Articles du Vendredi : Sélection du 15 mars 2013

Réchauffement climatique : la situation s’aggrave

Maxime Combes
www.bastamag.net/article2971.html

Un accident nucléaire, c’est la fin de la démocratie

Antonio Pagnotta, photojournaliste et auteur de Le dernier homme de Fukushima
Le Monde du 10.3.2013

« La croissance n’est pas la solution, c’est le problème »

Jean Gadrey / Professeur émérite d’économie à l’Université Lille 1. Collabore régulièrement à Alternatives économiques. Auteur de « Socio-économie des services », « Les nouveaux indicateurs de richesse », avec Florence Jany-Catrice (La Découverte, coll. Repères), « En finir avec les inégalités » (Mango, 2006) et « Adieu à la croissance » (Les petits matins/Alternatives économiques).
www.terraeco.net/%EF%BB%BFLa-croissance-n-est-pas-la,48447.html

Changement climatique, pandémies et guerre nucléaire : les trois spectres de l’avenir proche

Immanuel Wallerstein
www.reporterre.net/spip.php?article3976

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Réchauffement climatique : la situation s’aggrave

Maxime Combes
www.bastamag.net/article2971.html

Il ne fait pas bon être climato-sceptique.

La revue Science vient de publier une étude démontrant que le réchauffement climatique récent est « sans précédent » et incomparablement plus rapide que durant les périodes de réchauffement précédentes.

En étudiant les anomalies de température sur plus de 11 000 ans, les auteurs apportent des éléments supplémentaires pour définitivement écarter l’idée selon laquelle le réchauffement climatique actuel serait dû à la variabilité naturelle du climat.

Cette étude est rendue publique quelques jours après que l’observatoire Mauna Loa d’Hawaï ait mesuré un incroyable bond de la concentration de CO2 dans l’atmosphère en 2012.

Celle-ci a augmenté de 2,67 parties par million (ppm) pour atteindre les 395 ppm, approchant l’augmentation record constatée en 1998 (2,93 ppm).

Les premières données de 2013 laissent penser que les tendances ne sont pas prêtes de s’inverser.

Le relevé record de février 2013 est déjà plus élevé que le plus haut niveau atteint en 2012.

La barre des 400 ppm se rapproche, alors qu’il faudrait revenir à 350 ppm pour avoir une chance raisonnable de ne pas dépasser les 2°C de réchauffement climatique.

Pour Pieter Tans, qui dirige l’équipe de mesure des émissions de gaz à effet de serre pour l’administration états-unienne (NOAA), il ne fait aucun doute que « le principal facteur est l’augmentation de la consommation d’énergies fossiles ».

L’Agence Internationale de l’Énergie a recommandé dans un rapport fin 2012 que « notre consommation, d’ici à 2050, ne représente pas plus d’un tiers des réserves prouvées de combustibles fossiles ».

Un accident nucléaire, c’est la fin de la démocratie

Antonio Pagnotta, photojournaliste et auteur de Le dernier homme de Fukushima
Le Monde du 10.3.2013

Après deux ans de photojournalisme intensif sur les conséquences des catastrophes nucléaires de Fukushima, certaines conclusions se sont imposées qui rendent obsolètes tous les débats sur le coût du mégawatt électronucléaire et sur la sûreté de fonctionnement des centrales nucléaires.

 

Prenons l’hypothèse d’un accident nucléaire en France : les conséquences ne seraient pas seulement économiques – le coût s’élèverait à 430 milliards d’euros par réacteur explosé, selon un rapport de l’IRSN. Ni vitales ou écologiques : avant l’irradiation de la population et la contamination de l’environnement, le premier danger auquel il faudrait parer serait d’ordre social et politique : l’effondrement de l’Etat, pesant sur la démocratie, voire sur la République.

Le gouvernement se trouverait alors face à un choix ici sommairement résumé : vendre le château de Versailles pour dédommager les victimes ou abandonner la population irradiée à elle-même afin d’éviter la faillite de l’Etat.

 

Que nous apprend le cas Fukushima ? Aujourd’hui, dans la zone touchée par le panache radioactif, c’est l’abandon de la population qui prévaut : elle n’a pas été évacuée, elle est restée confinée dans les villes contaminées : Minami-soma, Koriyama, Nihonmatsu, Hirono et la ville Fukushima (homonyme de la préfecture qui en tire son nom).

