Articles du Vendredi : Sélection du 15 janvier 2021


En 2020, 4 millions de déplacés supplémentaires dus au climat et à la météo
Margaux Lacroux
www.liberation.fr/terre/2020/12/10/en-2020-quatre-millions-de-plus-de-deplaces-dus-au-climat-et-a-la-meteo_1808180

Près de 23 millions de personnes pourraient avoir été forcées de se déplacer en raison de phénomènes climatiques extrêmes dans le monde cette année, selon l’ONU.

Si 2020 devrait s’inscrire dans l’histoire comme l’année du Covid-19 et des confinements, elle a aussi été marquée par des catastrophes climatiques. Selon l’ONU : on devrait s’approcher des 23 millions de déplacés à cause des événements météorologiques. En 2017, c’était près de 19 millions. Dans son pré-rapport 2020 sur l’état du climat, l’Organisation météorologique mondiale (OMM) écrit que cette année, «les événements climatiques et météorologiques ont déclenché d’importants mouvements de population et ont gravement touché les personnes vulnérables en déplacement». Cela a particulièrement concerné la région du Pacifique et l’Amérique centrale. Cependant, «la plupart des déplacements à grande échelle ont eu lieu dans des pays asiatiques peuplés», ce qui accroît «la complexité des risques et des impacts liés à la mobilité humaine».

Incendies et criquets

En 2018, la Banque mondiale estimait dans un autre rapport que l’on pourrait compter 143 millions de migrants climatiques en 2050. Et l’an dernier, le Giec en a remis une couche. Il rappelait que d’ici la fin du siècle, la seule élévation du niveau de la mer dans un monde à +2°C submergerait l’habitat de 280 millions de personnes.

L’OMM appelle donc à davantage de recherches au sujet des déplacés climatiques. D’autant qu’avec peu de recul temporel, il est parfois difficile pour les scientifiques d’attribuer certains événements extrêmes au changement climatique, qui aggrave et accélère certains phénomènes. Cela commence à évoluer : en 2020, les gigantesques incendies en Australie et l’invasion de criquets en Afrique de l’Est ont par exemple été directement associés au dérèglement du climat. Les réfugiés climatiques, qui jusqu’ici n’avaient pas de statut, ont désormais plus de chances d’être reconnus. Le comité des droits de l’homme de l’ONU a demandé en janvier aux Etats de prendre en compte le changement climatique dans l’étude des demandes d’asile.

Inondations et ouragans

L’année 2020 devrait s’inscrire dans la moyenne des dix dernières années concernant les mouvements de populations dus au climat. Au cours des six premiers mois, l’OMM a comptabilisé environ 9,8 millions de déplacements, en grande partie à cause des «aléas hydrométéorologiques» (tempêtes, inondations, sécheresses et incendies sauvages) et des «catastrophes». Les déplacements se sont «principalement concentrés en Asie du Sud et du Sud-Est et dans la corne de l’Afrique». La deuxième moitié de l’année a, elle, été marquée par les déplacements liés aux inondations dans la région du Sahel, ainsi qu’aux typhons en Asie du Sud-Est et à la saison active des ouragans dans l’Atlantique, qui a battu des records. L’OMM a comptabilisé 30 ouragans dans l’Atlantique Nord cette année, du jamais vu. C’est plus de deux fois plus que la moyenne. Les incendies ont aussi été particulièrement virulents cette année. Aux Etats-Unis, 100 000 Californiens ont dû se déplacer. En Australie, on craint le déplacement sur le long terme de plus de 8 000 personnes.

L’OMM rappelle que la majorité des mobilités s’effectue à l’intérieur des pays. Cependant, les déplacements peuvent aussi être «prolongés pour les personnes incapables de retourner dans leurs anciennes maisons ou sans option pour s’intégrer localement ou s’installer ailleurs». Enfin, l’agence pointe des conséquences psychologiques non négligeables : «En raison des risques persistants ou croissants dans leur région d’origine (et de retour) ou d’installation, les personnes […] peuvent également être soumises à des et des déplacements fréquents, laissant peu de temps pour la récupération entre un choc et le suivant.»

