Articles du Vendredi : Sélection du 11 juin 2010

Les théories du complot contre la critique radicale

Philippe Corcuff, maître de conférences a l’IEP de Lyon et membre du conseil scientifique d’Attac
Article paru dans l’édition d’Alda ! du 03.06.10

« 10 : 10 », une campagne pour chasser le CO2 au quotidien

Hervé Kempf
Article paru dans l’édition du 05.06.10

« La retraite est le droit social par excellence »

Interview du sociologue Robert Castel par Olivier Vilain
Article paru dans l’édition du bastamag.net du 27.05.10

Janari subirautza, mundu justuago baterako iraultza

Maite Aristegi Larrañaga
Herria 2000 Eliza 224 zenb.

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Les théories du complot contre la critique radicale

Philippe Corcuff, maître de conférences a l’IEP de Lyon et membre du conseil scientifique d’Attac
Article paru dans l’édition d’Alda ! du 03.06.10

Le vendredi 18 juin Philippe Corcuff, maître de conférences et membre du Conseil scientifique d’Attac, donnera une conférence au local de la Fondation Manu Robles-Arangiz à Bayonne à 19h00, dans le cadre du programme de formation de Bizi!( https://bizimugi.eu/?p=1835) “«On nous cache tout, on nous dit rien» : a-t-on vraiment un esprit critique quand on croit aux complots?” en sera le titre. Des Attentats du 11 septembre, à la grippe A, en passant par le réchauffement climatique, le lobby juif, la franc-maçonnerie, etc. ce sera une occasion de voir comment et pourquoi la théorie du complot fonctionne…Voici les réponses de Philippes Corcuff aux questions d’Alda!


Alda! : Qu’est-ce qu’on entend par «théories du complot» ?
Philippe Corcuff : C’est expliquer principalement l’histoire humaine par les manipulations cachées opérées par quelques individus puissants. C’est une vision fausse du cours du monde du point de vue des grandes pensées critiques, de Marx à Bourdieu. Pourquoi ? Car ces théories critiques mettent l’accent sur les structures sociales (comme la dynamique capitaliste, les rapports de classes, de genres, la domination culturelle, etc.) qui contraignent les actions des individus, même les plus puissants. Alors que pour les théories du complot, ce sont les intentions de quelques individus qui apparaissent toutes-puissantes. Je vise bien ici des théories du complot, mais cela ne remet pas en cause l’existence (bien réelle) de «complots», de manipulations cachées, de «coups tordus», etc. dans l’histoire du monde. C’est l’hypothèse selon laquelle ils donneraient le la à cette histoire qui est en cause(1).

Il y a deux grands pôles dans les théories du complot.

Il y a les théories hard, les plus déraisonnables par rapport aux connaissances disponibles, qui peuvent être associées à des relents racistes, comme le négationnisme.
Et il y a des théories soft, plus raisonnables, comme les tonalités conspirationnistes qu’on trouve dans la critique des médias de Noam Chomsky. Ces formes soft demeurent toutefois erronées.
Par exemple, une sociologie critique comme celle de Bourdieu met en évidence que la domination médiatique est plus compliquée que «la propagande» et «la manipulation», même s’il y a une composante de propagande et de manipulation(2).

Alda! : Mais le doute vis-à-vis des vérités présentées comme officielles n’est-il pas légitime pour un esprit critique ?
Ph. C. :
C’est là où la critique philosophique des théories du complot peut prendre le relais de sa critique sociologique. Il y a un risque que tout approche raisonnée ne soit engloutie dans les théories du complot par un doute illimité, un doute qui devient un quasi-absolu religieux, dans une logique auto-dévorante. Et alors la paranoïa peut tendre à remplacer l’usage raisonnable de la raison critique. Un des personnages de Shutter Island, le roman noir de Dennis Lehane adapté par Martin Scorsese, pointe bien le problème : «Vous avez réussi à vous convaincre que vous étiez toujours marshal et qu’à ce titre vous étiez venu enquêter à Shutter Island. A cette occasion, vous avez découvert une vaste conspiration ; par conséquent, tout ce que nous pouvons dire ou faire pour vous prouver le contraire ne sert qu’à entretenir l’illusion du complot.». Il faudrait pouvoir opposer une perplexité raisonnée à une telle dérive paranoïaque.


