Articles du Vendredi : Sélection du 11 octobre 2019


Ces propositions concrètes pour limiter le trafic aérien, et ses émissions de gaz à effet de serre
Rachel Knaebel
www.bastamag.net/Air-France-vols-interieurs-stay-on-ground-gaz-effet-de-serre-climat-eco-calculateur-taxe-carbone

Voyager en avion est ce qui est le plus polluant. Les possibilités de limiter le transport aérien et ses émissions de gaz à effet de serre ne manquent pourtant pas. Voici un tour d’horizon des propositions concrètes… que le gouvernement Macron refuse d’étudier.

Alors que les experts français du climat annoncent un réchauffement pouvant aller jusqu’à 7 degrés d’ici 2100, la France vient d’adopter une loi sur les mobilités… qui fait l’impasse sur le transport aérien. L’avion est pourtant le mode de transport le plus émetteur de gaz à effet de serre par personne et kilomètre parcouru. Il est au moins deux fois plus polluant que la voiture, et 14 à 40 fois plus que le train. Pourtant, le recours à l’avion ne cesse de grimper, en particulier sur des trajets courts, alors même que des alternatives existent.

En Suède, le pays de Greta Thunberg, le problème que pose le développement du transport aérien pour le climat est de plus en plus discuté. En France aussi, des propositions se font entendre pour limiter le recours à l’avion. Pendant les discussions autour de la loi sur la mobilité, plusieurs parlementaires ont déposé des amendements en ce sens. Ils n’ont pas été retenus, mais démontrent que des mesures concrètes sont tout à fait possibles. Encore faut-il que la volonté politique suive.

1. En finir avec les vols intérieurs courts

C’est le sens des propositions initiées par le député de La France insoumise François Ruffin [1] : supprimer les vols très courts quand le même voyage peut se faire en train en moins de cinq heures. « Selon l’éco-calculateur de la direction de l’aviation civile, un aller-retour Paris-Marseille en avion émet 195 kg de C02 par passager. Ce même aller-retour effectué en TGV en émet près de 50 fois moins », justifie le député. « Les dix aéroports français les plus fréquentés sont situés dans des agglomérations desservies par des trains à grande vitesse », pointe aussi François Ruffin.

Un vol Paris-Bruxelles, par exemple, met 55 minutes – cela sans compter le temps d’embarquement, de débarquement, les contrôles, la différence de temps de trajet pour se rendre dans un aéroport plutôt qu’une gare… – alors que le même trajet en train prend seulement 1h27, avec plus de vingt trains par jour. Sur un Paris-Rennes, un vol dure une heure, un trajet en train moins d’une heure trente. Un Paris-Bordeaux met à peine deux heures en train, contre 1h10 de vol. La proposition du député n’a cependant pas été retenue.

Le député de La France insoumise n’est pas le seul en Europe à porter ce type de mesures. En Allemagne, les vols intérieurs font aussi débat au regard de la crise climatique. Cet été, la chef de file du parti de gauche Die Linke a proposé de ne plus rembourser aux parlementaires leurs trajets professionnels en avion pour les voyages en Allemagne, ce qui les inciterait à se reporter sur le train.

En France, s’il est difficile pour les 27 députés ultra-marins et les onze députés des Français établis hors de France de ne pas prendre l’avion, ce n’est pas le cas des 539 autres députés métropolitains. Hors, ceux-ci bénéficient de 80 passages pris en charge par l’Assemblée « entre Paris et la circonscription lorsqu’elle est desservie par une ligne aérienne régulière », et de « 12 passages pour toute destination hors circonscription, en France métropolitaine, pour lui ou son conjoint ».

François Ruffin propose également d’interdire l’aviation privée, celle des jets réservés aux plus riches. Des vols qui sont encore plus émetteurs que les vols commerciaux. « Un vol en jet de moins de 50 places, sur moins de 500 km, émet 250g de CO2/passager/km, contre 92g pour un long courrier », explique le député sur son site, sur la base des chiffres de la Direction générale de l’aviation civile. « Nous ne pouvons pas nous contenter de taxer le kérosène, les billets d’avions, et en même temps, laisser se développer une aviation privée à l’usage exclusif des élites », ajoute-t-il.

2. Taxer les billets d’avions et le kérosène

Aujourd’hui, le kérosène des avions est exonéré de TVA et de taxe carbone (la TICPE, taxe sur les produits pétroliers), à laquelle sont au contraire soumis l’essence et le gazole. Le train, lui aussi, supporte la contribution au service public de l’électricité.

