Articles du Vendredi : Sélection du 14 janvier 2022


L’hiver est mort et nous regardons ailleurs
Hortense Chauvin
https://reporterre.net/L-hiver-est-mort-et-nous-regardons-ailleurs

Les températures hivernales ont fortement augmenté au cours des dernières décennies, bouleversant nos repères climato-météorologiques. Alors que les manifestations normales de l’hiver sont souvent perçues comme exceptionnelles, la douceur est à l’inverse banalisée dans les médias.

« Bonjour la caillante extrême », écrivait le 19 novembre 2021 l’édition toulousaine du magazine Le Bonbon au sujet de l’arrivée d’une masse d’air froid sur l’Hexagone. « Préparez-vous à être frigorifiés », poursuivait-elle en évoquant des températures oscillant autour de 7 °C. Comme chaque année, l’arrivée des premiers frimas en novembre a donné lieu à de nombreux superlatifs, relevait sur Twitter le prévisionniste Florentin Cayrouse. « Une vague de froid va s’abattre sur la France », alertait le site Aufeminin, tandis que La Dépêche et CNews faisaient état d’un « froid polaire » doublé d’un « vent glacial ». À la lecture de ces titres, on pourrait penser que la France s’est brièvement transformée en succursale du pôle Nord. Les conditions météorologiques évoquées étaient pourtant « loin d’être exceptionnelles » pour la période, selon Météo France. Aurions-nous donc oublié ce à quoi ressemble l’hiver ?

Selon Florentin Cayrouse, la tendance qu’ont certains médias à présenter des températures relativement normales pour l’hiver comme exceptionnelles pourrait s’expliquer par notre amnésie environnementale. En raison du réchauffement climatique, les épisodes de froid sont de moins en moins fréquents, explique-t-il à Reporterre. Résultat : « Le ressenti des gens a complètement changé. À force, on a perdu les normalités. »

Le constat est partagé par François Jobard, météorologue à Météo France. « On a perdu les repères de ce qu’est le “vrai froid”, estime-t-il. Des études ont montré que notre mémoire climato-météorologique n’allait pas plus loin que les trois à sept dernières années. Si les hivers sont de plus en plus doux, nos standards peuvent dévier par rapport à ce qu’ils étaient. »

Depuis l’époque des premiers relevés météorologiques, la température hivernale moyenne n’a fait qu’augmenter en France, rappelle-t-il. Entre 1991 et 2020, la température hivernale « moyenne » atteignait 5,8 °C, c’est-à-dire 0,9 °C de plus qu’entre 1961 et 1990. Les manifestations les plus emblématiques de l’hiver, comme la neige et le nombre moyen de jours de gel, ont quant à elles décliné. Entre 1961 et 1990, à Besançon (Doubs), la température était inférieure ou égale à 0 °C pendant en moyenne 72 jours. Trente ans plus tard, la même station météorologique ne décomptait plus en moyenne que 58 journées de gel, soit une baisse de 20 %. « Toutes les stations françaises montrent une baisse du nombre moyen de jours de gel, sans exception », insiste le météorologue.

La lecture du livre Hiver. Histoire d’une saison, de l’historien suisse François Walter, permet de mesurer à quel point nos hivers diffèrent de ceux de nos ancêtres. Jusqu’en 1900, les communes situées à une altitude de 500 mètres étaient en moyenne recouvertes de neige pendant deux mois, souligne-t-il. « Aujourd’hui, la couverture neigeuse à ces altitudes est inférieure à quinze jours. » Dans le roman L’Assommoir, écrit en 1876 par Émile Zola, on apprend qu’il pouvait autrefois « geler à pierre fendre » à Paris. La neige, raconte-t-il, emmitouflait parfois les rues de la capitale pendant trois semaines « sans se fondre ». Difficile, pour un Parisien contemporain davantage habitué à la pluie qu’aux flocons, d’imaginer que les vitres des immeubles pouvaient être recouvertes de « glaçons ».

Ces hivers rigoureux appartiennent désormais aux livres d’histoire, explique François Jobard. Même s’il est encore possible d’observer des épisodes de froid aujourd’hui, ils sont statistiquement bien moins nombreux, moins longs et moins intenses. À Paris, la vague de froid la plus impressionnante des années 1980 a duré 15 jours (du 5 au 19 janvier 1985). La température est restée pendant cinq jours sous le seuil des – 10 °C, avec une minimale de – 13,9 °C. Quelques décennies plus tard, les vagues de froid ont un visage bien différent. « La dernière date de février 2012. Il y a eu des températures inférieures à – 5 °C à Paris pendant 9 jours. Mais on n’est jamais passé en dessous de – 10 °C. Il y a un fossé entre ce qui était perçu comme une vague de froid emblématique dans les années 1980 et dans les années 2000. » Résultat : « Notre perception de l’hiver a changé », selon le météorologue. Plus l’hiver se réchauffe, plus ses manifestations « normales » sont perçues comme exceptionnelles. « Dès qu’il va y avoir un peu de vent, de froid ou de neige, on en parle comme si un tsunami climatique allait s’abattre sur la France, analyse Philippe Dubois, auteur de La grande amnésie écologique. On a dramatisé ces évènements météorologiques, et oublié qu’ils faisaient autrefois partie du paysage. Quand j’étais petit (dans les années cinquante), il neigeait chaque hiver en Île-de-France. Elle tenait parfois pendant huit jours. Maintenant, c’est le sujet d’information de la journée. »

Des douceurs dangereuses pour les plantes

La douceur hivernale est, à l’inverse, normalisée, voire présentée comme bénéfique. Fin décembre, l’Hexagone a enregistré pendant plusieurs jours des températures en moyenne supérieures de cinq degrés aux normales de saison. À Marseille, le thermomètre a atteint les 21 °C. Il s’agissait, selon Météo France, de la semaine la plus chaude mesurée depuis 1947.