Alda! : Les théories du complot ont-elles toujours existé ?
Ph. C. :
Non. Les théories du complot n’émergent vraiment qu’au XVIIIè siècle, quand la croyance religieuse commence à reculer, des puissances humaines occultes remplaçant alors l’action divine. C’est ainsi contre la Révolution française qu’apparaît le thème du «complot franc-maçon». Les théories du complot se développent ensuite au XIXè siècle : là «le complot juif» a la côte. Á partir de la révolution bolchévique de 1917, «le complot communiste» aura un grand succès jusqu’en 1989. Aujourd’hui, le «complot juif» s’est souvent transformé en «complot sioniste», l’anti-impérialisme peut se dégrader en «complot américain», le thème néo-conservateur du «choc des civilisations» a alimenté le créneau du «complot islamique», etc. La littérature d’espionnage et policière comme le cinéma et la télé contribuent à nourrir l’imaginaire conspirationniste : de James Bond à X-files et Da Vinci Code. Et internet est devenu un formidable amplificateur de rumeurs conspirationnistes : 11 septembre 2001, grippe A, réchauffement climatique, etc.

Alda! : Quelles sont les conséquences de la diffusion des théories conspirationnistes au niveau du militantisme ?
Ph. C. :
Tout d’abord, elles appauvrissent de manière manichéenne la critique sociale. Elles ne sont pas radicales, au sens étymologique de saisir les choses à la racine, mais superficielles. On manque ce qu’est le capitalisme, par exemple, si on a en tête James Bond. Il vaudrait mieux avoir à l’esprit la Matrice des Matrix ou Skynet des Terminators, qui pointent des machineries tyranniques qui échappent aux individus, y compris aux individus qui en profitent comme on l’a vu avec la récente crise financière.
Ensuite, elles peuvent laisser entendre qu’il vaut mieux rester devant son ordinateur pour s’informer des derniers complots à la mode plutôt que d’agir quotidiennement contre les structures sociales oppressives et essayer d’inventer des formes alternatives dès maintenant.

Alda! : Quelles sont les sources pour réagir ?
Ph. C. :
Il vaudrait mieux lire Marx et Bourdieu, et d’autres penseurs critiques, plutôt que d’être happé par ce qui brille sur internet.

Mais il y a aussi des sites anti-conspirationnistes à consulter, comme le site généraliste www.conspiracywatch.info ou le site sur le 11 septembre www.bastison.net ; d’ailleurs l’universitaire qui anime ce dernier site, le spécialiste de génie civil Jérôme Quirant, vient de sortir un petit livre pédagogique intéressant : 11 septembre et Théories du complot. Ou le conspirationnisme à l’épreuve de la science (Éditions book-e-book). Enfin, je signalerai l’excellent dossier du mensuel Alternative Libertaire dans son n°189 de novembre 2009 (http://www.alternativelibertaire.org/spip.php?rubrique153).

(1) Voir P. Corcuff, «Le « complot » ou les mésaventures tragi-comiques de « la critique »», www.mediapart.fr/club/blog/philippe-corcuff/190609/le-complot-ou-les-mesaventures-tragi-comiques-de-la-critique.

(2) Voir P. Corcuff, «Chomsky et le « complot médiatique ». Des simplifications de la critique sociale», www.mediapart.fr/club/blog/ philippe-corcuff/120609/chomsky-et-le-complot-mediatique-des-simplifications-actuelles-de-.