De plus, le taux de TVA sur les billets d’avion est réduit à 10% sur les vols nationaux, les billets internationaux n’étant soumis, eux, à aucune TVA ! En mai, l’organisation européenne Transport and environnement révélait une étude commanditée par la Commission européenne, mais qui n’a pas été publiée : celle-ci met en lumière la fiscalité très avantageuse en Europe pour le transport aérien. L’étude démontre aussi qu’une taxation environnementale du transport aérien ferait significativement diminuer les émissions de gaz à effet de serre, avec un impact négligeable sur l’emploi.

Une directive européenne de 2003 exempte de taxe le kérosène du transport aérien. Alors, serait-ce la faute de Bruxelles si les alternatives à l’avion ne sont pas soutenues ? Pas vraiment : le même texte précise que les États membres ont toute latitude pour taxer le kérosène des vols domestiques, et de faire de même pour les vols internationaux sur la base d’accords bilatéraux. Aucun des 28 États membres ne l’a fait en quinze ans. « Le transport aérien multiplie les avantages fiscaux qui en font un moyen de transport artificiellement peu cher par rapport aux alternatives », résume Lorelei Limousin, responsable transports à l’ONG Réseau action climat.

La députée Delphine Batho (ex PS, aujourd’hui non inscrite) a ainsi proposé de supprimer à partir de 2020 l’exonération de TICPE sur le kérosène des vols nationaux. Elle demande aussi une TVA de 20% sur les billets des vols domestiques. Le député Matthieu Orphelin (ex-LREM, aujourd’hui non inscrit) propose lui une contribution climat sur les billets d’avions. « Cette taxe sur les billets, pour tous les trajets partant de France oscillerait entre 20 et 100 euros selon la distance et la classe », dit l’amendement.

Aucune de ces propositions n’a a été acceptée par la majorité. La loi définitive ne contient qu’une petite mesure concernant l’aviation : affecter une partie de la taxe de solidarité sur les billets d’avions (la taxe dite « Chirac » qui existe depuis 2005) à l’Agence de financement des infrastructures de transports, qui finance les transports en commun et le train. Mais cette taxe n’est que d’un euro pour la classe économique, et d’au maximum 12 euros pour les billets en classe affaires. Une nouvelle écotaxe sur les billets d’avion pourrait néanmoins être adoptée. « Ce serait entre 1,5 et 18 euros, ce qui n’est pas suffisant pour réduire les émissions », précise Lorelei Limousin. L’État espère que cette taxe très légèrement réévaluée lui rapportera 180 millions d’euros, bien moins que la fiscalité en vigueur au Royaume-Uni ou en Allemagne. De son côté, le Réseau action climat demande une taxe comprise démarrant à 20 euros, et jusqu’à 100 euros pour les vols long courrier en classe affaires.

3. En finir avec les subventions publiques au transport aérien

En plus d’être moins taxé, le transport aérien est directement subventionné. De nombreuses lignes aériennes bénéficient de généreuses dotations de l’État et des collectivités locales. Plusieurs petits aéroports français ne survivent qu’à l’aide d’injections massives d’argent public. « Plus d’une soixantaine d’aéroports sont déficitaires », soulignait la Fédération nationale des associations d’usagers des transports (Fnaut) dans un rapport. La Fnaut chiffre le déficit global de ces aéroports à environ 100 millions d’euros chaque année. Ajoutant : « La quasi-totalité de ces déficits d’exploitation est couverte par des subventions publiques (État ou collectivités locales). » Autant d’argent qui n’ira pas financer le maintien ou le développement de lignes de train.

Le financement public de l’avion se fait aussi via un dispositif d’« obligation de service public » (OSP), qui peut être imposé afin de maintenir une desserte aérienne régulière vers des régions enclavées. Cette mesure impose une prestation minimale à une compagnie, qui reçoit en échange des compensations de l’État et des collectivités. « En 2016, il y avait 11 liaisons métropolitaines (hors Corse) sous OSP subventionnées », précise la Fnaut. Sont concernées par exemple les lignes Paris-Tarbes, Paris-Rodez, ou encore Limoges-Lyon.

Jusqu’en 2018, une ligne aérienne Paris-Lannion (trajet de 3h30 en train) existait sous OSP. Elle a finalement été fermée car trop déficitaire, même aux yeux des collectivités [2]. Mais en avril dernier, l’État a déclaré en « obligation de service public » la ligne aérienne Paris Orly-Quimper, qu’Air France et sa filiale Hop ! venaient d’abandonner un mois plus tôt, parce que désertée par les passagers [3]. La ligne doit être relancée en octobre, à grand coup de subventions. Il existe pourtant une ligne TGV Paris-Quimper, faisant le trajet en quatre heures.

