Articles du Vendredi : Sélection du 16 décembre 2011

« Après Durban, limiter à 2 °C le réchauffement est utopique

Stéphane Foucart
Le Monde du 13.12.2011

Sélection d’articles sur Durban :


« Décarboner la production d’énergie d’ici à 2050 »

Hervé Kempf
Le Monde du 15.12.2011

Sept scénarios pour réduire de 80 % les émissions de CO2

Hervé Kempf
Le Monde du 16.12.2011

L’OPECST vote nucléaire

Valéry Laramée de Tannenberg
www.journaldelenvironnement.net/article/l-opecst-vote-nucleaire,26528 – 15.12.2011

Assez de mythes : le nucléaire est plus cher que les énergies renouvelables

Sandrine Mathy, Isabelle Autissier, Adélaïde Colin, Madeleine Charru, Bruno Genty, Stéphen Kerckhove, Sébastien Lapeyre, Serge Orru
Le Monde du 09.12.2011

De la crise en général, et de la dette publique en particulier -Tous les éléments nécessaires pour comprendre leur origine

Jean gadrey, professeur emerite d’economie, membre de la commission stiglitz sur les nouveaux indicateurs de richessses
Enbata-Alda ! du 08.12.2011

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« Après Durban, limiter à 2 °C le réchauffement est utopique

Stéphane Foucart
Le Monde du 13.12.2011

Stéphane Hallegatte est climatologue et économiste à Météo France et au Centre international de recherche sur l’environnement et le développement (Cired). Ce scientifique français est l’un des principaux auteurs du prochain rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), attendu fin 2013. Le GIEC tient une réunion de travail à San Francisco jusqu’au 16 décembre.


Le résultat du sommet de Durban sur le climat, qui s’est achevé dimanche 11 décembre, laisse-t-il ouverte la possibilité de limiter le réchauffement à 2 °C au-dessus du niveau préindustriel ?

Après le compromis trouvé à Durban, il n’y a désormais plus aucune chance de se lancer rapidement dans une réduction des émissions de gaz à effet de serre puisque le grand accord international espéré n’est censé entrer en vigueur qu’en 2020 !

Mais si les émissions ne commencent pas à baisser avant cette date, il faudra faire par la suite des efforts massifs pour les réduire, si l’on veut avoir une bonne probabilité de rester sous la barre des 2 °C. Massifs, cela veut dire une décroissance supérieure à 5 % des émissions mondiales par an. Il faut savoir que la baisse la plus importante de l’histoire s’est produite en France dans les années 1980, pendant le pic de développement de la filière électronucléaire et avec de gros efforts d’économie d’énergie, et que cette baisse n’a été « que » d’environ 4 % par an…

Ce qui a été possible pour un pays riche et développé ne l’est pas pour l’ensemble du monde, avec 2 milliards d’humains qui n’ont toujours pas accès à l’électricité, une population urbaine qui explose et un accès aux transports individuels qui se banalise. Faire baisser les émissions mondiales de 5 % par an sans freiner la réduction de la pauvreté semble impossible.

 

L’objectif des 2 °C est-il donc définitivement perdu ?

Le seul moyen de s’en sortir, c’est de supposer qu’on sera capable de faire des « émissions négatives » très importantes dans la deuxième moitié du XXIe siècle, c’est-à-dire, entre autres pistes, retirer, par exemple, beaucoup de CO2 de l’atmosphère, le capturer et réussir à le séquestrer sous terre. Mais les technologies de capture et de séquestration ne sont pas au point aujourd’hui et leurs risques associés sont difficiles à évaluer.

Limiter le réchauffement à 2 °C est donc un objectif atteignable si l’on s’en tient à des hypothèses extrêmement optimistes. Il faudrait être capable de faire chuter les émissions très vite et très fort après 2020, tout en maintenant de la croissance dans les pays pauvres.

 

Faut-il maintenir un objectif dont à peu près tout le monde sait aujourd’hui qu’il est presque inatteignable ?

Il n’y a pas de consensus sur ce point. Pour certains, il est toujours utile d’avoir comme objectif ce qu’on aimerait voir se réaliser… Mais il est vrai que, si l’on réfléchit aux politiques à mettre en oeuvre avec en tête le chiffre de 2o C, visiblement inatteignable, ce n’est pas très constructif. A un moment, il faudra donc se poser la question d’un changement de pied.

Si d’ici trois à quatre ans, il n’y a pas l’expression d’une volonté politique majeure au niveau mondial pour limiter le réchauffement, les 2 °C deviendront clairement utopiques. En réalité, on est près du moment où il sera intenable de continuer à inscrire cette cible dans les accords internationaux et les déclarations politiques. Cet objectif des 2 °C est encore présent dans l’accord signé à Durban.