« 10 : 10 », une campagne pour chasser le CO2 au quotidien

Hervé Kempf
Article paru dans l’édition du 05.06.10

C’est dans une bonne humeur affichée que Yann Arthus-Bertrand lance, samedi 5 juin, par des pique-niques à Paris, Lyon, Toulouse et Bordeaux, la campagne « 10 :10 ». « Etre écolo, c’est aimer la vie », considère le photographe. La campagne, organisée par sa fondation Good Planet, veut inciter particuliers, entreprises et collectivités à s’engager à réduire de 10 % leurs émissions de gaz à effet de serre en un an.
L’engagement s’appuie sur dix principes pour les individus, tels que faire du vélo, réduire le niveau de chauffage et de consommation électrique, prendre moins l’avion, manger plus de fruits et de légumes – issus de l’agriculture biologique – et moins de viande, éviter les emballages inutiles et « passer plus de temps avec la famille et les amis  » afin de « moins consommer ».
La campagne est la déclinaison française d’une initiative lancée en Grande-Bretagne en novembre 2009 par Franny Armstrong, la réalisatrice d’un documentaire sur le changement climatique intitulé « Age of stupid », un grand succès dans les pays anglo-saxons. « A la fin des projections, les gens venaient me voir en me demandant ce qu’on pouvait faire », explique Mme Armstrong, qui sera à Paris samedi. « Cela m’a donné l’idée de réduire les émissions de 10 %, et l’équipe du film s’est investie dans le projet. Le quotidien The Guardian nous a soutenus, et le succès a été immédiat. »
Des vedettes ont signé de suite, ainsi que le gouvernement de Gordon Brown – celui de David Cameron a lui aussi, dès son intronisation, adhéré au « 10 :10 ». Près de 60 % des conseils municipaux britanniques auraient aussi adhéré au projet. « Nous voulons montrer que les gens s’impliquent », dit Mme Armstrong, « afin de peser sur les hommes politiques pour qu’ils fassent avancer les négociations sur le changement climatique. »
La campagne, qui se veut non culpabilisante, a été reprise en Irlande, Norvège, Pays-Bas, Australie, Ghana, Allemagne, et maintenant en France.
Le Parti socialiste et l’UMP ont déjà signé l’engagement. Pour quels actes concrets ? Xavier Bertrand, secrétaire général de l’UMP, indique que le nouveau siège de son parti, en 2011, sera aux meilleures normes énergétiques. « On va aussi essayer de réduire nos déplacements en avion, et de faire plus de co-voiturage. A titre personnel, je vais faire plus attention à mon alimentation. »
Démarche volontaire
Du côté du PS, Martine Aubry vante les réalisations de la ville de Lille, dont elle est maire : « On a initié nombre de politiques, qu’on va continuer. J’espère qu’on pourra faire -7 % dans l’année. » La première secrétaire du Parti socialiste apprécie particulièrement que la campagne « 10 :10 » « fasse entrer les gens dans une logique collective » et que « l’écologie n’y est pas vécue comme une contrainte. »
Toute la campagne est en effet fondée sur une démarche volontaire. Si les entreprises disposent des outils pour mesurer leurs émissions de gaz à effet de serre, c’est plus difficile pour les particuliers. Yann Arthus-Bertrand lui-même ne connaît pas son bilan carbone : « Il a été calculé à la Fondation, mais je ne le connais pas. » Alors, que va-t-il faire ? « J’ai remplacé ma chaudière au fioul par une chaudière à bois. Et puis je ne mange presque plus de viande rouge. Mais si les gens n’arrivent pas à moins 10 %, ce n’est pas grave, l’important est de créer une dynamique. »
Cependant, par rapport à des campagnes précédentes comme celle du Défi pour la Terre, lancée en 2005 par la Fondation Nicolas Hulot et l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), « 10 :10 » est originale car elle fixe un objectif chiffré. Pour Jean-Marc Jancovici du cabinet Carbone 4, « le sens de cette campagne est de dire, « quand on veut, on peut ». Cependant, réduire de 10 % ses émissions est tout sauf simple. « En moyenne, un Français émet 8,5 tonnes d’équivalent CO2 par an, et même 10,5 tonnes si l’on tient compte des produits importés, dit M. Jancovici. Réduire de 10 % en un an est impossible, hors effondrement économique. Entre 2008 et 2009, du fait de la récession, on a baissé de 3 %. Cela montre l’ampleur de la tâche. »
Comment connaître ses émissions personnelles ? L’Ademe a élaboré un calculateur carbone. La Fondation Nicolas Hulot prépare pour septembre un outil plus complet. « Cela nous apprend des choses intéressantes, dit Benoît Faraco, de la Fondation. Par exemple que plutôt qu’éteindre les appareils électroniques, le mieux est d’en limiter le nombre, parce que c’est à la production que les émissions sont les plus fortes. On a découvert aussi que le rôle de l’alimentation est très important. »

Sur le Web : le site de la campagne « 10 :10 », www.1010.fr.