« En 2018, le budget consacré par l’État aux OSP s’élevait à cinq millions d’euros. À partir de 2019, ce budget sera doté de 15 millions supplémentaires », écrit la Fnaut. Selon ses calculs, la subvention directe moyenne sur ces lignes est supérieure à 50 euros par passager, sans même compter l’argent versé directement aux aéroports !

Pour la Fnaut, la légitimité de ces subventions est aussi en question pour les lignes aériennes qui desservent des villes situées à plus de six heures de train, comme Paris-Tarbes ou Limoges-Lyon. « On ne peut pas nier que les passagers qui bénéficient de ces bas tarifs sont, de cette façon, détournés des autres modes de transport, notamment du chemin de fer ou de l’autocar, tout en étant très subventionnés », analyse la fédération.

4. Ne pas compter sur de « fausses solutions », tels les agrocarburants

« Nous faisons déjà beaucoup », tentent de se défendre les acteurs du transport aérien. Pour ne pas réduire leur croissance, et donc les émissions de gaz à effet de serre qui l’accompagnent, l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) mise depuis des années sur la compensation carbone. En 2016, l’OACI a adopté un accord international appelé « CORSIA » [4]. Son principe : pour ne pas réduire ses propres émissions, le secteur aérien s’engage à les compenser via des certificats de réduction d’émissions provenant d’autres acteurs économiques et financiers, qui affirment les avoir réduites dans leur propre secteur ou dans une autre région du monde (voir notre article).

« CORSIA est un mécanisme de compensation très faible, avec très peu d’engagements environnementaux. Et il est très peu transparent. Ce n’est pas un mécanisme de réduction des émissions, et il n’est donc pas adapté à l’urgence climatique », juge Lorelei Limousin. Un autre volet de CORSIA repose sur le recours aux agrocarburants, produits à partir de maïs, blé, soja, ou d’huile de palme… La production d’agrocarburants a elle-même des conséquences écologiques désastreuses, dont la destruction de vastes zones forestières. Leur utilisation ne fait donc que déplacer les émissions de gaz à effet de serre vers l’agriculture. « Technologiquement, aujourd’hui il n’y a pas d’alternatives crédibles au kérosène et à ses émissions », ajoute le Réseau action climat.

Air France semble pourtant vouloir poursuivre dans cette voie. « À partir du 1er janvier 2020, nous allons compenser 100 % des émissions de CO2 de nos vols domestiques. Cela représente 500 vols par jour », promet ainsi la directrice générale d’Air France, Anne Rigail, dans une interview au Parisien le 30 septembre. « Nous allons financer des projets de plantation d’arbres, de protection de forêts, de transition énergétique ou encore de sauvegarde de la biodiversité. Cela pourrait correspondre, par exemple, à planter l’équivalent de 70 millions d’arbres. » Ce type de projets n’est pas nouveau. Air France finançait déjà, par exemple, des actions de lutte contre la déforestation, comme à Madagascar, en partenariat avec des organisations environnementales, avec des résultats assez mitigés, notamment pour les populations locales [5].

5. Convaincre les usagers d’arrêter de prendre l’avion

C’est la mission que s’est donnée la Suédoise Maja Rosèn. En 2018, elle a lancé la campagne « Rester au sol » (Stay on ground) pour tenter de convaincre 100 000 personnes en Suède de ne plus prendre l’avion d’ici 2020. La campagne a depuis essaimé au Royaume Uni. « Si l’aviation ne produit aujourd’hui qu’environ 3% des émissions globales, c’est parce que beaucoup de gens dans le monde ne prennent jamais l’avion. Par voyageur qui prend l’avion, le volume d’émissions de gaz à effet de serre est beaucoup plus important, explique la Suédoise à Basta !. Mais dire cela aux gens n’est pas la meilleure manière de les convaincre d’arrêter l’avion. Ce qui fonctionne le mieux, c’est de raconter pourquoi certaines personnes ont pris une telle décision. Car en fait, de nombreuses personnes arrêtent l’avion à cause de l’urgence climatique, mais ils n’en parlent pas autour d’eux. Mettre cela en avant peut inciter d’autres à faire la même chose. C’est une question collective, pas simplement individuelle. »

Le débat public sur l’avion en Suède a déjà eu des effets très concrets. Le trafic aérien intérieur suédois était en août de 10 % inférieur à son niveau de l’année précédente. Le trafic global a baissé de 4% [6]. « Les choses bougent aussi au niveau politique, même si les politiciens continuent à soutenir des projets de nouveaux aéroports et d’agrandissement d’aéroports, ajoute Maja Rosèn. Je pense qu’il faut une combinaison d’actions individuelles et d’actions de politique climatique qui viennent des pouvoirs publics. »

[1] La proposition de loi a été cosignée par Dominique Potier (socialiste), Delphine Batho (non inscrit), Sébastien Nadot (LREM), Sébastien Jumel (GDR), Muriel Ressiguier, Caroline Fiat, Bastien Lachaud, Sabine Rubin, Mathilde Panot, Alexis Corbière, Danièle Obono, Jean-Hugues Ratenon, Bénédicte Taurine et Loïc Prud’homme (LFI).

