La nature, meilleur rempart contre les catastrophes
Grégoire Allix
Le Monde du 10.05.11
Le volcan islandais, El Niño et la Révolution
Stéphane Foucart
Le Monde du 12.05.11
Vers «une catastrophe juridique internationale»? 1/2
Anne Crignon
Le Nouvel Observateur 13.05.11
Cosima Dannoritzer: « Sakelakoa urtero aldatzeak ez gaitu zoriontsuago egiten »1/2
Lander Arbelaitz
Argia 03.04.11
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La nature, meilleur rempart contre les catastrophes
Grégoire Allix
Le Monde du 10.05.11
Pour se protéger des catastrophes naturelles, faisons confiance… à la nature : restaurer les écosystèmes est plus sûr et moins cher que de dresser des digues et des barrages contre les cyclones, les inondations ou les glissements de terrain. Ce sera l’une des leçons répétées lors de la conférence internationale sur la réduction du risque de catastrophe organisée par les Nations unies, à Genève, du 10 au 13 mai.
« Les infrastructures lourdes donnent une illusion de sécurité qui incite à vivre dans des endroits dangereux et risquent elles-mêmes d’aggraver l’érosion et le dérèglement des écosystèmes« , explique Karen Sudmeier de l’université de Lausanne, experte auprès des Nations unies et de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Pour la chercheuse, « les ceintures vertes qui épongent les crues, les mangroves qui absorbent l’énergie des tempêtes et des vagues, les forêts qui stabilisent les sols offrent une protection équivalente et procurent des bénéfices supplémentaires » : moyens de subsistance, meilleure qualité de l’air ou de l’eau et protection de la biodiversité.
Surtout, cette solution est la moins coûteuse, insistent de nombreuses organisations internationales. Or il y a urgence à se prémunir contre les caprices du climat, avertit l’ONU. « Nous sommes dans un véhicule qui se dirige à une vitesse effrénée droit dans le mur. Nous devons agir« , plaide Margareta Wahlström, représentante spéciale du secrétaire général des Nations unies pour la réduction des risques de catastrophe.
L’humanité se masse toujours davantage dans les zones les plus exposées aux aléas naturels, sur les côtes, les berges des fleuves, souligne le rapport publié, mardi 10 mai, par la Stratégie internationale des Nations unies pour la réduction des catastrophes. « Soumis à d’énormes pressions économiques, les gouvernants prennent des décisions qui accroissent l’exposition aux risques naturels, alors que cela coûte au minimum quatre fois moins cher d’aménager en tenant compte du risque plutôt que de réparer les dégâts« , souligne Andrew Maskrey, l’auteur principal de ce rapport. L’absence d’évaluation monétaire des services rendus par les écosystèmes n’aide pas à inverser la tendance.
« Il est très difficile, au sein de la communauté internationale, de parler de prévention« , se désole Mme Sudmeier. Ce service écologique peut pourtant être considérable : aux Etats-Unis, la protection contre les tempêtes fournie par les zones humides côtières, comme les marais de Louisiane, a été estimée à 23,2 milliards de dollars (16,2 milliards d’euros) par an.
De plus en plus d’expériences l’indiquent : le recours aux espaces naturels commence à s’ancrer dans les esprits.
Confrontée à un risque d’inondation, la ville de New York a décidé, en 2010, d’investir 5,3 milliards de dollars dans des espaces verts installés sur les toits, dans les rues et sur les trottoirs pour absorber davantage d’eau de pluie, au lieu de dépenser 6,8 milliards de dollars en canalisations et en réservoirs.
En Grande-Bretagne comme dans les pays riverains du Danube, la restauration écologique des bassins versants et des berges des fleuves est devenue une priorité de la stratégie de prévention des inondations.
Dans les pays du Sud, un autre modèle se dessine : celui de l’entretien des écosystèmes par les communautés locales, dans une démarche mêlant développement économique, par la diversification des moyens de subsistance, restauration écologique des milieux naturels et préparation aux catastrophes – dispositifs d’alerte, formation aux premiers secours.