Vers des quotas individuels d’émissions ?
L’idée de réduire les émissions individuelles de gaz à effet de serre a été étudiée par le gouvernement britannique en 2006. Le projet « Carbon limited » imaginait des quotas individuels pour toute la population. Les dépassements donneraient lieu à l’établissement d’un marché. Le projet est en sommeil, mais plusieurs pays, notamment la Finlande, continuent d’explorer cette piste.

« La retraite est le droit social par excellence »

Interview du sociologue Robert Castel par Olivier Vilain
Article paru dans l’édition du bastamag.net du 27.05.10

Le sociologue Robert Castel défend cette « propriété sociale » que constitue le droit à la retraite, et qui évite – pour combien de temps ? – aux salariés vieillissants de devenir pauvres. L’ancien disciple de Pierre Bourdieu et Michel Foucault rappelle que « la percée la plus décisive en matière de droits sociaux », dont la retraite, a été réalisée dans une France qui allait bien plus mal qu’aujourd’hui : un pays dévasté par la Seconde guerre mondiale, avec une productivité qui s’était effondrée, mais où la volonté politique de redistribuer les richesses produites était bien présente. Entretien.

Pourquoi avez-vous signé l’appel lancé par la Fondation Copernic et l’association Attac en faveur de la retraite par répartition ? Un appel qui tire un bilan désastreux des précédentes réformes et qui alerte sur le risque de paupérisation des retraités.
Il faut prendre une position assez ferme sur la question des retraites. C’est pourquoi j’ai signé cet appel. L’enjeu est tel qu’il est important de rassembler la gauche pour faire prévaloir ses orientations. Voilà ma position. Je me distingue néanmoins de cet appel sur un point : je ne pense pas que l’âge de départ à la retraite soit nécessairement le principal objectif à défendre. Mais dans le contexte actuel, très défavorable aux salariés, il faut faire très attention lorsque l’on manipule cette idée de modulation : je ne prône pas un allongement de la durée de cotisation, surtout pas ! Il ne m’apparaît pas nécessaire, dans l’idéal, de traiter de la même façon qu’un ouvrier quelqu’un qui n’a pas eu un métier aussi épuisant, ce qui impliquerait des négociations sérieuses en fonction des types de métiers.
Une réforme du système de retraite en vue de lui assurer les financements nécessaires doit impérativement respecter deux éléments. D’une part, la possibilité de partir à la retraite au-delà des 60 ans statutaires n’a de sens que pour quelques professions privilégiées. D’autre part, le droit à la retraite exige la définition d’une pension minimale suffisamment élevée afin de permettre l’autonomie économique des individus.
La réforme qui se dessine va diminuer les revenus des retraités alors que ceux-ci ont déjà des difficultés à constituer des droits à la retraites suffisants en raison de la déstructuration du monde du travail. Le droit à la retraite est-il menacé ?
Il m’apparaît nécessaire de défendre un véritable droit à la retraite par répartition qui donne un socle suffisant de ressources pour continuer d’avoir une vie correcte après la vie de travail, c’est-à-dire qui permet à chaque salarié de continuer à bénéficier d’un minimum d’autonomie économique. Pierre Laroque, « l’inventeur » de la Sécurité sociale à l’issue de la Seconde guerre mondiale, affirmait d’ailleurs qu’elle était instituée en tant que « garantie donnée à chaque homme qu’en toutes circonstances il pourra assurer dans des conditions satisfaisantes sa subsistance ». Il ne devrait donc pas exister de retraités pauvres. Or, le risque actuel est bien que la retraite devienne progressivement un minima de subsistance.
Du point de vue du droit, la pension de retraite fonctionne comme un salaire indirect, grâce auquel une partie du produit de son travail revient, avant la fin de sa vie, au travailleur lui-même. Ceux qui ont participé à la production de richesses peuvent ainsi continuer de bénéficier d’une partie de la richesse produite, une fois qu’ils ont arrêté de travailler à cause de leur âge avancé. Une partie du travail des salariés leur revient ainsi sous forme de protection, même si leurs patrons en ont accaparé la plus grande part dans ce système capitaliste. Ce droit permet ainsi de les affranchir de la dépendance qui était la condition du vieux travailleur avant l’instauration de la retraite. Cette dépendance le laissait soit à la charge de ses enfants, soit au bon vouloir de la charité ou aux prises avec les hospices pour indigents. Une situation épouvantable !
Certains universitaires estiment que les retraités sont des privilégiés dans cette période de chômage de masse et de revenus plus faibles. Ils vivraient un véritable « âge d’or » contrairement aux jeunes largement victimes de l’accroissement des inégalités. Partagez-vous cette position ?
