Articles du Vendredi : Sélection du 16 octobre 2015

Osons ! Désobéissons ! Sortons de l’âge des énergies fossiles ! En dix étapes !

Maxime Combes
http://blogs.mediapart.fr/blog/maxime-combes/071015/osons-desobeissons-sortons-de-lage-des-energies-fossiles-en-dix-etapes

Nicolas Hulot, ose prendre une chaise

Hervé Kempf
www.reporterre.net/Nicolas-Hulot-ose-prendre-une-chaise

Osons ! Désobéissons ! Sortons de l’âge des énergies fossiles ! En dix étapes !

Maxime Combes
http://blogs.mediapart.fr/blog/maxime-combes/071015/osons-desobeissons-sortons-de-lage-des-energies-fossiles-en-dix-etapes

Face à l’urgence climatique et sociale, les chefs d’Etat et de gouvernement osent ne rien entreprendre de déterminant. Nous avons le droit de nous défendre. Le droit de désobéir. Osons donc l’impossible pour « déverrouiller, déminer et déclencher » la transition !

 

En matière de lutte contre les dérèglements climatiques, certains conjuguent encore le verbe « oser » à la deuxième personne du pluriel – « Chefs d’État, osez ! » est le titre de l’appel publié par Nicolas Hulot. Ce qui revient à confier les clefs de notre avenir – et celui du climat – à des chefs d’Etat et de gouvernement récalcitrants, qui climatisent leurs discours bien plus vite que leurs politiques : 1) en 23 ans de négociations, les émissions de gaz à effet de serre ont augmenté de 60% ; 2) les contributions nationales des Etats sur la table de la COP21 conduisent à un réchauffement de +3°C – ce qui revient à décréter le chaos climatique à brève échéance ; 3) le projet de texte actuel de négociations institue le crime climatique comme mode de gouvernance et de régulation du climat (voir ici).

C’est clair : malgré l’alerte scientifique, les « chefs d’Etat osent » ne rien entreprendre de déterminant. Business as usual.

Pourquoi feraient-ils donc aujourd’hui volontairement ce qu’ils n’ont pas fait en vingt-cinq ans ? « La folie consiste à faire la même chose encore et encore et à attendre des résultats différents » disait Einstein. Elle frappe clairement des chefs d’Etat qui ne veulent rien changer, y compris François Hollande. Une forme de folie dont on peut se demander si elle ne touche pas également certains écologistes qui répètent les erreurs du passé : en 2009, pour Copenhague, déjà présentée comme la conférence de la « dernière chance », des ONG avaient lancé un appel, signé par près de 17 millions de personnes, pour appeler les chefs d’Etat à « sauver le climat ». On connait la suite. Pourquoi recommencer aujourd’hui ? Pourquoi laisser penser la population que les chefs d’Etat pourraient tout-à-coup endosser le rôle de « sauveurs du climat » alors qu’ils en sont des fossoyeurs au long cours ? Cela nous apparaît comme une faute stratégique majeure.

Pour ce qui nous concerne, nous préférons conjuguer le verbe « oser » à la première personne du pluriel : Osons ! (qui est initialement le titre du livre de Nicolas Hulot mais qui est devenu « Osez » dans l’appel aux chefs d’Etat)

Alors, oui, « Osons ! » et « sortons de l’âge des fossiles ». N’attendons pas des chefs d’Etat qui montrent chaque jour le peu de considération qu’ils ont de leurs propres engagements. Comme le montre le livre que nous publions, l’inaction des gouvernements n’est pas le fruit d’un manque d’information ou d’un manque de clairvoyance. Cette inaction est structurelle. Elle n’est pas accidentelle. Elle s’inscrit dans les règles qui organisent et encadrent l’économie mondiale. Elle s’inscrit dans l’immense pouvoir qu’ont accumulé les forces économiques et financières. Elle s’inscrit enfin dans une fuite en avant extractive qui nous conduit dans le mur du chaos climatique !

Osons et désobéissons !

C’est à nous de palier l’inaction des chefs d’Etat et de gouvernement. C’est à nous d’oser. Pas à eux. C’est à nous d’imposer nos solutions face à leur statu quo criminel. Face à l’urgence climatique et aux désordres sociaux, politiques et démocratiques qu’elle engendre, c’est notre droit le plus absolu de nous défendre. Nous sommes la nature qui se défend, disent certains. Ils ont raison. C’est notre droit le plus absolu de désobéir et de nous immiscer là où nous, simples citoyens, ne sommes pas attendus. « Si nous ne faisons pas l’impossible, nous devrons faire face à l’impensable ! » disait Murray Bookchin, penseur nord-américain de l’écologie et de la liberté. Osons ! Désobéissons !

C’est ce que nous proposons dans le livre que nous publions (présentation ci-dessous), construit autour de dix étapes dont nous pouvons être les acteurs principaux : à nous de « déverrouiller, déminer et déclencher » la transition ! Pour un futur vivable et désirable.

Alors oui, sortons de l’âge des fossile et, ensemble, sans attendre des chefs d’Etat garants de l’ordre établi, « osons » donc l’impossible !

Maxime Combes

 

Table des matières

Prologue. Condamnés à sortir de l’âge des fossiles

Introduction. Laisser les fossiles dans le sol, une idée à creuser!

Première partie : DEVERROUILLER LA TRANSITION

  1. Débusquer les véritables climato-sceptiques.
  2. Bloquer ceux qui veulent continuer à forer
  3. Reprendre l’énergie des mains de la finance
  4. Choisir entre la libéralisation du commerce et le climat

Deuxième partie : DÉMINER LA TRANSITION

  1. S’affranchir de la pensée unique
  2. Se libérer de l’emprise du progrès technologique
  3. Se débarrasser des mirages technoscientifiques

Troisième partie : DÉCLENCHER LA TRANSITION

  1. « On arrête tout et on réfléchit »?
  2. Prendre soin de notre futur énergétique
  3. Expérimenter pour tout changer

Nicolas Hulot, ose prendre une chaise

Hervé Kempf
www.reporterre.net/Nicolas-Hulot-ose-prendre-une-chaise

Cher Nicolas,

On se voit de temps à autre, tous les deux ou trois ans, à l’occasion d’interviews ou simplement comme ça, pour discuter. Habituellement, je reste au « vous », et puis on glisse vers le « tu ». Aujourd’hui, je vais directement au tutoiement, ça sera plus simple. Ça me permet de dire d’entrée de jeu l’estime que je te porte : pour la sincérité de ton engagement, le sérieux de ton travail de réflexion (tu lis beaucoup – c’est rare -, tu veux toujours apprendre, tu réfléchis vraiment), ton talent remarquable de vulgarisateur. J’apprécie aussi ton parcours, d’être passé de l’ignorance totale des enjeux écologiques à la prise de conscience de ce qui se passait, et qui t’a conduit à t’engager vraiment, et à changer de vie. Ça n’a pas dû être facile tous les jours, ça n’a pas été facile tous les jours. Oui, tu es un allié de l’écologie, du mouvement, de celles et de ceux qui mesurent la gravité du moment historique et la nécessité de changer l’époque si l’on veut préserver la paix et une chance d’harmonie entre les humains.

A quel point être radical ?

Si on est d’accord sur beaucoup de choses, je me pose des questions sur ta… comment dire… politique, ta stratégie. Je ne dis pas que j’ai les réponses, mais plusieurs questions méritent d’être posées clairement – même si ça ne plait pas à beaucoup de personnes qui t’aiment bien -, parce qu’elles sont celles que se pose tout le mouvement écologiste. On peut les résumer à une seule : à quel point faut-il être radical dans nos actes, alors que nous savons que la crise écologique est si radicale qu’elle appelle une transformation radicale (ou une métamorphose, comme dit Edgar Morin) ?

Si on est trop radical, on se coupe du « grand public ». Si on ne l’est pas assez, on ne pèse pas et on ne change rien.

La difficulté est accrue par le fait que ce fameux « grand public », on le touche par les « grands médias ». Et les grands médias, je ne t’apprends rien, appartiennent aux miliardaires et hommes d’affaires Arnault, Bouygues, Bolloré, Dassault, Drahi, Niel, Pigasse, etc. Des gens qui ne veulent pas qu’on bouscule leur monde de profit, un profit qui passe par la destruction de l’environnement.

Comment trouver les moyens d’agir ?

Pour pouvoir peser, il faut trouver les moyens d’agir. Et agir, concrètement, ce sont des personnes qui y travaillent. Parce que même si on est dans un collectif, même s’il y a des myriades de bonnes volontés et de bénévoles, une action durable suppose des travailleurs permanents ou, en termes clairs, des salariés. Et puis quelques bricoles autour, des bureaux, des ordinateurs, et tutti quanti, dont il n’est pas possible de se passer même si on essaye de faire attention et de limiter la consommation matérielle.

Toi tu as fait le choix de créer une Fondation. Pas de problème. Depuis longtemps, tu la fais financer par divers groupes économiques importants. On t’a suffisamment reproché EDF, n’y revenons pas. Mais avais-tu vraiment besoin d’ajouter récemment à tes soutiens Avril, le groupe agro-industriel dirigé par Xavier Beulin ? Tu connais le rôle néfaste de ce groupe sur l’agriculture française. Comment ne pas mettre ce soutien en regard avec les passages de ton livre, Osons, qui appelle à une nouvelle agriculture, quand tu écris, (p. 56) : « Cette nouvelle vision de l’agriculture heurte de plein fouet les intérêts de certaines multinationales ». Mais tu acceptes qu’elles soutiennent ta Fondation !

La Fondation Nicolas Hulot reçoit aussi le soutien de Vinci Autoroutes. Tu sais quand même que Vinci veut construire un aéroport à Notre Dame des Landes, non ? Et que le préfet qui a préparé l’appel d’offres, remporté par Vinci, s’est retrouvé deux ans plus tard employé par Vinci Autoroutes ? Le même Vinci Autoroutes qui soutient ta Fondation. Ca pose problème, non ? Surtout quand tu écris (p. 46), qu’il faut « investir dans les transports au quotidien plutôt que dans de nouveaux aéroports ».

Trouver les moyens de travailler pour peser, pas facile, donc. Où met-on la barrière ? Personne ne connait le point optimal. Mais il est évident que tes discours sur l’agriculture et sur les aéroports ne convaincront guère tes auditeurs s’ils connaissent les soutiens de ta Fondation. Et d’ailleurs, t’entend-on suffisamment sur ces thèmes ?

Quelle alliance avec les politiques ?

Autre difficulté, centrale, qui se posent à tous : comment travailler avec les responsables politiques, avec ces élus qui ont la main sur de nombreuses décisions, et sans lesquels les mouvements citoyens, malgré leur vigueur éventuelle, ne peuvent transcrire dans la loi les avancées du combat ?

Certains font le choix de tout faire reposer sur les mouvements de la base, en supposant que ceux-ci gagneront suffisamment de force pour bousculer la table. D’autres pensent que tout passe par l’instance politique, et déploient leurs seuls efforts à entrer dans ce jeu de la « démocratie représentative ».

Quelle est la marge de manœuvre réelle des politiques dans une démocratie si dégradée qu’elle tourne à l’oligarchie ? Tu connais la question. Tu y réponds en attribuant aux politiques plus de marge de manœuvre qu’ils ne semblent en avoir face aux grands intérêts capitalistiques. Matière à débat, sans doute. Et te voilà donc « envoyé spécial du président de la République pour la protection de la planète ».

As-tu fait passer quelque chose chez François Hollande, ou celui-ci se sert-il de ton image ?

Tu me pardonneras d’exprimer mon scepticisme. La politique environnementale de ce gouvernement est ahurissante : de l’abandon de l’écotaxe au soutien au Lyon-Turin, de l’affaiblissement des normes environnementales incluses dans la loi Macron à l’autorisation des LGV Bordeaux-Dax et Bordeaux-Toulouse, du feu vert donné à l’extension du stade Roland Garros à l’autorisation du travail le dimanche, les mesures anti-environnementales sont constantes, que ne rachète pas une loi sur la transition énergétique qui a refusé de trancher le nœud gordien du nucléaire.

Je lis ton livre, et je constate que la politique du président auquel tu es lié est radicalement opposée aux douze axes que tu préconises (p. 40).

C’est presque chaque jour qu’il marque le mépris pour tout ce que tu proposes (et sur quoi nous sommes d’accord, pour l’essentiel) : « Réguler enfin la finance », écris-tu par exemple à juste titre, comme priorité de ce qu’il faudrait faire. Quel est le dernier acte en la matière du président ? Nommer à la tête de la Banque de France, en principe chargée de réguler le système bancaire français, le n°2 de la banque privée BNP-Paribas. Celle-ci, premier établissement financier français, est la championne de l’évasion fiscale et du lobby dressé pour éviter la séparation entre banques d’affaires et banques de dépôts, qu’avait promise François Hollande et qu’il a lâchement abandonnée.

Peut-être me diras-tu que, sur la taxe sur les transactions financières, ton action souterraine n’a pas été inutile. Vois-tu, j’en conviendrais. Tout en attendant que cette taxe indispensable pour financer l’aide aux pays pauvres contre le changement climatique soit vraiment actée. Quelle bataille ! Et as-tu mieux fait à l’intérieur que tu n’aurais fait à l’extérieur ?

Comment agir ?

La quatrième question que se posent les écologistes est celle des meilleures modalités d’action. Elle est bien sûr liée à la précédente. Et pour te donner rapidement le fond de ma pensée, la réponse se trouve dans une action de masse non-violente. Les rares batailles que les écologistes ont gagné dans la décennie passée – mais elles ne sont pas minces – l’ont été bien plus de cette manière que par l’action au niveau politique : que ce soit sur les OGM, le gaz de schiste ou Notre-Dame-des-Landes, l’essentiel pour remporter la victoire – provisoire, au demeurant, tant l’oligarchie ne veut rien lâcher – a été une mobilisation collective sans faille, qui a su gagner l’opinion publique par la ténacité et la force du message, par le courage physique, aussi, souvent.

Alors, la semaine dernière, tu as publié une vidéo et lancé une grande opération de communication. Je ne peux que dire, « Chapeau l’artiste ». Du grand art, incontestablement. Une vidéo marrante, suffisamment second degré pour être bien dans l’air du temps. Mais, qui aboutit à quoi, finalement ?

Ouh là, je sens que tu n’es pas content. Je vais poser ma question autrement. Que demandes-tu aux gens de faire ?

Ré-écoutons le texte de la fin de ta fameuse vidéo. Quel est le message exact qu’elle veut transmettre ?

 

« Comment faire pression ? En signant. Plus nous serons nombreux, plus nos chefs d’Etat seront obligés de faire bouger les choses. (…) L’enjeu est d’enfin s’unir, pour dire d’une seule voix : ’C’est votre dernière chance de nous prouver qu’on ne vous a pas élus pour rien’. (…) Faites entendre votre voix. Chaque signature compte. Chaque voix compte ».

Et que s’agit-il de signer ? Ceci : « J’ai lu l’appel Osons et je demande aux Chefs d’Etat réunis lors de la COP21 à s’engager résolument à adopter toutes les mesures nécessaires pour limiter le réchauffement climatique en-dessous de 2°C. « 

 

Que dis-tu aux spectateurs ? Pour agir, signer. Et si vous signez, les chefs d’Etat s’engageront.

 

Eh bien, cher Nicolas, permets-moi d’être doublement en désaccord. Les chefs d’Etat ne feront presque rien de plus que ce qu’ils se préparent à faire si l’on signe. Et signer – c’est-à-dire cliquer sur un bouton de son écran – n’est pas agir. Agir, c’est s’engager, sortir, se retrouver avec d’autres, réfléchir ensemble, et commettre un acte de rupture.

 

Être cent, deux-cents, mille, et aller faucher un champ de maïs transgénique.
Être cent, deux-cents, mille, et aller faire barrage à un camion d’exploration de gaz de schiste.
Être cent, deux-cents, mille, et intervenir dans une réunion publique contre un projet inutile.

 

Cela n’exclut pas les pétitions, cela n’exclut pas d’interpeller les responsables politiques, cela n’exclut pas de soutenir certains d’entre eux et de compter sur eux et sur leur travail qui peut être indispensable. Mais cela veut dire qu’il faut franchir les limites que trace le système politique et médiatique si étroitement soumis aux subtiles injonctions de l’oligarchie.

 

Cher Nicolas, je vais te dire ce qui permettrait, selon moi, que tu sois vraiment utile. Il conviendrait que tu t’engages dans l’action. Que tu délaisses les salons dorés et les avions pour aller dans la rue, avec d’autres, prendre des chaises dans une banque, comme d’autres l’ont fait tout récemment à Marseille, et comme d’autres vont le refaire. Tiens, regarde comment on fait, il y a une vidéo. Bon, désolé, aucun « youtuber », pas d’agence de com’, la prise de son n’est pas top top… mais regarde, ça dure deux minutes.

Et c’est quoi, cette histoire de chaises ? Nicolas, les banques ne sont pas gentilles. Elles envoient plein d’argent bizarrement gagné par leurs clients dans des paradis fiscaux, loin, aux Bahamas ou au Luxembourg, le petit Etat dont le président de la Commission européenne a longtemps été premier ministre. Paradis fiscal, ça veut dire que les banques n’y payent pas d’impôt. Autrement dit, qu’elles volent l’argent à la collectivité, à la société, à toi, à moi, à nous tous. On estime qu’il y a vingt mille milliards d’euros, dans ces paradis fiscaux. Dix fois le PIB d’un pays comme la France !

Si les banques arrêtaient de voler, on pourrait récupérer cet argent, et aider les pays pauvres face au changement climatique et engager une vraie politique de transition écologique, axée sur la sobriété.

Alors ce que des activistes – ce sont des gens normaux qui, simplement, ont un jour décidé d’agir – font depuis quelques semaines, c’est qu’ils vont dans des banques et ils y prennent des chaises. Le mouvement a été lancé le 30 septembre, et vise à récupérer 196 chaises, soit autant que de pays inscrits à la conférence Climat de Paris qui débutera fin novembre. Et on les apportera à l’entrée de la COP21, pour dire qu’il faut que les banques rendent l’argent.

Tu pourrais en prendre une, ou faire savoir que tu en as une chez toi (bon, tu pourrais la garder à l’Elysée, mais je ne veux pas te mettre la pression, quand même). Ça serait bien. Il y a des gens très bien, comme toi, qui l’ont fait, comme Edgar Morin ou Patrick Viveret.

Allez, Nicolas, sois utile, ose prendre une chaise.

Hervé

Post-scriptum : si tu veux me répondre, n’hésite pas, les lectrices et lecteurs de Reporterre, qui t’aiment bien, en seront heureux.