« Les villageois connaissent les risques et les écosystèmes, mais ils n’ont pas les moyens d’agir ou sont accaparés par des priorités plus immédiates« , explique Karen Sudmeier. A la frontière du Mexique et du Guatemala, l’UICN encourage les villages dévastés par des glissements de terrain à s’organiser en microcommunautés de bassins versants. Au Sri Lanka, l’organisation aide des communautés rurales à restaurer les mangroves pour se protéger des tempêtes.
« Les écosystèmes sont un rempart efficace contre les cyclones ou les inondations habituels, pas contre les événements extrêmes« , tempère Mme Sudmeier. Contre les tsunamis qui ont ravagé l’océan Indien en 2004 ou le Japon le 11 mars, la nature n’offre pas plus de secours que les barrages érigés par l’homme.
Le volcan islandais, El Niño et la Révolution
Stéphane Foucart
Le Monde du 12.05.11
Au printemps 2010, l’éruption de l’Eyjafjallajökull avait remis le Laki au goût du jour. Plusieurs journaux rappelaient comment cet autre volcan islandais, entré en éruption en juin 1783, avait, peut-être, participé à la montée des mécontentements qui allaient déboucher, six ans plus tard, sur la Révolution française.
L’affaire est moins simple qu’il n’y paraît. D’abord parce que cette lecture déterministe est, de longue date, très contestée par certains historiens. Ensuite parce que le Laki a, semble-t-il, eu bon dos. Et que l’un de ses effets les plus notables – l’extrême rigueur de l’hiver 1783-1784 – pourrait n’avoir pas grand-chose à voir avec son éruption. C’est, en tout cas, la conclusion des travaux de chercheurs américains, publiés dans la dernière édition de Geophysical Research Letters. Selon la climatologue Rosanne D’Arrigo et ses coauteurs du Lamont-Doherty Earth Observatory (université Columbia, New York), le froid terrible qui a sévi cette année-là en Europe et en Amérique du Nord n’avait pas de lien direct avec les poussières rejetées par l’explosion du Laki.
Les auteurs ne contestent nullement les effets majeurs de l’éruption – ressentis jusqu’au Japon -, en particulier les pertes de récoltes, les milliers de morts intoxiqués par les nuées crachées par le volcan, etc. Mais, après avoir analysé les cernes de croissance de centaines d’arbres européens et américains, ils ne voient pas la « signature » du volcan dans la rigueur de l’hiver qui a suivi.
CERNES DE CROISSANCE
A quoi l’attribuer ? Le parallèle avec 2010 reste d’actualité. Car l’analyse des cernes de croissance de centaines d’arbres européens et américains, reconstruisant les variations climatiques sur plusieurs siècles, montre, selon les auteurs, de fortes similitudes entre l’hiver 1783-1784 et celui de 2009-2010. Dans les deux cas, l’oscillation nord-atlantique était en phase négative et le phénomène El Niño était en phase positive, une conjonction très rare donnant des hivers rigoureux sur l’Europe et l’Amérique du Nord.
De fait, les données indiquent que l’hiver 1783 fut l’un des plus froids de ces cinq cents dernières années en Europe, avec des températures inférieures de 2 0C à la moyenne de la fin des années 1700. Au-dessus des terres émergées de l’hémisphère nord, le mois de décembre 2009 a, quant à lui, été beaucoup moins froid : le National Climatic Data Center (NCDC) américain l’a classé comme le 45e mois de décembre le plus chaud depuis cent trente ans… Pourtant ressenti comme un hiver exceptionnellement rigoureux, celui-ci aurait donc dû être, sans la tendance lourde du réchauffement, bien plus détestable qu’il ne fut. D’autant plus que les cernes d’arbres analysés montrent que la conjonction climatique incriminée fut beaucoup plus marquée en 2009 qu’en 1783.
En tout état de cause, si cet hiver-là portait en germe la Révolution française, c’est plus à El Niño qu’au Laki qu’il faut l’attribuer.
Vers «une catastrophe juridique internationale»? 1/2
Anne Crignon
Le Nouvel Observateur 13.05.11
Comment empêcher les multinationales de causer des ravages écologiques et humains à l’autre bout de la planète? Par exemple en révisant la notion de responsabilité, au cœur même du Code civil.