Avec le mouvement d’implantation du droit à la retraite, à partir du lendemain de la Seconde guerre mondiale, le phénomène du « vieux pauvre », si caractéristique de l’histoire ouvrière, s’est atténué. La plupart des salariés des « Trente glorieuses » ont été « couverts » par la retraite, et l’on assiste désormais plutôt à un développement massif de la pauvreté parmi les jeunes. En suivant le raisonnement selon lequel les jeunes retraités, qui ont entre 60 et 70 ans, représenteraient une classe d’âge privilégiée, il y a la tentation de les désigner comme étant trop riches. C’est un raisonnement pervers ! Cette recrudescence de la pauvreté chez les jeunes s’explique surtout par la faible qualité des emplois qui leur sont proposés et leur fort taux de chômage. Ce phénomène ne doit pas être le prétexte pour dépouiller les « vieux » salariés ! Surtout qu’il existe encore des retraités pauvres. Un phénomène qui s’explique notamment par l’arrivée à la retraite de salariés qui n’ont connu que le régime de chômage de masse et de faibles salaires en raison notamment du travail intermittent ou à temps partiel.
Comme en 1993 et 2003, la réforme de 2010 est menée au nom du sauvetage de notre système de retraite. Vous n’avez pas l’air inquiet malgré les prévisions très pessimistes sur son financement, pourquoi ?
L’idéal serait une société de plein emploi. Dans ce cas, le financement des systèmes sociaux ne figurerait même pas à l’agenda politique. Or, nous sommes de toute évidence dans une phase du capitalisme qui développe, au contraire, le chômage et la précarité. Il faut avoir à l’esprit l’élément suivant : si la croissance facilite les choses, elle ne remplace pas la volonté politique. Ainsi, dans les discours publics sur la retraite, on oublie souvent de rappeler que la percée la plus décisive en matière de droits sociaux a été réalisée avec la Sécurité sociale en 1945 et 1946 ; c’est-à-dire dans une France dévastée, dont la productivité était tombée en deçà du seuil atteint en 1929. Le financement du système de protection sociale dans son ensemble, et des retraites en particulier, nécessite une meilleure répartition de la valeur ajoutée entre le capital et le travail. Dans une perspective de gauche, c’est un principe évident.
Pour que le droit à la retraite soit assuré, il faut garantir une certaine égalisation des conditions en procédant à une certaine répartition des richesses, à défaut de mettre en place des politiques générant davantage d’égalité. Par exemple, il faudrait que le salarié payé tout au long de sa vie au Smic — c’est un cas de figure qui existe — ait au moins de quoi vivre une fois à la retraite, sans basculer dans l’assistance. Comme l’a dit, en 1895, Jean Jaurès en défendant la loi sur les retraites ouvrières et paysannes : il faut « qu’il n’y ait plus là comme une organisation de charité, mais comme la reconnaissance du droit ». La retraite est en effet le droit social par excellence que ce soit pour la classe ouvrière et, plus largement pour l’ensemble des travailleurs, car ce mécanisme permet d’accéder à une sorte de propriété sociale, commune à chaque salarié.
Derrière l’actuelle réforme gouvernementale, se dessine déjà un mouvement en faveur d’un « big bang » à la suédoise. Se référant au modèle suédois, à la CFDT, au PS, au Modem et même à l’UMP, des voix s’élèvent pour unifier les régimes de retraites, individualiser les droits, au risque de renforcer les fonds de pensions. Est-ce une voie à suivre ?
Le modèle suédois en matière de retraite ? Il faut se méfier des modes. De même dans le domaine du travail, on nous vante la « flexécurité » à la danoise. Bien sûr, nous avons toujours à apprendre de la comparaison internationale. Toutefois, les promoteurs des concepts comme le « modèle suédois des retraites » ou celui de « flexécurité à la danoise » en font une importation extrêmement sélective et partielle. Ainsi, ces modèles fonctionnent dans leur pays d’origine comme un tout. Or, personne en France ne propose de les transposer dans leur ensemble, c’est-à-dire avec leurs conditions d’application. Ainsi, dans ces pays, on compte 80% des salariés affiliés à un syndicat. On y trouve aussi un modèle social-démocrate qui impose des prélèvements sociaux bien plus importants qu’en France et une solide tradition de concertations entre patronat et syndicats.
Dans le cas des assurances privées, on voit réapparaître immédiatement la distinction entre pauvres et riches. Ces derniers sont les seuls à pouvoir épargner suffisamment pour compenser l’affaiblissement des retraites du régime général de la Sécurité sociale. Si on soumet le droit à la retraite aux fluctuations du marché, inutile de dire que cette option comporte beaucoup de risques. Il suffit d’écouter ce qui se passe à la Bourse ces jours-ci… Revenons plus particulièrement au système de retraite suédois, sans entrer dans les détails, je reste méfiant en raison du rapport de force dominant en France, qui est très défavorable aux salariés. Dans ces conditions, il y a tout à craindre que l’importation d’un soi-disant « modèle suédois » en matière de retraite ne serve en définitive qu’à déconstruire notre propre système de retraite en revenant sur le principe de la répartition.