« Certains articles ou séquences de journal télévisé en ont parlé en insistant sur le fait que c’était très agréable et bon pour les commerçants, avec des plans sur les tongs, déplore François Jobard. Il y avait souvent une partie qui mentionnait que c’était du jamais-vu, mais on en faisait moins, si l’on compare avec toutes les tartines que l’on a pu faire sur la prétendue vague de froid du mois de novembre. » Ces températures anormalement hautes peuvent pourtant nuire aux écosystèmes. « Malheureusement, avec les vagues de douceur plus fréquentes et précoces, la nature peut se réveiller avec des jours, voire des semaines d’avance », rappelle Florentin Cayrouse. Les bourgeons apparus trop tôt peuvent être détruits en cas de gel printanier, comme ce fut le cas l’année dernière. Le froid hivernal permet également de détruire certains parasites.

Le bouleversement brutal des équilibres climatiques a changé notre vision de cette saison. « L’hiver a toujours été une saison redoutée, détaille François Walter. Jusqu’au XXe siècle, personne ne le voyait arriver avec plaisir. Cette saison générait de l’anxiété, une peur du froid et de ne pas avoir assez de combustible pour se chauffer. » Même si le manque de lumière peut encore générer de la souffrance, les Européens ont aujourd’hui un rapport bien plus hédoniste à la saison, analyse l’historien. De nouvelles habitudes culturelles ont également fait leur apparition. « L’hiver était un refuge, où le temps s’écoulait plus lentement, avec des rituels associés à ce repli sur l’intérieur. Aujourd’hui, il arrive qu’il fasse suffisamment chaud pour que l’on puisse boire un café en terrasse en décembre ou début janvier. Ce sont des choses qui ne se faisaient pas auparavant, et qui sont aujourd’hui relativement courantes. »

L’historien observe un « transfert » symbolique entre l’hiver et l’été. La saison du givre et des plaines blanchies était perçue par nos ancêtres comme la plus redoutable. C’est désormais l’été et sa cohorte de canicules qui semble en passe d’hériter du mauvais rôle. Dans un texte publié en 2018, le philosophe Alexandre Lacroix émettait l’hypothèse selon laquelle les bouleversements climatiques se seraient fait une place « au plus intime de nos vies » en « dépla[çant] les saisons de la fragilité » : « Jusqu’ici, les saisons à la beauté la plus fragile — et donc la plus précieuse ! — étaient pour moi l’automne, le printemps, écrivait-il. […] Désormais, c’est le froid qui me paraît fragile, précaire. Un manteau de neige sur la ville, une forêt gantée de gel, une pelouse couverte de gelée blanche à l’aube, une bonne descente du mercure à moins dix m’apparaissaient autrefois comme des manifestations de la puissance de l’hiver, de sa brutalité, comme si le froid était un étau capable de serrer le monde jusqu’à le faire durcir, à le suffoquer. Maintenant, neiges et gel me semblent aussi graciles et précieux que le vol d’un papillon ou la chute d’une bogue de châtaigne décrochée par une bourrasque. »

Philippe Dubois parle quant à lui de « solastalgie », cette souffrance que nous pouvons éprouver en constatant l’état dégradé du monde dans lequel nous vivons : « Nous sommes encore dans une représentation populaire naïve de l’hiver, avec le grand manteau blanc sur les forêts, les stalactites qui pendent aux gouttières des maisons… Mais si on voulait le représenter fidèlement aujourd’hui, il faudrait un temps gris avec de la pluie et du vent ! Ces images nous replongent dans un environnement qui n’existe plus et qui est aujourd’hui perturbé. Nous devrions avoir plus de neige, et nous en aurons de moins en moins. »

Notre tendance à nous focaliser sur les évènements météorologiques ponctuels plutôt que sur le temps long du climat pourrait cependant masquer ces changements, et donc la prise de conscience de la gravité du réchauffement climatique, selon Philippe Dubois. D’où l’urgence de proposer des modules sur l’histoire du climat aux écoliers. Sans cela, nous pourrions selon lui « oublier » à quel point les saisons pouvaient être différentes il y a quelques décennies. Et nos souvenirs de l’hiver fondre comme neige au soleil.

Le gaz « neutre en carbone », la nouvelle combine de Total
Mickaël Correia
www.mediapart.fr/journal/economie/110122/le-gaz-neutre-en-carbone-la-nouvelle-combine-de-total

Depuis fin 2020, TotalEnergies communique sur la livraison par cargo de gaz fossile entièrement neutre en carbone. Une vaste opération de « greenwashing » : le gaz provient d’un discret site d’extraction hyper polluant et les mesures de compensation carbone mises en œuvre par la firme s’avèrent illusoires.

« Nous sommes fiers d’avoir réalisé cette première cargaison, se réjouissait, en octobre 2020, Laurent Vivier, directeur gaz de TotalEnergies. [Cela] marque une nouvelle étape dans notre volonté d’accompagner nos clients vers la neutralité carbone. »

Le groupe français venait, pour sa toute première fois, de fournir du gaz naturel liquéfié (GNL) « neutre en carbone » au géant pétrolier chinois CNOOC.

TotalEnergies l’assure : de son extraction à son expédition, l’empreinte carbone de cette cargaison de GNL a été compensée en finançant, via l’achat de crédits carbone, deux projets de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Il s’agit d’un parc éolien dans la province chinoise de Hebei et d’un programme de protection des forêts, au nord du Zimbabwe.

Un cargo a effectué la livraison depuis la plateforme de production de GNL d’Ichthys, située en Australie, jusqu’en Chine. Trois autres cargos chargés de gaz fossile estampillé « neutre en carbone » sont depuis partis d’Ichthys direction l’Asie. Ils ont été opérés par le pétrolier japonais Inpex et ont en partie bénéficié des crédits carbone achetés par TotalEnergies. Le dernier date de septembre 2021.

