène. Que cela nous plaise ou non, des centaines de travaux scientifiques montrent que des seuils sont franchis ou sont en passe de l’être pour toute une série de paramètres du système Terre, au-delà desquels les évolutions sont brutales : emballement climatique comme source d’événements extrêmes décuplés, montée des océans nécessitant de déplacer des centaines de grandes villes et des milliards de personnes à l’échelle du siècle, effondrement de la biodiversité, cycle de l’azote, du phosphore et de l’eau… De multiples effondrements sont déjà en cours ou à venir. Ce qui gronde devant nous n’est pas une crise climatique à gérer avec des « solutions » ou une mondialisation économique à réguler, mais la possibilité d’un effondrement du monde dans lequel nous vivons, celui de la civilisation industrielle mondialisée issue de cinq siècles de capitalisme. Certains préfèrent définir l’effondrement comme l’extinction de l’espèce humaine. Même avec le pire scénario climatique et écologique, cette perspective reste aujourd’hui moins probable qu’elle ne l’était au temps de la guerre froide et du risque d’hiver nucléaire. Imaginons le pire : des bouleversements climatiques, écologiques et géopolitiques, des guerres dévastatrices entre puissances pour les ressources, des guerres civiles attisées par les fanatismes xénophobes ou religieux, des guerres de clans dans un monde dévasté… Mais pourquoi les quelques humains survivants et résistants à la barbarie ne trouveraient-ils vraiment aucune ressource et aucun lieu habitable sur Terre ? Se donner la fin de l’espèce humaine comme cadre de pensée de l’effondrement, c’est risquer d’inhiber toute pensée et toute politique. Je pense que ce scénario ne doit pas monopoliser notre attention : il ne fascine qu’au prix de l’occultation de toute analyse géopolitique, sociale ou géographique.

Quel serait donc le scénario d’effondrement le plus probable ?

Une définition plus intéressante, autrement plus probable au 21e siècle que l’extinction de l’espèce humaine, est celle donnée par Yves Cochet et l’Institut Momentum : l’effondrement comme « processus à l’issue duquel les besoins de base (eau, alimentation, logement, habillement, énergie…) ne sont plus fournis – à un coût raisonnable – à une majorité de la population par des services encadrés par la loi ». Comme la violence de la crise grecque nous l’indique, ce type d’effondrement peut toucher des pays entiers, y compris en Europe. Étant donné l’interconnexion de l’économie mondiale, on peut étendre l’hypothèse à celle de l’effondrement d’un système : la civilisation du capitalisme industriel et sa culture consumériste, civilisation aujourd’hui globalisée même si les disparités sociales et territoriales restent majeures.

Après l’effacement de tant de systèmes politiques au cours des 50 derniers siècles et alors que de toutes parts nous parviennent des rapports sur les bouleversements qui affectent la Terre, n’est-il pas téméraire de considérer le capitalisme industriel et consumériste comme immortel ? Étant donné qu’il est la cause du dérèglement planétaire [7], il me semble plutôt intéressant de penser son effondrement, voire même de le préparer !

Comment ?

En multipliant par exemple les actes de non-coopération avec le modèle consumériste, en résistant aux dérives fascisantes ou aux oppressions que la crise écologique ne manque pas de favoriser, en s’opposant aux projets inutiles et à la poursuite de l’extraction des énergie fossiles comme des minerais, en renforçant les alternatives qui émergent. A l’image du « dernier homme » post-apocalyptique et individualiste hollywoodien, je préfère plutôt l’image des collectifs qui participent à l’effondrement d’un vieux monde productiviste : ceux qui bloquent les mines et font chuter le cours des actions des multinationales, ceux qui réinventent des communs – du mouvement de la transition aux zones à défendre. Une autre fin du monde est possible ! [8]

De tels bouleversements se sont-ils déjà produits par le passé ? Quelles en ont été les conséquences sociales, économiques et géopolitiques ?

Il est intéressant de regarder le passé, sinon nous resterons très naïfs politiquement, en particulier face à cette crainte d’un effondrement futur. Cette sorte de sublime d’un effondrement qui arriverait plus tard est une représentation de riches blancs occidentaux. Des populations et des sociétés voient déjà leur vie bouleversée, ou l’ont vu par le passé. Avec l’arrivée des Européens en Amérique, les populations amérindiennes se sont littéralement effondrées, passant de 55 millions de personnes à 5 millions entre 1492 et 1650. Ce n’est pas un effondrement ça ? Ce génocide a d’ailleurs laissé des traces dans les carottes glaciaires des climatologues. On y mesure une chute de plus de 5 ppm de la concentration de carbone dans l’atmosphère entre 1492 et 1610 [9]. Cette baisse est liée au fait que, 50 millions d’Amérindiens ayant disparu, plus de 50 millions d’hectares cultivés sont revenus à la friche et à la forêt, qui ont capturé du carbone.

Cette expansion européenne est aussi une conséquence d’un autre bouleversement, la Grande peste du 14ème siècle. Près de la moitié de la population européenne est décimée. Il y a moins de main d’œuvre dans les campagnes, affaiblissant le pouvoir seigneurial. Moins nombreux, les paysans obtiennent certains droits. L’aristocratie part alors en quête de nouveaux espaces de domination et d’expansion, et finance notamment des expéditions maritimes vers l’Afrique puis l’Amérique. L’installation d’une première compagnie sucrière à Madère, au large du Maroc, servira de base de départ vers l’Amérique. Du 16ème au 18ème siècle, une part importante de la masse monétaire européenne provient des mines exploitées au Nouveau monde.

Il y a donc des gagnants et des perdants à l’effondrement ?