Le déni du danger est l’aboutissement d’une campagne de communication intensive de l’Etat Japonais, relayée par tous les médias. Si bien que ce danger a été, au mieux, intériorisé par les habitants de ces villes, au pire, imposé.

(En 2013, s’agissant de la liberté de la presse, le Japon a chuté de la 22e place à la 53e, selon le classement de Reporters sans frontières). Dans cette cathédrale de déni, le réveil face aux maladies et à la mort n’en sera que plus douloureux.

 

LES IRRADIÉS SONT TRAITÉS COMME DES PARIAS

Dans la préfecture de Fukushima, l’Etat s’est effondré et n’offre plus aucune protection aux citoyens. Les irradiés sont traités comme des parias lorsqu’ils demandent le respect de leurs droits, à commencer par l’accès à un air sain et à une nourriture sans radiation.

Les seniors, les plus de 50 ans, s’affrontent avec la jeune génération. Conscients du risque d’effondrement du pays, les anciens nés dans la notion du sacrifice personnel pour le groupe, intiment aux jeunes de se taire pour ne pas endommager davantage la nation.

Bien que le Japon soit le seul pays au monde à avoir subi deux bombardements atomiques, pour la jeune génération, la situation se résume en une phrase : “A Hiroshima ce fut la colère, à Nagasaki la prière, et aujourd’hui à Fukushima, on exige notre silence.”

Dans le cas d’une fusion de cœur de réacteur nucléaire en France, il serait impossible à l’Etat de débourser les 430 milliards d’euros nécessaires (pour 2013 son budget voté est d’à peine 395,5 milliards euros). Comme il serait impossible de compter sur la soumission des Français devant les mesures draconiennes imposées par la force : verrouillage de la zone rouge pour éviter la propagation de la contamination, loi martiale sur la région pour éviter les pillages, censure sur l’information pour éviter la panique.

Les Français sont plus “subversifs” que les Japonais qui n’ont jamais pris une seule Bastille. L’Etat serait alors pris en étau entre risques de faillite et chaos social, et n’aurait d’autre solution, pour survivre, qu’appliquer les drastiques et cruelles normes sanitaires imposées à Fukushima.

 

Une mini-zone d’évacuation de 20 km de diamètre autour la centrale sinistrée (deux fois le territoire de Belfort, soit 1200 km2), décréter que les zones de 20 millisieverts par an (soit le niveau de radiations acceptée pour les travailleurs du nucléaire) restent habitables et autoriser des taux élevés de radiations dans la nourriture, dont les aliments pour bébés.

 

Les populations irradiées seraient abandonnées à leur sort, c’est-à-dire que, face aux radiations, elles n’auraient d’autres recours que l’autoprotection.

 

C’est la tragique conclusion tirée de ces deux années de reportages sur le désastre de Fukushima. Parmi les risques les plus redoutables de l’industrie nucléaire, rôde la menace politique. En cas de désastre, l’électronucléaire mettrait assurément en danger la République et la démocratie.

« La croissance n’est pas la solution, c’est le problème »

Jean Gadrey / Professeur émérite d’économie à l’Université Lille 1. Collabore régulièrement à Alternatives économiques. Auteur de « Socio-économie des services », « Les nouveaux indicateurs de richesse », avec Florence Jany-Catrice (La Découverte, coll. Repères), « En finir avec les inégalités » (Mango, 2006) et « Adieu à la croissance » (Les petits matins/Alternatives économiques).
www.terraeco.net/%EF%BB%BFLa-croissance-n-est-pas-la,48447.html

Nulle en 2012 et sans doute encore en 2013, la croissance flanche. Mais vivre sans elle est-il pire que tout ? Pas si sûr, pour l’économiste Jean Gadrey qui dénonce l’aveuglement des élites économiques et politiques.

 

Jean Gadrey est économiste et membre en 2008-2009 de la « Commission Stiglitz ».

 

On nous dit que, sans croissance, c’est la régression sociale, on ne peut pas réduire les dettes, ni le chômage, ni la pauvreté, et l’on n’aura pas les moyens d’engager la transition écologique. Pourtant, je propose de dire « Adieu à la croissance », qui est le titre de mon livre (voir les bonnes feuilles sur le site d’Alternatives économiques).