C’est ce que proposent les avocats William Bourdon et Yann Queinnec, dans cahier de 46 propositions juridiques de haute volée publié par leur association: Sherpa.
Que cessent les ravages engendrés par l’activité des multinationales dans les filiales lointaines: telle est la mission de Sherpa, association créée en 2002 par deux avocats: William Bourdon et Yann Queinnec. A l’appui de cette utopie réaliste – Sherpa a déjà fait plier quelques puissances comme Total et Areva – un cahier de 46 propositions paraît, préfacé par Mireille Delmas-Marty.
C’est une réflexion juridique de haute volée, au service de deux objectifs. Rendre la société mère d’un groupe responsable de l’action de ses antennes étrangères et permettre aux petites mains, à l’autre bout du monde, de saisir la justice, quand advient l’un des crimes les plus fréquents: rejets toxiques dans les rivières ou les rizières, déforestation sauvage et mise en péril de la vie de villageois, cancers par inhalations pétrochimiques. Les pays où s’effectuent l’acquisition de matières premières, la transformation, l’assemblage, le transport et autres sous-traitances, sont le terrain de jeu des plus forts, lesquels usent et abusent du laxisme des législations locales.
Le Nouvel Observateur.- Des nourrissons malformés parce que les mères ont bu l’eau contaminée des rivières, pollution des sols, saccage des forêts premières: les mœurs dans certaines filiales lointaines des multinationales sont inavouables. Est-ce pour cela que vous avez créé Sherpa?
William Bourdon.- Sherpa est le fruit du constat d’un violent télescopage entre l’émergence de la fin de l’impunité pour les grands criminels de sang et l’impunité des acteurs économiques. Cette situation, source de très grandes souffrances collectives comme vous venez de l’illustrer, est effectivement à l’origine de Sherpa. Notre réponse? La protection et la défense des victimes de crimes économiques par l’utilisation du droit.
La protection et la défense des victimes passent par l’action en justice, voire la négociation avec les entreprises, mais aussi par l’évolution des normes. En plus de ses actions concrètes, Sherpa fait depuis des années du lobbying en France, dans le cadre du Grenelle de l’environnement notamment, à Bruxelles, à l’OCDE, à l’Onu. Le cahier de propositions en est la dernière illustration.
N.O.- L’arsenal juridique permettant de sanctionner les atteintes aux droits de l’homme et à l’environnement existe déjà, il n’est simplement pas utilisé. Comment Sherpa s’y prend-il depuis 2002 pour «réactiver» le droit?
W. Bourdon.- Lorsque nous cherchons à faire établir la complicité d’une société mère pour les pratiques d’une filiale étrangère, nous sommes souvent confrontés au monopole du parquet qui peut décider d’ouvrir ou non une enquête. Pour éviter ce monopole applicable en matière de délits, nous cherchons à établir que la filiale est dans une situation de dépendance à l’égard de la société mère, et aussi que les dommages qu’elle cause sont le résultat d’une politique de groupe. Le rôle des juristes de l’association est d’identifier des textes existant permettant de poursuivre les violations de droits fondamentaux.
Ainsi, les expulsions de riverains de projets industriels peuvent être qualifiées d’ «atteinte à la propriété», leur exposition aux polluants peut tomber sous le coup de «mise en danger d’autrui», voire d’«homicide involontaire». Une société qui profite du fruit d’une infraction, quelle que soit sa nature doit pouvoir être poursuivie pour recel, ce dernier point supposant une mutation de la législation.
Yann Queinnec.- Nos travaux consistent aussi à lire les textes existant, à l’aune de ce nouveau Graal qu’est le développement durable. La notion de responsabilité sociétale des entreprises ou RSE, qui a explosé ces dernières années, est un levier pour imposer une adaptation du droit des affaires. Une des propositions consiste par exemple à identifier l’influence du développement durable sur le droit des contrats. C’est le concept de «contrat durable», objet d’une de nos propositions (n°32).