TotalEnergies croit beaucoup dans le GNL et la compensation carbone pour apparaître comme un industriel soucieux de la question climatique.

TotalEnergies considère en effet que le gaz étant « la moins émettrice des énergies fossiles », le GNL permet de « répondre à la croissance de la demande mondiale en énergie, tout en contribuant à contenir le réchauffement climatique ».

Qu’importe que les scientifiques martèlent que pour limiter le dérèglement climatique, il faudrait laisser dans nos sous-sols plus de la moitié des réserves mondiales de gaz et diminuer sa production de 3 % par an. Aujourd’hui, la firme tricolore est le numéro deux mondial du GNL, après Shell.

Quant à la compensation carbone, TotalEnergies a débuté en novembre dernier la plantation de 40 millions d’arbres en République du Congo, sur les plateaux Batéké. Ce « puits de carbone » est censé absorber dans le futur une micro-partie des émissions de CO2 de la compagnie. Depuis 2020, une nouvelle unité commerciale interne à TotalEnergies bénéficie d’un budget annuel de 100 millions de dollars pour investir dans les solutions de puits de carbone.

Une installation particulièrement climaticide

Le site industriel d’Ichthys, à partir duquel a été extrait, produit et expédié le GNL « neutre en carbone » depuis 2020, est principalement détenu par la major française (26 %) et le pétrolier japonais Inpex (66 %).

D’un coût total de 45 milliards de dollars, la méga-infrastructure comprend des installations offshore fixes et flottantes à 200 km des côtes de l’Australie et un gazoduc sous-marin relié à une énorme usine de liquéfaction du gaz basée à Darwin, la capitale du nord du pays.

Ichthys figure parmi les lieux de production de GNL offshore les plus intensifs en carbone au monde. Son niveau de rejets important de gaz à effet de serre est dû aux grandes quantités de CO2 contenues dans les gisements de gaz et qui doivent être évacuées, ou à la distance entre les installations maritimes et terrestres qui demande de gros volumes d’énergie pour transporter le gaz à travers 900 km de pipelines sous la mer.

Mais c’est une pratique industrielle particulièrement climaticide qui a, depuis le démarrage d’Ichthys en 2018, fait déraper l’empreinte carbone du site : le torchage.

Ce procédé consiste à brûler le gaz rejeté dans le cadre des opérations de routine de production – pour le forage des gisements par exemple. La combustion du gaz s’effectue en haut d’une torchère, produisant une flamme caractéristique et d’importants rejets de gaz à effet de serre.

Le torchage du gaz libère en effet beaucoup de méthane (CH4), un puissant gaz à effet de serre qui a un potentiel de réchauffement 84 fois plus important que le CO2 sur une période de vingt ans. Selon la Banque mondiale, « Le brûlage à la torche contribue au changement climatique en libérant des millions de tonnes d’équivalent CO2 dans l’atmosphère, avec des effets néfastes sur l’environnement dus aux émissions de méthane. » D’après les spécialistes, la pratique du torchage est largement sous-estimée : son niveau d’émission mondial serait similaire à celui de l’aéronautique ou du transport maritime international.

Pollution en toute discrétion

Fin novembre dernier, plusieurs rapports d’inspection sur Ichthys réalisés par l’organisme australien de réglementation des opérations gazières offshore (Nopsema) ont été rendus publics à la suite d’une demande de communication de documents dont Mediapart a été informé.

Le Nopsema indique que des retards dans « la mise en service de technologies clés de réduction des émissions de gaz à effet de serre » ont entraîné du brûlage de gaz à la torche non prévu dans le plan environnemental du site. Et pas des moindres. Le volume de gaz torché en 2020 était près du double, et en 2018-2019 quasi le quadruple, de celui annoncé originellement par TotalEnergies et Inpex aux autorités australiennes.

Ce gigantesque torchage opéré loin au large, à l’abri des regards, aurait émis rien qu’en 2020, année où TotalEnergies a débuté à communiquer sur son GNL « propre », jusqu’à près de 2 millions de tonnes d’équivalent CO2 dans l’atmosphère. Une pollution climatique similaire à celle causée par un million de voitures.

Selon Capterio, société britannique experte en capture des gaz de torchage, alors que TotalEnergies annonçait en octobre 2020 son premier cargo de GNL « neutre en carbone », le site d’Ichthys était au cours du second semestre 2020 le système de production flottant qui brûlait à la torche le plus de gaz au monde.

Ce problème de torchage est tel qu’il provoque une importante pollution lumineuse. Le Nopsema a alerté en 2021 que « le brûlage à la torche en cours a le potentiel de provoquer des réactions comportementales chez la faune marine sensible à la lumière, de provoquer des changements localisés de la qualité de l’air et l’exposition subséquente de l’avifaune marine aux polluants atmosphériques, et de contribuer au changement climatique ».

En mai 2021, malgré une diminution du brûlage à la torche, une technologie de réduction des émissions qui devait être en place à Ichthys dès 2019 n’était toujours pas opérationnelle.

Un mois plus tard, dans un courrier en date du 1er juin 2021, soit neuf mois après la première livraison de GNL neutre en carbone, le Nopsema a demandé à ce que le plan environnemental d’ Ichthys soit révisé. Malgré ces alertes, de très importants épisodes de torchage ont été relevés à nouveau en août et octobre 2021.

Calculs bidon

Selon le plan environnemental d’Ichthys, l’installation devrait officiellement émettre un total d’environ 7 millions de tonnes de CO2 par an. Un chiffre qui ne semble pas prendre en compte les émanations de méthane (CH4) dues au torchage puisqu’il est affiché en « CO» et non en « équivalent CO». Or les forts rejets causés par le brûlage de gaz à la torche augmenteraient les émissions du site en moyenne de 18 % pour l’année 2020.