[2] Voir cet article de Ouest-France.

[3] Voir l’annonce au Journal officiel de la déclaration d’OSP.

[4] Pour « Carbon Offset and Reduction Scheme for International Aviation ».

[5] Lire notre enquête sur le sujet, réalisée en 2013 : Avec Air France, compenser les émissions carbone des riches peut nuire gravement à la santé des pauvres.

[6] Selon les statistiques du trafic d’août 2019 de l’agence des aéroport suédois.

La folie du smartphone, un poison pour la planète
Alexandre-Reza Kokabi
https://reporterre.net/La-folie-du-smartphone-un-poison-pour-la-planete

Ce mardi 10 septembre 2019, la marque Apple présentera son nouvel iPhone, une semaine après la sortie du nouveau Samsung. Chaque année, des milliards de nouveaux smartphones toujours plus performants sont proposés par les fabricants. Mais, derrière l’attrait pour une haute technologie aseptisée se cachent de lourdes pollutions et des conséquences sociales dramatiques.

Les téléphones intelligents — ou smartphones — se sont enracinés dans nos vies quotidiennes. Dix milliards de ces objets ont été vendus à travers le monde depuis la mise en circulation du premier iPhone d’Apple, en 2007. Nichés dans les poches ou au creux des mains, ces petits parallélépipèdes concentrent une kyrielle de fonctionnalités. Ils permettent de téléphoner, d’explorer Internet et les réseaux sociaux, de photographier et de filmer, d’écouter de la musique, de faire des emplettes ou de se laisser guider par un GPS. De nos jours, les trois quarts des Français en usent quotidiennement.

Ces objets hautement technologiques se rendent indispensables, mais que savons-nous d’eux ? Comment sont-ils fabriqués, et dans quelles conditions ? Que deviennent-ils quand ils ne fonctionnent plus ? « Notre méconnaissance du smartphone traduit la déconnexion totale entre le geste d’achat du consommateur et les effets environnementaux et sociaux graves que ces produits génèrent tout au long de la chaîne », estime Alma Dufour, chargée de campagne « extraction et surconsommation » aux Amis de la Terre.

Complètement intégrés dans une économie mondialisée, les smartphones font « quatre fois le tour de la Terre avant d’arriver dans nos magasins, entre l’extraction des matières premières, la fabrication des composants, leur assemblage et leur distribution », observe Erwann Fangeat, du service « produits et efficacité matière » de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe). De l’extraction des matières premières jusqu’à leur fin de vie, le cycle de vie du smartphone provoque de lourds dégâts aux quatre coins du monde : « Violation des droits humains, épuisement de ressources non renouvelables, rejets toxiques dans la biosphère et émissions de gaz et effet de serre », énumère Françoise Berthoud, ingénieure au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et fondatrice d’EcoInfo, groupement pour une informatique écoresponsable.

Plus de matériaux, toujours plus de ravages

L’élaboration perpétuelle de nouvelles applications et fonctionnalités fait inlassablement croître les exigences de performance du smartphone. In fine, les besoins en diversité de matières premières sont sans cesse accrus. « Les smartphones sont composés de plastique, de verre, mais sont également truffés de métaux, explique Guillaume Pitron, journaliste spécialiste de la géopolitique des matières premières. Dans les années 1950, on dénombrait une douzaine de métaux dans nos bons vieux téléphones fixes. Dans les années 1990, les GSM de la taille d’une brique comportaient 29 métaux. Le smartphone d’aujourd’hui, beaucoup plus petit, contient paradoxalement jusqu’à 55 métaux. On croit vivre dans un monde immatériel, mais il est en fait considérablement matérialiste. »

L’écran tactile des smartphones, leur carte électronique, les condensateurs ou leurs divers périphériques regorgent d’éléments. Certains sont « ordinaires », tels l’aluminium ou le cuivre. Mais d’autres sont disponibles dans les sols en quantités extrêmement moindres : ils sont appelés « métaux rares ». « L’avantage de ces métaux est qu’ils sont très puissants et une petite quantité suffit pour de grandes performances, poursuit Guillaume Pitron, auteur du livre La guerre des métaux rares – La face cachée de la transition énergétique et numérique. Dans les aimants, par exemple, la ferrite a été remplacée par le néodyme, qui, à volume égal, est dix fois plus puissant. Ces métaux permettent la miniaturisation des smartphones, qui, sans cela, ne pourraient pas tenir dans une poche. »