Le projet de loi Climat enterre le délit d’écocide
Justine Guitton-Boussion
https://reporterre.net/Le-projet-de-loi-Climat-enterre-le-delit-d-ecocide

À l’automne, les ministres de la Transition écologique et de la Justice annonçaient la création des délits d’écocide et de mise en danger de l’environnement. L’initiative avait suscité l’intérêt d’associations écolos et de juristes de l’environnement. Las, le projet de loi Climat révélé mardi propose une mesure vidée de son intérêt et sans risque pour les pollueurs.

C’est un coup de communication qui retombe comme un soufflé. Le 22 novembre 2020, la ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili, et son homologue à la Justice, Éric Dupond-Moretti, annonçaient en grande pompe, dans une double page d’interview accordée au Journal du dimanche (JDD), la création de deux nouveaux délits environnementaux : le délit général de pollution, rebaptisé « délit d’écocide », et le délit de mise en danger de l’environnement.

Quasiment deux mois après ces grandes déclarations, le JDD a révélé mardi 12 janvier le contenu intégral du projet de loi Climat (issue des propositions de la Convention citoyenne pour le climat), où figurent ces deux nouvelles infractions. Et ce qui était affiché comme une petite révolution pour « mettre fin au banditisme environnemental » a finalement perdu de son ampleur.

« Nous allons créer un délit général de pollution », affirmait Éric Dupond-Moretti en novembre à l’hebdomadaire. L’idée était alors de prendre l’article L216-6 du Code de l’environnement sur la pollution des eaux, et de l’élargir aux atteintes aux sols et à l’atmosphère — tout en le maintenant. Les juristes en droit de l’environnement y étaient plutôt favorables, puisque cet article sanctionne toute pollution des eaux, peu importe que celle-ci soit une faute d’imprudence, de négligence ou une faute délibérée. Or, « dans le nouveau texte qui nous est proposé, on exclut la faute de négligence et d’imprudence », remarque Me Sébastien Mabile, avocat spécialisé en droit de l’environnement.

Le délit d’écocide serait dans les faits très difficile à faire appliquer

Le projet de loi prévoit effectivement de sanctionner les pollutions faites aux eaux, aux sols ou à l’air, mais uniquement si elles sont le fait d’une « violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement » et si elles « entraînent des effets nuisibles graves et durables sur la santé, la flore, la faune ». Selon certains juristes spécialistes du droit de l’environnement, cette rédaction pose problème.

Pour sanctionner un industriel qui aurait pollué des sols, il faudrait par exemple prouver que celui-ci l’a fait en outrepassant volontairement une norme réglementaire de sécurité. « Or, la majorité des pollutions sont le fait d’imprudences ou de négligences : par exemple, quelqu’un qui a mal refermé une canalisation ou qui a oublié de faire une vérification, explique Me Marine Yzquierdo, avocate et coordinatrice plaidoyer au sein de l’association Notre affaire à tous. Si on enlève ces critères de négligence ou d’imprudence, ça va vraiment restreindre le champ d’application. »

En outre, le texte de loi précise bien que la pollution doit être le fait d’une violation d’une obligation prévue « par la loi ou le règlement ». Sauf que « le règlement, ça vise uniquement les actes de nature réglementaire, c’est-à-dire un acte de portée générale et impersonnelle : un arrêté ministériel, un arrêté interministériel, un décret, etc. » détaille Me Mabile. Donc, en cas de pollution, en plus de devoir démontrer qu’il y a eu une violation manifestement délibérée d’une obligation, il faudrait aussi apporter la preuve que la prescription violée ressort bien d’une prescription de nature réglementaire — ce qui n’est pas le cas dans certains arrêtés d’autorisation d’installations, par exemple.

Et ce n’est pas fini : une fois ces preuves apportées, il faudrait ensuite garantir que la pollution causée a entraîné « des effets nuisibles graves et durables sur la santé, la flore, la faune » (des dommages « susceptibles de perdurer pendant une durée d’au moins dix ans »), alors que l’article L216-6 du Code de l’environnement évoquait de façon plus générale « des effets nuisibles sur la santé ou des dommages à la flore ou à la faune, même provisoirement ».