Les détails sur les méthodes de mesures des émissions des cargaisons de GNL à compenser demeurent inconnus. Pour le premier cargo livré à l’automne 2020, le média Bloomberg a révélé en août dernier que TotalEnergies a fixé les émissions du volume de GNL livré à 240 000 tonnes d’équivalent CO2. Un volume estimé qui indique que le groupe français a utilisé le système de mesure des rejets de gaz à effet de serre du GNL du ministère britannique de l’énergie dit « BEIS » .

Il n’y a actuellement aucun consensus sur la façon de calculer les émissions totales du cycle de vie d’une cargaison de GNL.

À la livraison du cargo de GNL « décarboné », le directeur gaz de TotalEnergies, Laurent Vivier, s’enorgueillissait que «  les émissions de carbone ont été compensées sur l’ensemble de la chaîne de valeur. » Mais en juillet 2021, deux chercheurs de l’université Columbia de New York ont rappelé que le système de mesure BEIS employé par TotalEnergies « est une estimation générale et ne prend pas en compte la chaîne de valeur ».

L’ONG basée à Bruxelles Carbon Market Watch souligne pour sa part qu’« il n’y a actuellement aucun consensus sur la façon de calculer les émissions totales du cycle de vie d’une cargaison de GNL. […] Le GNL “neutre en carbone’” est le nouveau venu en matière de fausses solutions climatiques, une pratique de greenwashing erronée à bien des égards. »

Tout d’abord, TotalEnergies et son acolyte nippon Inpex ont achetés des crédits carbone labellisés Verified Carbon Standard, la principale norme mondiale de crédit de carbone administrée par l’organisation américaine à but non lucratif Verra. Cette dernière a été pointée du doigt en mai 2021 par The Guardian, qui a révélé que Verra usait de méthodologies « peu robustes » pour certifier les crédits carbone, conduisant à des « crédits de carbone fantômes » et à des projets de compensation aux réductions d’émissions « systématiquement surestimées ».

Par ailleurs, pour acquérir ses crédits carbone auprès d’un programme de protection des forêts au Zimbabwe, TotalEnergies a traité avec une entreprise dénommée South Pole.

Renat Heuberger, son cofondateur, a avoué en août dernier que la sauvegarde des forêts pour compenser les émissions dues au GNL était « un non-sens évident ». Et d’ajouter : « Même ma fille de 9 ans comprendrait que ça ne fonctionne pas. »

Baptisé Kariba, le projet zimbabwéen financé par TotalEnergies pour se draper de vert consiste en la protection de 785 000 hectares de forêt qui absorberaient 3,5 millions d’équivalent CO2 par an. C’est-à-dire que sur une année, la moitié de ce territoire arboré grand comme un département français servirait à peine à compenser les émissions produites en 2020 par le brûlage de gaz à la torche sur Ichthys.

Enfin, TotalEnergies s’est aussi procuré des crédits carbone auprès d’une installation d’éoliennes de la région chinoise de Hebei. Comme l’explique Wijnand Stoefs de Carbon Market Watch : « Ce parc éolien a été construit il y a une décennie, ce qui signifie que les crédits n’ont en rien contribué à réduire réellement les émissions au moment de la signature de l’accord et qu’ils ne le feront pas non plus à l’avenir… »

Interrogé par Mediapart sur sa méthodologie utilisée pour mesurer le volume de gaz à effet de serre à compenser comme sur la prise en compte ou non des énormes dépassements d’émissions à Ichthys dans ses calculs, TotalEnergies s’est contenté de répondre (voir notre boîte Prolonger) que la compagnie « propose à ses clients des solutions sur mesure, à leur demande, visant à compenser les émissions de gaz à effet de serre des produits énergétiques vendus. Ce fut ponctuellement le cas en octobre 2020 avec la livraison à CNOOC d’une cargaison de GNL dont le carbone et le méthane ont été compensés via l’achat de certificats d’émissions Verified Carbon Standard soutenant des projets de haute qualité. » 

Soutiens français publics et privés

En juin 2020, alors que ses émissions de gaz à effet de serre étaient particulièrement élevées, le site industriel d’Ichtys a été refinancé à hauteur de 7,3 milliards d’euros.  À l’heure où Paris milite au sein de l’Union européenne pour que le gaz bénéficie de financements labellisés « verts », la France a été en première ligne de cette climaticide opération financière. D’après les informations obtenues par Mediapart, l’État français, via sa banque publique de crédit à l’export Bpifrance, a contribué au refinancement d’Ichthys à hauteur de 156 millions d’euros.

Pourtant, l’Assemblée nationale a fin 2019 adopté un amendement dans le cadre du projet de loi finance 2020 visant à interdire tout soutien financier à l’exportation aux projets gaziers pratiquant le torchage de routine. En outre, la France et TotalEnergies sont signataires d’une initiative de la Banque mondiale visant à « éliminer le torchage de routine d’ici 2030 ».

Les banques privées hexagonales se sont également illustrées dans l’appui à ce projet fossile. Les groupes BNP Paribas, Crédit agricole, Société générale et CIC y ont, au total, injecté plus de 1,15 milliard d’euros en 2020.

Lors de la dernière assemblée générale de TotalEnergies en mai 2021, Patrick Pouyané, le PDG du groupe, a déclaré vouloir faire du GNL un des « piliers » de la croissance de la multinationale. Et accroître la production de gaz de près d’un tiers d’ici à 2030.