En 2018, 1,55 milliard de smartphones ont été vendus à travers le monde. Afin de soutenir le rythme effréné de la société de consommation, les minerais sont exploités dans des conditions de plus en plus néfastes pour les écosystèmes. Leur exploitation requiert des volumes de terre gigantesques et conduit notamment à la destruction d’écosystèmes. 70 kg de matières premières sont mobilisées pour produire, utiliser et éliminer un seul smartphone, soit 583 fois de poids d’un téléphone.

L’extraction minière contribue également à des pollutions diverses, notamment de l’eau en raison de l’usage intensif de procédés d’extraction chimique.

« Lors de la phase de raffinage, dit Guillaume Pitron, séparer la roche des métaux et les métaux entre eux nécessite une grande quantité d’acide sulfurique. Les eaux, chargées de ces métaux lourds, sont souvent rejetées directement dans la nature. » « Ces métaux lourds s’infiltrent dans les nappes phréatiques et jusqu’aux cultures, précise Françoise Berthoud. Ce sont des substances bioaccumulables. C’est-à-dire que les organismes vivants ne sont pas capables de les évacuer. Ils se concentrent dans les organismes et la propagation parcourt toute la chaîne alimentaire. »

Une délocalisation des pollutions… et des troubles sociaux

Les consommateurs occidentaux ne perçoivent pas ces dommages dans leur environnement immédiat, et pour cause : aucun des métaux composants les smartphones ne sont extraits en Europe. « Les smartphones sont fabriqués loin de nous, et, quand ils sont recyclés salement, c’est loin de nous aussi », explique Françoise Berthoud. « On délocalise la pollution, affirme Guillaume Pitron. On ne veut pas voir l’amont et l’aval du téléphone. Nous voulons tous les avantages d’un mode de vie “connecté”, pas les inconvénients. On laisse d’autres pays, plus pauvres, souiller leur environnement et attraper des cancers, mais on se garde bien d’en parler. C’est d’une immense hypocrisie. »

L’activité minière participe à la déstabilisation du tissu social. Dans la région des Grands Lacs africains, l’extraction et le commerce d’étain, de tantale, de tungstène et d’or alimentent l’instabilité et les conflits armés. Selon l’Unicef (Fonds des Nations unies pour l’enfance), plus de 40.000 enfants travailleraient dans des mines au sud de la République démocratique du Congo. Une grande partie d’entre eux piochent dans des mines de cobalt et de coltan, minerais stratégiques qui permettent l’élaboration des batteries et des condensateurs des smartphones [1].

En Argentine, en Bolivie ou encore au Chili, l’utilisation abondante d’eau pour la production de lithium — présent dans les batteries des smartphones — provoque des conflits d’usage avec les populations locales et menace leur survie. Au Ghana, au Brésil ou en Guyane française, des milliers d’hectares de forêts et des peuples autochtones sont menacés par l’extraction d’or, de tantale, de cuivre, de bauxite ou de manganèse. L’extraction de la cassitérite — de la poussière d’étain — sur l’île Bangka, en Indonésie, a ravagé 65 % des forêts et 70 % des récifs coralliens à proximité de l’île. De nombreux habitants ont dû fuir, la pratique de l’agriculture et de la pêche n’étant plus assez viable.

En Chine, qui concentre plus de 90 % de la production mondiale des terres rares, l’exploitation du néodyme — utilisé dans les aimants des smartphones — génère des rejets d’eau acide, des déchets chargés en radioactivité et en métaux lourds. Les écosystèmes des zones d’exploitation chinoises sont sévèrement endommagés et les populations locales souffrent de leucémies et de malformations.

« La Chine a payé un énorme tribut environnemental mais aussi énormément investi ces dernières années, remarque Guillaume Pitron. De nombreux ingénieurs ont été formés, de nombreux brevets décrochés, et la Chine profite désormais de ses propres ressources pour vendre ses propres téléphones, moins chers que ceux des autres. Elle conteste ainsi aux États-Unis sa suprématie technologique. » Au point que, désormais, les trois modèles de smartphones les plus vendus à travers le monde sont chinois, l’iPhone d’Apple (États-Unis) se classant en quatrième position.

Un renouvellement perpétuel, un recyclage insuffisant

En moyenne, les Français changent de téléphone tous les deux ans alors que, dans 88 % des cas, ces téléphones portables fonctionnent encore.