Par exemple, un contrat imposant à un sous-traitant de respecter les engagements éthiques du donneur d’ordre, sans toutefois que les conditions financières consenties lui permettent de faire les investissements nécessaires, ne répondrait pas à la notion de contrat durable. La récente norme ISO 26000 sur la responsabilité sociétale des organisations publiée en novembre 2010 nous apporte aussi d’utiles leviers. Par exemple, la définition de la «sphère d’influence» qui a été retenue admet les hypothèses de responsabilité des sociétés-mères à l’égard de leurs filiales.
N.O.- Le XXIème siècle sonnera-t-il la fin de l’impunité pour les PDG des multinationales qui polluent par l’activité de leurs antennes lointaines?
W. Bourdon.– Il a fallu 50 ans, de Nuremberg à la Cour Pénale Internationale, pour faire émerger un système normatif international visant les crimes internationaux. L’établissement d’un corpus multilatéral nécessaire pour les entreprises transnationales prendra donc du temps, d’autant plus qu’un des ennemis farouches de la norme est le marché, qui ne rêve que d’un encadrement par lui-même et non par des juges.
Y. Queinnec.– Au-delà des outils de répression pour lutter contre cette impunité, leur mise en place sera vaine si les leviers du marché ne sont pas eux-mêmes actionnés. Violer les règles et prendre le risque d’être sanctionné se révèle encore souvent rentable en termes de part de marché. Lorsque l’Agence de protection de l’environnement américaine (EPA) inflige en juillet 2010 une amende de 2,5 millions de dollars (1,74 millions d’euros) au groupe Monsanto pour infraction au règlement Pesticides via la vente de semences génétiquement modifiées, on peut s’interroger sur l’effet dissuasif pour une entreprise qui réalise un chiffre d’affaire en 2009 de 11,7 milliards de dollars…
Le 25 février 2011, la bourse de Séoul a annoncé avoir infligé une amende de 642.000 euros à l’encontre de Deutsche Bank à la suite de transactions incorrectes réalisées dans les dernières minutes de la séance du 1er novembre, pour un montant de 1,59 milliard d’euros… Un petit pas sera franchi quand un cours de bourse chutera à cause d’un dommage écologique et social et qu’un fond de pension se retirera.
N.O.- Sachant que le business est rarement un humanisme, comment faire en sorte que le respect éthique offre un retour sur investissement?
Y. Queinnec.- Dans le jeu actuel de l’offre et de la demande, les entreprises qui font des efforts ne sont pas récompensées d’un retour sur investissement éthique. Plusieurs leviers existent mais demeurent trop marginaux à ce jour. L’achat dit «responsable» y joue un rôle clé. Le métier d’acheteur, dans le public comme dans le privé, doit évoluer fondamentalement pour prendre en compte le coût social et environnemental des produits et services.
Un immense chantier est devant nous: celui de la formation des acheteurs et de leur rémunération qui ne doit plus s’indexer sur la négociation du plus bas prix. Le discours de certains grands distributeurs qui, sous prétexte de défendre le pouvoir d’achat des Français, met les prix les plus bas comme l’objectif ultime à atteindre est irresponsable. Il feint d’ignorer les conséquences sociales et environnementales dans les chaînes d’approvisionnement (c’est-à-dire à 10.000 km du regard des consommateurs).
Dans le cahier nous proposons aussi (proposition n°40) d’instaurer une brevetabilité d’intérêt général pour orienter la Recherche & Développement vers le développement durable. Ainsi, seules les innovations apportant un bénéfice social ou environnemental seraient protégées, les autres faisant l’objet d’une protection réduite dans la durée et le périmètre géographique. Pour les produits manufacturés en général, l’octroi du monopole d’exploitation pourrait être subordonné à la durée d’usage des produits, sur la base d’une analyse concluante du cycle de vie.
N.O.- Pour rendre les sociétés mères responsables des agissements de leurs filiales, vous proposez carrément des ajouts au Code civil.
Y. Queinnec.- Plusieurs propositions sont issues de travaux menés par les plus éminents juristes. Le rapport Catala publié en 2005, par exemple, propose d’intégrer un principe de responsabilité pour autrui intégrant précisément l’hypothèse de la responsabilité d’une société mère par rapport à une filiale, à l’instar de la responsabilité parentale.