Il serait temps que les économistes, s’ils veulent être « responsables », prennent en compte les risques écologiques et qu’ils se posent les questions suivantes : et si ce culte de la croissance relevait d’un aveuglement des élites économiques et politiques ? Et si la quête de la croissance, fondée sur des gains de productivité sans fin, était l’un des facteurs de crises, voire la plus grave des menaces à terme pour l’humanité ? Et si, quoi que l’on fasse, la croissance ne revenait jamais dans les pays « riches » ? Et si une « prospérité sans croissance » était possible et nécessaire pour sortir de la nasse où nous sommes ? Et si notre pays était immensément riche sur le plan économique, ce qui permettrait de faire face à tous les défis, sans croissance, dans le cadre d’une transition ambitieuse ?

Ces hypothèses sont de plus en plus crédibles. Le graphique joint représente l’évolution, depuis 1949, des taux annuels de croissance. On ne peut certes rien en conclure sur les évolutions futures, mais cela pourrait au moins faire réfléchir les dévots de la croissance.

 

Les causes du plongeon

Bien des raisons expliquent cette baisse spectaculaire. La poursuite de la croissance se heurte d’abord à différentes limites sociales. Elle n’est plus depuis longtemps un facteur de mieux vivre, vu qu’elle est définie comme la progression quantitative d’un « truc technique », le PIB (Produit intérieur brut), lequel n’a pas été fait pour enregistrer la qualité de la vie individuelle et collective, les dommages écologiques, les inégalités, le temps libre, le bénévolat, le travail domestique, etc. Comme le disait en mars 1968 le sénateur Robert Kennedy, quelques mois avant son assassinat, « le PIB mesure tout, sauf ce qui fait que la vie vaut d’être vécue ». C’est à un constat semblable qu’est parvenue la « Commission Stiglitz » quarante ans plus tard !

Mais la raison qui va devenir la plus importante est écologique. Elle est résumée par cette citation d’un grand économiste américain, Kenneth Boulding : « Celui qui pense qu’une croissance exponentielle infinie est possible dans un monde fini est soit un fou soit un économiste. »

La finitude des ressources naturelles se manifeste notamment par les premiers effets du pic du pétrole et de bien d’autres pics (le « peak all », le pic de tout), qu’il s’agisse de ressources non renouvelables, extraites du sous-sol, qui s’épuisent et dont le prix va grimper sans cesse, ou de ressources en principe renouvelables mais tellement surexploitées qu’elles ne parviennent plus à se renouveler : climat, eau, biodiversité, forêts, terres arables…

Les avocats de la croissance à perpétuité font penser à de mauvais médecins qui jugeraient la santé d’une personne par la croissance de sa taille et de son poids alors qu’elle a atteint un âge où son développement qualitatif, individuel et social, devrait primer. C’est pour cela que nous vivons sous un régime d’obésité consumériste, au demeurant très inégalitaire.

Et le chômage dans tout ça ?

Mais alors, si la croissance prend fin dans les pays riches, et s’il faut le souhaiter pour diverses raisons, en particulier pour préserver ou restaurer des patrimoines naturels vitaux aujourd’hui endommagés, le chômage ne va-t-il pas poursuivre son envolée ?

La fin de la croissance sera en effet un drame pour l’emploi si l’on prolonge la trajectoire productiviste symbolisée par les Trente Glorieuses, car les gains de productivité détruisent l’emploi s’il n’y a pas assez de croissance. Sauf – c’est une première piste à exploiter – si l’on réduit la durée du travail. Je suis favorable au passage assez rapide et négocié en France aux 32 heures ou à la semaine de quatre jours à la carte. Mais ce n’est pas la seule piste.

En effet, rien ne nous condamne à viser toujours plus de productivité, surtout quand on mesure les dégâts humains et écologiques que cela entraîne, mais aussi la dégradation de la qualité dans bien des cas, dont des cas récents dans l’agriculture et l’alimentation. Il faut s’orienter vers des gains de qualité et de durabilité (le « toujours mieux » à la place du « toujours plus »), qui ont déjà été dans le passé des sources de création d’emplois et qui devraient l’être beaucoup plus à l’avenir : agroécologie, construction et isolation thermiques, énergies renouvelables, circuits courts, relocalisation, mobilité douce, services de bien-être, etc.

Par exemple, on a besoin d’environ 30% d’emplois en plus dans l’agriculture biologique pour produire les mêmes quantités, donc sans croissance quantitative. On est là dans une logique vertueuse favorable aussi bien à l’environnement qu’à la santé publique, à l’emploi et au sens retrouvé du travail. C’est vrai dans bien d’autres activités. La soutenabilité écologique et sociale n’est pas l’ennemie de l’emploi, et donc de la protection sociale, contrairement au productivisme. Encore faut-il des politiques résolues pour cette grande bifurcation, et une réduction des inégalités. Des scénarios de très bonne qualité existent, il faut les mettre à l’agenda politique. Ils ne sont nullement régressifs, bien au contraire.