Après la Grande peste, la paysannerie européenne a pu conquérir une meilleure position puis se reconstituer. L’aristocratie et la bourgeoisie financière naissante participent à l’émergence du capitalisme et à l’expansion européenne. Les vaincus sont les Amérindiens et les esclaves africains, prélevés jusqu’au 19ème siècle. On ne peut donc pas dire que tout le monde soit dans le même bateau en cas d’effondrement. Autre exemple : dans les années 1870-1900, des phénomènes El Niño – le réchauffement à grande échelle des eaux de surface océanique – provoquent sécheresses et famines en Amazonie, en Asie et en Afrique subsaharienne, tuant pas loin de 40 millions de personnes [10]. Les conséquences de ces phénomènes climatiques naturels sont alors aggravées par l’expansion européenne et ont des implications géopolitiques.

En Chine, la dynastie Qing est alors affaiblie par l’impérialisme européen depuis la guerre de l’opium. La dynastie impériale n’a plus les moyens de subvenir aux besoins de sa population en cas de catastrophe naturelle, et perd sa légitimité. D’où la guerre des Boxers en 1899-1901, qui conduit à la chute de la dynastie en 1912. Le dérèglement des moussons fait aussi des millions de morts par famine en Inde car la puissance coloniale britannique, loin de soutenir la population rurale, continue à la ponctionner de denrées exportées vers la Grande-Bretagne. Les empires coloniaux profitent aussi de ces dérèglements qui déstabilisent profondément l’Afrique. Les sécheresses et famines des années 1890 en Afrique de l’Est facilitent la pénétration coloniale, qui favorise en retour la peste bovine et la maladie du sommeil qui déciment le bétail, la faune sauvage et les sociétés africaines au début du 20e siècle.

Ces exemples illustrent comment les impacts des catastrophes écologiques et climatiques, dans leurs causes comme dans leurs conséquences, ne sont jamais séparés des formes de domination et d’exploitation. Du coup, on ne peut pas penser politiquement l’effondrement en confrontant simplement une courbe de la population mondiale à une courbe de disponibilité des ressources ou de dépassement de limites planétaires. Ces courbes ne disent rien sur ce qui se passe au plan géopolitique, sur la manière dont évoluent les rapports sociaux et politiques, sur qui sont les gagnants et les perdants de ces bouleversements. Les plus pauvres peuvent perdre encore plus, et les 1 % des plus riches s’en sortir très correctement.

Quelles pourraient être les conséquences des bouleversements climatiques et environnementaux actuels ?

Un scénario catastrophe serait celui d’une Terre déréglée, moins habitable en bien des régions, avec des centaines de millions de réfugiés ruinés et obligés de quitter leur foyer, des sous-continents entiers livrés au chaos des guerres civiles et de l’extraction des ressources, et des puissances mondiales ultra-militarisées. Ces régimes autoritaires s’affronteraient entre eux pour le contrôle des ressources de la Terre, et feraient en interne régner une dictature au nom de l’urgence écologique et de l’exclusion des miséreux étrangers se pressant à leurs portes.

Au nom de l’urgence climatique et face à des dégradations rapides de l’habitabilité de la Terre, ces régimes aboliront les frontières morales, sociales : on nous proposera l’asservissement et la soumission en échange de la survie. Le contrôle de nos données personnelles orientera nos comportements. Cet ordre totalitaire se présentera comme écolo et rationnera l’usage des ressources, mais maintiendra des inégalités énormes entre une plèbe à la vie diminuée et une élite qui continuera à surconsommer.

C’est le scénario d’un capitalisme partiellement dé-mondialisé et structuré en blocs dictatoriaux, où l’État militarisé et le pouvoir économique ne feraient qu’un. Les marchés de services écologiques entièrement privatisés, la géo-ingénierie climatique, la conquête militaire et extractiviste de l’espace ou le trans-humanisme seraient les « solutions » proposées par ces régimes aux problèmes de la planète. Ce scénario fait froid dans le dos. Pourtant on en vit déjà les prémisses, en Chine, aux États-Unis, en Russie, en Europe ou au Brésil. Seule une mobilisation massive des sociétés civiles et des victimes du changement climatique face aux dégâts de l’actuelle « mondialisation », seule une insurrection éthique et politique contre toutes les attaques faites contre le vivant et la dignité humaine, seul un archipel de basculements révolutionnaires vers des sociétés du bien-vivre et de l’autonomie peut contrecarrer ce scénario d’un capitalisme écofasciste.

Pourtant, encore nombreux sont celles et ceux qui se répètent « Jusqu’ici, tout va bien, jusqu’ici, tout va bien »…

Si on regarde, à court terme, comment le dérèglement planétaire redistribue la donne, il semble que pour un certain nombre d’années encore, les 5 % à 10 % les plus aisés du monde, habitant principalement au sein des pays de l’OCDE [qui regroupe les 36 pays les plus développés du monde, ndlr] ainsi que la Chine et la Russie, ne s’aperçoivent pas encore véritablement de la gravité de la situation : ils sont moins fragilisés, vivent dans des États relativement stables qui érigent des barrières contre les migrants, ont accès à un standing de vie qui nécessite un échange écologique inégal avec le reste de la planète, où se trouve l’essentiel des ateliers de production et des sites d’extraction. Pour eux, « tout va bien » tant qu’ils continuent à bénéficier d’un système politique et économique qui externalise la violence vers les autres territoires, populations et espèces du monde.