 

Depuis quand ce chiffre est-il autant mis en avant dans les négociations climatiques ?

Il est apparu dans les textes officiels après le sommet du G20 qui a précédé le sommet de Copenhague sur le climat, en décembre 2009. Mais c’est un chiffre qui a été formulé pour la première fois par l’Union européenne dans les années 1990, à une époque où rester sous les 2°C de réchauffement paraissait relativement facile. C’est un chiffre plus politique que scientifique. Il représente un équilibre entre ce qui avait l’air désirable et ce qui avait l’air possible, à un coût acceptable.

Mais plus on attend avant d’agir, plus il est difficile de tenir un tel objectif. Dans les décisions politiques classiques, décaler une réalisation dans le temps ne change pas fondamentalement le résultat. Avec le climat, c’est très différent : à chaque fois que l’on décale l’action dans le temps, les moyens à mettre en oeuvre sont plus conséquents et les bénéfices à en récupérer sont moindres. L’attente a un coût élevé.

 

Selon vous, que manque-t-il au système de négociations actuel, jugé par beaucoup d’observateurs assez décevant ?

C’est un problème extrêmement difficile. Il s’agit, en réalité, de transformer toutes les économies du monde en les rendant plus propres et de se répartir des efforts importants de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

La négociation s’est construite au début des années 1990, alors qu’il y avait, d’un côté, des pays pauvres et, de l’autre, des pays riches. L’émergence de la Chine, de l’Inde ou du Brésil a tout bouleversé. Et tant que l’équilibre des puissances entre les pays du Nord et les émergents ne sera pas stabilisé, les discussions internationales n’avanceront pas.

A mon avis, nous avons besoin d’actions qui viennent du terrain. Car à côté des résultats décevants de la négociation, il se passe beaucoup de choses localement, même dans des pays comme les Etats-Unis et la Chine.

Des sommes colossales y sont investies en recherche et développement, sur les énergies renouvelables, les économies d’énergie, les transports… Lorsque des projets locaux auront montré qu’il y a des voies de développement et d’amélioration du niveau de vie sans une forte consommation d’énergie fossile (pétrole, gaz et charbon), les négociations aboutiront.

Sélection d’articles sur Durban :


www.actu-environnement.com/ae/news/bilan-conference-durban-2011-climat-14379.php4
(Court extrait de l’atricle d’Agnès Sinaï)

 

Si le GIEC était une agence de notation…

« Retarder toute action réelle après 2020 est un crime aux proportions mondiales« , selon Nnimmo Bassey, président des Amis de la Terre International. « Une augmentation de 4°C de la température mondiale, permise par ce plan, est une condamnation à mort pour l’Afrique, les petits États insulaires, et les pauvres et les personnes vulnérables de l’ensemble de la planète. Ce sommet a amplifié l’apartheid climatique, les 1 % les plus riches de la planète ayant décidé qu’il était acceptable d’en sacrifier les 99 %« .

Selon Pablo Solon, ancien négociateur en chef de l’Etat plurinational de Bolivie, « il est faux d’affirmer qu’une deuxième période d’engagements du protocole de Kyoto a été adoptée à Durban. La décision actuelle a seulement été reportée à la prochaine COP, sans engagement de réduction d’émissions de la part des pays riches. Cela signifie que le protocole de Kyoto restera en vie jusqu’à ce qu’il soit remplacé par un nouvel accord encore plus faible ».

Difficile de voir dans l’issue de Durban autre chose qu’un succès des grands pollueurs de la planète et d’un modèle de croissance spéculative insoutenable. Du Protocole de Kyoto, il restera les mécanismes de projet, MDP et marchés carbone. « Ce que certains considèrent comme de l’inaction est en fait une démonstration de l’échec, palpable, de notre système économique actuel pour répondre aux crises économiques, sociales et environnementales » selon Janet Redman, de l’Institute for Policy Studies, basé à Washington. « Les banques qui ont provoqué la crise financière sont en train de faire d’importants profits en spéculant sur le futur de notre planète. Le secteur financier, acculé, cherche un moyen de s’en sortir à nouveau en développant de nouveaux produits pour soutenir un système défaillant ».

Pour les organisations membres de la plateforme Justice climatique présentes à Durban (Inter-Environnement, WWF, Greenpeace, CSC, FGTB, Oxfam et CNCD-11.11.11), « on voit les dirigeants du monde entier s’affoler devant les menaces des agences de notation, pendant que notre climat continue à se dérégler à grande vitesse. Si le GIEC était une agence de notation, le problème du réchauffement global serait déjà réglé ! ».