Janari subirautza, mundu justuago baterako iraultza

Maite Aristegi Larrañaga
Herria 2000 Eliza 224 zenb.

Nekazaritza sektoreak Euskal Herrian azken 30 urtetan izan duen bilakaerak egoera negargarri baten aurrean jartzen gaituela gauza jakina da. EAEn soilik, 50.000 nekazal lanpostu izatetik 9.000 eskas izatera pasa gara eta itxitako baserri kopurua proportzio berean doa.

Datuek argi diote; gero eta baserritar gutxiago gaude eta ia elikagai guztietan gero eta gutxiago produzitzen dugu, bataz beste kontsumitzen dugunaren %10era ere iristen ez garelarik.

Errealitate beltz honen arrazoiak ulertzeko baina, urrutixeago begiratu behar dugu,
mundu zabaleko ikuspegiak erakusten baitigu desberdintasun onartezinak daudela, denak erabaki ekonomiko ezin txarragoen ondorioz; indarrean dagoen nekazaritza-eredua jasanezina dela, ez dela gai bere zeregin nagusia betetzeko, hau da, pertsonak elikatzeko.
Ikaragarria da!

Mila miloi pertsonatik gora gosez hiltzen daude eta hauetatik hiru laurden nekazariak dira gainera! Bitartean, elikagaiak nora doazen erabakitzen duten korporazio industrialek irabazi neurrigabeak pilatzeaz gain, egungo kutsatzailerik handiena den elikadura sistema globalizatua bultzatzen jarraitzen dute (deforestazio eta baso naturalak laborantza-bakarrerako sail bihurtzean, elikagaiak prozesatu eta mundu osotik garraiatzearen ondorioz berotegi efektua duten gasen %57 isurtzeraino).