De l’autre côté, la moitié la plus défavorisée de l’humanité, pourrait se trouver en danger vital. Cette moitié n’a rien reçu des richesses générées en 2017 dans le monde tandis que 82 % de celles-ci ont profité aux 1 % les plus riches du monde [11]. Alors que les uns s’achètent des canots de sauvetage, les autres triment dans les ateliers du monde dans des conditions de pollution extrême, ou sur des terres de moins en moins fertiles. Entre 200 millions et un milliard d’humains pourraient devenir des réfugiés à l’horizon 2050. Il faut se rendre compte de la violence du changement climatique qui s’ajoute et se combine aux violences sociales subies par ces « damnés de la terre ».

Nous devons donc nous attendre à des bouleversements politiques et géopolitiques considérables…

L’Europe est en proie à une poussée xénophobe. A nos portes, le taux de noyade des migrants tentant le passage par la Méditerranée est passé d’une personne sur 42 en 2017 à une personne sur 18 en 2018, selon le Haut commissariat des Nations-unies aux réfugiés. C’est effroyable ! L’Inde a érigé un mur de séparation d’une longueur de 4000 km avec le Bangladesh. Avec la fonte des glaces dans l’Himalaya et le dérèglement des moussons, les régimes hydriques sont modifiés, avec des effets sur les barrages et les systèmes d’irrigation. Cela crée déjà des tensions entre la Chine, l’Inde et le Pakistan. L’Himalaya devient une sorte de pétaudière géopolitique, soumis à un « hyper-siège » comme l’a montré Jean-Michel Valantin [12]. Leurs populations se retrouvent coincées entre la montée des eaux d’un côté, et l’assèchement relatif du château d’eau himalayen de l’autre. Cette conjonction de phénomènes climatiques et de tensions géopolitiques est inquiétante dans une zone qui compte des pays nucléarisés.

Les dérèglements de la planète redistribuent aussi les rapports de puissances entre États-nations tels qu’on les connaît depuis la fin de la Guerre froide. Parmi les potentiels gagnants, il y a la Russie, qui dispose d’un espace – la Sibérie – qui demain pourra accueillir des populations. L’Amérique du Nord et la Chine disposent aussi d’espaces de dégagement, ce dont ne bénéficie pas l’Europe. Ces espaces vont permettre la mise en culture de millions d’hectares de blé.

Paradoxalement, le réchauffement climatique ouvre aussi de nouvelles potentialités d’exploitation énergétique fossile, n’est-ce pas ?

Le dégel de la banquise arctique accélère des projets d’extraction d’énergies fossiles russes avec des financements chinois massifs, qui, accessoirement, risquent d’emballer encore plus le réchauffement. Une nouvelle route maritime s’ouvre, le passage du Nord-Est [qui relie le Pacifique à l’Atlantique par le nord de la Russie et de la Scandinavie, ndlr]. Le premier gros méthanier – le Christophe de Margerie [du nom de l’ancien PDG de Total décédé en 2014, ndlr] – y a navigué pour la première fois à l’été 2017 sans avoir besoin d’être accompagné d’un brise-glace. Le passage du Nord-Est est l’équivalent du Canal de Suez ou de Panama au 19e siècle : il rapproche de trois semaines la Chine de l’Europe. Des centrales nucléaires flottantes sont établies par la Russie dans l’Arctique, pour fournir de l’énergie aux premières villes qui s’érigent dans cette sorte de far-west gelé, ainsi qu’aux travaux d’exploitation des gisements de gaz et de pétrole.

Quand on voit l’écart entre les plus riches et les milliards de personnes les plus affectées par les dégâts climatiques, ou les écarts des coûts et bénéfices du réchauffement selon les régions et les États, force est de constater que le discours qui consiste à clamer « Nous sommes tous concernés, nous devons agir ensemble », ne tient pas la route. Il y aura des gagnants et des perdants du réchauffement climatique. Certains pays – comme la Russie et les monarchies pétrolières du Golfe – et certains groupes sociaux n’ont aucun intérêt à ce que cela change. Non, nous ne sommes pas tous dans le même bateau, ou alors pas dans la même classe ni avec le même accès au restaurant et aux canots. Une « écologie positive » faite d’alternatives concrètes est utile, mais sans combat, elle n’y suffira pas. C’est aussi la leçon à tirer de l’échec de Nicolas Hulot au gouvernement.

L’extraction d’énergies fossiles ne s’arrêtera-t-elle pas d’elle-même, à cause des limites de ces ressources, par exemple pour le pétrole ?

Depuis les années 1970, le mouvement écologiste a mis l’accent sur ces limites. Mais en matière de réserves en ressources fossiles, nous avons, selon une étude publiée en 2015, largement de quoi augmenter la température globale de la planète de plus de 8°C, et le niveau des océans de 30 mètres au cours du 3e millénaire [13]. Nous ne pouvons donc plus compter sur ces limites et sur une pénurie de ressources – le fameux « pic » pétrolier – pour nous arrêter à temps. Seul le volontarisme politique, aiguillonné par une insurrection des sociétés civiles, peut permettre d’éviter le pire.

Nous connaissons l’existence de réserves fossiles sous nos pieds, que pourtant nous devons absolument apprendre à ne pas extraire. C’est en cela qu’il nous faut sortir d’un modèle de développement qui date de 500 ans, quand les conquistadores tuaient des Amérindiens pour quelques kg d’or ou d’argent. Ce modèle qu’il faut dépasser, c’est le capitalisme : il ne s’agit pas seulement de revenir à un capitalisme keynésien avec un peu plus d’écologie dedans. Notre conception de l’individu, « par lui-même un tout parfait et solitaire » selon Rousseau, notre conception des êtres autres qu’humains, de la vie bonne et de la propriété, doivent être repensés.