 

Voir les liens actifs sur le site de Bizi !:  bizimugi.eu
A Durban, cest celui qui ne sendort pas qui gagne, tribune de Sophie Chapelle
Ces milliardaires qui spéculent sur lavenir de la planète, article de Bastamag par Ivan Du Roy et Sophie Chapelle
Conférence de Durban, lagonie dun mandat, Communiqué Aitec Attac France
Durban : lUnion européenne a-t-elle signé la défaite du climat ? par Maxime Combes
Durban : la nuit naura pas suffit, communiqué du Rac France

« Décarboner la production d’énergie d’ici à 2050 »

Hervé Kempf
Le Monde du 15.12.2011

La Commission européenne a adopté, jeudi 15 décembre, la feuille de route « Energie 2050 ». Le document de 20 pages sera soumis pour discussion au Parlement européen et au Conseil européen, pour parvenir à des engagements éventuels de politique énergétique à l’horizon 2050. Le commissaire à l’énergie, Günther Oettinger, explique le sens de l’initiative qu’il a mise en place.

Pourquoi adopter une feuille de route à 2050 ?

L’Union européenne s’est fixé pour objectif de réduire d’au moins 80 % ses émissions de gaz carbonique d’ici à 2050 par rapport à 1990. Il faut donc s’y préparer. Cette feuille de route permet d’explorer différents scénarios possibles. Le secteur de l’énergie représente plus de 50 % des émissions en Europe. Notre travail est de l’amener vers une production quasiment décarbonée en 2050 tout en assurant la sécurité des approvisionnements et des niveaux de prix prévisibles à cet horizon. Notre démarche est comparable à celle qui a conduit à l’adoption de nos objectifs pour 2020 : réduire de 20 % nos émissions de CO2, porter à 20 % la part des énergies renouvelables dans la production totale d’énergie, et réduire de 20 % notre consommation d’énergie.

De la même manière, nous faisons aujourd’hui une proposition, qu’examineront le Parlement et le Conseil, ainsi que les partenaires sociaux et les ONG. Il s’agit d’engager la discussion, pour que vers la fin 2013, il soit possible de proposer de nouveaux objectifs contraignants pour 2050.

Le document insiste sur le développement de nouvelles infrastructures énergétiques.

Il faut commencer à créer un nouveau réseau moderne et intelligent si nous voulons atteindre un meilleur équilibre entre les différentes sources d’énergie. Des investissements de l’ordre de 140 milliards d’euros sont nécessaires pour le réseau électrique et de 70 milliards pour le réseau de gaz.

L’installation de nouvelles infrastructures suscite souvent l’opposition des populations riveraines. Comment en tenir compte ?

Nous avons fait des propositions pour que les règles internes d’autorisation dans les pays membres changent. Il faudra parvenir à un haut niveau d’acceptation. Le meilleur argument pour cela sera la réduction des émissions que ces infrastructures vont apporter.

Pourquoi la politique d’économies d’énergie avance-t-elle si difficilement, comme en témoignent les obstacles que rencontre le projet de directives sur l’efficacité énergétique ?

Pour les Etats membres, atteindre un haut niveau d’efficacité énergétique signifie investir maintenant pour en tirer les bénéfices dans quinze à vingt-cinq ans. C’est difficile en ce temps de crise budgétaire.

Pourquoi serait-ce plus un problème pour les économies d’énergie que pour les infrastructures ?

Les infrastructures sont financées par les consommateurs en renchérissant le prix payé au kWh. Tandis que les investissements dans l’efficacité énergétique des bâtiments publics, des écoles, des hôpitaux… sont financés sur les budgets publics.

Comment concilier la contradiction des politiques nucléaires suivies par les deux plus grands pays européens, l’Allemagne et la France ?

Le choix du mix énergétique est de la compétence des Etats membres. Mais dans les prochaines années, il faudra que la politique allemande s’imbrique avec celles de la Pologne, de la République tchèque, de l’Autriche, des Pays-Bas et de la France. Un groupe de travail a été mis en place pour réfléchir à l’intégration des politiques énergétiques des différents Etats membres, notamment pour les infrastructures.

Pourquoi la feuille de route estime-t-elle que la consommation électrique est vouée à augmenter ?

En raison de l’importance de la consommation d’énergie liée à notre mobilité. Le développement de la voiture électrique va entraîner une consommation accrue d’électricité. Ce basculement pourrait, selon nos calculs, générer une hausse de 15 % à 20 % de la consommation électrique au cours des vingt prochaines années.

Vous anticipez une hausse des prix de l’électricité.

La construction de nouvelles infrastructures va peser sur les prix mais elle accroîtra notre sécurité énergétique et permettra de renforcer la solidarité entre les pays européens. D’ici à 2020, le surcoût lié à ces nouvelles installations pourrait représenter, hors inflation, une hausse de 12% à 15% de la facture.