Epilogue sur le mouvement anti-mondialisation
Traduction d’un texte du collectif CrimeThinc qui analyse 22 ans après le blocage de l’OMC à Seattle ce que le mouvement qui a débuté à ce moment là peut nous apprendre aujourd’hui.
https://mars-infos.org/epilogue-sur-le-mouvement-anti-6096

Il y a 22 ans aujourd’hui, des anarchistes et d’autres manifestants ont réussi à bloquer et à fermer le sommet de l’Organisation mondiale du commerce à Seattle. C’était le début spectaculaire de ce que les journalistes ont appelé le « mouvement antimondialisation » – en fait, un mouvement mondial contre le capitalisme néolibéral. Au cours des dernières années, nous avons célébré les vingt ans de plusieurs des moments forts de ce mouvement. Aujourd’hui, nous réfléchissons à ses origines et à ce qu’il peut enseigner aux mouvements contemporains.

Lorsque nous pensons au soi-disant mouvement antimondialisation, nous pensons à des manifestations massives au sommet. Outre la mobilisation historique contre l’OMC à Seattle, nous nous souvenons de la marche du black bloc contre la réunion ministérielle de la Zone de libre-échange des Amériques à Québec en avril 2001, ou des émeutes au sommet du G8 à Gênes en juillet suivant. Mais ces sommets n’étaient que des panaches de fumée s’élevant d’un feu. Pour utiliser une métaphore plus précise, il s’agissait de champignons émergeant d’un réseau mycélien. Le réseau lui-même était composé d’une variété d’espaces et de mouvements participatifs anticoloniaux et contre-culturels répartis dans le monde entier : Des révoltes indigènes comme celle de l’EZLN au Mexique, des mouvements d’occupation comme le Movimento Sem Terra au Brésil et le réseau des centres sociaux squattés en Europe, des mouvements de travailleurs agricoles du sous-continent indien à la Corée du Sud, des mouvements écologiques comme Earth First !, des syndicats de base comme l’Industrial Workers of the World, des milieux de musique underground bricolés comme les scènes rave et punk. Dans tous ces contextes, les gens ont pu développer un discours commun sur leur vie, leurs aspirations et leurs problèmes, et surtout, ils ont pu expérimenter des moyens d’utiliser leur agence collectivement en dehors des impératifs du capitalisme et de la politique d’État. (Par contraste, les réseaux radicaux actuels basés sur l’Internet fournissent souvent un espace virtuel pour le discours sans offrir un espace physique ou temporel partagé pour une expérimentation collective qui rompt avec la logique des institutions qui restent dominantes dans cette société). Dans les contextes susmentionnés, les individus ont pu développer leurs idées et établir des relations durables avant d’entrer en confrontation directe avec les forces assemblées de la répression étatique. L’enracinement dans des espaces sociaux et culturels de longue date a été essentiel au succès de ces mobilisations, car il a permis aux gens de vivre une évolution politique commune, de tisser des liens et d’innover de nouvelles tactiques et de nouveaux discours. Les punks qui avaient joué dans des groupes ensemble ont intuitivement compris comment former des groupes affinitaires ; les militants écologistes qui avaient coordonné des campagnes dans les bois savaient comment faciliter des réunions impliquant des personnes de plusieurs continents. Tout cela a eu lieu des années avant les manifestations massives du sommet qui ont attiré l’attention des photojournalistes. Pour continuer à employer la métaphore du mycélium, la première étape a été pour les spores individuelles de trouver un sol fertile dans lequel germer. La décentralisation a précédé la convergence. L’étape suivante a consisté pour les scènes et les mouvements individuels à entrer en contact, de la même manière que les spores des champignons, lorsqu’elles germent, envoient des fils fongiques cherchant à se connecter les uns aux autres. Bien avant que nous ne convergions lors des manifestations au sommet, les gens qui couvraient ces différents contextes les ont mis en contact les uns avec les autres, démontrant les vertus de ce que les zapatistes appelaient « Un monde dans lequel plusieurs mondes s’insèrent ». Les vieux anarchistes qui avaient survécu aux récessions et aux dictatures du milieu du 20e siècle sont entrés en contact avec les punks ; les punks se sont rendus au Chiapas et ont rencontré des organisateurs indigènes ; les organisateurs indigènes ont appelé à des journées mondiales d’action ; et le reste appartient à l’histoire. S’appuyant sur l’approche qui leur a donné vie, certaines des premières expressions publiques de ce qui est devenu le mouvement contre la mondialisation capitaliste ont été couronnées de succès parce qu’elles ne s’opposaient pas seulement à la politique de l’État et des entreprises, mais aussi à l’espace, et donc aux relations sociales quotidiennes. Par exemple, le mouvement anti-route au Royaume-Uni a créé des occupations à long terme, des zones autonomes temporaires dans lesquelles les gens pouvaient construire de nouvelles relations et un sens partagé de l’objectif. (Ce qui se rapproche le plus de ces occupations au cours de la dernière décennie est probablement le mouvement autour de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes.)