Nous devons travailler la question des communs. Et, au-delà d’une modernité industrielle en faillite, nous devons nous inventer des devenirs terrestres [14]. En politique, il est temps que le sérieux change de camp. Des leaders politiques, des institutions ou des entreprises ne peuvent plus être considérés comme sérieux s’il n’ont pas des propositions claires, pour réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre et l’empreinte écologique d’ici cinq ans. S’ils placent la compétitivité, la croissance et le business avant, ils devront laisser la place à des politiques plus à même de préserver nos vies, nos valeurs de solidarité, et un état habitable du monde.

Après les marches pour le climat, «l’amorce d’une rupture avec le néolibéralisme»

Coralie Schaub
www.liberation.fr/france/2018/10/14/apres-les-marches-pour-le-climat-l-amorce-d-une-rupture-avec-le-neoliberalisme_1685248

Pour Nicolas Haeringer, de l’ONG 350.org, le succès des manifestations comme celles de samedi témoigne d’un réveil citoyen quant à l’urgence de la situation et la nécessité d’agir.

Sur les banderoles, on pouvait lire, «Changeons le système, pas le climat», «Chaud devant», «Aux arbres citoyens !»… Samedi, alors que de nouveaux records de températures ont été atteints, en moyenne neuf à dix degrés au-dessus des normales saisonnières (avec notamment 27,2°C à Paris, où il n’avait pas fait aussi chaud à cette période de l’année depuis 1921), ils étaient environ 120 000 selon les organisateurs (soit presque autant que le 8 septembre, quand 130 000 personnes étaient descendues dans la rue) à manifester dans toute la France au nom de la lutte contre le réchauffement climatique. Et ce, peu de temps après la publication du dernier rapport du Giec, dans lequel les experts climat de l’ONU appellent le monde à engager des transformations «rapides» et «sans précédent», s’il veut limiter le réchauffement à 1,5°C. Entretien avec Nicolas Haeringer, coordinateur de l’association 350.org, un «mouvement citoyen mondial pour relever le défi climatique».

Les manifestations de samedi ont rassemblé presque autant de personnes que celles du 8 septembre. Est-ce selon vous la marque d’un réveil citoyen massif ?

Il y a une lame de fond, c’est clair. C’est une vague qui démarre, le début de quelque chose. Le 8 septembre, on pouvait dire que c’était la marque d’un émoi après la démission de Nicolas Hulot du ministère de la Transition écologique. Et c’était une journée mondiale d’actions, donc des ONG comme 350.org et Attac étaient sur les rangs depuis longtemps. Tandis que là, c’est différent, aucune organisation ne peut revendiquer la paternité ou la maternité de quoi que ce soit. La deuxième chose assez remarquable, c’est que comme le 8 septembre, il y a eu du monde dans près de 80 villes et villages, ce n’était pas qu’une manif à Paris, les gens veulent se mobiliser au plus près de chez eux. Même dans les grands mouvements portés par des organisations syndicales, on a rarement une distribution aussi large sur le territoire. Troisième chose : cette fois-ci, ce sont d’abord des gens non liés à des ONG qui se sont organisés sur Facebook ou d’autres réseaux sociaux. Cela confirme ce qu’on constate depuis un certain temps déjà : de plus en plus, le début des mobilisations échappe aux organisations.

Le nouveau site «Il est encore temps», dont l’ambition est de fédérer cette énergie citoyenne, semble avoir joué un rôle important. Avec à l’appui, une vidéo dans laquelle une quinzaine de Youtubeurs invitent chacun à se mobiliser…

Le succès viral de ce site vient renforcer cette mobilisation, autant que cette mobilisation le renforce. L’un et l’autre sont étroitement liés. Sans les marches du 8 septembre et sans cette lame de fond qui monte, il n’y aurait pas eu autant de Youtubeurs qui se seraient mis d’accord. Cette vidéo a été vue plus de 7 millions de fois, l’équivalent de celle lancée par Nicolas Hulot avec des Youtubeurs en 2015 avant la COP21 pour porter son appel «Osons», alors qu’il avait des moyens de communication autrement plus importants. Et plus de 150 000 personnes se sont inscrites sur la plateforme «Il est encore temps». Avec quelque chose d’intéressant : ce n’est pas juste un nombre de signatures, les gens inscrits sont très réactifs, ils interagissent, vont sur d’autres sites, comme celui de l’ONG Réseau Action Climat (RAC)-France, qui a connu la plus grosse fréquentation de son histoire après le lancement de la plateforme. Les gens ne laissent plus seulement une adresse mail, mais cherchent à savoir ce qu’ils peuvent faire.

On a l’impression qu’il se passe surtout quelque chose chez les jeunes. Des étudiants de grandes écoles qui ne sont pas réputées pour être des repères d’écolos barbus (HEC, Polytechnique, Normale sup’, CentraleSupélec, AgroParisTech) ont lancé un «manifeste étudiant pour un réveil écologique»

C’est un peu comme si tout le travail de longue haleine que faisaient les ONG, les mouvements sur le climat et les multiples appels parus ces derniers mois dans la presse (comme celui dans le Monde l’an dernier, dans Libération en septembre, ou ceux de Juliette Binoche et d’Aurélien Barrau dans le Monde), dont on pouvait se demander à quoi ils pouvaient bien servir, rencontrait aujourd’hui cette prise de conscience.

Après, ce qu’ont les organisations par rapport aux individus, c’est la capacité à penser des stratégies et à s’inscrire dans le long terme. L’enjeu est de trouver des manières de prolonger cet élan, de le canaliser, le structurer, sans que les organisations ne récupèrent la dynamique, mais en étant en mesure de s’inscrire dans la durée. Car ce qui fait que ça a marché, y compris «Il est encore temps» et la vidéo des Youtubeurs, c’est qu’on reste sur un message assez général et très consensuel. Ce qui est hyper important, évidemment. Maintenant, il faut arriver à atterrir sur des revendications un peu plus précises, pour gagner quelques batailles. L’émoi est parti de la démission de Hulot, qui a livré un message de rupture assez fort en disant que l’action pour le climat n’est pas soluble dans le néolibéralisme. Et c’est cette rupture-là qu’il faut amorcer, sans retomber dans ce qui ne va intéresser que des militantes et des militants.

Comment l’amorcer, cette rupture ?

La réponse, c’est une approche par campagnes. Par exemple, notre campagne sur le Livret développement durable et solidaire (LDDS), qu’on porte avec Attac, et qui a une capacité à résonner dans le grand public. Car 24 millions de personnes en France détiennent un LDDS, et parmi elles, il y en a qui ont choisi ce placement parce qu’elles veulent soutenir la transition, des initiatives de rénovation énergétique ou l’économie sociale et solidaire et qui se rendent compte que cet argent est en fait en grande partie placée dans l’industrie des énergies fossiles. Nous interpellons les banques qui collectent l’argent du LDDS et la Caisse des dépôts, en leur demandant si elles peuvent nous garantir que cet argent n’est pas utilisé pour soutenir l’industrie fossile. La réponse est évidemment non, et du coup, on leur demande de prendre les mesures nécessaires pour que pas un euro de l’argent du LDDS n’aille à l’industrie, pour qu’il aille exclusivement à la transition. C’est une proposition claire, précise.

C’est aussi ce que font les Amis de la Terre avec leur campagne sur les banques. Il faut essayer de trouver des campagnes de ce genre-là qui te parlent à toi, individuellement. Ce que disent les marches du 8 septembre et du 13 octobre, c’est «on veut agir». Avec ce type de campagnes, nous les ONG disons que l’une des manières d’agir, c’est de retirer son consentement. On contribue chaque jour à ce problème climatique et écologique en plaçant de l’argent dans des dispositifs financiers ou dans des banques qui ensuite l’utilisent pour détruire le climat. On peut retirer ce consentement, on peut cesser de coopérer, c’est une très belle porte d’entrée, c’est très fort, c’est l’étape après la marche.

Nicolas Hulot a dit que les petits pas ne suffisent pas…

Oui, mais quand il a dit cela, il parlait des petits pas des gouvernements. Les petits pas individuels restent extrêmement importants. Il ne s’agit pas de dire qu’on va arrêter de consommer local, il faut continuer à le faire. Et les campagnes de désinvestissement, qui sont un peu des formes de boycott, permettent de manifester explicitement qu’on ne veut plus coopérer à ces mécanismes de destruction. C’est un petit pas pour les individus, mais un grand pas pour le mouvement pour le climat.

Si on engage cette grande transition ou ce basculement, cette rupture, une économie libérée de l’extractivisme ne ressemblera en rien à l’économie actuelle. Les marches pour le climat, c’est une alliance de gens avec des intérêts très divers, et c’est autour de ces revendications qu’on a le plus d’opportunités de changer le système. L’extraction des ressources naturelles, de la force de travail sous toutes ses formes, la domination de la nature et des humains entre eux, sont en grande partie liées à notre dépendance aux combustibles fossiles ou à des minerais tels que l’uranium. L’un ne va pas sans l’autre, et le pétrole ou l’uranium sont les carburants du système néolibéral. Donc à partir du moment où on se détourne de ces carburants, on change aussi les structures d’organisation sociale. C’est ce qui se joue dans les marches pour la justice climatique et la justice environnementale. Elles sont encore embryonnaires, c’est le tout début d’un mouvement, mais il y a bien cette volonté de dire «nous, on n’est pas d’accord avec ce qu’ils font», il y a la construction d’un «nous» et d’un «eux» qui est la base de tout mouvement de transformation.

Urgence climatique: quels défis relever pour passer à la vitesse supérieure?

Maxime Combes, économiste et auteur de Sortons de l’âge des fossiles ! Manifeste pour la transition, Seuil, Anthropocène, 2015.
https://blogs.mediapart.fr/maxime-combes/blog/151018/urgence-climatique-quels-defis-relever-pour-passer-la-vitesse-superieure

Sidérant. Il est proprement sidérant de voir avec quel désintérêt Emmanuel Macron et son gouvernement ont accueilli le récent rapport publié par le GIEC pour contenir le réchauffement à 1,5°C. Alors que les marches pour le climat ont été un succès, plusieurs défis vont devoir être relevés pour obtenir les décisions visionnaires et courageuses qui ne viennent pas et dont nous avons besoin.

Le succès des marches pour le climat de ce samedi 13 octobre ouvre une nouvelle phase : le mouvement « climat » s’enracine et montre qu’il est capable de durer dans le temps et de ne pas se limiter à des coups d’éclat. L’inquiétude générée par les évènements climatiques extrêmes de l’été et l’émotion suscitée par la démission de Nicolas Hulot, qui pouvaient expliquer les défilés très fournis du 8 septembre dernier, ne suffisent plus pour rendre compte d’une mobilisation qui s’inscrit dans la durée : réunir 120 000 personnes dans 86 villes et villages transcrit dans l’espace public un besoin et une envie d’engagement collectif jusqu’ici jamais constaté en matière d’urgence climatique. C’est aussi l’espoir d’embarquer des millions de personnes et de bousculer « le système » qui s’exprime ici. C’est nouveau. C’est précieux. Celles et ceux qui contribuent, facilitent, aident, encouragent, soutiennent ce mouvement citoyen doivent donc être à la hauteur de cette espérance.