Sept scénarios pour réduire de 80 % les émissions de CO2

Hervé Kempf
Le Monde du 16.12.2011

La feuille de route énergie 2050 étudie sept scénarios. Ils combinent à des degrés divers les principaux outils possibles de réduction des émissions : les économies d’énergie, le développement des énergies renouvelables, la capture et séquestration du carbone (CSC) et le recours à l’énergie nucléaire.

A côté des scénarios « conservateurs » qui prolongent les tendances actuelles en intégrant uniquement les décisions prises récemment – notamment au lendemain de l’accident de la centrale nucléaire de Fukushima ou le projet de directive de taxation de l’énergie -, le document explore des pistes très différentes. L’une d’entre elles repose sur une forte politique d’économies d’énergie, conduisant à une diminution de la demande d’énergie de 41 % en 2050 par rapport au pic de la consommation qu’a connu l’Union européenne en 2005-2006. Cela implique des normes d’efficacité sur les équipements électriques et sur les nouveaux bâtiments, ainsi que la rénovation des bâtiments existants, et l’obligation pour les compagnies d’énergie de réaliser des économies d’énergie.

Autre possibilité, le marché décide du bouquet énergétique, toutes les énergies concourant sur la base de leur prix de marché sans soutien spécifique pour l’une ou pour l’autre ; la Commission suppose que le public ne s’oppose pas à la CSC et à l’énergie nucléaire.

Les 27 Etats membres peuvent aussi décider de soutenir fortement les énergies renouvelables conduisant à ce qu’en 2050, elles assurent 75% de la consommation d’énergie et 97% de la consommation d’électricité. La Commission propose enfin deux scénarios mettant plus ou moins en avant la technique de capture et de séquestration du carbone. Sans recours important à cette technologie avant 2050, la part de l’énergie nucléaire pourrait atteindre 18% dans la consommation d’énergie primaire contre 14% aujourd’hui. A l’inverse, si le CSC couvre 32% de la production d’électricité, la Commission entrevoit un recul du nucléaire. L’arrêt de tout investissement dans le nucléaire est également envisagé – seuls les projets déjà engagés seraient menés à terme. La part du nucléaire tomberait à 3%.

L’OPECST vote nucléaire

Valéry Laramée de Tannenberg
www.journaldelenvironnement.net/article/l-opecst-vote-nucleaire,26528 – 15.12.2011

Dans son dernier rapport, l’Office parlementaire envisage la construction d’une trentaine d’EPR. Enfin, une bonne nouvelle pour Areva. Plan social déguisé, mine d’uranium au prix faramineux, des EPR au prix pharaonique, tout cela est du passé. Et l’avenir s’annonce serein. Du moins, si l’on suit les conseils de l’office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST).

 

Après 7 mois d’enquête, l’OPECST a rendu, jeudi 15 décembre, son rapport sur l’avenir de la filière nucléaire française. Un sujet qui tient à cœur pour Claude Birraux (le président de l’office) et Christian Bataille. Voilà des décennies que les deux députés bataillent, à coup de rapports, d’auditions, voire de descentes sur site, pour améliorer la sûreté des installations, sécuriser le dispositif réglementaire et améliorer la gestion des déchets nucléaires. Cette fois, c’est autre chose.

 

Soucieux de prendre part au débat énergétique qui s’est amorcé entre la catastrophe de Fukushima et le début de la campagne présidentielle, le député UMP de Haute-Savoie (Claude Birraux) et son alter ego socialiste du Nord (Christian Bataille) esquissent leur vision du «bouquet énergétique» idéal.

 

Et cet avenir doit comporter une forte dose d’énergie atomique. Ca n’est pas un scoop, les deux parlementaires sont de fervents pro nucléaires. Ce qui ne les empêche pas de tacler EDF quand l’électricien national veut développer un réacteur « low cost » avec un partenaire chinois. « La sureté n’a pas de prix », martèle Christian Bataille.

 

Ils sont aussi prompts à défendre l’autorité de sûreté nucléaire (qu’ils ont contribué à créer !) quand la ministre de l’écologie laisse entendre sur France Info à une heure de grande écoute que le gouvernement pourrait décider la fermeture de la centrale de Fessenheim. «S’il s’agit d’une pression exercée sur l’Autorité de sûreté nucléaire, alors c’est inacceptable», s’emporte Claude Birraux.

 

Dans leur rapport, les parlementaires planchent sur 3 scenarii qui, tous, doivent contribuer à la sécurité d’approvisionnement, à la lutte contre le changement climatique, à l’indépendance énergétique. Et garder comme ligne d’horizon le milieu du siècle.

 

Le premier est le maintien de l’atome au niveau actuel de la production d’électricité (autour de 75%), le second est une sortie «brutale et rapide » du nucléaire.Le dernier enfin décrit «une trajectoire raisonnée». «Rester sur nos acquis», pour reprendre l’expression de Christian Bataille, suppose de remplacer progressivement les réacteurs actuels par des EPR d’Areva. Un scénario cher et audacieux. Cher, car le coût unitaire de l’EPR tourne, pour le moment, autour de 5 milliards d’euros. Ce qui met le montant du devis à près de 300 milliards d’euros. Certes, l’effet de série réduira sûrement le montant final de la facture, à condition de trouver rapidement une solution économique pour gérer les millions de mètres cubes de déchets générés par le démantèlement de 58 tranches de seconde génération. Ce qui est audacieux.

 

On l’aura compris, la sortie du nucléaire n’est pas non plus le choix de prédilection des députés. L’adaptation française de ce scénario à «l’allemande» est presque angoissante : démantèlement de 58 tranches, construction de 63 GW de capacités thermiques (à gaz), mise en service d’une vingtaine de GW renouvelables. Avec une facture, dont le montant atteint 210 milliards. Sans oublier le doublement de l’empreinte carbone du secteur électrique et la perte des 400.000 emplois directs et indirects de la filière nucléaire. Rien n’est dit, en revanche, sur les créations d’emplois dans les secteurs thermiques et renouvelables. Passer l’hiver dénucléarisé nécessitera aussi de restreindre la consommation d’électricité et d’importer davantage de gaz et d’électrons. Bref, la balance commerciale s’alourdira d’une cinquantaine de milliards d’euros par an. Car, dans le même temps, les industriels français ne seront pas capables d’exporter leurs turbines à gaz ni leurs éoliennes.

 

Reste la «trajectoire raisonnée». Elle consiste à prolonger la durée de vie de la moitié des réacteurs jusqu’à 50 ans et remplacer les tranches arrêtées par des EPR. Ce qui suppose, au total, la construction d’une trentaine d’exemplaires du «petit» dernier d’Areva en une quarantaine d’années. Ambitieux, si l’on regarde les délais de construction d’Olkiluoto 3 ou de Flamanville 3. Organisant «une transition progressive vers une moindre dépendance à l’énergie nucléaire», (on passerait de 75% de part du nucléaire dans la production d’électricité, à 50% vers 2050 et 30% vers 2100) ce programme n’est possible qu’à plusieurs conditions.

 

D’une part, que le bâtiment (43% de la consommation d’énergie primaire à lui seul) réduise son appétit. Les deux députés militent pour une généralisation de la construction de bâtiments basse consommation (BBC). Ils préconisent la création d’une autorité indépendante chargée d’accélérer la construction d’immeubles sobres. Ouvert au renouvelables, le système électrique «raisonné» pallierait le problème de l’intermittence de la production éolienne ou photovoltaïque par le développement des réseaux intelligents (smart grids) et des systèmes de stockage d’énergie : centrales de pompage-turbinage, unités de méthanation. La aussi, l’ardoise promet d’être salée.

 

Aussi intéressants soient-ils, ces exercices de prospectives souffrent d’au moins deux lacunes. Personne ne sait quelle sera l’évolution de la demande d’énergie, en général, et d’électricité en particulier. Les avis sont partagés entre ceux qui pensent que les effets conjugués du progrès (les appareils sont de moins en moins gourmands) et de la hausse des prix vont faire baisser la consommation de façon structurelle. D’autres craignent que les économies d’énergie obtenues dans certains usages suscitent des surconsommations dans d’autres (effets rebonds). «Un avatar sur Second Life consomme autant qu’un Brésilien, soit 5 kWh par an», résume Christian Bataille.

 

Parallèlement, le plus grand mystère règne encore sur le coût du démantèlement complet d’un réacteur de puissance et du traitement de ses déchets. Les experts seront peut-être plus éclairés sur ce dernier point lorsque la Cour des comptes publiera, dans les premières semaines de 2012, son rapport sur le prix de la filière nucléaire tricolore.

Assez de mythes : le nucléaire est plus cher que les énergies renouvelables

Sandrine Mathy, Isabelle Autissier, Adélaïde Colin, Madeleine Charru, Bruno Genty, Stéphen Kerckhove, Sébastien Lapeyre, Serge Orru
Le Monde du 09.12.2011

L’affirmation est martelée au point de passer pour une évidence : le nucléaire coûterait moins cher que les énergies renouvelables. « Corollaire » : diminuer la part du premier pour développer les secondes, comme le propose par exemple l’accord Europe Ecologie-Les Verts-PS, augmenterait le prix de l’électricité, appauvrirait les ménages et amènerait les usines à délocaliser. Pourtant, cette affirmation est déjà fausse et le sera encore plus à l’avenir.