« C’est toujours pareil, on va avoir des débats sans fin sur le fait de savoir si telle ou telle pollution est grave et durable, soupire Me Mabile. Est-ce que Lubrizol a eu des effets graves et durables sur la santé, la faune ou la flore, susceptibles de perdurer pendant dix ans ? Je ne suis pas certain qu’on puisse le démontrer. »

Ainsi, ce nouveau délit général de pollution, bien que prévoyant des peines importantes de cinq ans d’emprisonnement et d’un million d’euros d’amende, serait dans les faits très difficile à faire appliquer. Il est appelé « délit d’écocide » lorsque la pollution causée est faite avec l’intention de nuire, mais là encore, ce serait difficile à prouver dans un tribunal. L’appellation laisse donc penser qu’il s’agit uniquement d’une façon de répondre aux citoyens de la Convention pour le climat, qui réclamaient la mise en place d’un crime d’écocide — et non d’un délit [1].

« Ce nouveau délit de mise en danger de l’environnement ne sert à rien »

La deuxième nouveauté annoncée en novembre 2020 par Barbara Pompili et Éric Dupond-Moretti était la création d’un « délit de mise en danger de l’environnement ». Grâce à celui-ci, quiconque adopterait un comportement dangereux pour l’environnement — et cela même si aucune pollution n’était constatée — pourrait être condamné. Pour donner un exemple, Barbara Pompili évoquait le 11 janvier au micro de Franceinfo le cas d’un camion « rempli de produits dangereux, qui passe sur un pont qui ne supporte pas son poids » pour économiser du temps.

Cette promesse avait été accueillie favorablement en novembre, à la fois par les associations et par les juristes en droit de l’environnement. « Tous les gouvernements successifs ont toujours refusé de créer un délit de mise en danger de l’environnement. C’est la première fois qu’un gouvernement y accède, c’est assez notable », se réjouissait alors Me Arnaud Gossement, avocat spécialisé dans le droit de l’environnement, auprès de Reporterre.

Sauf que là encore, la mesure a perdu son esprit initial. Dans le projet de loi, ce délit de mise en danger de l’environnement concerne uniquement les faits prévus aux articles L.173-1 et L.173-2 du Code l’environnement et à l’article L.1252-5 du Code des transports. Autrement dit, le fait d’exploiter une installation soumise à autorisation sans posséder cette dite autorisation, ou encore le fait de transporter des marchandises dangereuses dont le transport n’est pas autorisé — selon l’exemple donné aux médias par Barbara Pompili.

« Pour résumer, on ne crée pas un nouveau délit de mise en danger de l’environnement, on ne fait que renforcer un délit existant, déplore Antoine Gatet, administrateur de France Nature Environnement (FNE) et membre du directoire du réseau juridique. Alors que nous, ce qu’on demandait, c’était la création d’un délit général de mise en danger de l’environnement, qui s’appliquerait à toutes les activités, qu’elles soient soumises à autorisation ou pas. »

En outre, là encore, pour utiliser ce délit tel qu’il est prévu actuellement dans le projet de loi, il faudrait prouver que les dommages créés par l’activité dangereuse (ou les dommages qui auraient pu être créés par l’activité dangereuse) auraient des effets graves et durables, qui pourraient perdurer au moins dix ans. « On n’arrive déjà pas à faire appliquer correctement les articles L.173-1 et L.173-2 du Code l’environnement ! gronde Antoine Gatet. Je suis juriste, je défends des dossiers au tribunal et s’il faut que je démontre un risque immédiat de dégradation susceptible de perdurer au moins dix ans, je n’en suis pas capable. Ce nouveau délit ne sert à rien. »

« Jusqu’au dernier moment, certains ont tout fait pour que le délit d’écocide ne soit pas dans la loi »

Si les juristes et associations de protection de l’environnement sont aussi agacés, ce n’est pas seulement parce qu’ils sont déçus de ces nouvelles mesures. C’est surtout car ils savent très bien qui est à l’origine de la régression des ambitions du projet de loi : les organisations patronales (Medef, France Industrie, Afep [Association française des entreprises privées]), via le ministère de l’Économie. Le JDD a révélé le 10 janvier qu’un « bras de fer » était mené en coulisses depuis plusieurs semaines.

