Articles du Vendredi : Sélection du 11 février 2022


LGV : un retour à grande vitesse
Martine Bouchet et Txetx Etcheverry Militante du Collectif des associations de défense de l’environnement, et militant d’Alternatiba et de Bizi !
www.politis.fr/articles/2022/02/lgv-un-retour-a-grande-vitesse

Enterré au début du mandat d’Emmanuel Macron, le projet de liaison rapide Bordeaux-Toulouse et Bordeaux-Dax est ressorti des cartons et tente de passer en force. Mais associations, citoyens et élus freinent des quatre fers.

On le pensait enterré pour longtemps, mais le voilà qui ressurgit brutalement : le projet de ligne à grande vitesse (LGV) dit GPSO (Grand Projet du Sud-Ouest Bordeaux-Toulouse et Bordeaux-Dax).

La rapidité avec laquelle ce projet redémarre est stupéfiante. D’autant plus que c’est le président Macron lui-même qui avait enterré la politique LGV dès le début de son mandat, en juillet 2017, déclarant qu’il fallait «ne pas relancer de grands projets nouveaux mais sengager à financer tous les renouvellements dinfrastructures».

Or voilà que, subitement, le même homme nous annonce en septembre 2021 : «Je peux vous dire que, quand le TGV narrive pas ou ne passe pas par une ville, cest terrible […]. La décennie 2020 sera la décennie TGV.» Et depuis cette annonce fracassante, tout s’est enchaîné très vite. Fin septembre 2021, les présidents des collectivités des régions Nouvelle-Aquitaine et Occitanie sont convoqués à la préfecture de région où on leur explique qu’ils devront participer au financement de la LGV GPSO. Une participation qui n’a rien de modique, puisque les 26 collectivités locales concernées doivent trouver 5,6 milliards d’euros (1).

Il est d’ailleurs très surprenant de demander la participation des seuls citoyens habitant au sud des lignes : les Parisiens ne paieront pas. On voit bien l’argument qui fonde cette logique : la LGV serait un cadeau fait à ces indigènes du bout de la France, que l’on va ainsi désenclaver une bonne fois pour toutes. Un cadeau empoisonné ! Rapprocher Paris ou Bordeaux des fins fonds du Sud-Ouest signifie surtout raccourcir le temps de trajet vers la future résidence secondaire de week-end ou le domicile secondaire de télétravail pour certains secteurs au pouvoir d’achat bien supérieur à celui des populations locales, a fortiori dans les classes populaires.

Dégâts écologiques et sociaux

Ainsi, certains habitants se voient expulsés de leur logement par un tsunami de congés pour vente et doivent déménager loin de leurs lieux de travail et d’activités diverses. Dans un territoire aux transports collectifs sous-développés, comme au Pays basque, cela les condamne à des trajets automobiles quotidiens et à des embouteillages monstres, épuisants et désastreux sur le plan des émissions des gaz à effet de serre. Le train normal est un allié du climat. La LGV, outil par excellence de déménagement des territoires, en est un des ennemis résolus, quel que soit le greenwashing qui l’entoure.

Revenons-en à la rapidité imposée pour valider les financements, qui prive du temps nécessaire de respiration démocratique pour mesurer l’ampleur des conséquences d’une telle décision. Et si ce n’était qu’une illustration, à notre échelle, de la stratégie du choc théorisée par Naomi Klein ? Une stratégie qui consiste à profiter du désarroi d’une population ayant vécu un désastre pour appliquer des tactiques brutales en vue de faire passer en force, sans respect pour les valeurs démocratiques, des mesures favorables aux intérêts économiques de certains.