Nous proposons par ailleurs une nouvelle définition du contrat de société qui figure à l’article 1832 du Code civil. Libeller des obligations environnementales et sociales dans la définition même du contrat de société placerait ces règles au même niveau que les obligations financières et comptables résultant du principe de la contribution aux pertes. Modifiant ainsi l’ADN d’une entreprise et l’imposer d’emblée à l’ensemble des actionnaires d’une société, permettrait d’en irriguer toute l’organisation.
Que le délit de recel s’applique à ceux qui vendent des produits manufacturés fabriqués en violation des droits humains
N.O.- Des ajouts au Code Pénal aussi.
W. Bourdon.- Oui. Nous proposons de lever certains verrous identifiés lors de nos actions judiciaires. Nous suggérons d’exiger du parquet qu’il motive la non-poursuite de faits de complicité d’actes réalisés à l’étranger ou à tout le moins que les victimes aient un droit de recours. Nous proposons aussi d’élargir l’infraction de recel à l’importation de tout produit manufacturé dès lors qu’il a été produit au mépris de graves violations de droits fondamentaux y compris la violation d’embargo.
N.O.- Est-ce réaliste?
Y. Queinnec.- Que l’on parle de code de conduite ou de sanction pénale, on constate la diversité des réponses que le droit peut apporter. La liberté contractuelle d’un côté, l’arbitrage d’un juge de l’autre. Ces deux extrémités montrent à quel point la palette d’outils juridiques est grande et les possibilités d’agencement infinies. En ce sens, il est absurde de refuser d’emblée, par principe, la contrainte légale comme une partie de la solution.
Cette attitude marque encore aujourd’hui la posture des représentants des entreprises transnationales dans les instances débattant de l’encadrement de la responsabilité sociétale des entreprises. Elle est contre-productive et dénote une tendance à faire croire que le droit se confond avec le contentieux. Elle ferme la porte à l’émergence d’outils de régulation hybrides, ceux qui vont permettre de réduire les divergences entre la recherche du profit et les prétendus engagements d’intérêt général qui présupposent une logique de long terme. Cette conciliation est impérative afin de répondre aux exigences de l’intérêt public et aux aspirations des citoyens. C’est donc réaliste oui, au prix d’un long travail de pédagogie.
N.O.- Le principe de Sherpa est exponentiel. N’importe quel avocat dans le monde peut venir vers vous offrir ses services pour traiter gracieusement un dossier à ses heures perdues. Sur combien de juristes vous appuyez-vous à ce jour?
W. Bourdon.- Entre l’équipe salariée et le réseau informel de personnes qui nous prêtent main forte on peut dire qu’une vingtaine de personnes gravite activement autour de nous. Le problème de Sherpa n’est pas le manque de dossiers! Mais il faut que l’on soit sélectif et que chaque dossier retenu puisse être confié à un très bon avocat qui va s’y atteler sérieusement car chaque dossier comporte plusieurs entités situées dans plusieurs pays aux législations différentes.
N.O.- Financièrement comment se porte Sherpa?
W. Bourdon.- L’équilibre est fragile. Sherpa a dû licencier en juillet 2009 cinq salariés sur les sept permanents. Il nous faut donc mobiliser d’autres juristes très professionnels, motivés pour consacrer leur temps gratuitement à ces causes humanistes. Mais il faut être réaliste, ce modèle n’est pas viable face aux bataillons d’avocats que nous avons en face. Nous y réfléchissons. Mais peut-être allons-nous trouver bientôt des humanistes fortunés qui repèrent en Sherpa une escadrille pionnière.
N.O.- Avec quelles autres organisations travaillez-vous?
Y. Queinnec.- Ces dernières années, de multiples coalitions se sont organisées dont Sherpa est partie prenante: le Forum citoyen pour la RSE en France , l’European Coalition for Corporate Justice, OECD Watch, etc. Leur objectif est de créer des liens, une culture et des méthodes communes pour renforcer l’efficacité des actions. C’est un processus long mais les progrès sont tangibles. Les organisations du Sud sont de plus en plus sensibilisées aux enjeux juridiques et documentent mieux les dossiers avec par exemple des certificats médicaux, des analyses d’échantillon d’eau etc.
N.O.- L’an dernier un avocat de Sherpa, Eric Moutet, a monté un dossier au nom de 800 Congolais abusés par une entreprise française dans les années 50. Où en est cette histoire?
W. Bourdon.- Comme on pouvait le craindre, le conseil de prud’hommes de Paris s’est déclaré incompétent. Nous attendons l’audience devant la Cour d’Appel. Pour rappel, il s’agit d’une première judiciaire qui consiste, après que les victimes aient épuisé les voies de recours dans leur pays, à obtenir indemnisation de leur licenciement intervenu en octobre 1991. La problématique consiste à faire reconnaître la compétence juridictionnelle française étant donné que les sociétés têtes de groupe visées sont françaises – Comilog France et Internationale- tout en appliquant le droit congolais car tous étaient salariés par Comilog-Congo.
N. O.- Cette affaire a tout de même vu des Congolais accéder à la justice via le juge prudhommal français. Peut-on rêver d’un monde où tout être humain privé de justice dans son pays puisse saisir la justice dans un pays démocratique?
W. Bourdon.- Dans un futur proche la réponse est non. Il y aura toujours des limites à l’extraterritorialité. Ce n’est par ailleurs pas souhaitable qu’il n’y en ait pas. La souveraineté judiciaire des pays où sévissent certaines filiales de groupes transnationaux doit s’affirmer. Nous souhaiterions que les filiales soient sanctionnées sur leur lieu d’implantation sans avoir à recourir comme souvent à la justice du siège de l’entreprise. Malheureusement, et le dossier Comilog en est une amère illustration, les initiatives locales se traduisent bien souvent encore aujourd’hui par un déni de justice.
Y. Queinnec.- Dans le cahier, nous proposons par exemple la création d’un mécanisme de coopération judiciaire internationale renforcée entre juridictions nationales spécialisées dans les affaires économiques et financières (proposition n°43). C’est d’une sensibilisation à la dimension transnationale de ces dossiers et l’adoption de méthodes de travail et d’interprétation des faits communes que pourront émerger des décisions formant un droit de la responsabilité des entreprises transnationales. Des juges répartis sur la planète créant une jurisprudence harmonisée, cela nous paraît plus réaliste et efficace qu’une cour internationale dédiée qui n’aura jamais les moyens de traiter tous les dossiers. (…suite et fin la semaine prochaine !)
Cosima Dannoritzer: « Sakelakoa urtero aldatzeak ez gaitu zoriontsuago egiten »1/2
Lander Arbelaitz
Argia 03.04.11
Cosima Dannoritzer zuzendariak dokumental bikaina egin du zaharkitzapen programatuaz / Lander Arbelaitz
Hiru urte egin zituen zaharkitzapen programatuari buruzko dokumentala egiten. Ikusteak derrigorrezkoa behar lukeen lan honek erakusten du zer nolako iruzurrean bizi garen. Milaka produktu egiten dira, une jakin batean huts egiteko planifikatuta. Orduan, berria erosten dugu.
Cosima Dannoritzer (Dortmund, Alemania, 1965) dokumentalgilea bere azken dokumentala aurkezten dabil mundu osoan: Comprar, tirar, comprar gazteleraz edo Prêt à jeter frantsesez. Bertan argi erakusten du zaharkitzapen programatua oso sartuta dagoela egungo gizartean. Dena den, sistema era askotan legitimatzen dugu guk ere. Donostiako Cristina Enea Fundazioak ekarrita, proiekzioaren aurretik harrapatu dugu
Alde batera eta bestera zabiltza dokumentala aurkezten, arrakasta izan duenaren seinale. Gustura egindako lanarekin?
Bai. Batzuetan gertatzen da dokumental bat egin eta urtebetean behin botatzen dutela telebistan, goizaldeko ordu txikietan, eta gero desagertu egiten dela betirako. Alde horretatik oso pozik nago, proiektzioak, eztabaidak eta hitzaldiak antolatzen baitituzte dokumentala zentro hartuta, eta batera eta bestera gonbidatzen gaituzte. Oso pozik nago, dokumentala egitearekin batera, soluzioak bilatzea zelako nire asmoa.
Eta zaharkitzapen programatua kontzeptua sekula aditu ez duenarentzat, nola definituko zenuke?