5% du PIB part en dividendes

Privés de croissance, reste à savoir comment les pouvoirs publics pourraient dégager les financements nécessaires à la protection sociale et à la transition écologique sans creuser la dette. En réalité, on cherche les clés sous le réverbère de la croissance et pas là où elles se trouvent, du côté des inégalités, des privilèges, du pouvoir économique d’une infime minorité, et de la maîtrise du crédit. En termes économiques, les Français sont environ deux fois plus riches qu’au début des années 1970. En fait, les « marges de manœuvre » financières de gouvernements qui chercheraient les clés au bon endroit sont considérables. Voici trois exemples.

 

D’abord, depuis les années 1980, le partage de la richesse économique (la « valeur ajoutée ») a évolué en faveur des profits (principalement les dividendes) et en défaveur des salaires, dans des proportions énormes. Le graphique 2 représente les dividendes versés par les entreprises aux actionnaires depuis 1949 en pourcentage de la masse salariale. Il se passe de commentaires. Aujourd’hui, 100 milliards d’euros annuels, soit 5% du PIB, partent en dividendes. Il faudrait cinq fois moins que ce montant pour éradiquer la pauvreté !

 

Ensuite, selon un rapport du député UMP Gilles Carrez, les niches fiscales représentent au bas mot 100 à 120 milliards d’euros par an de manque à gagner pour l’Etat. Certaines sont justifiées, mais plus de la moitié ne le sont pas et sont jugées inefficaces par la Cour des Comptes.

Enfin, l’évasion fiscale et la fuite dans les paradis fiscaux, plus la fraude fiscale, représentent elles aussi plusieurs dizaines de milliards d’euros de pertes sèches qui ne peuvent servir ni les objectifs sociaux ni les finalités écologiques.

Ajoutons à cela le fait qu’en se privant de la création monétaire par leur propre banque centrale (c’est-à-dire de la maîtrise du crédit), les Etats de la zone euro se sont privés d’un instrument majeur de réorientation écologique des investissements. Il faudrait, comme le demandent la Fondation Nicolas Hulot, le « collectif Roosevelt » et d’autres associations, récupérer cet outil pour financer la transition.

Quand il s’agit de « sauver l’humanité », ne pourrait-on pas faire ce qu’on a fait pour « sauver les banques » ?

 

Changement climatique, pandémies et guerre nucléaire : les trois spectres de l’avenir proche

Immanuel Wallerstein
www.reporterre.net/spip.php?article3976

Les trois phénomènes susceptibles “d’exploser” et avec lesquels nous devons compter : changement climatique, pandémie mondiale et conflits nucléaires.

J’ai déjà expliqué pourquoi, selon moi, l’économie-monde capitaliste se trouve dans une crise structurelle et pourquoi celle-ci nous conduit inexorablement à une lutte politique planétaire dont l’enjeu sera la sortie de crise. Deux solutions tenteront, dans ce contexte, de s’imposer : celle débouchant sur un système non capitaliste conservant du capitalisme ses pires caractéristiques (hiérarchie, exploitation et polarisation), et celle posant les bases d’un système fondé sur une démocratisation relative et un égalitarisme relative, c’est-à-dire un système d’un type qui n’a jamais encore existé.

Ce processus de transition systémique doit cependant prendre en compte trois impondérables ; ces trois phénomènes ont partie liée avec les développements historiques du système-monde actuel et sont susceptibles d’« exploser » – pour ainsi dire – d’ici vingt à quarante ans d’une façon violemment destructrice, avec des conséquences imprévisibles pour la lutte politique planétaire en cours.

Ces trois impondérables sont le changement climatique, les pandémies et la guerre nucléaire. On peut parler d’« impondérables », non pas quant aux dangers que posent ces phénomènes pour toute l’humanité, mais quant au moment où vont survenir les catastrophes. Nos connaissances sur ces questions sont vastes, mais il demeure tellement d’incertitudes et de différences d’appréciation parmi les spécialistes qu’il est impossible – selon moi – de savoir ce qui va se passer exactement. Examinons successivement chacun de ces points.