Revenons d’abord sur les dix enseignements à tirer de la séquence que nous venons de vivre, qui s’étend de l’été caniculaire à la publication du rapport du GIEC, en passant par la démission de Nicolas Hulot et l’ampleur – inédite – de la mobilisation citoyenne :

  1. le réchauffement climatique se conjugue au présent et ici, pas (uniquement) au futur et ailleurs ;
  2. il n’y a pas plus de sauveur de l’humanité que de solution miracle ;
  3. la stratégie des « petits pas » des pouvoirs publics ne fonctionne pas et elle est discréditée aux yeux de l’opinion ;
  4. il n’y a pas de politique climatique à la hauteur des enjeux dans un cadre néolibéral, productiviste, consumériste et croissantiste ;
  5. le sérieux a changé de camp : affirmer qu’il faut transformer profondément notre système économique et social ne fait plus sourire, c’est devenu un passage obligé ;
  6. la dissonance entre les discours des décideurs politiques et économiques, toujours plus verts, et leurs décisions, qui ne le sont que trop rarement, n’a jamais été si grande et si bien perçue par l’opinion publique ;
  7. contenir le réchauffement climatique en-deçà de 1,5°C est encore possible au prix de « profondes réductions d’émissions dans tous les secteurs » ;
  8. si les impacts sur les milieux naturels et les populations varient fortement entre 1,5°C et 2°C de réchauffement, les solutions à mettre en œuvre sont identiques ; seule l’intensité et la rapidité d’application varient (autrement dit, quand on rate son arrêt de bus, on n’attend pas le terminus pour descendre, mais on descend à l’arrêt suivant)
  9. nous sommes bien plus nombreux à être prêts à nous mobiliser durablement et avec détermination que beaucoup d’observateurs ne l’affirmaient ;
  10. la participation aux manifestations et l’intérêt observé sur les réseaux sociaux se transcrivent dans une très forte demande d’actions et mobilisations concrètes, allant de la généralisation des petits gestes individuels à des actions plus engagées de désobéissance civile ;

Ces 10 enseignements sont autant de clarifications que nous devons exprimer, expliciter et défendre. Ce ne sont pas des acquis : ils peuvent être très éphémères en cas d’incapacité collective à faire vivre, renforcer et étendre ce mouvement citoyen sur le climat.

Plusieurs défis à relever

Prendre au sérieux l’urgence climatique c’est reconnaître l’étendue de la tâche et la nécessaire humilité individuelle et collective qui doit en découler. Qui plus est alors que les pouvoirs publics démontrent une fois de plus leur incapacité à se placer à la hauteur des enjeux : en guise de réaction au rapport du Giec, Emmanuel Macron s’est contenté d’un seul tweet renvoyant la responsabilité à autrui tandis que François de Rugy, en visite au salon de l’auto le jour de la publication du rapport, s’est fendu d’une série de tweets pour (mal)défendre le bilan du gouvernement en la matière.

Disons-le autrement : un rapide coup d’oeil dans le rétro vous fera constater le silence assourdissant des grands leaders politiques et économiques du monde suite à la publication du rapport du GIEC alors que la presse, les ONG et les militant.e.s du climat s’en sont saisis comme il se doit. A se focaliser sur le dixième de point de croissance à obtenir, les leaders de ce monde n’ont qu’une indifférence à peine gênée comme réponse à proposer à l’opinion publique.

De ce constat découle une réalité crue, à la fois dure et indigeste : ni l’ONU, ni l’UE – incapable de revoir ses objectifs climatiques à la hausse – ni Emmanuel Macron ne vont se saisir du rapport du GIEC pour proposer un plan d’urgence pour le climat. Autrement dit, les superbes manifestations des 8 septembre et 13 octobre ne suffiront pas pour obtenir les décisions visionnaires et courageuses dont nous avons besoin. Un rapport de force autrement plus puissant est nécessaire. Il en découle trois défis majeurs pour toutes celles et ceux convaincus de l’urgence à agir.

Un défi stratégique

Le premier défi est d’ordre stratégique : un mouvement s’entretient et se développe par des victoires. Compte-tenu du rapport de force dégradé et de l’inertie des pouvoirs publics, même de petites victoires sont bonnes à prendre. Car si les petits pas gouvernementaux sont à proscrire, il n’en est pas de même d’un mouvement pérenne et dynamique qui se nourrit justement de victoires à sa portée, lui permettant d’emmagasiner de la force et de maintenir son attrait vis-à-vis de l’extérieur. Avant même de discuter de prochaines dates de mobilisations et des formes qu’elles pourraient prendre, il paraît donc nécessaire de s’accorder sur quelques cibles prioritaires et gagnables.

Dans un mouvement citoyen qui émerge, les organisations de la société civile peuvent justement servir d’aiguillon. C’est d’ailleurs ce que fait le site Ilestencoretemps.fr qui regroupe les campagnes de nombreuses associations et ONG. Citons celle d’Attac France et 350.org qui a la force de l’évidence : les 24 millions de détenteurs d’un Livret de développement durable et solidaire (LDDS) sont légitimes à exiger que pas un euro de leur épargne n’aille à des entreprises qui détruisent la planète. Ou celle des Amis de la Terre qui cible les banques privées comme la Société générale. Ou encore la mobilisation en cours pour stopper le projet d’extraction aurifère en Guyane. Gagner sur l’une ou l’autre de ces mobilisations – ou toutes – sans perdre de vue un horizon plus global et systémique, serait de nature à nourrir et développer dans le temps ce mouvement citoyen sur le climat.