« Ce que je peux vous dire sur ce délit d’écocide, c’est que jusqu’au dernier moment, certains ont tout fait pour qu’il ne soit pas dans la loi, affirmait mystérieusement Barbara Pompili au micro de France Info le 11 janvier. Beaucoup ont tout fait pour que ce ne soit pas dans la loi en nous expliquant que ça allait tuer la compétitivité de la France, ce qui est faux, sachant qu’on a des délits qui ressemblent à cela dans d’autres pays d’Europe. »

Si les organisations patronales n’auront pas réussi à empêcher la présence du délit d’écocide dans la loi, ils sont toutefois parvenus à en limiter sa portée. « Je confirme [que l’aspect de négligence n’est plus dans le texte du délit d’écocide] et je confirme que je souhaite qu’on ait un débat là-dessus au Parlement », poursuivait Barbara Pompili sur Franceinfo.

La situation a scandalisé Cyril Dion, garant de la Convention citoyenne, dont les propositions sont à l’origine du projet de loi. « Un message à Bruno Le Maire et aux intrigants du Medef qui ont œuvré, une fois de plus pour détricoter le délit d’écocide qui était déjà un détricotage des propositions de la Convention citoyenne : ce que vous faites est criminel. Pas d’autres mots », a-t-il tweeté.

« C’est quand même dingue que ce soit Bercy qui ait plus de poids que le ministère de la Transition écologique dans les négociations sur ces délits, alors que ça fait des mois que c’est en discussion entre le ministère de la Transition écologique et celui de la Justice, remarque Me Marine Yzquierdo. En quelques semaines, Bercy change tout, c’est vraiment un aveu de faiblesse. »

«Affaire du siècle» : la «carence fautive» de l’Etat pointée par la justice
Julie Renson Miquel
www.liberation.fr/terre/2021/01/14/affaire-du-siecle-la-carence-fautive-de-l-etat-pointee-par-la-justice_1817302

Lors de l’audience de «l’Affaire du siècle», qui s’est tenue ce jeudi devant le tribunal administratif de Paris, la rapporteure publique a demandé la condamnation de l’Etat à verser un euro symbolique aux associations pour le «préjudice moral» de son inaction climatique.

C’est une audience très symbolique qui s’est tenue aujourd’hui devant le tribunal administratif de Paris. Les quatre ONG environnementales à l’origine de «l’Affaire du siècle» (Notre affaire à tous, Greenpeace France, Oxfam France et la Fondation Nicolas-Hulot), dont la pétition lancée deux ans plus tôt a recueilli plus de 2,3 millions de signatures (un record en France), en sont sorties «extrêmement satisfaites et heureuses».

Ces dernières, qui avaient déposé en mars 2019 un recours devant le tribunal administratif de Paris pour «inaction climatique» de l’Etat, ont en effet été soutenues par la rapporteure publique sur un point important : la reconnaissance de «la carence fautive de l’Etat à lutter contre le changement climatique». En cause : le non-respect «de la trajectoire de réduction des gaz à effet de serre qu’il a lui-même établi». La France s’est en effet engagée à diminuer ses émissions de 40% d’ici à 2030 par rapport aux niveaux de 1990, avec pour but d’atteindre la neutralité carbone en 2050. Or les émissions de gaz à effet de serre françaises ont baissé de seulement 0,9% entre 2018 et 2019, alors que le rythme annuel recommandé pour respecter ces objectifs est plutôt de l’ordre de -1,5%, puis de -3% à partir de 2025.

Un retard mis en avant par le Haut Conseil pour le climat lors de son rapport annuel publié en juillet 2020 qui estimait déjà que la réduction des émissions «continue d’être trop lente et insuffisante pour permettre d’atteindre les budgets carbone actuels et futurs». Or «le non-respect du calendrier n’est pas neutre, il implique des émissions supplémentaires, qui viennent aggraver le préjudice écologique», a insisté la rapporteure publique. Durant l’audience, celle-ci a également cité les rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) sur les effets «graves et irréversibles» du réchauffement climatique, tout en énumérant les évènements météorologiques extrêmes (canicules, ouragans, etc.) déjà subis par les Français.

«Préjudice moral»

Concrètement, la magistrate a demandé «la condamnation de l’Etat» à verser un euro symbolique aux associations requérantes (sauf Notre affaire à tous, dont l’existence est jugée trop récente) pour «le préjudice moral» résultant de cette carence. Si les conclusions de la magistrate ne préfigurent pas forcément du jugement qui sera rendu d’ici deux semaines, ces dernières sont souvent suivies par la justice.