Le changement climatique semble un fait incontestable, sauf pour ceux qui le nient pour des raisons politiques ou idéologiques. Ses causes sous-jacentes font que le phénomène s’accélère plus qu’il ne ralentit. En outre, du fait des divergences politiques entre Etats riches et moins riches, un accord pour réduire les risques associés au changement climatique paraît tout simplement hors de portée.

La planète est si complexe du point de vue écologique et les bouleversements sont si importants que l’on ne sait pas quels types de changements vont se produire exactement. Ce qui est clair, c’est que le niveau des eaux va augmenter, qu’il augmente déjà et menace d’engloutir de vastes espaces terrestres. Il est également clair que les températures moyennes en différents endroits du monde vont se modifier – elles se modifient déjà. De plus, la situation pourra se traduire par des modifications dans la géographie des lieux de production agricole et énergétique : de nouvelles zones de production pourraient apparaître, de façon à « compenser » les graves dégâts causés en d’autres points du globe.

Le même constat peut être tiré pour les pandémies. Les énormes « avancées » médicales réalisées dans le monde au cours du siècle dernier ont permis de maîtriser de nombreuses maladies, mais, dans le même temps, elles ont créé un environnement où les microbes – le vieil ennemi de l’homme – deviennent plus résistants sous de multiples formes et génèrent de nouveaux types de pathologies très difficiles à combattre pour la médecine.

Par ailleurs, on commence, peu à peu, à se rendre compte que les microbes peuvent parfois être les meilleurs amis de l’homme. Une fois de plus, nos connaissances censément fabuleuses s’avèrent, en fin de compte, très limitées. Dans cette course contre la montre, à quelle vitesse saurons-nous acquérir de nouvelles connaissances ? Et que devrons-nous désapprendre pour être en mesure de survivre ?

Enfin, la guerre nucléaire. Je défends l’idée que les dix prochaines années vont être marquées par la prolifération nucléaire. Je n’y vois pas pour autant un danger accru de guerre entre Etats. C’est même plutôt le contraire qui devrait se produire. Les armes nucléaires revêtent fondamentalement une vocation défensive. Loin d’augmenter le risque de conflits inter-étatiques, elles en diminuent la probabilité.

Cela dit, la prolifération se caractérise aussi par plusieurs impondérables. Les motivations des acteurs non étatiques en la matière ne sont pas forcément les mêmes que les Etats. Il ne fait aucun doute que ces acteurs cherchent à mettre la main sur des armes nucléaires (ainsi que sur des armements chimiques et biologiques) pour les utiliser. Qui plus est, les capacités limitées de nombreux Etats à protéger leurs armes contre d’autres acteurs tentés de s’en emparer, ou de les acheter, pourraient en faciliter l’acquisition par des acteurs non-étatiques. Enfin, le contrôle effectif de ces armes réside fatalement entre les mains de quelques personnes : il ne faut donc jamais exclure la possibilité d’un docteur Folamour – un agent de l’Etat qui perd la tête ou vire de bord.

Il est tout à fait possible que le monde effectue sa transition globale vers un nouveau système-monde (ou plusieurs systèmes) sans connaître aucune catastrophe. Mais l’inverse peut aussi être vrai. Par ailleurs, si le monde accomplit sa transition, il est possible que le nouveau système-monde adopte le genre de mesures susceptibles de diminuer (voire d’éliminer) la probabilité de telles catastrophes.

A l’évidence, on ne peut pas attendre passivement de voir les événements se produire. Dans l’immédiat, nous devons tout mettre en œuvre pour réduire l’éventualité que l’un ou l’autre des trois impondérables n’« explose ». Dans le cadre du système-monde actuel, notre marge d’action politique est toutefois limitée. C’est pour cela que j’emploie ce mot « impondérable » : il est impossible de savoir ce qui va réellement se produire et quels seront les effets des événements sur la transition.

Je voudrais clarifier ma position. Aucun de ces événements néfastes n’est susceptible, en soi, de mettre fin au processus de transition structurelle. En revanche, ils peuvent sérieusement modifier les rapports de force politiques à l’œuvre dans la lutte. Il apparaît déjà clairement que, pour beaucoup de gens, la principale réponse aux menaces consiste à se replier sur soi-même et à favoriser les solutions protectionnistes et xénophobes, ce qui renforce par là même les partisans d’un système oppressif (fût-il non capitaliste). Cette tendance est presque partout observable. Il revient donc aux partisans d’un système relativement démocratique et relativement égalitaire d’approfondir leur compréhension des processus en cours et de redoubler d’efforts pour développer les stratégies politiques destinées à contrer ces tendances.