« À travers la publicité et la sortie perpétuelle de nouvelles innovations, les fabricants jouent un rôle prépondérant dans nos comportements d’achats compulsifs, observe Alma Dufour. Ils nous poussent à toujours vouloir un produit dernier cri, au détriment de nos modèles plus anciens, qui nous paraissent obsolètes. » En étudiant le comportement d’utilisateurs de smartphones, des chercheurs ont même mis en évidence qu’ils avaient tendance à les négliger à l’approche de la mise sur le marché d’une nouvelle version.

« Mais l’obsolescence des smartphones n’est pas uniquement psychologique, ajoute Alma Dufour. Elle est aussi logicielle : de nombreux smartphones sont remplacés parce qu’ils ralentissent. Les fabricants poussent les consommateurs à télécharger les dernières mises à jour, tout en sachant que ces usages demanderont trop de mémoire et de puissance pour certains téléphones. »

Selon un rapport produit par France Nature Environnement, la courte durée d’usage des téléphones mobiles des smartphones est liée à leur conception même : « Batteries collées et soudées, indisponibilité de pièces de rechange, utilisation de connectiques et de systèmes d’exploitation exclusifs.

Dans la plupart des cas, les smartphones ne sont pas conçus pour être robustes ou réparables, ni compatibles et évolutifs dans le temps. »

En France, moins de la moitié des téléphones en bout de course sont collectés pour être recyclés, et au moins 30 millions d’appareils inutilisés dormiraient dans des tiroirs. Quand ils sont récoltés, la gestion de leur fin de vie n’est pas non plus la panacée. Aujourd’hui, sur une cinquantaine de métaux fréquemment utilisés dans le numérique, « l’une des meilleures usines du monde n’est capable d’en recycler qu’une vingtaine », regrette Françoise Berthoud.

« Ce n’est pas évident d’aller extraire des métaux dispersés par milligrammes dans des milliards d’objets, sous forme d’alliages complexes, reconnaît Guillaume Pitron. Techniquement, on sait le faire mais on ne veut pas le faire : c’est plus coûteux, aujourd’hui, que d’aller chercher des matières premières directement dans le sol, à la mine. » « Tant que le prix de la matière primaire, celle qui sort de la mine, sera moins cher que le prix de la matière des métaux recyclés, le recyclage ne sera jamais compétitif », déplore Alma Dufour.

Dans son « Environmental Responsability Report » de 2017, Apple annonçait qu’à terme ses produits ne dépendraient plus de l’extraction minière et seraient composés de 100 % de matériaux recyclés. Quelques semaines plus tard, la vice-présidente des politiques environnementales et des initiatives sociales chez Apple, Lisa Jackson, avouait que « nous sommes en train de faire quelque chose que nous faisons rarement, à savoir annoncer un objectif que nous ne savons pas encore comment atteindre ».

Devant l’absence d’un recyclage efficient, Françoise Berthoud estime que les consommateurs peuvent agir en se tournant « vers des modèles conçus pour durer plus longtemps, comme le Fairphone, à éviter la production de nouveaux appareils en réparant ceux qu’ils possèdent déjà, ou encore à chercher un téléphone d’occasion. L’enjeu, aujourd’hui, est d’arriver à augmenter la durée de vie de ces équipements. » « Chaque smartphone neuf vendu devrait être lesté de son “intensité matière”, pense Guillaume Pitron. Toutes les informations sur les matériaux nécessaires à sa fabrication, leurs provenances et les conditions dans lesquelles elles ont été extraites devraient être connues et communiquées. Ce serait une bonne façon de responsabiliser le consommateur. »

Mardi 24 septembre 2019, le Sénat commencera l’examen du projet de loi relatif à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire. Dans les tuyaux : « Un indice de réparabilité devant s’appliquer à cinq familles de produits à l’horizon 2021, dont les smartphones, dit Erwann Fangeat. Une note globale permettrait de savoir si un produit est facilement réparable ou non. Ça irait dans le bon sens. »

[1] Amnesty International a par exemple mis en lumière, en 2016, la vente de cobalt extrait dans des zones où travaillent des enfants à la Congo Dongfang Mining, qui appartient au géant chinois Zhejiang Huayou Cobalt Ltd. Ce cobalt est ensuite vendu à trois fabricants de composants de batteries fournissant, en bout de chaîne Apple, Microsoft, Samsung, Sony, Daimler et Volkswagen.