Europako Nekazaritza Politika bateratuak ere esportazioari lehentasuna eman eta eskulan merkeagoa duten herrialdeetara deslokalizatzean gizarte eta ingurumenean eragindako kalteak begibistakoak dira. Arautu gabeko merkatu espekulatzaileak prezioek hondoa jotzea ekarri du ekoizpen kostuak baino merkeago, eta laguntzak “dumping” dinamika maltzur horri eusteko; hegoaldeko nekazaritza-ekonomiak txikitu eta iparraldekoak laguntzen menpeko bihurtu. Euskal Herrian ere, %20ak, laguntzen %81a jasotzen du. Eta datuek intentsifikazioaren erabateko porrota adierazten badute ere (ez da etekingarria ez ekonomikoki, ez soziaiki, ez ingurugiro eta osasunari begina), Bruselan desregulazioaren dogmarekin jarraitzen dute; erreformei ingurumena zaintzearen itxura eman zaien arren, praktikan ekoizpena eremu jakin batzuetan eta ustiategi gutxi batzuetan pilatu dute, familia-ustiategi kopuru izugarria desagertaraziz. Euskal Herrian inon baino argiago ageri da eredu produktibistaren porrota, administrazioek eurek bultzaturiko proiekturik handienetan: Iparlat, Gurokela eta barazkien laugarren gaman esaterako.

Egoera larria eta konponbide sakona eskatzen duena!

Baina argi dugu: bada soIuzionik; ilusioa sortuko duten, gure landa-guneak biziaraziko dituzten proiektuak ganatzea posible da! Janari subirautza da bidea, hau da, leku bakoitzean ekoitzi, lekuan bertan kontsumitzeko; aukera eta errekurtsoak eman Herri bakoitzari behar duena produzitzeko.

Europa mailan, merkatuen erregulazioa, produkziokostu errealak ordainduko dituzten prezioak bermatzeko; ekoizpenaren kontrola eta eredu sustengarri eta sozialari lotutako laguntzen berbanaketa ezinbestekoa da.
Baina neurri horiek aldarrikatzea bezain inportantea, errealitatean eta geurera etorriz edukiak ematea izango da, lekuko ekoizpenaz eta kontsumoaz hitz egitea.
Bide honetan ekonomikoki zein sozialki bideragarri eta ilusionagarri diren hainbat proiektu pizten eta indarra hartzen ari dira: Nekasarea, “Bizkaiko bildotsa”…; horiek ditugu etorkizuneko ardatz: salmenta zuzena eta merkaturatze-bide laburrenak lantzeaz gain, ekoizpen eredu estentsiboa eta jasangarria bermatuko dutenak.
Herri bezala ere bada garaia lehen sektorearen garrantziaz eztabaidatzeko, berau galtzeak zer suposatzen digun eta benetan nolako nekazaritzasektorea nahi dugun, beste gizarte-eredu baten beharrei nola erantzun; zeren janari subirautza oinarri hartuta, Euskal Herriko nekazaritza-sektoreak badu berpiztu eta indartzeko aukerarik, janari on eta osasungarriak modu sozialean, ingurumenarekin bat eginda eta era errentagarrian sortzeko prest dauden gazteen ekimenez.
Produkzioa bertakoon beharrizanetara zuzenduz gero, eta krisi garai honetan areago, argi dago lana eskaini dezakeen sektore bat dela, baina gazteak progresiboki baserriratzeko tresnak zorroztu behar dira eta jendarte osoak behar luke horren bultzatzaile: lurra, zainduko dutenen, hau da,nekazaritza aktibitate sustengarriaren esku jarri; formakuntza eta sensibilizatze planak, jendartea nekazaritza biziaren garrantziaz jabetu eta baserriratu nahi duten gazteei formakuntza egokia bermatzeko; laguntza plan egokia; industria eta bitartekarien gehiegikeriak saihestuko dituen prezioen behatokia; kontsumo-gune garrantzitsu diren ikastetxe, ospitale, egoitza eta abarretako jangela publikoetan bertako produkzio osasuntsua ziurtatzeko neurriak, osasunean inbertitzeaz gain, ekoizpen lokala aktibatu eta herrimailako merkataritza sarea mantentzeko…

Elikadura subirautzatik posible da beste Euskal Herri bat eraikitzen laguntzea. Oinarrizko zutabe honi babesa eta edukia emateko, nekazarioz gain ezinbestekoa da gainontzeko sindikatu eta eragile sozialekin ekintzak garatzeko ardatzak zehaztea, aliantza sozial indartsu bat gorpuztea, egunerokotasunari erantzuteaz gain, nekazaritza politiken aldaketa bultzatzeko.

Irtenbidea badugu, zeregina ere bai .

Jar gaitezen bada lehenbailehen elkarlanean, subirautzaren bide berean.