Cette manœuvre si rapide pour obtenir le financement de la LGV alors qu’on sortait d’une phase de la crise sanitaire n’a pas si mal fonctionné, si on en croit le préfet de la région Occitanie, Étienne Guyot, nommé coordonnateur de la LGV GPSO : « Je me réjouis qu’en moins d’un mois 23 collectivités territoriales sur 26 se soient engagées à hauteur de 5,2 milliards d’euros. » C’est sûr qu’il s’agit là d’un tour de force. Heureusement, certaines collectivités ne sont pas tombées dans le piège imposé par la précipitation : le département de la Gironde, celui de Lot-et-Garonne, le Grand Dax et le Pays basque ont refusé de contribuer financièrement au projet.

Et la démocratie ?

Fait notable dans la communauté d’agglomération du Pays basque, les élus ont refusé cette pression et ont porté le réflexe démocratique en première ligne : c’est l’intérêt même de cette LGV qui a été mis au débat, pas uniquement son financement. Nourri par trente années de luttes portées par les associations, les citoyens et des élus du territoire, qui ont mis au jour les mensonges de Réseau ferré de France et des promoteurs du projet, le débat a été de très bonne qualité. Le résultat est sans appel : près de 78 % des élus communautaires ont estimé que la LGV n’était pas utile. La communauté Pays basque, loin de se laisser surprendre, a saisi l’opportunité à la volée pour prendre une décision démocratique fondamentale qu’on ne lui demandait pas mais que l’État devra bien entendre. La bataille ne fait que (re)commencer.

(1) 14 milliards d’euros au total doivent être réunis à une période où l’argent manque pour le maintien ou l’entretien des lignes ferroviaires classiques, entraînant la dégradation constante des conditions de circulation et de ponctualité, voire le démantèlement des offres de services des TGV classiques, des trains de proximité, des trains de nuit ou du fret ferroviaire.

Une idée nouvelle : ‘ Réussir la transition écologique en subventionnant l’emploi ‘
Catherine Marin
https://reporterre.net/Une-idee-nouvelle-Reussir-la-transition-ecologique-en-subventionnant-l-emploi

Comment en finir avec les productions polluantes sans dégrader encore l’emploi ? En le subventionnant dans le cadre d’une Sécurité économique financée par les entreprises. C’est ce que propose le chercheur en économie Benoît Borrits.

L’autre programme — Que pourrait faire un gouvernement pour engager la transformation de notre société ? Travail, démocratie, fiscalité, agriculture, énergie… Reporterre vous propose d’explorer, par des reportages et des enquêtes, quelques mesures de rupture écologique et sociale.

Benoît Borrits est chercheur indépendant et auteur. Son dernier livre, Au-delà de la propriété. Pour une économie des communs, est paru aux éditions La Découverte en 2018.

Reporterre — Pourquoi est-il, selon vous, indispensable de repenser le travail pour réussir la transition écologique ?

Benoît Borrits — D’abord parce qu’il est important que les gens n’aient pas peur de cette transition. Pour l’instant, nous ignorons encore les formes concrètes qu’elle prendra et si le nombre d’emplois « verts » créés sera au moins équivalent à celui des emplois détruits, notamment dans les secteurs très émetteurs de gaz à effet de serre, comme l’automobile. Dans le contexte d’un chômage de masse qui n’a jamais été résorbé en quarante ans, cette incertitude est une source majeure d’inquiétude et pourrait induire des résistances sociales légitimes. Le mouvement des Gilets jaunes, avec sa contestation de la taxe carbone, n’en a été qu’un avant-goût.

Ensuite, parce que plus on socialisera l’économie, moins on la laissera dépendre des seuls détenteurs de gros capitaux, et plus les citoyens auront leur mot à dire sur ses orientations, c’est-à-dire sur ce qui est produit et comment. C’est essentiel à une transition écologique réellement démocratique.

Vous proposez donc d’instituer une Sécurité économique. Selon quels principes ?

Puisque la croissance de l’économie n’a jamais permis de résorber le chômage de masse, il est urgent de recourir au subventionnement de l’emploi. Les Territoires zéro chômeurs de longue durée (TZCLD) le pratiquent déjà avec succès.