Un défi organisationnel

Le second défi est d’ordre organisationnel et pose une question de taille aux ONG, associations et organisations existantes : que sont-elles prêtes à mettre au pot commun pour soutenir et développer ce mouvement citoyen ? Prendre au sérieux l’urgence climatique et les transformations à opérer indique tout de suite l’ampleur de la tâche : il ne s’agit plus de défendre son pré carré médiatique ou politique mais de se mettre au service d’une mobilisation citoyenne qui nous dépasse. Cela ne veut pas dire que les organisations doivent disparaître : leur rôle est fondamental par leur capacité à s’inscrire dans le temps long et à dégager des ressources pour le faire. Mais la question est ici de savoir si les ONG vont savoir se réinventer au service d’une cause qui dépasse chacune d’entre elle.

Disons-le autrement : là où les syndicats – quelle que soit l’appréciation que l’on peut avoir de leur action et de ce qu’ils sont et/ou sont devenus – ont été outillés pour être présents sur un maximum de terrains (site de production, entreprise, branche, interprofession, etc), pour former et encadrer des centaines de milliers de membres et pour construire et faire durer des mobilisations de masse sur des temps longs, les ONG ont, elles, été principalement outillées pour récolter des dons, développer une expertise citoyenne et déployer une communication grand public au service d’un plaidoyer politique auprès des institutions. Pour débloquer, nourrir et déployer la transition écologique, nous avons besoin de tout autre chose. Par exemple, aucune organisation n’est outillée pour former et encadrer les centaines de milliers de personnes nécessaires afin d’insuffler des mobilisations et pratiques de transition, du local au global, en milieu rural et urbain, dans les entreprises et les institutions, etc. C’est pourtant décisif pour la suite.

Un mouvement citoyen ne peut perdurer dans le temps, se renforcer et s’étendre au plus profond de la société qu’en étant porteur d’un récit qui fait sens, dessinant un futur à la fois viable et enviable, en un mot désirable. En l’occurrence, il doit ici être capable de susciter un niveau d’engagement individuel et collectif rarement atteint dans l’histoire de l’humanité. Transformer les soubassements énergétiques de notre formidable machine à réchauffer la planète qu’est l’économie mondiale n’est pas une mince affaire : se limiter à la mobilisation de savoirs techniques ou à la juxtaposition de dates de mobilisation et de campagnes à mener, aussi essentiels soient-ils, ne sont pas suffisants pour donner du sens à la transition désirée.

Une partie de cet immense défi consiste à donner du sens à l’engagement de chacun.e. On le voit quotidiennement : beaucoup s’engagent aujourd’hui après avoir changé leur mode alimentaire (bio, local, réduction de sa consommation, etc) ou leur pratique quotidienne (se déplacer en vélo, etc). Loin d’être un frein à l’engagement collectif, ces actions individuelles peuvent en être un des moteurs. Pendant longtemps, on a opposé les engagements individuels aux engagements collectifs, les premiers étant supposés naïfs et insuffisants d’un côté quand les seconds étaient jugés illusoires et déconnectés de la réalité des gens. De ce point de vue, nous avons beaucoup à apprendre du mouvement féministe, de son histoire, de ses victoires et de ses échecs, pour réarticuler avec sérénité et détermination, plutôt que les opposer, les petits gestes de la vie quotidienne avec les mobilisations collectives.

Autre enjeu politique majeur jusqu’ici insuffisamment pris en charge par le mouvement climat ainsi que par les ONG et associations engagées : qu’à termes, nos manifestations pour le climat soient bien plus diversifiées d’un point de vue social. Ce n’est pas qu’un vœu pieux. La Marche pour le climat organisée à New York en 2014, qui a réuni plus de 400 000 personnes, était composé majoritairement de communautés noires, latino et indigènes, notamment impactées pas des projets nocifs dans leurs quartiers ou sur leurs territoires. Ce travail a été entrepris en France en amont de la COP21 en vue de la grande manifestation qui a finalement été interdite par François Hollande. Il est urgent de le reprendre : les populations les plus affectées – et les moins outillées pour y faire face – par les pollutions et le mal-développement doivent être au cœur de cette stratégie politique et nous devons collectivement nous atteler à mieux identifier les inégalités environnementales dans notre pays, pour mieux les combattre.

Dernier aspect de ce défi politique : l’articulation du local et du global. Le mouvement Alternatiba, et les nombreux villages organisés depuis cinq ans, ont montré la diversité des mesures et propositions alternatives qui peuvent être mises en œuvre à un niveau local, sans attendre. En même temps, le nombre limité de communes portant des projets territoriaux réellement alternatifs illustrent les difficultés et les verrous qu’il faut lever, souvent parce que les réglementations nationales ou internationales ne sont pas adaptées. C’est un des axes à développer : utiliser les interstices du système politique et économique tel qu’il existe pour déployer des alternatives locales, tout en faisant s’appuyant sur elles pour faire évoluer les réglementations qui empêchent leur généralisation.

Disons-le autrement : en 2013, Alternatiba appelait à construire 10, 100, 1000 Alternatiba pour donner à voir les alternatives et résistances locales. N’est-il pas temps d’appeler à 10, 100, 1000 projets territoriaux alternatifs afin de déployer des mesures alternatives et construire le rapport de force nécessaire à leur généralisation ? Pas pour nous replier sur des confettis territoriaux « soutenables » mais comme un moyen supplémentaire pour peser sur la transformation des politiques nationales et internationales : oeuvrons, par exemple, au 100 % Bio et Local dans la restauration collective de nos territoires tout en bataillant pour obtenir l’abandon des règles de passation des marchés publics qui restreignent cette possibilité dans les traités internationaux et européens.

« Si nous ne faisons pas l’impossible, nous devrons faire face à l’impensable ! », écrivait Murray Bookchin en 1982, dans The Ecology of freedom. Chaque jour qui passe renforce cette exigence.

«Emakumeak ingurumen politiken hartzaileak izan ohi gara, ez egileak»

Alice Bouman-Dentener. Biologoa eta Women for Water Partnership sareko ohorezko lehendakaria
www.berria.eus/paperekoa/1870/010/001/2018-10-16/emakumeak_ingurumen_politiken_hartzaileak_izan_ohi_gara_ez_egileak.htm

Zientzialari nederlandarrak uste du emakume taldeen ahalduntze prozesuek «berebiziko garrantzia» dutela klima aldaketaren auzian ere.

Biologian doktorea da Alice Bouman-Dentener, baina, horrez gainera, aditua da klima aldaketari lotutako auzietan, garapen iraunkorreko politiketan eta genero gaietan. WfWP Uraren Aldeko Emakumeen Aliantza sarearen sortzailea eta lehendakaria izan zen hamar urtez, 2014. urtera arte. Herrialde pobretuen eta komunitateen garapenerako urak duen garrantzia ikertzeaz gain, hornidura arazoak konpontzeko hainbat proiektutan parte hartu du. Nafarroako Gobernuko Ingurumen Departamenduak antolatutako Emakumeak eta klima aldaketa jardunaldietan parte hartzen ari da egunotan.

Emakumeak eta ingurumen politikak uztartu dituzu zure lanean. Zergatik? Klima aldaketak ez al die pertsona guztiei era berean eragiten?

Nire ibilbide profesionalean eta akademikoan ikusi dudanagatik, esan dezaket klima aldaketak ahulenei eragiten diela, batez ere. Komunitate pobreenak, garatu gabeko lurraldeak… horiek pairatzen dute kalterik handiena. Lurralde horietan, normalean, sakonagoak dira genero arrakalak, eta larriagoak horri lotutako gatazkak, bazterketak eta eskubide urraketak. Hortaz, emakumeak egoera kalteberagoetan egon ohi dira: garatu gabeko komunitateetan bizi dira, bizi baldintzarik prekarioenetan, eta, sozialki, egoera makurragoetan.

Horri aurre egiteko, emakumeen antolaketa eta ahalduntzea bultzatu duzu hainbat tokitan…

Egoera makurrean egoteak ez du esan nahi ezin dugunik izan aldaketa lortzeko eragile aktiboak. Emakumeen potentzialitate hori baliatu beharra dago, behetik gora antolatu behar dugu, eta ahaldundu. Emakumeen ahalduntzeak ondorio positiboak ditu komunitate osoaren garapenean.

Horregatik sortu zenuen Uraren aldeko Emakumeen Aliantza?

Bai. 1992. urtean, NBE Nazio Batuen Erakundeak goi bilera bat egin zuen Dublinen ur baliabideen kudeaketa integratuari buruz hitz egiteko. Goi bilera hartan argitaratutako dekalogoan, hainbat printzipio ezarri zituen NBEk, eta hirugarrenak erreferentzia egiten zion emakumeen rolari. Zehazki, «eragile» izaera aitortu zitzaigun emakumeoi lehen aldiz. Tamalez, adierazpen instituzionalez harago, ordutik ez da askoz gehiago egin: oraindik ere, emakumeak ingurumen politiken hartzaileak dira, baina ez egileak. Horregatik sortu nuen Uraren aldeko Emakumeen Aliantza. Ez da elkarte bat, ezta plataforma bat ere. Mundu osoko hainbat eragilek osatutako sarea da: hainbat alorretako profesionalak, politikariak, akademikoak eta unibertsitateko irakasleak, gobernuz kanpoko erakundeetako kideak, etxekoandreak… Askotariko talde sozialetako emakumeak biltzen dituen sarea da, eta euren xedea da emakumeen lidergoa aldarrikatzea eta uraren esparruan praktikara eramatea. Orain arte, proiektu ugari garatu ditugu 134 herrialdetan, tokian tokiko eragileekin elkarlanean. Afrika, Asia, Latinoamerika, Asia eta Europako Ekialdeko komunitate pobreetan lan egin dugu, batez ere, ur emaria bermatuta, komunitate horiek garatzeko aukera izan dezaten.

Emakumeek klima aldaketaren gaian egindako ekarpena ari zarete aztertzen Iruñean.

Jardunaldi hauek bat datoz gure printzipioekin. Hortxe ditugu botere postuetan dauden emakume ugari, klima aldaketaren inguruan alternatibak planteatzeko eta horiek praktikara eramateko prest. Ekarpen horiek oso garrantzitsuak dira. Kontua ez da gizonezkoak baztertzea, inondik inora. Gurea ez da egitasmo baztertzaile bat, baina daukan garrantzia aitortu nahi diogu andreen jakintzari eta lidergoari. Eta lidergoa aipatzen dudanean, ez naiz lidergo politikoaz soilik ari. Eragile izan zaitezke nekazaria edo etxeko langilea izanda ere. Askotan, protagonismo hori sumatzen dugu faltan. Horregatik, Nafarroako egitasmo hau aitzindaria izan daiteke.

Iragan astean, klima aldaketari buruzko txostena argitaratu zuen IPCC aditu taldeak. Zer deritzozu?

Agerian gelditu da klima aldaketaren auzian urak zentralitate osoa duela, eta ongi dago horren gaineko kontzientzia hartzea. Ozeanoen maila igotzea prozesu naturala da, baina, orain, gizakiaren eraginez, prozesua bizkortu da, eta horrek baldintzak okertu ditu, ez planetaren iraupenerako, baizik eta gure espeziearen etorkizunerako.  (…)