 «Ce qui a été dit dans l’enceinte de ce tribunal est remarquable, souligne avec ferveur Cécile Duflot, directrice générale d’Oxfam France. Si les conclusions de la rapporteure publique sont suivies, l’Etat sera condamné pour inaction climatique et, nous l’espérons, sera aussi obligé de réparer cette faute. C’est ça notre objectif.»

«A ce stade, la question de la réparation a été repoussée à une date ultérieure, notamment au rendu de la décision du Conseil d’Etat dans l’affaire Grande-Synthe, précise Clément Capdebos, avocat de Greenpeace France. Je pense que la justice joue pleinement son rôle : celui de rappeler au gouvernement que, lorsqu’il se met lui-même des obligations, il est tenu de les respecter.»

Jean-François Julliard, directeur général de l’ONG, souligne quant à lui la dimension politique de cette affaire : «On a tous entendu Emmanuel Macron se positionner fortement sur ces sujets de climat. Il va forcément être mis au courant de l’issue de cette audience. S’il y a une sanction, une condamnation d’une juridiction administrative vis-à-vis de l’Etat français, cela va être compliqué pour le gouvernement de continuer à prétendre, comme il le fait, que la France est sur une trajectoire exemplaire.»

«Un préjugement sur l’issue de l’histoire»

Pour sa défense, le ministère de la Transition écologique a assuré, durant l’audience, que «condamner aujourd’hui l’Etat» reviendrait à rendre «un préjugement sur l’issue de l’histoire». Et de mettre en avant les avancées de la loi énergie-climat de 2019, tout en soulignant que les émissions de gaz à effet de serre françaises avaient baissé de 1,7% en 2019 et d’entre 10 et 12% en 2020. «Tout laisse à penser que le deuxième budget carbone sera largement respecté», a ajouté l’avocate du ministère de Barbara Pompili.

Certains juristes invitent toutefois à nuancer les éventuelles retombées de ce recours, la rapporteure publique ayant proposé de rejeter la réparation du préjudice écologique «faute de démonstration de l’impossibilité de réparer ce préjudice». Si la portée politique des conclusions de la magistrate est incontestable, d’un point de vue judiciaire, les effets restent en effet encore à démontrer.

En attendant la décision du tribunal, les ONG se disent confiantes et soulignent le chemin parcouru : «Si on regarde deux ans en arrière quand on a lancé « l’Affaire du Siècle », beaucoup nous objectaient que ce n’est pas dans les tribunaux que l’on réglerait cette question, que c’était voué à l’échec. On voit aujourd’hui que ce n’est plus du tout le cas, se félicite Cécile Duflot. Oxfam fait partie d’une organisation internationale, et nos collègues regardent ce qu’il se passe. Que l’Etat français soit condamné pour inaction climatique, cela pèse aussi sur la décision des autres dirigeants. On l’a vu au Pays-Bas, la décision en 2019 dans l’affaire Urgenda a conduit le gouvernement à changer. Si la justice bouge, ce sera un point d’appui pour continuer le combat.»

OnePlanetSummit: protéger la biodiversité ou brancher la finance sur la nature?
Maxime Combes, économiste, en charge des enjeux commerce/relocalisation à l’Aitec et porte-parole d’Attac France. Auteur de « Sortons de l’âge des fossiles ! Manifeste pour la transition » (Seuil, 2015).
https://blogs.mediapart.fr/maxime-combes/blog/110121/oneplanetsummit-proteger-la-biodiversite-ou-brancher-la-finance-sur-la-nature

D’apparence consensuelle, la protection de la biodiversité ne l’est pas tant que ça. Tapi dans l’ombre d’objectifs généraux et généreux, c’est en fait un projet nocif qui prend corps peu à peu visant à faire de la nature un capital naturel dont il faudrait confier la protection aux marchés et à la finance. Le OnePlanetSummit, organisé par Emmanuel Macron ce 11 janvier ne semble pas y échapper.

Objet consensuel à souhait, nul ne saurait s’opposer publiquement au fait de « sauver la biodiversité ». Les rapports des scientifiques, des agences de l’ONU et des ONG s’empilent. Les alertes s’accumulent. Les faits sont là, indiscutables : nous sommes les témoins d’une sixième extinction de masse. Des centaines de milliers d’espèces sont en danger. Les années passent, et tous les indicateurs empirent. Au point d’interroger la pérennité des conditions de survie sur Terre. Fait nouveau : de plus en plus d’Etats et d’entreprises privées se sentent obligés de montrer qu’ils ne sont pas indifférents et qu’ils agissent. Preuve que l’opinion a basculé et attend des réponses.