On pourrait penser qu’un tel subventionnement des emplois à l’échelle du pays est irréaliste, tant les montants en jeu sont importants : de l’ordre de 560 milliards d’euros annuels pour une couverture à 75 % du Smic, d’après mes calculs fondés sur les statistiques de l’Insee 2019.

Mais l’originalité de la Sécurité économique telle que je la conçois, c’est justement de ne pas faire appel au budget de l’État : ce sont les entreprises elles-mêmes qui la financeraient.

Le principe est simple. On crée une caisse de subventionnement alimentée par les contributions des entreprises, au prorata de leur flux de trésorerie d’activité, une base qui peut être évaluée mensuellement et est donc au plus près des ressources des entreprises. Cette caisse permettra de reverser ensuite à chaque entreprise une allocation pour tout travailleur. Elle pourrait être de 75 % du Smic, mais bien évidemment c’est à discuter. Les indépendants la percevront aussi, à l’instar de toute entreprise.

L’allocation serait versée même aux grandes entreprises ?

Oui. Mais loin d’être un nouveau « cadeau » à leur intention, la Sécurité économique réalisera des transferts d’argent de ces entreprises riches vers celles qui le sont moins. C’est une proposition de régime obligatoire interentreprises, comme la Sécurité sociale, dans lequel une partie de la richesse produite est mutualisée pour être redistribuée entre celles et ceux qui participent à la production.

Quels en seraient les bénéfices réels pour l’emploi et les individus ?

Ce système serait d’abord bénéfique à la création d’emplois. En couvrant tout ou partie du Smic, cette allocation diminuerait fortement le risque financier des entreprises, ce qui les inciterait à embaucher. Si cette allocation était significative, nous pourrions rapidement tendre vers le plein emploi.

Outre davantage de sécurité économique, les individus y gagneraient la possibilité de choisir leur employeur. Personne n’occupe, sans y être contraint, un emploi inutile (bullshit job) ou, pire, qui amplifie la crise écologique – pensons aux travailleurs des abattoirs, par exemple. La Sécurité économique permettra à ces personnes de rechercher un autre emploi, plus en accord avec leurs aspirations. Cela aura aussi pour effet de créer une pression sur les secteurs maltraitants ou abonnés aux bas salaires, comme ceux du soin.

Contrairement à ce qu’on pourrait penser, beaucoup d’entreprises sont favorables à ce système. Pensez aux agriculteurs qui peinent à se verser un salaire décent, à une coopérative d’activité et d’emploi ou à une petite PME : avec la Sécurité économique, il leur sera plus facile de payer les salaires de leurs employés, et même de les augmenter… D’ailleurs, sans ce système de redistribution, comment feront-elles pour verser un Smic de 1 500 euros net mensuel à leurs employés, comme s’y engagent certains candidats ?

Quel apport pour la transition écologique ?

En garantissant le plein emploi, le subventionnement rendra plus envisageable des fermetures d’activités polluantes car, face aux emplois qui disparaîtront, les individus trouveront de nouvelles possibilités. L’industrie nucléaire, par exemple, serait peut-être moins soutenue par les syndicats si de réelles possibilités de reconversion étaient données aux employés.

Comme les besoins de financement pour lancer une nouvelle activité économique seront réduits, du fait de la perception d’une allocation pour chaque emploi créé, nous aurons une économie moins gourmande en capitaux. Cela la rendra plus démocratique : nous verrons des créations de coopératives de travail (Scop), de coopératives d’usagers ou mixtes (Sociétés coopératives d’intérêt collectif). Ce qui ne pourra être que bénéfique à la transition écologique, puisque les salariés associés pourront y décider de critères de production plus durables et/ou éthiques, comme cela se passe déjà avec Citiz ou Railcoop.