Le mouvement anti-route a contribué à donner naissance à Reclaim the Streets (RTS), qui a cherché à créer des zones autonomes de courte durée dans les environnements urbains, en obstruant et en interrompant immédiatement le mode de vie qui dépendait de la culture automobile. Reclaim the Streets, à son tour, a joué un rôle majeur dans l’organisation du « Carnaval contre le capitalisme » à Londres le 18 juin 1999 – la première journée d’action mondiale vraiment réussie, qui a ouvert la voie à la mobilisation contre l’OMC à Seattle. Aux États-Unis, nous pourrions tracer une trajectoire similaire, en commençant par les occupations de forêts et le Minnehaha Free State. Il est important de souligner que pratiquement toutes ces expériences étaient fondamentalement joyeuses, positives et créatives. Reclaim the Streets organisait des fêtes de rue – oui, ils détruisaient les rues avec des marteaux-piqueurs, mais la police ne pouvait ni les voir ni les entendre car les marteaux-piqueurs étaient dissimulés sous les jupes des échassiers et noyés dans la musique techno. Chaque manifestation met en scène des marionnettes géantes et se termine par un concert punk ou une rave party. Les actions d’art performance prolifèrent, de même que les farces comme celles organisées par les Yes Men, qui créent de faux sites web pour les organisations commerciales mondiales et envoient ensuite des porte-parole se faisant passer pour leurs représentants, infligeant des burlesques farces à quiconque prend les faux sites web pour les pages officielles de ces institutions. Cette approche joyeuse et créative de la résistance est quelque chose que nous avons perdu, même si les confrontations se sont intensifiées dans le monde entier au cours des 20 dernières années. Une atmosphère ludique et inventive s’épanouissait naturellement dans un mouvement issu des espaces contre-culturels. Revisitez avec nous ce récit d’un moment fort de Reclaim the Streets, l’occupation de l’autoroute M41 le 13 juillet 1996 : (…)  Aux États-Unis, en tout cas, l’une des autres choses qui ont permis aux manifestants de fermer le sommet de l’Organisation mondiale du commerce est le fait que rien de tel ne s’était produit depuis une génération. Les autorités ont été prises par surprise et ont fait en sorte que cela ne se reproduise plus. À Seattle, le 30 novembre 1999, les manifestants ont dû faire face à quelque 400 policiers ; en 2017, les manifestants ont dû affronter plus de 28 000 agents de sécurité lors de l’investiture de Donald Trump à Washington, DC, ou 31 000 lors des manifestations du G20 à Hambourg. Au cours des deux dernières décennies, l’État a déversé énormément de ressources pour réprimer les manifestations nationales. Il s’avère que l’on peut jouer à deux sur la stratégie de la convergence. La leçon à en tirer est que nous devons sans cesse déplacer les lignes de bataille et ouvrir de nouveaux fronts, et non nous enliser en essayant de nous répéter dans des situations où les autorités peuvent nous isoler et concentrer toutes leurs forces contre nous. Ce n’est pas tant un argument contre le fait de continuer à employer les mêmes tactiques qu’un argument en faveur de la recherche constante de nouveaux espaces pour les déployer. L’autre élément qui a rendu le mouvement contre la mondialisation capitaliste si puissant à son apogée était qu’en plus d’être hétérogène, il était fondamentalement décentralisé. De nombreux groupes hiérarchiquement organisés y participaient – syndicats, partis politiques, organisations militantes avec un leadership bien établi – mais il n’existait aucun mécanisme leur permettant d’obtenir un contrôle central, de sorte qu’aucun d’entre eux n’a jamais été en mesure de dicter ce qui se passait dans la rue. L’énorme potentiel du « mouvement des mouvements » a émergé de manière organique par le libre jeu des programmes et des tactiques. C’était un chaos plus puissant que n’importe quel ordre. Si ce mouvement était si puissant, que lui est-il arrivé ? Il n’a pas seulement été vaincu par l’escalade policière. Dans un article que nous avons commandé pour Rolling Thunder, notre Journal of Dangerous Living, David Graeber soutient que le mouvement contre la mondialisation capitaliste a atteint un plateau parce que nous avons atteint nos objectifs intermédiaires de discréditer les institutions financières internationales comme l’Organisation mondiale du commerce plus rapidement que prévu. On peut soutenir que cela s’est produit d’autant plus rapidement que, comme nous sortions d’une période au cours de laquelle la marée de la lutte politique avait considérablement diminué depuis les années 1960, les objectifs de nombreux participants n’étaient pas particulièrement radicaux au départ. Une décennie et demie plus tard, aux États-Unis, nous avons vu Donald Trump s’approprier des slogans tels que « Fair Trade, not Free Trade » directement issus de l’aile libérale du mouvement altermondialiste. Ces slogans ont pu lui servir parce qu’ils ne rejetaient pas le capitalisme lui-même – ils laissaient ouverte la possibilité qu’une « meilleure » direction politique puisse le faire fonctionner correctement. Les âmes timides qui ont fait valoir que la rhétorique et les aspirations radicales aliéneraient des partisans potentiels et affaibliraient le mouvement ont ouvert la voie à la cooptation de notre héritage par nos ennemis d’extrême droite. En effet, le mouvement lui-même aurait simplement été appelé le mouvement anticapitaliste sans les réformistes et les journalistes qui ont délibérément supprimé ce langage. Il a fallu attendre le mouvement Occupy de 2011 pour que les anarchistes parviennent à forcer les présentateurs de journaux télévisés et les libéraux à prononcer le mot « capitalisme » à haute voix sans sourire, les obligeant à reconnaître les causes systémiques de la souffrance induite par le marché.  Pour ceux d’entre nous qui n’ont jamais cru que le capitalisme pouvait être réformé – qui ont abordé les sommets sur le commerce mondial comme des occasions de démontrer le type de tactiques et de valeurs qui, nous l’espérions, pourraient se répandre parmi les personnes en colère et désespérées partout dans le monde – l’une des limites que nous avons atteintes était qu’à partir d’un certain point, les confrontations s’intensifiaient plus vite que nous ne pouvions attirer davantage de personnes dans la lutte. Au fur et à mesure que les affrontements s’intensifiaient, il était difficile de résister à l’envie de concentrer toute notre attention sur les adversaires qui se trouvaient immédiatement devant nous – ou, pire encore, de nous concentrer sur nous-mêmes, sur d’autres participants au mouvement – plutôt que de continuer à diriger notre attention vers l’extérieur, vers ceux qui n’étaient pas encore impliqués mais qui auraient pu nous rejoindre, renversant ainsi la situation, si nous avions fait davantage pour nous rapprocher d’eux. L’une des principales fonctions de la police est de nous entraîner dans des querelles privées avec les autorités, nous enfermant dans le genre de bataille étroite qu’ils peuvent gagner, afin de nous distraire du reste du terrain social, y compris de tous ceux qui pourraient encore nous rejoindre mais qui restent sur la touche pour le moment. Nous devrions toujours aspirer à nous adresser aux préoccupations de tous ceux qui sont soumis aux mêmes forces générales que nous dans la société – et pas simplement à un milieu ou un mouvement politique existant. Plutôt que d’intensifier nos tactiques par nous-mêmes, en imaginant que nous pouvons gagner ces batailles par nous-mêmes, nous devrions viser à aider les autres à répondre à leurs besoins en dehors et à l’encontre de la logique de l’État et du capitalisme, en s’efforçant de démontrer les tactiques et les stratégies par lesquelles ils peuvent le faire. Lorsque nous y parviendrons, les luttes sociales s’intensifieront d’elles-mêmes. Ce sont nos succès dans ce domaine qui ont créé le terreau à partir duquel le mouvement contre la mondialisation capitaliste s’est développé. Lorsque vous cherchez à gagner une bataille, il est utile de s’éloigner le plus possible du champ de bataille avant de commencer à élaborer votre stratégie. Le jeu de go est bien plus instructif que le jeu d’échecs. En fin de compte, ce n’est ni l’escalade du maintien de l’ordre, ni notre réduction des effectifs qui ont sonné le glas du mouvement. Le mouvement altermondialiste s’est plutôt retrouvé dans une impasse après les attentats du 11 septembre 2001, lorsque les gouvernements auxquels nous nous opposions ont pu substituer un récit sur le terrorisme, la guerre et la violence ethnique à nos propositions de changement social. Ce changement de discours a été fatal non seulement parce qu’il a distrait ou intimidé ceux qui auraient pu rejoindre le mouvement, mais aussi parce qu’il a permis aux groupes autoritaires qui avaient été mis sur la touche par le mouvement de reprendre l’initiative et d’occuper l’espace de la protestation. Le mouvement anti-guerre, qui a suivi immédiatement le mouvement dit anti-mondialisation de la même manière que la réaction suit la révolution, fournit un contrepoint utile concernant ses forces. Dès le début de l’organisation, les organisateurs de partis marxistes traditionnels se sont assurés de tenir les rênes – et le brouillard du discours « anti-guerre » s’est avéré plus propice à leurs ambitions que l’opposition la plus confuse aux institutions financières mondiales. Immédiatement après les attaques du 11 septembre, les membres du Workers World Party ont organisé la coalition ANSWER comme groupe de façade pour leurs ambitions ; six mois plus tard, en mars 2002, les membres du Revolutionary Communist Party ont créé la coalition Not in Our Name. Ces deux dinosaures ont dominé l’organisation des manifestations pendant les années qui ont suivi. En conséquence, un nombre beaucoup plus important de personnes ont afflué dans les rues – le 15 février 2003 a connu l’une des plus grandes affluences de tous les temps – sans que les mobilisations énergiques qui ont eu lieu contre la mondialisation capitaliste n’aient eu le moindre impact. Dans l’ensemble, les manifestations qui ont eu lieu dans le monde entier le 15 février 2003 ont été les plus suivies de l’histoire de l’humanité, et pourtant elles n’ont absolument rien fait pour gêner l’administration Bush. On pourrait dire que c’est un triomphe de la cooptation que tant d’indignation et de motivation aient été détournées en rituels inefficaces, si peu de temps après que les anticapitalistes aient démontré le pouvoir de l’action directe. Néanmoins, à ce jour, les icônes des années 1960 continuent de faire la leçon aux jeunes sur l’importance d’un leadership centralisé. Nous avons entendu cette critique tout au long du mouvement Occupy, puis lors des soulèvements de Ferguson et de Baltimore, puis lors de la résistance à Trump, et enfin lors du soulèvement de 2020. En réalité, la décentralisation et l’action directe organisée de manière autonome ont été essentielles à tous les mouvements puissants de notre époque, tandis que le leadership centralisé a été fatal à toutes les luttes qui tombent sous son emprise.

Pour s’en convaincre, il suffit de comparer le mouvement pour la « justice climatique », qui s’est enlisé depuis l’afflux de financements d’entreprises à but non lucratif et de stratèges libéraux à la suite du film Une vérité qui dérange d’Al Gore, avec le mouvement contre la police et la suprématie blanche. Comparez la People’s Climate March de 2014, qui a réuni 400 000 personnes derrière un message simple tout en faisant si peu pour protester qu’il était inutile que les autorités procèdent à une seule arrestation, avec le soulèvement de Baltimore d’avril 2015. Beaucoup ont fait l’éloge de la marche pour le climat tout en tournant en dérision les émeutes de Baltimore, les qualifiant d’irrationnelles, d’inadmissibles et d’inefficaces ; pourtant, la marche pour le climat n’a eu que peu d’impact concret, tandis que les émeutes de Baltimore ont contraint le procureur général à engager des poursuites presque sans précédent contre des policiers. Vous pouvez parier que si 400 000 personnes réagissaient au changement climatique comme quelques milliers ont réagi au meurtre de Freddie Gray, les politiciens changeraient leurs priorités. Que pouvons-nous apprendre, en regardant le mouvement contre la mondialisation capitaliste, alors ? Tout d’abord, il convient de replacer le mouvement dans son contexte historique. À l’époque, les anciens mouvements ouvriers du 20e siècle avaient été dépassés par la réorganisation post-fordiste du processus de production, qui transformait le monde entier en une usine composée de pièces instantanément remplaçables. En réponse à cette situation, alors que les organisateurs syndicaux tentaient vainement de conserver le terrain en retrait de leurs victoires précédentes, le mouvement de la contre-mondialisation s’est organisé au niveau international en se basant sur l’impact du capitalisme sur chacun d’entre nous, plutôt que de chercher simplement à défendre la position de certains travailleurs au sein de l’économie. Cette approche préfigurait le succès du mouvement Occupy, qui a également commencé par aborder le capitalisme comme une condition partagée, plutôt que comme une tentative de négocier les conditions pour les étudiants, les travailleurs ou d’autres groupes démographiques spécifiques. Dans les années 1980 et 1990, les espaces de bricolage qui ont contribué à donner naissance au mouvement altermondialiste étaient séduisants parce qu’ils étaient participatifs à une époque où les médias d’entreprise et la politique en général étaient descendants et unidirectionnels. Les médias sociaux que tout le monde utilise aujourd’hui sont une cooptation des modèles participatifs illustrés par le réseau Indymedia qui a émergé pendant l’organisation de Seattle en 1999. Aujourd’hui, il est essentiel pour la stabilité de l’ordre dominant que les attitudes et les allégeances qui le perpétuent semblent émerger de l’expression volontaire des citoyens ordinaires, et non des chefs de partis ou des médias d’entreprise, tous deux largement discrédités. Mais quels besoins un monde de médias sociaux ostensiblement « participatifs » laisse-t-il insatisfaits ? Le besoin d’une présence et d’une connexion réelles, d’une expérience vécue partagée. Nous l’avons constaté lors du mouvement Occupy, et plus récemment lors du soulèvement de 2020 : à l’ère de la connectivité numérique et de l’isolement physique, les gens désirent de toute urgence partager l’espace et le temps les uns avec les autres, partager des expériences qui ne peuvent être réduites à des pixels. Le triomphalisme capitaliste des années 1990 appartient désormais au passé. Le capitalisme du XXIe siècle ne prétend plus que tout le monde va bénéficier de l’économie et de l’État. Il part du principe que les gens seront exclus et déshumanisés par le million. Des politiciens comme Donald Trump ont réussi non pas en promettant aux gens un meilleur niveau de vie, mais en promettant à leurs électeurs que la violence inhérente à la société capitaliste sera principalement dirigée contre les autres. En réponse, nous pourrions prendre du recul par rapport aux confrontations immédiates – qui vont certainement persister et s’intensifier, que cela nous plaise ou non – pour nous demander ce dont les gens ont désespérément besoin aujourd’hui et réfléchir à la manière dont nous pourrions nous organiser à la base pour fournir ces choses comme point de départ de luttes qui peuvent finalement remplacer le pouvoir de l’État par une nouvelle base pour nos relations. Il ne s’agit pas seulement de nourriture et d’abris – que les groupes d’entraide se sont admirablement mobilisés pour fournir et défendre pendant la pandémie – ni d’assurer notre survie face à des catastrophes écologiques de plus en plus répandues. Il s’agit aussi de créer des liens significatifs entre les personnes, de canaliser la créativité hors des espaces virtuels où elle sert les plateformes des entreprises, d’inventer de nouvelles formes de joie et de convivialité. Tels devraient être nos points de départ à l’approche de la prochaine phase de notre lutte contre le capitalisme et la destruction industrielle de la biosphère.