 

Mikel González-Eguino, klimaren ikerlea : “Lurraren beroketa mugatzeko gure energia-sistema inoiz ez bezala aldatu beharko dugu”
Hiruka .eus – Unai Brea
www.argia.eus/albistea/lurraren-beroketa-mugatzeko-gure-energia-sistema-inoiz-ez-bezala-aldatu-beharko-dugu

Gasteiztarra da Mikel González-Eguino, baina Sopelan bizi da gaur egun. Lantokia Leioako campusean du, klima-aldaketa ikertzen diharduen BC3 zentroan. Klima-larrialdiaz berba egin dugu beragaz, gai horrengatik nazioarteko greba deituta dagoen egun berean.

Klima-larrialdia esamoldea asko entzuten gabiltza egunotan. Zer esan gura du?

Herritarrak, gazteak… mundu osoan mobilizatzen ari dira egoeraren larriaz ohartuta. Zientziaren mezuak aditzen dituzte, eta konturatzen dira dagoeneko klima-aldaketaren eraginak jasaten ari direla, larriak direla, eta konponbiderik bilatu ezean are larriagoak izango direla. Gainera, denbora laburra dago zerbait egiteko, horregatik da larrialdia. Ekintza zehatzak, irmoak eta premiazkoak behar ditugu, eta ez epe luzeko planak bakarrik, orain arte bezala.

Ekintza irmoak, diozu. Ekonomia deskarbonizatzea da gakoa?

Hori alde batetik, eta bestetik klima-aldaketari egokitzea. Azken urteetan klima-aldaketaren muturreko efektuak gero eta sarriago gertatzen direla ikusten gabiltza: lehorteak, urakanak… Klima-aldaketa hemen dago honezkero, ez da etorkizuneko kontua. Eta gainera, herrialde pobreenei eragiten die gehien, aurre egiteko gaitasun txikiagoa dutenei. Egokitzen hasi behar dugu, lehenbailehen. Egokitzapenak gure politika guztien osagaia izan behar du, etorkizuneko efektuek ez gaitzaten hain gogor kolpatu. Bestetik, premiazko ekintzak behar ditugu CO2 eta bestelako berotegi-efektuko gasen igorpena murrizteko.

Epe laburrean egin beharreko lana, zientzialariek ohartarazi dutenez…

Batzuetan oso epe luzeko helburuak ipintzen dira. Parisko Hitzarmenak dio 2050ean gas-emisio netoak, hau da, igortze denaren eta Lurrak xurgatzen duenaren arteko balantzeak, zero izan behar duela. Modu horretan lor liteke Hitzarmenaren helburu nagusia betetzea: Lurraren beroketa globala,  industrializazioaren aurreko garaietatik, ez dadila izan 2 ºC baino gehiagokoa, eta ahal bada 1,5 ºCtik gorakoa ere ez. Baina horretarako egin behar dugun aldaketa ikaragarria da, transzendentala. Energia-sistema inoiz ez bezala aldatu beharra dago. Eta 2050erako promesa asko egin ditzakegu, baina zer ari gara egiten 2030ean, edo datozen bost urteetan, bide onetik joango garela ziurtatzeko? Klima-aldaketa aztertzen duen IPCC zientzialari-taldearen arabera, datorren urtean ailegatu beharko genuke emisioen gailurrera, eta 2030erako erdira jaitsi. Aldaketa izugarria da hori, era premiazkoa da ekitea.

Zelan lor daiteke hori, zelan jaitsi emisioak erdira?

Aste honetan egin den NBEren gailurraren aurretik, António Guterres idazkari nagusiak lau eskari egin zituen. Bata, herrialdeek 2050ean emisioak gutxitzeko plan zehatzak eraman zitzatela gailurrera. Nire ustez hobe litzateke epe laburragoko planak eskatzea, baina… Guterresen beste eskariak oso zehatzak izan dira. Batetik, erregai fosiletarako dauden diru-laguntzak ezabatzea, eskergak dira eta, iturri berriztagarrietarako daudenak baino askoz handiagoak. Bigarrenik, erregai fosilen gaineko zergak sortzea, eta hortik ateratako etekinak estatuek herritarrei itzultzea nolabait (beste zerga batzuk gutxituz, adibidez), energia berriztagarrien eta energia-eraginkortasunaren alorrean inbertitzeko. Azkenik, oso epe laburreko eskari garrantzitsu bat egin zuen NBEren idazkariak: 2020tik aurrera ez dadila ikatz-zentral gehiagorik eraiki.

Garraioa da gakoa? Ibilgailuetarako erregaiak iturri berriztagarriakaz ordezkatzeak dirudi gaitzena.