Cette Sécurité économique inaugurerait le passage à une autre économie…

Oui, ses principes sont ceux de l’économie sociale et solidaire, qui reste malheureusement minoritaire dans notre organisation sociale. Aujourd’hui, la liberté d’entreprendre, c’est-à-dire la possibilité pour chacun de créer et d’être maître de son activité, reste formelle puisque dépendante d’un capital de départ. En garantissant une partie des revenus des gens qui entreprennent, la Sécurité économique pourrait réinsuffler le désir de créer, dans un esprit de solidarité, et accélérer, par exemple, la création de coopératives de transition écologique.

Pour être efficace, ce système doit être obligatoire pour toutes les entreprises. Sa mise en place suppose donc une forte volonté politique. Comment faire avancer une telle idée ?

La démarchandisation de l’économie n’est pas une idée nouvelle. Jusqu’à présent, nous l’avons fait par secteurs économiques, la Santé ou l’Éducation par exemple, en les assimilant au secteur public. Il faut maintenant batailler pour faire admettre aux politiques l’importance de démarchandiser une partie des revenus de l’économie privée. Il ne s’agit pas de détruire la notion de concurrence, mais de la rendre humaine. De faire en sorte qu’une partie du socle des revenus des gens soit défini indépendamment des rapports de concurrence et de marché. Le but, c’est d’enclencher des dynamiques qui soient à la fois émancipatrices pour les individus et bénéfiques à l’écologie.

Reprendre les bases
Nicolas Goñi
www.enbata.info/articles/reprendre-les-bases

Les réponses à la pandémie dans la plupart des Etats occidentaux révèlent à quel point la perte du sens de l’interdépendance, alliée à la verticalité des injonctions, amènent à une déresponsabilisation générale dont les plus faibles paient le prix. De quoi en tirer quelques enseignements pour tout ce que nous avons à construire. 

Perte de sens collectif

Un des éléments les plus marquants dans le glissement de la réponse à la pandémie entre mars 2020 et la situation actuelle est l’énorme recul du sentiment de responsabilité vis-à-vis d’autrui. L’action de la plupart des autorités publiques d’Europe du Sud et de l’Ouest a joué un rôle décisif dans ce recul, en ayant combiné deux erreurs : une approche policière plutôt que scientifique de la prévention des risques, et une réponse reposant sur les comportements individuels plutôt que les changements structurels nécessaires. Dès 2020, coller des amendes à des gens sur la plage a été priorisé par rapport à une campagne de communication expliquant clairement la transmission aérosolisée du virus et ses corollaires pratiques. Le résultat est un double échec sanitaire et politique: des milliers de morts et de séquellaires de long terme évitables, et un nombre grandissant de personnes pour qui le refus de porter un masque est devenu synonyme de résistance à l’arbitraire étatique. Ensuite, en 2021 les autorités publiques toujours aussi impréparées se sont accrochées de tout leur poids aux vaccins comme à la seule bouée de sauvetage disponible, quitte à la distendre jusqu’au point où elle ne flotte plus. Des vaccins générant une réponse immunitaire systémique et conçus pour limiter les symptômes graves mais pas conçus pour empêcher la transmission virale (pour cela il faudrait une réponse immunitaire mucosale) ne font que réduire cette dernière dans les semaines suivant le rappel vaccinal, et c’est déjà bien. Pourtant les différents pass établis dans de nombreux Etats européens font en pratique comme s’il s’agissait de vaccins empêchant la transmission. Le résultat, à nouveau, est un double échec sanitaire et politique: des milliers de morts et de séquellaires de long terme évitables, et un nombre toujours important de personnes pour qui le refus du masque puis désormais du vaccin est devenu synonyme de résistance à l’arbitraire étatique. Enfin ces dernières semaines le variant B.1.1.529, dit Omicron, vient mettre à mal une protection collective déjà bien chancelante (seule demeure la protection vaccinale contre les formes sévères, à un niveau amoindri par rapport aux variants précédents) mais de nombreux Etats persistent dans l’impasse du tout-vaccinal (sanitairement insuffisant), tout en abandonnant l’une après l’autre les mesures de prévention. