Articles du Vendredi : Sélection du 16 février 2024

Des milliers de manifestants défilent contre de nouveaux forages pétroliers en Gironde
Mickaël Correia
www.mediapart.fr/journal/ecologie/110224/des-milliers-de-manifestants-defilent-contre-de-nouveaux-forages-petroliers-en-gironde

 

Activistes climat et élus écologistes sont descendus dans la rue ce dimanche à Bordeaux pour demander au préfet de la Gironde de refuser le forage de huit puits de pétrole dans la forêt de La Teste-de-Buch. Tous dénoncent le double discours climatique du gouvernement.

BordeauxBordeaux (Gironde).– « On est là quand des multinationales françaises sont en train de faire des puits de pétrole en Ouganda, a lancé l’activiste climatique Camille Étienne devant une foule rassemblée place de la Victoire. Alors quand c’est une entreprise canadienne qui vient détruire notre forêt, et pas n’importe où, l’endroit où précisément il y a eu des hectares qui disparaissaient sous les flammes, on est là aussi ! »

En ce début d’après-midi du 11 février, la jeune militante a résumé au micro le combat mené depuis novembre dernier par le collectif Stop pétrole bassin d’Arcachon, qui a appelé à une manifestation contre de nouveaux forages pétroliers en Gironde.

En 2023, l’industriel canadien Vermilion a demandé à l’État français son aval pour forer huit puits de pétrole au cœur de la forêt de La Teste-de-Buch, située à quelques encablures de la dune du Pilat. La firme y exploite déjà une quarantaine de puits mais veut continuer à rentabiliser au maximum ce champ pétrolifère, la loi française ayant acté la fin de l’exploitation du pétrole sur le territoire en 2040.

Or, en juillet 2022, 7 000 hectares de ce massif forestier ont été dévorés par les flammes, attisées par des températures caniculaires liées au dérèglement climatique.

Jeune militante à Stop pétrole bassin d’Arcachon, Perrine a précisé à Mediapart : « Ce projet est incompatible avec les annonces gouvernementales qui se targuent de vouloir faire de la France la première nation à sortir des énergies fossiles. Nous avons monté localement ce collectif quand le commissaire enquêteur, après enquête publique, a émis un avis favorable au projet le 13 novembre dernier, en arguant qu’extraire du pétrole en France a un coût environnemental moindre que de le faire venir de l’étranger. »

3 000 manifestants et manifestantes, selon Stop pétrole bassin d’Arcachon, se sont rassemblé·es sur la petite place bordelaise envahie de soleil. Parmi eux et elles, des membres de Greenpeace, d’Extinction Rebellion, du collectif Stop Total, du Nouveau Parti anticapitaliste ou de La France insoumise. Sur les pancartes, on peut lire : « Monsieur le préfet, choisissez la science ».

Conformément à la réglementation minière et environnementale, les travaux de forage pétrolier de Vermilion, après demande d’autorisation administrative et enquête publique, doivent recevoir l’aval final de la préfecture. Étienne Guyot, le préfet de la Gironde, doit rendre sa décision par arrêté d’ici le printemps.

Devant un public attentif, Christophe Cassou, climatologue et auteur principal du dernier rapport du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), a ensuite pris la parole pour rappeler pourquoi le préfet doit refuser ces forages : « 2023 a été l’année la plus chaude jamais enregistrée […] et le dernier rapport du Giec souligne que les émissions de CO2 projetées par les infrastructures fossiles existantes nous mènent déjà tout droit dans un monde à + 1,5 °C. Accorder ces forages est contraire aux objectifs de neutralité carbone du pays inscrits dans la loi Climat et résilience de 2021. »

Et de conclure : « L’enquête publique nous dit que c’est mieux de produire du pétrole en France. Cela revient à dire que pour se suicider, c’est mieux de le faire avec une drogue que l’on a produite soi-même. »

Dissonance cognitive du gouvernement

Dans la foulée de ces prises de paroles, plusieurs milliers de manifestants et manifestantes ont scandé : « Ni ici, ni ailleurs, stop pétrole ! » Avant de s’élancer dans les rues de Bordeaux au rythme d’une batucada.

Présente dans le cortège, Cécile Duflot, directrice générale d’Oxfam France, a détaillé à Mediapart : « L’Agence internationale de l’énergie demande depuis 2021 de ne plus développer de nouveaux projets fossiles pour contenir le changement climatique. Il y a en France un angle mort énorme qui est la baisse drastique de notre consommation d’énergies fossiles. Et le gouvernement Attal a abandonné cette question de la sobriété, en ne parlant même plus de rénovation énergétique des logements. »

Même son de cloche pour Vital Baude, conseiller régional écologiste et conseiller municipal d’Arcachon : « Nous sommes face à une dissonance cognitive de la part du gouvernement, qui, durant la COP28, a présenté la France comme un leader de la fin des énergies fossiles. Les forages de pétrole dans notre pays ne représentent que 1 % de la consommation nationale. On peut complètement s’en affranchir et il y a ici une occasion d’envoyer un vrai signal politique en matière de lutte contre le changement climatique. »

Plusieurs jeunes activistes climat espagnols ou belges se sont également joints à la manifestation, pour asséner que « le carbone n’a pas de frontière », et que « ce pétrole local, comme le nomme Vermilion, doit rester local, c’est-à-dire rester dans le sol ».

Quand soudain, après avoir joué au chat et la souris avec les journalistes, l’activiste écologiste Greta Thunberg s’est mêlée au cortège. La veille, la militante suédoise était dans le Tarn pour protester contre le projet autoroutier A69 entre Castres et Toulouse. Les élus bordelais présents, à l’instar de Pierre Hurmic, maire de Bordeaux et opposé au projet, se sont alors vu refuser par la figure star de l’activisme climat de se faire photographier avec elle. Pris dans l’euphorie médiatique provoquée par la venue de Greta Thunberg, les militants ont préféré s’écrier : « Nous sommes tous antifascistes ! » et « À bas l’État policier ! »

Convergence des luttes

Amusée par ce tohu-bohu, l’eurodéputée écologiste Marie Toussaint, tête de liste aux élections européennes de 2024, a voulu souligner la diversité des manifestant·es : « C’est une belle mobilisation cet après-midi qui montre que le sujet n’est pas uniquement local. À l’échelle européenne, il y a encore beaucoup à faire, car le Pacte vert, qui est censé décarboner l’Union européenne, ne va pas jusqu’au bout sur la question des énergies fossiles. Nous avons en Europe six grosses multinationales fossiles, dont certaines, comme TotalEnergies ou Shell, qui sont en train de faire marche arrière sur leurs engagement climat. » Au sein de la manifestation, les militants et militantes du département expliquent tous et toutes à Mediapart combien leur territoire est déjà très vulnérable aux dérèglements climatiques, soumis régulièrement à des inondations, à l’érosion du trait de côte qui menace des habitations, au risque de submersion marine, ou à la sécheresse extrême qui entraîne des mégafeux, comme celui en 2022 à La Teste-de-Buch. Mais c’est surtout un même questionnement qui traverse l’ensemble cortège : que faire si le préfet valide ce projet climaticide dans les prochains mois ? Vital Baude a expliqué avoir déposé une mention au conseil régional en décembre dernier pour mettre fin à tout nouveau forage pétrolier en Nouvelle-Aquitaine. « Le président du conseil, le socialiste Alain Rousset, s’est dit opposé au projet mais s’est abstenu lors du vote avec sa majorité, ce qui a conduit la droite et l’extrême droite à voter contre cette mention et à la retoquer », s’est-il désolé.  Figure médiatique de la lutte contre l’A69 pour s’être perché aux arbres afin de protester contre leur abattage, Thomas Brail a glissé pour sa part à Mediapart : « Il y a une continuité entre notre combat contre l’A69 et l’extraction de pétrole voulue en Gironde. On peut voir une espèce de convergence des luttes à l’œuvre ici. Et si jamais le préfet donne son autorisation, on pourrait être plusieurs à grimper dans les arbres de la forêt de La Teste-de-Buch pour bloquer le projet. » Durant la manifestation, une pancarte brandie par l’activiste climat Marie Chureau a semblé toutefois déjà faire consensus : « À quand une ZAD ? »

La transition : mission impossible ?
Pierre Charbonnier
https://pierrecharbonnier.substack.com/p/la-transition-mission-impossible

Le livre de Jean-Baptiste Fressoz, Sans transition, doit nous faire réfléchir

Il y a quelques jours est sorti un livre très important de l’historien Jean-Baptiste Fressoz, qui propose une relecture originale de l’histoire des systèmes énergétiques et du concept de transition. Je voudrais livrer ici une première série de réactions, qui ne pourront pas rendre justice à l’impressionnant travail empirique sur lequel repose l’argument de l’auteur, mais qui visent plutôt à discuter sa dimension normative. En effet, le livre se présente comme un réquisitoire extrêmement radical contre l’idée même de transition énergétique et met l’histoire au service d’un argument profondément politique. L’auteur ne cache pas ses intentions, et je n’entends pas ici remettre en question cette dimension argumentative de l’histoire: au contraire, c’est l’occasion parfaite pour réfléchir à une notion devenue omniprésente, et qui est souvent utilisée de façon superficielle. Avant toute chose, on peut donc saluer J.-B. Fressoz pour son travail de mise en garde, qui donne aux sciences sociales une prise efficace sur le débat public.

Ce livre est amené à connaître un grand succès et à jouer un rôle important dans le débat sur la transition écologique. Il sera certainement lu comme un texte de référence par de nombreux acteurs de ce débat qui nourrissent un scepticisme à l’égard de discours trop triomphalistes ou optimistes concernant la possibilité de décarboner l’économie mondiale dans un délai raisonnable, à coups d’innovation technologique ou de réorganisations sociales. Fressoz invoque la lucidité et la rigueur des faits pour nous défaire de nos illusions, mais le contexte dans lequel arrive son livre, marqué par le développement des arguments visant l’écologie pour son coût social ou les sacrifices qu’elle demande, est singulier. Comment en effet concilier cette critique conduite par un auteur écologiste avec la nécessité stratégique de rassembler une large partie de la population dans un projet qui ne soit pas vu comme entièrement négatif ? Comment le réalisme sombre de Fressoz peut-il résister aux lectures fatalistes qu’il déclenchera peut-être ? Comment faire en sorte que la critique de la transition et de ses acteurs ne tombe pas dans l’escarcelle des tenants du statu quo ?

Déconstruire la transition

Sans transition est construit en deux parties assez distinctes par leur contenu, et l’habileté de l’auteur consiste à les agencer ensemble pour produire son effet critique.

L’histoire déphasée

La première est une histoire de ce que l’auteur appelle les symbioses énergétiques. Fressoz part d’un débat assez technique au sein de l’histoire de l’énergie, qui divise les partisans d’une représentation “phasiste” (un âge du bois, un âge du charbon, un âge du pétrole, etc. jusqu’à un hypothétique âge des renouvelables) et les partisans d’une vision plus complexe, attentive à la persistance des techniques et des ressources du passé qui continuent à structurer le présent. Ainsi, grâce à un remarquable travail empirique, l’auteur peut montrer que le bois a été un matériau critique de la modernité industrielle (souvent assimilée, par ses acteurs mêmes, au charbon). On retrouve en effet le bois notamment comme étai dans les mines et comme traverse de chemin de fer, mais aussi comme matériau de construction, et l’avènement du charbon a stimulé son exploitation plus qu’il ne l’a soulagée. Le même raisonnement indique que le pétrole s’est ajouté, plutôt que substitué, au charbon (et encore au bois pour un moment).

Fressoz explique p. 28, avec d’excellents appuis visuels, que ces deux conceptions de l’évolution technique sont liées pour la première à une représentation en valeurs relatives du poids des énergies (et de ce point de vue, l’arrivée du charbon fait l’effet d’une forte vague à partir du milieu du 19e siècle, puis le pétrole au 20e siècle), et pour la seconde en valeurs absolues (et dans ce cas on voit mieux le bois persister sous le charbon et le charbon sous le pétrole). Fressoz indique que la mesure en valeurs absolue est un indicateur plus important que les valeurs relatives: d’un point de vue environnemental et climatique en effet, ce sont celles qui permettent de comprendre la pression écologique réelle de nos forces productives, alors que les valeurs relatives donnent l’illusion d’une série de substitutions.

C’est là qu’intervient une première question. Fressoz organise la confrontation entre valeurs absolues et valeurs relatives de façon assez positiviste: l’une est déclarée supérieure à l’autre, et on comprend les raisons de ce choix. Mais la raison pour laquelle l’utilisation des valeurs relatives est devenue importante, voire hégémonique, n’est pas donnée ou véritablement discutée. De manière générale dans le livre, “l’ennemi” n’a aucune chance : Fressoz qualifie généralement d’erreurs les choix analytiques différents des siens et c’est ce qui lui permet d’avancer dans son raisonnement. Mais en l’occurrence, la représentation du système énergétique en valeurs relative n’a rien d’arbitraire : elle va de pair avec l’idée selon laquelle ce qui importe le plus dans le système économique est la frontière de l’innovation, ce qui vient perturber l’ordre des choses, ce qui prend subitement un intérêt stratégique par contraste avec des marchés et des pratiques sociales déjà installés. De ce point de vue, l’émergence du charbon, même si elle ne provoque pas de substitution par rapport au bois, est difficile à sous estimer: avoir et exploiter du charbon, c’est faire la différence avec d’autres régions ou pays, c’est produire un écart de développement, de puissance, qui même s’il n’est que relatif, a une signification politique essentielle. Autrement dit, on pourrait tout à fait demander à Fressoz comment équilibrer, ou rendre symétriques, son intérêt légitime pour les valeurs absolues, et l’importance effective des valeurs relatives dans l’histoire réelle (et pas seulement dans les représentations après coup qu’en donnent les historiens).

Avant d’en venir à la seconde partie du livre, on peut s’arrêter un instant sur la conclusion abrupte tirée par l’auteur de ce qu’il semble considérer comme une “loi” historique. On lit p. 30-31: “L’impératif climatique ne commande pas une nouvelle transition énergétique, mais oblige à opérer, volontairement, une énorme autoamputation énergétique: se défaire en quatre décennies de la part de l’énergie mondiale – plus des 3/4 – issue des fossiles”.

Ici on voit bien que la loi de l’addition (contre la croyance dans la substitution) est convertie en leçon politique : ce qu’on doit aux fossiles, il faut le retrancher, et non le remplacer. Ici il y a une possible équivoque de langage: on peut soit considérer que cette “autoamputation” renvoie à la nécessité d’arrêter le fonctionnement d’infrastructures fossiles existantes et rentables (question des stranded assets), soit qu’il faille tout simplement se passer du volume d’énergie brut produit par les fossiles. Or il semble bien que Fressoz ait en tête la seconde signification, ce qui est assez largement en contradiction avec des scénarios pourtant mesurés (ADEME, IRENA, GIEC) qui indiquent qu’une partie au moins de substitution (à côté des gains d’efficacité et bien sûr de sobriété) soit possible. A discuter, donc.

La transition, quelle transition ?

Muni d’un lourd dossier historique qui semble condamner toute idée de transition ayant un véritable sens écologique, Fressoz doit logiquement demander dans un second temps comment cette idée a pu néanmoins s’imposer comme “un futur normal et consensuel” (p. 202). Il bascule alors de l’histoire des techniques à l’histoire des idées, dans une série de quatre chapitres passionnants qui reconstituent l’histoire de la notion de transition énergétique et des acteurs clés qui en ont été les avocats.

Avant de les décrire brièvement, il faut faire un point sémantique et conceptuel. Dans l’ensemble du livre, Fressoz nomme “transition énergétique” une stratégie consistant à substituer une énergie à une autre. Je n’ai pas repéré dans le livre d’autres acceptions de cette expression, et l’idée ressort nettement dans le dernier chapitre, “La carte technologique”, qui traite explicitement du discours de substitution par l’innovation technologique à consommation constante.

On pourrait faire le reproche à Fressoz d’avoir une acception étroite de la notion, mais au vu de son dossier historique, il semble que ce soit bel et bien de cette manière que le discours sur la transition en général se soit construit : comme un outil de désinhibition, pour reprendre les termes de son précédent livre L’apocalypse joyeuse, qui permet de se rassurer sur la capacité à sortir de l’impasse par la technique. Par contre, et c’est là qu’un éventuel décalage peut apparaitre entre l’analyse conduite dans Sans transition et les conclusions que porte le livre, cette expression connaît aujourd’hui des acceptions très différentes. On parle couramment de transition pour désigner des mécanismes de réorganisation sociale fondés sur l’efficacité, la sobriété, et bien sûr le passage aux renouvelables. Le sens du terme change donc à travers l’histoire, et il ne va pas soi d’affirmer par exemple que la transition “a accompagné la procrastination générale, et elle continue de le faire” (p. 319). Que cela ait été le cas, je pense que Fressoz le démontre assez bien, que cela soit encore le cas, cela ne serait démontré que si le changement d’usage de cet terme avait également été étudié. Mais nous y reviendrons.

L’histoire du concept de transition énergétique se déroule en quatre étapes. Dans la première, Fressoz s’intéresse à un collectif d’ingénieurs américains de l’entre deux guerres, les “technocrates”, qui semblent fournir le personnel intellectuel et les outils d’analyse plus tard utilisés dans la modélisation du futur énergétique. Fressoz donne quelques éléments sur le mouvement technocratique (sur Veblen en particulier, que j’avais également étudié dans Abondance et liberté dans une perspective quasiment diamétralement opposée), qu’il comprend comme une tentative de reconstruire l’ordre social sur la base de l’utilisation optimale de l’énergie. L’acteur clé de ce chapitre est Marion King Hubbert, le célèbre introducteur de la théorie du “pic” pétrolier. A mon sens, il y a un décalage important entre les objectifs politiques du mouvement technocratique tel que l’avait conçu Veblen (ainsi que des erreurs de lecture p. 207 et 208) et l’émergence de la modélisation énergétique. Néanmoins, on comprend la continuité tracée entre M. K. Hubbert et la suite du propos du livre.

La seconde étape est centrée sur le personnage de Harrison Brown, qui introduit la notion de transition énergétique dans un contexte où les ingénieurs de l’atome conçoivent une émancipation totale à l’égard de l’énergie comme facteur limitant pour la société. Fressoz donne alors une version assez provocatrice de l’histoire bien connue des rapports entre les sciences et techniques atomiques durant la guerre froide et l’émergence du problème climatique (on la lit dans les travaux de Naomi Oreskes et Jacob Hamblin notamment). La doxa historiographique s’accorde sur le fait que la paranoïa de guerre froide a stimulé l’investissement dans la recherche atomique, et que l’une des conséquences latérales de ces recherches est l’étude des grands mécanismes du système terre (pour anticiper un éventuel hiver nucléaire, ou pour identifier les radio-isotopes émis par d’éventuels essais nucléaires russes). Mais Fressoz va plus loin et affirme, ou suggère, que ce lien entre l’atome et le climat n’est pas seulement l’effet contingent de la “big science” américaine: il indique qu’il a existé, au sein de l’élite scientifique US, des acteurs influents qui avaient “des motifs plus “intéressés” liés à la promotion de l’atome” (p. 244). Exemples à l’appui, il parle d’un “lobby nucléaire” (245) impliqué dans les premières alertes climatiques, le cas le plus célèbre étant Edward Teller.

Ce chapitre est assez caractéristique des difficultés d’interprétation du livre en général: Fressoz n’indique jamais les raisons pour lesquelles il définit ces scientifiques comme des acteurs mus par des raisons externes à celle de la découverte (pourquoi un savant atomique ne pourrait-il pas être de bonne foi ?), ou pourquoi l’élément “atomique” de cette histoire devrait être considéré comme donnant à l’alerte climatique une dimension d’inauthenticité, ou un caractère stratégique. Certainement, un historien qui dépeindrait ces acteurs comme des héros de la vérité tomberait dans le défaut inverse de la naiveté glorificatrice, mais quelles sont les raisons exactes pour lesquelles on parle ici de “lobby” ou d’intéressement ? Quelle serait une science parfaitement désintéressée ? Manifestement, Fressoz attribue au monde de l’atome un statut d’exception épistémo-politique, comme si le rapport au pouvoir de ces savoirs les rendaient inévitablement suspect. C’est une hypothèse qu’on peut estimer valable, mais qui doit être mise au clair. Pourquoi ne s’explique-t-il pas de façon plus directe ce qu’il considère manifestement comme une vérité mise en avant pour de mauvaises raisons ? En l’absence de ces explications, le lecteur en est réduit à des suppositions.

Le chapitre suivant a pour personnage principal Cesare Marchetti. Dans le contexte de la crise pétrolière et des alertes environnementales du début des années 1970, c’est lui qui poursuit la légitimation du discours sur la transition énergétique. On navigue donc encore ici dans les sphères relativement obscures de la prospective énergétique, où les courbes en valeur relatives ont le vent en poupe.

Le dernier chapitre concentre encore plus les difficultés d’interprétation du livre mentionnées plus haut. C’est en effet, et de loin, le plus provocateur. Ce chapitre étudie de façon conjointe l’émergence de la rationalisation économique du problème climatique (et donc l’oeuvre de Nordhaus, à la façon du livre de A. Pottier), la construction du discours officiel du groupe de travail n°3 du GIEC sur la transition, et la consolidation sous l’effet du militantisme des intérêts fossiles d’un choix de l’adaptation. Le chapitre est comme tous les autres intéressant et abondamment documenté, mais fait encore défaut l’explicitation du rapport entre ces éléments empiriques et l’opération normative qu’ils doivent soutenir.

Fressoz décrit en effet les forces qui, ensemble, contribuent à relativiser et à remettre à plus tard la question climatique, et comme c’est le cas d’autres auteurs contemporains (comme par exemple E. Morena dans Fin du monde et petits fours) il explique que leur stratégie a consisté à occuper le terrain de la science et de la prospective climatique plutôt que de la laisser aux autres. Mais rien n’est dit dans le livre sur la structuration historique et politique de la confrontation entre ces intérêts et ces formes de savoir et d’autres, qui ont tenté (sans succès il est vrai) d’introduire un avenir alternatif. Le lecteur est laissé avec l’impression que le discours de substitution a gagné le statut d’hypothèse légitime quant à l’avenir sans rencontrer d’épreuves ou de résistances, sans incertitudes, sans non plus qu’il ait trouvé d’alliés auprès des demandes collectives.

Fatalisme et volontarisme

Dans Abondance et liberté, j’avais tenté de montrer que la grande difficulté du problème écologique et climatique tient au fait que la prise en compte des limites planétaires se heurte à des conceptions et des pratiques sociales profondément ancrées, à des attentes d’émancipation socio-économiques, et bien sûr à des attentes de développement matériel. Autrement dit, je présentais l’enjeu climatique comme une contradiction interne au projet de modernisation politique et économique, une contradiction qui ne met pas aux prises un monde néfaste des fossiles et un monde lucide de l’écologie, mais un conflit de la structure de projection collective dans l’avenir (y compris et surtout populaire) avec elle-même. De la lecture de Sans transition, on ressort avec une image totalement opposée: faute d’éléments réflexifs plus détaillés, on doit penser que la course à la catastrophe serait la conséquence d’un activisme des élites techniques et scientifiques pour faire avaler à la majorité un mode développement insoutenable, puis dans un second temps une voie de sortie acceptable mais irréaliste (Fressoz a d’ailleurs une précaution rhétorique sur ce point p. 319, mais trop rapide : “la transition n’est évidemment pas la cause de la résignation climatique, elle n’en est que sa justification” – or ce “évidemment” n’est pas discuté dans le livre). L’essentiel de mes difficultés à comprendre le livre tient à cette différence: si Fressoz veut réellement construire une histoire de l’irréversibilité fossile et de la désinhibition énergétique par les renouvelables, il faut inclure l’histoire des demandes sociales de développement. Si par contre le livre est, de façon un peu plus modeste (ce qu’il est en réalité à mon sens), une histoire du discours officiel sur la transition dans les milieux d’expertise technique, alors les conclusions normatives qui en découlent sont peut-être insuffisamment soutenues, ou trop implicites.

Le sens du livre est manifeste, et défendable: il nous pousse à nous demander pourquoi la question de la décroissance, ou du moins de la soustraction de forces productives devant l’alerte écologique n’a jamais été mise sur la table, ou prise au sérieux.

La dernière page du livre le dit clairement, et il me semble que sur ce point Fressoz a fait le travail de démonstration : “La puissance de séduction de la transition est immense : nous avons tous besoin de basculements futurs pour justifier la procrastination présente” (p. 333). C’est une magnifique et puissante punchline. Encore une fois, on regrette que le livre n’ait pas inclus l’histoire de la demande inverse de réduction, bien réelle, et les raisons pour lesquelles elle a été vaincue ou pour lesquelles elle n’a pas pris racine dans la société. En réalité, Fressoz écrit depuis ce point de vue du vaincu, il endosse cette position d’énonciation à titre d’outil heuristique – au point qu’il ne s’interroge pas lui-même sur les raisons pour lesquelles cela s’est produit. Un peu plus haut dans la même page, on lit : “La transition est l’idéologie du capital au 21e siècle” – phrase tout aussi spectaculaire, mais beaucoup plus difficile à démontrer. En effet, on parle aujourd’hui de transition d’une façon entièrement différente des années 1950 ou 1970: il est question d’efficacité, de sobriété, de substitution, d’intervention de l’Etat voire de planification, de mécanismes redistributifs, de lutte contre les fossiles, il existe des lobbys sociaux qui se battent contre des intérêts énergétiques (en tant qu’historien, Fressoz aurait pu noter que cet élément central de la vie politique du 21e siècle est absente du passé). Il y a donc une multiplicité de compréhensions politiques de la transition, et en face d’elles une idéologie bien résistante du capital comme perpétuation du développement fossile. Autrement dit le jeu économique et politique dans lequel on se trouve n’est pas “transition contre décroissance”, mais plutôt “transition faible contre transition forte (non nécessairememnt capitaliste) contre décroissance”.

Dans une page surprenante de la conclusion, Fressoz affirme que, si les tenants du technosolutionisme climatique sont irresponsables, “les postures normatives qui règnent en sciences sociales sur le climat sont bien plus ridicules encore”, et il prend comme exemple de ce ridicule les études sur les “coalitions “post-carbone”” (p. 332). Technosolutionisme et socio-solutionisme, si l’on peut dire, sont renvoyés dos à dos, certainement parce que l’on comme l’autre (on est ici réduit à des hypothèses interprétatives, mais l’enjeu est tellement énorme qu’il faut le faire…) ont le défaut de ne faire aucune place à l’hypothèse de l’autoamputation envisagée dans l’introduction. Fressoz ne dévoile pas totalement son point de vue épistémologique et normatif, qui est certainement celui de la décroissance, pourtant tout le livre peut se résumer sous cet angle: nous n’avons jamais fait l’hypothèse décroissante, et c’est pourtant la seule chose qui reste à faire contre toutes les stratégies de déni ou de désinhibition. Peut-être est-ce vrai, mais nulle part dans le livre ce point de vue d’écriture et de pensée n’est explicité.

Nulle part dans le livre l’auteur ne se confronte avec les difficultés propres à cette hypothèse (qui est estimable et productive, mais encore une fois qui reste dans les coulisses de la pensée).

C’est la raison pour laquelle le sentiment principal qui se dégage de la lecture du livre est un certain fatalisme (et l’auteur le confesse p. 332 en affirmant n’avoir aucune martingale ou utopie verte à proposer). On peut difficilement lui en faire reproche, mais on peut aussi difficilement s’empêcher de penser que le fatalisme est avant tout un élément structurant du livre, où très peu voire aucune place n’est faite à la conflictualité sociale et à la contestation des futurs possibles.

L’art de la paix
Gogoeta
www.enbata.info/articles/lart-de-la-paix

Bake Bidea et les Artisans de la paix ont lancé une importante campagne de soutien aux inculpés de Louhossoa qui comparaîtront les 2 et 3 avril devant le tribunal de Paris. 100 personnalités, dont certaines de premier plan, demandent la relaxe de Béatrice Molle-Haran et de Txetx Etcheverry (pétition à signer sur le site www.bakebidea.com). Enbata pour sa part vous propose la lecture de cette réflexion rédigée par ce dernier en septembre 2017 pour le livre Bake Lumak. Il y revenait sur les paramètres ayant caractérisé l’action de Louhossoa et les enjeux de cette «bataille du désarmement » menée entre le 16 décembre 2016 et le 8 avril 2017.

A visages découverts

La désobéissance civile comporte une caractéristique essentielle : elle se pratique à visage découvert et les militant.e.s qui participent aux actions sont donc sûrs de se faire prendre à tous les coups. Dans les stratégies clandestines, violentes, armées, l’activiste porte une cagoule et peut donc espérer ne pas se faire prendre. Il réalise son action et il fait le maximum pour ne pas être arrêté et jugé pour elle. Cette différence est très importante car quand on est sûr de se « faire prendre à tous les coups », d’être arrêté et jugé pour l’acte qu’on pose, il y a dès lors une obligation que ce dernier soit absolument assumable, devant les juges et devant l’opinion publique. Plus que ça, on doit être convaincu qu’il est légitime, qu’il sera compris et soutenu par le plus grand nombre. Car ce soutien populaire, voire majoritaire, sera notre meilleure protection devant les juges, la répression, et face aux tentatives de criminalisation de notre action.

Cette caractéristique technique, le visage découvert, a ainsi des conséquences politiques et stratégiques fortes. Cela vous oblige à avoir une bonne analyse de la situation politique, des rapports de force en présence, de l’état de l’opinion publique, de ce qu’elle peut trouver légitime ou non, ce qu’elle peut comprendre et soutenir ou non, des forces et faiblesses de votre adversaire, des fenêtres d’opportunité rendant possible ou vaine une action, etc. Si la désobéissance civile n’est pas en phase avec les réalités, si elle prend ses désirs pour des réalités, si elle se construit comme une pratique d’avant-garde volontariste prête à se passer du soutien populaire, elle le paie vite au prix fort et devient rapidement impossible à pratiquer.

Les clefs de Louhossoa

Quand nous avons réalisé cette première opération de désarmement concrète qui a culminé à Louhossoa, nous étions sûrs de nous « faire prendre à tous les coups ». Dans le plan B (que nous avions minutieusement anticipé et préparé) bien sûr, si la police avait vent de cette opération et nous arrêtait en pleine action. Mais également dans le plan A, dans le cas où la police ignorait que nous préparions une telle initiative, et où nous pouvions la mener à son terme sans son intervention.

En effet, même dans le plan A, « nous nous faisions prendre à la fin » puisque notre intention était d’annoncer publiquement, à visage découvert, avoir neutralisé dix caisses d’armement appartenant à l’organisation ETA et notre décision de les remettre aux autorités françaises, en assumant toutes les conséquences politiques et juridiques de cette initiative. Notre analyse de la situation politique nous laissait penser que cette action était non seulement légitime mais susceptible de jouir d’un fort soutien populaire.

L’attitude des deux États français et espagnol était incompréhensible : empêcher une organisation voulant désarmer de le faire. Elle avait des conséquences dangereuses : alimenter les secteurs opposés à l’arrêt de la lutte armée, humilier l’adversaire et donc rendre inévitables les désirs de revanches futures, sans parler de savoir qui pourrait tomber sur ces caches d’armes et d’explosifs disséminées un peu partout dans la nature.

La population du Pays Basque nord, ses élus, pouvaient facilement comprendre notre geste, notre initiative : nous étions connus comme militants non-violents. Opposés à la stratégie d’ETA, nous avions applaudi à sa décision de mettre fin à la lutte armée. Nous avions couché par écrit la philosophie qui nous animait, les objectifs que nous poursuivions. Nous ne faisions là que ce qu’auraient dû faire les deux États depuis cinq ans déjà, à compter du jour où ETA avait prononcé son cessez-le-feu définitif : rentrer en contact avec cette organisation, discuter avec elle des modalités d’un désarmement digne, sécurisé et ordonné, et enfin aider concrètement à ce désarmement, jusqu’à ce qu’il soit total.

Le travail réalisé par Bake Bidea, la déclaration de Bayonne et la conférence de Paris, les appels répétés des élus aux gouvernements pour qu’ils s’impliquent dans le processus de paix, notre appartenance à des réseaux militants dynamiques et présents, non seulement en Pays Basque, mais sur l’ensemble de l’Hexagone, nous permettaient d’espérer un soutien large et immédiat.

Plan A ou plan B, nous pensions que notre initiative allait déclencher une dynamique populaire, participative, politiquement plurielle, qui allait elle-même permettre de prolonger notre premier geste et l’aider à remplir l’ensemble de ses objectifs : aller jusqu’au bout du désarmement, enclencher à partir de là d’autres initiatives visant à répondre aux autres aspects d’un processus de paix juste et globale.

Cette tradition militante, de la non-violence active, de la désobéissance civile, cette culture particulière ont bien évidemment déterminé notre état d’esprit, au moment de notre arrestation par la police et de notre mise en gardeà- vue. En ces moments-là, rien n’était plus éloigné de nous que le sentiment d’un échec, d’une initiative avortée, d’une déception quelconque. Nous rentrions en garde-à-vue en nous disant que tout commençait, et que si tout se passait comme nous l’escomptions, c’était là le début d’une dynamique nouvelle qui pourrait améliorer fortement la situation du Pays Basque, dans la perspective d’une paix globale et durable.

Le sens du 8 avril

La suite nous a donné raison. Louhossoa a accéléré le cours du temps, a créé un avant et un après, a modifié le jeu des deux États, et mis en avant le rôle positif que la société civile pouvait jouer dans le processus de paix. En moins de quatre mois, l’affaire du désarmement était réglée, d’une façon qui ne venait pas créer de blessures ou d’humiliations supplémentaires, de nouvelles haines et volontés de revanches. De la manière dont les deux États géraient la situation depuis 2011, cela aurait pu prendre cinq années de plus et retarder d’autant le règlement des autres questions en suspens, comme le sort des prisonniers et des exilés, la reconnaissance et le devoir de vérité dus à toutes les victimes, l’instauration des bases d’un nouveau vivre-ensemble en Pays Basque, etc.

Le jeu des deux États était modifié et, pour la première fois, on avait l’impression que Paris jouait sa propre partition sur ce dossier, cessant de se comporter en petit télégraphiste de Madrid. Cela décrispa considérablement la situation et contribua nettement à ce que les choses se déroulent au mieux, dans l’intérêt de tout le monde.

L’implication d’élus de toutes étiquettes politiques, de syndicalistes de toutes sensibilités, de militants associatifs les plus divers, d’artistes, de personnalités socio-professionnelles dans la mobilisation pro-paix qui a suivi les événements de Louhossoa a également contribué à modifier — et enrichir — le panorama. Les 20.000 personnes présentes à Bayonne le jour du désarmement, le 8 avril 2017, traduisaient un fait important : la société civile était passée d’un statut de spectatrice — souvent désespérée — des tentatives de paix en Pays Basque, à un rôle d’actrice enthousiaste. Elle donnait une autre dimension au désarmement et à la paix, celui d’un geste historique réalisé au nom du peuple basque. Personne ne devrait plus jamais se réclamer de cette légitimité-là pour justifier un retour à la violence. Et elle interpellait les deux États en leur demandant : « Et vous, maintenant, quels pas êtes-vous prêts à réaliser, pour aider à cheminer plus loin vers cette paix globale et durable que la population du Pays Basque appelle de ses voeux ? ».

Demain la paix ?

Nous l’avons dit et redit, dès les premiers instants : le désarmement n’est pas la paix. Il reste beaucoup à faire aujourd’hui pour arriver à pouvoir parler de paix, et pour enfin la penser irréversible. Immédiatement, il nous faut obtenir un changement des conditions d’incarcération des centaines de prisonniers politiques basques, et de leurs perspectives de libération. Personne ne croit une seconde que la paix pourra se construire avec des prisonniers mourant dans leurs cellules — comme ce fut le cas de Kepa del Hoyo, quatre mois après le jour du désarmement — ou condamnés à y croupir les prochaines décennies. Alors que les responsables des groupes para-policiers GAL ont été condamnés à des peines de 75 ans, suspendues au bout de trois ou quatre années seulement, personne n’y verrait autre chose qu’injustice et politiques de vengeance, porteuses de tensions et de rancoeurs insurmontables. Ce n’est pas sur ces bases-là que nous construirons les bases d’un nouveau vivre ensemble en Pays Basque. Ce qu’il faut également dire aujourd’hui, c’est que la paix n’est pas l’absence de conflits. Les divergences d’options, de visions sur le présent et l’avenir du Pays Basque, les intérêts des uns et des autres, les oppositions entre les différents projets de société subsistent bien évidemment, et persisteront longtemps. Nous ne voulons pas abolir la confrontation entre ces différentes visions, ces différents projets. Nous voulons juste que s’ouvre enfin le temps de la confrontation démocratique, dans un pays qui, du coup d’État franquiste au désarmement d’ETA, a connu 80 ans d’affrontement armé ininterrompu. Nous voulons juste que la parole et l’intelligence remplacent les armes et la violence. Nous voulons qu’à l’art de la guerre succède celui de la paix. Et nous attendons que chaque partie en présence démontre dans les faits que c’est également là sa volonté.

 

Txilarre bat ekologiarentzat
Joseba Azkarraga Etxagibel
www.berria.eus/iritzia/artikuluak/txillarre-bat-ekologiarentzat_2119670_102.html

Egunkari honetan bertan, 2012an, zera idatzi nuen: «Bide-orri sozio-energetikoak behar du bere Loiola, behar du bere Aiete». Hau da, herri-estrategia behar zen fosilismoaren eta hiper-dependentziaren ziklo historikoa gainditzen hasteko. Premia bizia genuen, oro har, tolesgabe lotzeko zibilizazio-erronka itzelari (energia-klima-bioaniztasuna hirukoari).  

Hamabi urte geroago, oraindik ez dugu ekologiaren bueltan antolatu euskal politika, are gutxiago ekonomia, baina erdigunera ekarri dira funtsezko batzuk. Berriztagarriak, esaterako, dela inspirazio neoliberal, sozialdemokrata edota ekosozialistatik. Eta sortu da zatiketa ekologismo eraldatzailean (ekologismo eraldatzailean sartzen ditut sen poskapitalistako aktore anitz, arlo ezberdinetan: herri mugimenduak, tokiko elkarteak, eragile politiko-instituzionalak, eta akademia). Leize handiegia zabaldu da lagun estrategiko beharko luketenen artean. Elkarri epelak esanez, tarteka.

Eko-pragmatikoek argi laburrak piztu dituzte: berriztagarrien aldeko hautu urgente eta masibo samarra, orain; urrutiko lurraldeak ustiatu beharrean, hemen. Argi luzeek hain irudi (klima) distopikoa erakutsiko ez duten esperantzarekin. Eko-antagonistentzat, ordea, logika hondagarri beraren ezpal dira bai eolikoak gure mendietan nola eguzki plakak gure lurretan.

Gauzak horrela, orain badirudi Txilarre moduko bat behar dela: ikuspegi ekologista ezberdinen arteko solas pausatua, goxoa, ia intimoa. Txikiak ez diren ezberdintasunak aitortuz, konplizitateak lantzeko egina. Epelak jaurti ordez, beheko suaren epelak hauspotua. Txiolariaren iruzkin iraingarririk gabe, otoi.    

Energia trantsizioa ez da auzi erraza, eta arima biak lehian dira herritar askoren baitan ere. Norbere barruko eko-pragmatikoa gal ez dadin logika sistemikoan, tarteka gogorarazi behar diozu arazoa, funtsean, ez dela teknologikoa. Trantsizio energetikoan kontua ez dela soilik kW berdeak sortzea, ezpada energia aprobetxatzea botere-logikak aldatzeko. Eta, azken hamarkadetako molde eko-erreformistaren porrota ikusita, oroitarazi egiozu hurrengoak ziaboga behar lukeela. Esaiozu instituzioak konkistatu behar direla ondo bereiziz alternantzia eta alternatiba. Politika, posible denaren kudeaketa izateaz gain, ustekabeko aukera berriak sortzeko artea dela.

Barruko iraultzaileak ez du ahoan bilorik: ardatz behar ditugu desazkundea eta tokiko ekoizpen (benetan) berriztagarria. Arazoa hasten da hortik marrazten dizunean soilik hormako egutegirako balio lezakeen baserri inguru burujabe zoriontsua. Estanpa bukolikoan nekez baitute lekurik industriatik bizi diren euskal herritar gehienek. Argitu egiozu ekonomia fosilistaren errotiko birmoldatzea ezin dela gaurko sare produktiboaren errotiko likidazioa izan. Ez direla gauza bera (planifikatutako) desazkundea eta hondamendia. Iraultzailearentzat kontua da jendearen sufrimendua arintzea, ez areagotzea.

Sen antikapitalistatik, hain zuzen, errealitate gordinaz mintzo zaigu David Harvey bere azken liburuan: gaur, gure eguneroko bizitzaren birsortzea zeharo lotuta dago kapitalaren zirkulazioarekin. Hau da, Marx eta Bakuninen garaian kapitalismoaren bat-bateko kolapsoa suertatu izan balitz, planetako hanka biko gehienak gai izango ziren sabela betetzeko, tokiko autosufizientziari esker. Gaur ez. Gaur, masiboki huts egingo balu, munduko hanka biko gehienak gosez hilko lirateke. Bitxia da: egun, kapitala aldi berean da bizitzaren suntsitzaile eta gure eguneroko bizitzaren sostengu. Alegia, poskapitalismoa, etortzekotan, ezingo da etorri tupusteko «akontezimendu» garaile gisa, lokatzez beteriko trantsizio konplexu gisa baizik, nahitaez kontraesankorra eta zikina.  

Olatu autoritarioaren izu-zirrarak hotzikaratzen gaituen honetan, bada beste bitxikeria bat. Ekologismo eraldatzailearen bi adierak muturrera eramaten direnean, biak izan litezke, nahi gabe, piztiak behar dituen baldintza material eta subjektiboen sustatzaile. Pragmatikoak, oin harturik baliabideen erauzte kolonial masiboan, arriskua du kapital akumulazioaren aro «berdea» sustatu eta logika hondagarri bera makilatzeko teknologia berriekin. Finean, ekozidioa eta genozidioa. Antagonistak, ordea, sakralizatuz (hemengo) lurraldea eta inpugnatuz eskalatzearen aldeko erreformismo nahitaez lohia, jendartea eraman lezakeelako munstroarentzat bazka paregabea den izura. 

Beraz, bidezidor estua aurretik, labar irristakorrak ezker-eskuin. Jada heldu gara txarraren eta txarragoaren artean erabakitzeko garaira, eta ez dago kontraesanik gabeko hauturik. Normala, bi arimak tenkatzea. Baina, ezberdintasunei garrantzi gramorik ukatu gabe, bada antagonista eta pragmatiko askok parteka dezaketen muina, dela energia kontsumoaren desazkundea, dela formula publiko eta herritarrari bultzada. Oro har, bil daitezke estrategia eraldatzaile plural eta malgura, osagarri eginez komunitate autoeratuak eta politika instituzionalak (eta biek elkar elikatuz).   

Nago arrazoi duela Raul Zelikek: erreforma eta iraultza ez dira kontrajarriak, nahitaez. Ez da Luther King edo Malcolm X. Are, batak bestea behar du. Batetik, erreforma ganorazkoak etorri ohi dira ondoan subjektu antagonista solidoa dutenean. Bestetik, iraultza bihur ez dadin erretorika huts, jantzi behar da trantsizio sistemikorako proposamen zehatz, egingarri eta segurtasun emailez. Biak uztarri berean lotu gabe, erreformismoa sistemaren lifting txatxu bihurtu ohi da; eta iraultza, onenean erreminta defentsibo soil, eta txarrenean, poseari eusteko identitate-oin.

Luxua da lagun estrategikoen artean zabaltzen ari den leizea, ikusita hondamendi globalaren itzeltasuna, nazioarteko ordenaren erortze progresiboa eta, energia aitzakia, euskal herrietan diruzale ugari egiten ari den lurrartze masiboa. Ezberdintasunak aitortuz, bil ditzagun gogo eta energiak baita muin partekatuan ere.