Lufthansak 18.000 hegaldi huts edo ia huts egin ditu neguan aireportuetako ordutegi eskubideak ez galtzeko
Lander Arbelaitz Mitxelena
www.argia.eus/albistea/lufthansa-konpainiak-18000-hegaldi-huts-edo-ia-huts-egin-ditu-neguan-aireportuetako-ordutegi-eskubideak-ez-galtzeko

Pandemia lehertu zenetik hegaldi fantasmen kontua milaka aldiz errepikatzen ari da. Azken datuak Luftahnsa konpainiarenak dira. Nazioarteko aireportuetako ordutegi eskubideak ez galtzeko, 18.000 hegaldi huts –edo oso bidaiari gutxirekin– egin ditu, eta bere jabetzakoa den Brussels Airlines konpainiak, adibidez, bertan behera uzteko moduko beste 3.000 egin dituela jakin berri da.

Le Soir eta RTBF hedabideek egin dute publiko informazioa: Brussels Airlines konpainiak 3.000 hegaldi huts edo ia huts egin ditu azken hilabeteotan aireportuetako ordutegi eskubideak bermatzeko. Albisteak astindua ekarri du herrialde hartan eta Belgikako gobernu federalak Europako Batzordeari idatzi dio eskatuz aireportuetako ordutegiei buruzko arauak birpentsatzeko. Lufthansa konpainia alemaniarrak, bere hegaldi eskubideak ez galtzeko negu honetan 18.000 hegaldi huts edo ia huts egin beharko dituela jakinarazi du, Climáticak jaso duenez. Konpainiaren ustez « zentzurik gabeko hegaldiak dira ». 2020 hasieran, airelineek programatuta zeuzkaten aireratzeko edo lurreratzeko ordutegian %80a bete behar zuten gutxienez etorkizunena hegaldiak antolatzeko eskubidea gal ez zezaten. Hori pandemia gertatu aurretik zen. Ondoren %50era jaitsi zuten, baina oraindik ere gehiago apaldu beharko litzatekela dirudi konpainiek ez dezaten jarraitu bidaiaririk gabeko milaka bidaia egiten, horrek dakarren kutsadura eta zentzugabekeriarekin. Belgikako Mugikortasun Federaleko ministro Georges Gilkinetek Europako garraio komisario Adina Valeani hori eskatuz idatzi diola esan du. Financial Times egunkariaren informazioen arabera, Bruselako agintariek arau horiek aldatzeko presioak sentitzen dituzte. Stay Grounded mugimenduak salatzen duenez, munduko klima beroketaren %5etik %8ra hegazkinek sortzen dute, eta beraz, aire konpainiek neurri arduratsuak hartu behar dituzte klima larrialdiari erantzuteko. Hegaldi fantasma hauek kezka areagotu besterik ez dute egin.