Garraioa arlo garrantzitsuenetako da, noski. Alde batetik, energia elektrikoa sortzeko ikatz-kontsumoa, Asiako zenbait herrialdetan oraindik goraka doana, gutxitu behar dugu. Datuek diote energia berriztagarrien prezioa honezkero ikatzarena baino merkeagoa dela munduko ia herrialde guztietan. Prozesu hori azeleratu behar dugu, eta ikatz-zentral gehiago eraikitzea saihestu. Eta bestetik, diozunez, garraioa da gakoetako bat; herrialde garatuetan arlo horretan ari da gertatzen emisioen gorakada. Politikak egin behar dira mugikortasun-eredua jasangarriagoa izan dadin. Garraiobide publikoak, oinez ibiltzea, auto elektrikoak masiboki zabaltzea… Eta hori guztia, oso denbora laburrean.

Bestetik, ez litzaizkieke mugak ipini behar gehien kutsatzen duten eta alternatiba gutxiago duten garraio-motei? Abioia, itsaso bidezko trafikoa…

Gaur egun ez dago irtenbide teknologikorik garraiobide horientzat. Uste dut bide biak uztartzea dela egokiena: batetik, garraiobide horiek modu arduratsuagoan erabiltzea, eta bestetik, irtenbide teknologikoak bilatzen jarraitzea, sektore horiek nekez deskarbonizatu ahal izango baitugu erabat. Emisio horiek basoek xurgatutako karbonoarekin orekatu beharra egongo da, adibidez. Baina horrek ez du esan nahi ahal den heinean bidaia-kopurua murriztu behar ez dugunik.

Auto elektrikoari dagokionez, ahots kritiko ugarik diote nekez izango dela alternatiba gaur egungo mugikortasunaren parametroetan. Ez dela nahikoa izango, alegia.

Ni baikorra naiz epe laburrean auto konbentzionalekin lehiatzeko izango duten gaitasunari dagokionez, kostuen alorrean. Gaiari buruz egindako azterketa tekniko gehienek diote 2023-2025erako auto elektriko baten eta konbentzional baten kostua berdintsuak izango direla. Eta gainera, elektrikoa eraginkorragoa da energiaren erabileraren ikuspuntutik, eta beraz merkeagoa alde horretatik. Zein da erronka? Gaur egun oraindik eskura ez dugun birkarga-azpiegitura sortzea. Baina uste dut epe laburrean konpondu ahal izango dela. Eta kasu honetan ere, mugikortasuna eraldatzea ez da auto batzuen ordez beste batzuk ipintzea bakarrik, garraio publikoa sustatzeko eta bestelako neurriekin osatu beharko dugu hori.

Aipatu dugu New Yorken egin berri den NBEren goi-bilera. Zer emaitza izan du?

Ez dira aurreikuspenak bete, baina hitzordu garrantzitsua izan da lider politikoak, sozialak, enpresetakoak.. han elkartu dutelako, ea zer egiteko asmoa duten azaltzera. Ezin esan ezertarako ere balio izan ez duenik. Egia da, nolanahi, gailur asko egiten dela eta ekintza irmoagoen falta sumatzen dela, horixe dabil eskatzen gizartea, eta zientzialariok. Ekintza eraginkorrak behar ditugu, edo ondorioak jasango ditugu.

Klima-aldaketari aurre egiteko nazioartean dagoen akordio nagusia 2015eko Parisko Hitzarmena da. Baina ez da loteslea.

Goitik beherako ikuspegiz hartutako akordioa da. Organismo batek herrialdeak behartu ordez helburu bat lortzera (Kyotoko Protokoloan bezala), erabaki zen gobernuei galdetzea ez zer egiteko prest dauden klima-aldaketaren alorrean, eta gero neurtzea konpromiso horiek nahikoak diren beroketa bi gradutik gorakoa izan ez dadin, edo, ahal balitz, gradu eta erditik gorakoa. Markoa funtzionatzen ari da herrialdeak ekintzak proposatzen ari diren heinean, baina ekintza horien batura, orain arte, ez da nahikoa Parisko helburuak betetzeko. Momentuz, gobernuek egindako promesak kontuan hartuta, hiru graduko beroketa izango genuke, eta hori hondamendi ikaragarria litzateke. Horregatik egin da NBEren gailurra aste honetan, ausardia falta sumatzen delako.

Momentu honetan, Lurraren beroketa industrializazioaren aurreko arotik 1,1 gradukoa da.

Eta ez badugu ezer egiten 1,5ekoa izango da 10-15 urte barru.

Langa hori ez gainditzea posible da oraindino? Badago ezetz uste duenik.

IPCCren esanetan posible da fisikoki, baina berotegi-efektuko gasen emisio guztiak eten beharko genituzke 2050 baino askoz lehenago. Ikuspuntu sozial eta teknologikotik, hori lortzeko beharko genukeen aldaketa ikaragarria litzateke. Oso zaila da.