Mais il y a un éléphant dans la pièce. Tout le monde le voit, (presque) tout le monde en fait le constat, mais peu l’énoncent clairement. Cette extinction de biodiversité n’est pas une fatalité. Elle est le fruit d’un modèle économique insoutenable fondé sur la chimie, les hydrocarbures, la déforestation, les pollutions, une agriculture intensive, etc qui, in fine, détruit la biodiversité et les écosystèmes. Chacun.e peut en constater l’amère réalité, mais rares sont celles et ceux qui énoncent clairement le problème. Et encore plus rares sont celles et ceux qui en tirent les conclusions qui s’imposent.

Des altesses royales et des PDG de multinationales pour sauver la biodiversité

La 4ème édition du One Planet Summit qu’Emmanuel Macron a organisé ce lundi 11 janvier, en partenariat avec les Nations unies et la Banque mondiale, n’a pas dérogé à la règle. Les quatre thèmes, la liste des intervenant.e.s et le contenu des présentations l’ont illustré : « protection des écosystèmes terrestres et marins », « promotion de l’agroécologie », « mobilisation des financements », « préservation des espèces et santé humaine ». Autant de sujets relativement consensuels, surtout lorsqu’il s’agit d’énoncer des généralités, sans même discuter des vecteurs de la dévastation planétaire.

Lors de ce One Planet Summit (à réécouter ici), deux altesses royales, de Galles et de Monaco, ont disserté protection de la biodiversité au milieu de chefs d’Etat et de leaders européens qui chaque jour font la démonstration que transformer en profondeur notre insoutenable système économique n’est pas vraiment à l’ordre du jour. Une table-ronde a même réuni la présidente de la BCE (qui soutient des multinationales climaticides comme Total), trois premiers-ministres d’Etats pétroliers qui protègent leur industrie (Canada, Royaume-Uni et Norvège) ainsi que le PDG d’une multinationale française, Schneider Electric qui supprime des emplois après avoir versé un juteux dividende et profité du chômage partiel payé sur fonds publics. #BusinessAsUsual.

One Planet summit, une cautère sur une jambe de bois ?

Pourtant l’ambition affichée était immense. Ce One Planet Summit ne visait rien de moins qu’impulser « un élan politique » et faire de 2021 « l’année de la biodiversité ». La COP15 de l’ONU sur la biodiversité, qui se tiendra en Chine du 17 au 31 mai, vise à devenir l’équivalent de la COP21 sur le climat de Paris en 2015. De multiples annonces attendues ont été confirmées : une « coalition de la haute ambition pour la nature » proposant que 30 % des territoires deviennent des espaces protégés ; une coalition pour augmenter les financements publics et une autre pour les investisseurs privés ; une Grande muraille verte contre la désertification autour du Sahara ; une alliance de recherches sur la « prévention de l’émergence de zoonoses » (Prezode), etc.

Mais rien qui ne permette de tirer les leçons de dizaines d’années d’échecs en matière de politique de protection de la biodiversité. Rien qui n’interroge les raisons qui ont conduit à ce qu’aucun des vingt objectifs d’Aïchi pour la biodiversité, définis par la communauté internationale pour la période 2010-2020, n’ait été pleinement atteint. Rien qui ne questionne les moteurs économiques et financiers de la dévastation de la planète. Qui a écouté ce One Planet Summit ne pourra qu’avoir été surpris de l’auto-satisfecit permanent que les convives se sont décernés : comme s’il ne fallait rien changer en profondeur et comme si la communauté internationale allait une nouvelle fois tenter d’expliquer qu’apposer une cautère sur une jambe de bois pourrait être efficace.

Prenons un seul exemple. La France fait de l’objectif de 30% des espaces terrestres et maritimes sous protection l’étendard de l’ambition que les Etats de la planète devraient se donner d’ici à 2030 lors de la COP15. Pour donner l’exemple, Emmanuel Macron veut que la France atteigne ce cap d’ici à 2022. Sur le papier, il est même déjà atteint. Sauf que dans la réalité, seules 1,7% de ces zones sont sous protection forte, loin des 10% envisagés pour 2030. Le plus souvent là où il y a peu de monde, comme autour des îles Kerguelen et dans le nord de la Nouvelle-Calédonie. D’autre part, comme ailleurs sur la planète, le manque de moyens et de personnels est criant et le gouvernement continue à supprimer des postes dans les agences de protection de la biodiversité.

Brancher la finance sur la nature ?

Mais il y a plus insidieux et dangereux que le fait de fixer des objectifs insuffisants ou sans réel contenu. Tapi dans l’ombre de constats et objectifs consensuels, c’est un projet nocif qui prend corps peu à peu, pas à pas, et qui consiste à tenter de brancher la finance sur la nature. Si le propos ne consiste pas ici à en détailler tous les contours (voir la vidéo et les ressources ci-dessous), il suffit de s’arrêter sur le vocabulaire utilisé pour tenter d’en cerner l’ampleur : on ne parle plus de nature, mais de capital naturel, et même d’une « assurance-vie » qu’il faudrait protéger. Si les termes de banques de biodiversité et de compensation biodiversité, si décriés, tendent à disparaître, c’est pour laisser place aux termes de « solutions fondées sur la nature », de « zéro pertes nettes » et de « neutralité » qui font tous référence, directement ou indirectement, à des outils d’arbitrage de nature financière.

Combien vaut la pollinisation des plantes par les abeilles, le rôle des mangroves et des coraux, l’absorption du carbone par les arbres ? Voilà le genre de questions qui sous-tendent désormais les réflexions et politiques de protection de la biodiversité qui s’appuient sur ce concept de capital naturel : la nature n’est plus un tout aux fonctions écologiques entremêlées qu’il faudrait protéger globalement mais une somme de « services écosystémiques » que l’on pourrait séparer de façon analytique et évaluer sur le plan monétaire. Charge ensuite aux marchés, aux entreprises et aux Etats de mettre en place les bons outils pour attirer les financements nécessaires.

Ce travail de sape, entrepris il y a plus d’une vingtaine d’années désormais, nous conduit droit dans le mur. Les écosystèmes, complexes par nature, ne peuvent être réduits en éléments simples et échangeables les uns avec les autres, et ou évalués sur un plan monétaire pour inciter les acteurs privés et les marchés à s’en préoccuper. On l’a vu avec le marché du carbone qui, en raison de défaillances internes et d’effets d’aubaines pour les entreprises, a montré que les marchés et les acteurs privés ne sont pas les mieux armés pour garantir la protection de la nature.

Le Prince Charles trace l’horizon de la finance verte

Sans doute est-ce le Prince Charles qui a été le plus clair dans l’énonciation de cet objectif visant à brancher la finance sur la nature : « faire du capital naturel un domaine d’investissements pour attirer plus de capitaux », précisant, comme nous le craignions dans un précédent billet, que « les objectifs de neutralité carbone » pris par de plus en plus de multinationales allaient « considérablement faire croître le marché de la compensation carbone ». Est-ce la perspective recherchée en matière de protection de biodiversité ? Est-ce le futur que nous désirons ?

Pour aller plus loin :

Maitemina amaitzen denean
Joseba Azkarraga Etxagibel – EHUko irakaslea
www.berria.eus/paperekoa/1906/006/002/2020-12-26/maitemina-amaitzen-denean.htm

Txertoak txerto, baikortasuna ez da, ez, garaion ezaugarri. Gogora datorkit bizilagun gazteago batekin oraintsu izandako berriketaldia: mundua norantz ote doan, zelan ari zaigun kontua iluntzen… Ez genuen elkar ezagutzen halako digresioetan. Isilagoa ni, eta harritu ninduen zein garbi ikusten zuen mundua lehia errukigabean jartzen ari zela, nork eskuratuko eskasten ari ziren baliabideak. Beti izan dira horrela, baina are gehiago orain, azpiko zulotik ura erruz sartu eta sumatzen denean ez dagoela salbamendu txaluparik guziontzat. Bere izaera onkote eta aurrerakoiarekin, «jar gaitezke elkarri begiak ateratzeko puntan» zioen.

Bat-batean adierazi zuenak hunkitu ninduen gehienbat, hala ere. «Ikusita euskal gizartearen indar ekonomiko eta industriala, zorionez ez gara izango erortzen lehenak; gure aurretik asko daude». Iruditu zitzaidan mende honen sorbalda politikotik jaitsi eta bizkar hezurra ukitu zuela. Onartzen ari zen «besteak ala gu» lasterketa produktiboa, eta nahiz eta gu munduaren zati handiegia jaten ari (berak esana), are handiagoa jateko prestutasuna azaltzen ari zen. Eta enpatiaz libratzen ari zen, besteak kanporatuz ukimen kognitibo eta afektiboko eremutik (arma asko eta onegiko sasoian).

Tonua zitaldu zitzaion bizilagun onkoteari. Une batez, irudi luke deabrutze-kasua, bere arimaz jabetu zela garapenkeriaren ernegua, burua bueltaka hasiko zitzaiola arantxatapismoaren bertsio bortitzaren kolpe diskurtsiboz, begiak orbitatik irtenda oihukatuko zuela: «Gasa aterako dugu Arabako lur azpitik!». Ez zen konbertsio satanikoa izan, ordea. Azaltzen ari zen herritar gehienen imajinario ohikoa; jarrera ulergarria. Azaltzen ari zen jarraitu nahi zuela sistemaren onuradun aktibo izaten: berdin dio papurrak heltzen zaizkion edo justiziaz banatzen den, berdin dio geopolitika harraparia eta hondamendi ekologikoa. Hortxe gaude jendarte gisa; ondo dago errealistak izatea.

Ordea, badago alternatiba bat «kolapsa dadila bestea» banderaren aurrean. Ikerketa zientifiko berri batek berretsi du ondo bizi gaitezkeela guztiok (2050ean, 10 mila milioi lagun), 60ko hamarraldiko energia kontsumoarekin. Ikertzaileek diotenez, asko handitu behar litzateke efizientzia energetikoa, asko murriztu kontsumo globala, eta ezberdintasunak desagerrarazi. Bide horretatik eraiki daiteke ekonomia justua, muga biofisikoen barnean, eta sakrifizio materialak ez dira uste bezain itzelak. Alegia, ekologismoa ez da kobazuloetara itzultzea. 60ko hamarkadan bazegoen lanik, oporrik eta garagardorik.

Zentzuz automugatuz gero, badago nahikoa denontzat. Aldiz, ase nahi izanez gero, kultura kapitalistak sortutako premiak, praktikatu beharko dugu biolentzia estruktural are zantarrago bat, premiok ase ditzan soilik gaurko gizadiaren zati txiki batek, gainerako bizidunen eta Lur planetaren kontura. Dagoeneko ez da laburra kolapsarazitakoen zerrenda sadikoa: Yemen, Libia, Siria, Irak, Afganistan, Nigeria…

Santiago Muiñok inoiz zehatzago adierazi du dilema: laster, gasaren ekoizpen gailurrera heldu, eta, ondorioz, Aljeriak uzten dionean gasa esportatzeari (asetzearren bere beharrizan propioak), Espainia eta Frantzia bezalakoek erabaki beharko dute Aljeria inbaditu ala energia askoz gutxiagorekin konformatu.

Bikote harremanetan interesgarriena nola hasten den maitemina desagertzean (dopaminak utzi dionean eromenari eusten, alegia), halaxe jarriko gaitu proba erabakigarrian baliabideen eskasiak (hazkundeak utzi dionean eromen kolektiboari eusten). Are dentsitate handiagoa har lezake «besteak ala gu» bunker politiko-kulturalak, maiteminaren ostean sarri gailentzen diren bezalaxe gatazkak eta gorrotoa. Kasu horretan, hor kanpoan diren trumpismoa eta Bolsonaro soilik ez, exortzizatu behar genuke baita hemen barruan den konplizea ere. Masakre historikoak ez baitira gertatu ziraun itxurako ezin gaiztoago gutxi batzuek egindakoagatik, ezpada bestaldera begiratu duten andanagatik, sarri onuradun aktibo izan guran.

Hautatu behar dugu maitemina amaitzen ari den honetan: metabolismoa sinpletu (justiziaz, enpleguz eta burujabetza sakonduz) ala bestea akabatu (edo kolapso latzera eroan, antzera dio). Bigarrena saihesteko behar dugu txertoa, eta ez espero erantzunik zientzian. Ez eta konponbiderik ere Arabako lur azpian.