Produktu baten kontsumo epea, berez dagokiona baino laburragoa izan dadin artifizialki erabiltzen den teknika da. Kontsumitzaileek uste zutena baino lehenago aldatu beharko dute erositakoa beste berri batengatik, eta fabrikatik dator biziraupena programatu batekin.
Noiz eta zergatik erabaki zenuen gai honi buruzko dokumentala egitea?
Aspalditik neukan buruan. Kondaira asko nituen entzunak sekula hausten ez ziren produktuei buruz, inork merkaturatu nahi ez zituenez, desagertu egin izan direla eta antzekoak. Beste behin Bartzelonako birziklatze eremu bat grabatu genuen, eta han nengoela, horrenbeste gauza ikusten nituen botata nire baitan pentsatzen hasi nintzela: “Hemen dauden gauza askok ziurrenik oso arazo txikia izan zuten, eta zuzenean bota egin dituzte, orain ez dugu ezer konpontzen…”. Pantaila mendiak ikus zitezkeen. Hala, egun batean pixka bat ikertzen hasi behar nuela erabaki nuen, eta behingoz argitu ea egiazko historiak ziren ahoz aho zebiltzanak ala ez.
Eta zer ondorio atera dituzu?
Zaharkitzapena oso modu sortzailean ibiltzen zuten zenbait adibide dibertigarri aurkitu nahi nituen. Baina hainbeste ziren kasuak, une batean konturatu ginela sistema osoa zegoela gaitz honekin kutsatua. Hazkundearen ekonomiaren zutabeetako bat da kredituak eta publizitatearekin batera. Honez gain, dirudiena baino nahasiago gaude honetan, aparailu baten bizitza mugatzen duen txip bat jartzen badute barnean, inprimagailuak adibidez, ziurrenik ezingo dugu ezer egin. Baina bestera, urtero telefono mugikorra aldatzen badugu aurrekoa oraindik ongi dabilenean, sistema laguntzen besterik ez gara ari. Obsolezentzia psikologikoa ere hor dago.
Kontua, beraz, daukaguna bota eta berria erostea da.
Objektu batzuk une batean huts egin dezaten programatuta daude teknikoki. Beste batzuk material merkeekin egiten dituzte ez luze irauteko, eta aldatu egin behar genituzkeela iradokitzen digute publizitate bitartez. Etengabe produktu berriak atera edo sistema berriak sortzen dituzte, askotan aurrekoekin bateragarri ez direnak. Modu askotan, beraz, emaitza beraren bila ibiltzen dira: Daukazuna bota, eta berria erosi ahalik eta azkarren. 1950. urtean Brooks Stevens diseinatzaile industrialak definitu zuen kontzeptua: “Zaharkitzapen programatua zeozer berria, pixka bat hobea eta beharrezkoa baino lehentxeago lortzeko kontsumitzaileak duen nahia da”. Horregatik ateratzen zituen urtero modelo berriak, etengabe.
Noiz hasi zen hau guztia?
Kontsumo gizartearen hasieran, masan produzitzen hasi zirenean. 1920.eko hamarkadaren hasieran. Horrenbeste gauza produzituta, dena oso eskuragarri jarri zen, eta jendea lehen aldiz, dibertitzeko hasi zen erosketak egiten. Gauza berriz bete ziren bazterrak, dendak goraino zeuden… progresoa azken batean. Arazoa fabrikanteen buruetan zegoen ordea, pentsatzen hasi baitziren zer gertatuko zen denek dena edukitzean. 1928an, publizitate aldizkari batean oso artikulu argigarria atera zuten. Honela zioen: “Hausten ez den produktua, negozioarentzat tragedia da”. Eta hauek tragediarik nahi ez zutenez, horretarako sortu zuten zaharkitzapen programatua. Produktuen bizitza laburtuz, jendea etengabe hauek ordezkatzen hasi zen, ia oharkabean.
Zuk zer kasu aztertu dituzu?
Hausten ez zen bonbilaren bila hasi ginen, baita 100.000 ordu irauten zituena sortu zutela aurkitu ere; gero, oso erresistentea zen nylona, autoak, informatikako elementuak…
(Bukaera datorren astean!)