Si l’électricité est moins chère en France que dans la plupart des autres pays européens, c’est parce que l’Etat a longtemps subventionné le développement du parc nucléaire et que le niveau actuel du tarif réglementé ne permet pas de financer le renouvellement du parc, quels que soient les choix à venir entre nucléaire, centrales thermiques et énergies renouvelables. L’évolution récente des coûts de production électrique est, à ce titre, éclairante.

Dès les années 1980, le programme nucléaire français a vu son coût augmenter, évolution qui ne fait que se prolonger avec le réacteur surpuissant EPR. Cette dérive s’observe en particulier sur les coûts d’investissement, un poste très important. Comme le montre un article publié dans la revue scientifique Energy Policy, le coût d’investissement dans les centrales nucléaires françaises a été multiplié par 3,4 en vingt-cinq ans, même en déduisant la hausse du niveau général des prix. L’EPR ne fait que poursuivre cette trajectoire puisque en supposant – hypothèse optimiste – que la facture finale ne dépasse pas la dernière estimation (6 milliards d’euros), on atteint 3,64 euros le watt – 4,7 fois plus qu’en 1974.

Autre problème, ces coûts ne prennent pas en compte le démantèlement des centrales en fin de vie, ceux de la gestion des déchets, du risque d’accident et les divers coûts de fonctionnement. En se développant, la plupart des techniques voient leur coût diminuer par effet d’apprentissage, et c’est le cas pour les énergies renouvelables ; mais, avec le nucléaire, l’inverse se produit : plus on le développe, plus il coûte cher.

 

UNE BAISSE IMPRESSIONNANTE

En comparaison, selon l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, le coût d’investissement de l’éolien terrestre était en 2009 de 1,30 euro le watt. Même « normalisé » pour prendre en compte l’intermittence, le coût d’investissement de l’éolien est environ 15 % inférieur à celui de l’EPR, démantèlement inclus. Et, selon une analyse de Bloomberg, le coût de l’électricité d’origine éolienne, déjà divisé par 4,5 depuis les années 1980, devrait encore diminuer de 12 % dans cinq ans.

Quant à l’énergie solaire tirée des panneaux photovoltaïques, elle a connu une baisse impressionnante : début 2011, un module photovoltaïque coûtait en moyenne 1,20 euro le watt en Europe, contre 4,2 euros le watt dix ans plus tôt. Depuis quelques mois, la moyenne sur le marché allemand est même de 1 euro le watt. Même normalisé pour prendre en compte l’intermittence, le coût d’investissement dans le photovoltaïque ne dépasse plus celui de l’EPR (en incluant le démantèlement) que d’environ 25 %. De plus, les professionnels du secteur anticipent encore une baisse de 35 % à 50 % des coûts d’ici à 2020.

 

Comme l’écrit le Prix Nobel d’économie Paul Krugman, « si la tendance à la baisse continue (et elle semble s’accélérer) nous ne sommes plus qu’à quelques années du point où la production d’électricité à partir de panneaux solaires deviendra moins coûteuse que celle à partir de charbon ». Pour simplifier, les calculs présentés ici laissent de côté les coûts de fonctionnement, mais ces derniers sont du même ordre de grandeur entre éolien et nucléaire, et plus faibles pour le photovoltaïque. De même, si un renforcement du réseau est nécessaire en cas de développement des renouvelables, c’est aussi le cas pour l’EPR (340 millions d’euros pour la ligne Cotentin-Maine nécessitée par l’EPR de Flamanville).

Nous vivons un moment historique : celui où les énergies renouvelables deviennent moins coûteuses que l’électricité d’origine nucléaire ou fossile, pour peu qu’elle soit obligée de payer pour ses externalités négatives : émissions de CO2, risques d’accidents, déchets radioactifs… La France se crispera-t-elle sur une technique dépassée, ou se tournera-t-elle vers la seule manière durable de produire de l’énergie : la mobilisation des flux d’énergie renouvelable, et celle, indissociable, des économies d’énergie ?

 

Sandrine Mathy, présidente du RAC
Isabelle Autissier, présidente du WWF France
Madeleine Charru, présidente du CLER
Adélaïde Colin, porte-parole de Greenpeace France
Bruno Genty, président de France Nature Environnement
Stéphen Kerckhove, délégué général d’Agir pour l’Environnement
Sébastien Lapeyre, directeur du CNIID
Serge Orru, directeur général du WWF France

 

De la crise en général, et de la dette publique en particulier -Tous les éléments nécessaires pour comprendre leur origine

Jean gadrey, professeur emerite d’economie, membre de la commission stiglitz sur les nouveaux indicateurs de richessses
Enbata-Alda ! du 08.12.2011

Jean Gadrey est professeur émérite d’économie, collaborateur d’Alternatives Economiques, membre du Conseil Scientifique d’ATTAC et membre de la Commission Joseph Stiglitz sur les nouveaux indicateurs de richesses.

Alda! publie un éclairage très intéressant de Jean Gadrey sur les origines de la crise en général et celle de l’endettement public en particulier.

Les solutions envisageables seront évoquées dans le prochain numéro d’Alda!

 

Les deux grandes causes (liées) de l’excès d’endettement public

 

*avoir confié aux marchés financiers, soit aux gros spéculateurs du monde et leurs banques privées, l’essentiel du crédit aux États endettés à des taux d’intérêt devenus usuraires (dette insoutenable).

En France, Pompidou et Giscard le décident en 1973. En Europe, Maastricht (1992) et les traités ultérieurs interdisent à la BCE de prêter directement aux États. Sans les charges d’intérêt accumulées fixées par ces marchés, ou avec des taux d’intérêt très faibles, aucun État européen n’aurait de dette insupportable !

 

*des inégalités démesurées. L’excès de richesse des très riches alimente la spéculation sur tout.

Ils peuvent rafler la mise (intérêts) des crédits aux États et gagner de l’argent quand les dettes explosent, via des produits financiers faits pour cela.

Ils «jouent» un pays après l’autre, après avoir joué sur l’immobilier américain, sur les produits alimentaires mondiaux, le pétrole ou les matières premières.

Ces inégalités ont été délibérément construites par les gouvernements et le patronat néolibéraux via une fiscalité de classe (cadeaux et niches pour riches), une part croissante de la valeur ajoutée allant aux profits non réinvestis (dividendes), avec un rapport de force en leur faveur «grâce» au chômage de masse.

Les très riches sont doublement ga-gnants : moins d’impôts, plus de profits spéculatifs sur des dettes publiques creusées en partie par ce «moins d’impôt», en partie par les charges d’intérêt des emprunts.

 

Ces causes sont liées : c’est la ploutocratie mondiale qui a poussé à la libéralisation de la finance, à la privatisation du crédit aux États et à l’explosion de la grande richesse.

Des causes complémentaires :

paradis fiscaux, culte de la croissance, concurrence entre territoires

* L’existence des «enfers fiscaux», une création des mêmes acteurs, prive les États de recettes énormes. Rien que pour l’UE, entre 1500 et 2000 milliards d’euros sont ainsi mis à l’abri de toute fiscalité.

* Le culte de la croissance et la concurrence entre territoires sont à l’origine de «grands projets nuisibles» au Nord comme au Sud : dépenses de prestige et militaires, certains grands équipements et infrastructures, grands stades, ports et aéroports surdimensionnés… Une partie de la dépense publique est illégitime pendant que des volets essentiels au bien vivre, des biens communs, sont sacrifiés et exigeraient beaucoup plus de moyens.

La crise où nous sommes plongés n’est pas d’abord une crise de la «mauvaise» régulation financière, même si cela compte. Son explication «systémique» reste à faire, mais, pour y contribuer sur un mode pédagogique, je vous propose un petit tableau de synthèse, en une page seulement  ! Mais je commence par un lien vers une analyse étonnante d’actualité sur le rôle majeur des inégalités sociales dans la crise de 29. Elle émane tout simplement de celui qui dirigeait la Fed à l’époque… Voir “Un excès de profits a provoqué la crise” dans le lien http://gesd.free.fr/eccles.pdf.

Je dois ce lien à mon ami Michel Husson (dont le site regorge de bons documents) qui l’a lui même déniché sur le blog de Jean-François Couvrat. La conclusion : pour que la finance soit moins instable et moins nuisible, il faut aussi que les inégalités soient réduites et que les profits soient limités.

À méditer, pour en tirer des conséquences politiques. Le manque de courage des politiques, à quelques exceptions près, pour s’en prendre à la démesure des revenus, des profits et des dividendes et pour redistribuer massivement est pour moi un sujet de perplexité. Ils se comportent comme des «pousse-aux-crises».

 

Tableau résumant un demi-siècle d’évolution du capitalisme depuis 1950

Le tableau ci-dessous est sous l’angle des facteurs qui ont précipité la crise depuis le tournant vers le «néo-libéralisme» ! Il s’agit juste d’une trame de débats publics dont chaque colonne exigerait bien des développements, et qui reflète une lecture personnelle donc critiquable. J’en indique juste un fil directeur : c’est dans l’analyse des transformations des rapports de pouvoirs, rapports de classe, pouvoirs respectifs de la finance et des acteurs de la production, des acteurs publics et privés, des relations de pouvoir géopolitique, que se trouve à mon sens le mode d’interprétation le plus fécond des grandes transformations depuis 1950. Et peut-être aussi la recherche d’alternatives, qui suppose de s’en prendre aux pouvoirs des acteurs et institutions dont la domination nous a menés là où nous sommes. Mais c’est une autre histoire…

(Suite et fin au prochain Alda!)

 


Années 50, 60 jusque 1975 – « Fordisme » ou « 30 Glorieuses« 

Pouvoirs
Faible pour les actionnaires, fort pour les directions et les « managers« , assez peu de finance spéculative (sauf sur devises) ;

Mouvements ouvriers nationaux influents ;

Puissance publique forte dans l’économie, y compris dans la finance (banques nationales) + État providence en développement presque partout.

Mondialisation, crises

Quand des firmes deviennent multinationales, c’est pour conquérir les marchés étrangers. Peu de délocalisations. La finance internationale a peu de pouvoirs économique Peu de fonds de pension ou spéculatifs ;

Crises financière ou monétaire : peu et assez faibles.

Progrès social, ou régression

Niveau de vie en forte progression, avec nette réduction des inégalités à l’intérieur des pays développés ;

Emplois salariés stables en progression ;

Progrès énormes dans le secteur de la santé et éducation de masse, logement social, infrastructures, etc. ;

Partage de la valeur ajoutée assez favorable, 70% pour salaires (fordisme), peu pour profits non réinvestis (5% de la valeur ajoutée).

Points noirs

Travail industriel tayloriste, ouvriers spécialisés, etc. ;

Pauvreté pour les personnes âgées ;

Société patriarcale, faible taux activité des femmes (40%), pas de vrai contrôle des naissances ;

Pauvreté dans le « tiers-monde » ;

Croissance qui ignore l’environnement.

Années 80-90 – Le capitalisme néo-libéral conquérant

Pouvoirs
Montée du pouvoir des actionnaires et de leurs fonds de placement, de pension, spéculatifs, aussi bien dans les entreprises (développement des critères boursiers) que sur les politiques et la finance ;

Les États libéraux, États Unis et Royaume Uni en tête, organisent le dépérissement de leurs pouvoirs économique et financiers en privatisant/dérégulant sous pression des financiers et des Firmes Multinationales (FMN) ;

Affaiblissement des syndicats et des protections sociales ;

Émergence des pays BRIC (Brésil, Russie, Inde Chine) dans les années 90.

Mondialisation, crises

Firmes globales dominées par la finance actionnariale et ses critères de profit, qui placent les territoires du monde en concurrence, dumping social et écologique, délocalisations… d’où pressions à la baisse sur les salaires. Rôle désastreux FMI et de la banque mondiale puis de l’OMC ;

Développement des paradis fiscaux ;

Innovations financières à risques de portée internationale ;

Taux d’intérêt US explosant (1981), d’où crise de la dette du Sud débutant au Mexique dès 1982 puis dans les autres PED (Pays en développement) ;

Crises dans les années 90. Japon (91-92 puis 97-03), grave crise asiatique (monétaire puis globale) en 1997 ;

Dragons asiatiques puis Chine et Inde émergent à l’opposé des recettes libérales type FMI.

Social et environnement

Forte baisse de la part salaires dans la valeur ajoutée et remontée des inégalités et du chômage. Explosion très des hauts revenus dès les années 90. 10 à 15 % de la la valeur ajoutée pour les profits. Emploi « atypique » en forte hausse, insécurité sociale. Intensification du travail. Poussée à l’endettement des ménages.

Empreinte écologique mondiale dépassant les capacités naturelles.

Depuis 2000 – Crises imbriquées culminant en 2007-2008

Les facteurs de la colonne précédente nourrissent des crises imbriquées dont chacune a plusieurs causes :

Financière : spéculatives (bulle internet 2000, immobilier à partir de 2003, matières premières et pétrole). Les revenus immenses des très riches cherchant des profits à court terme amplifient ces phénomènes, tout comme la dérégulation financière et les privatisations dans tous les secteurs de l’économie. Graves crises boursières, du crédit et de la demande en 2008.

Alimentaire : crise mondiale combinant spéculation, destruction libérale de l’agriculture vivrière paysanne au nom du commerce international, dette du Sud, développement des agro-carburants, subventions du Nord à son agriculture productiviste, demande croissante des BRIC.

Géopolitique : l’hégémonie impérialiste des États Unis est remise en question. Nouvelles tensions sur les ressources naturelles.

Sociale : creusement des inégalités, augmentation de la précarité… et de la « mauvaise dette » publique (refus d’impôts justes).

Écologique : crise à impacts sociaux et humains croissants. Pollutions urbaines. Premiers effets du réchauffement climatique (dont migrations, climat.) et des atteintes à la biodiversité. Maladies d’origine environnementales, ressources menacées pour l’eau, les énergies fossiles, la pêche… Pic du pétrole.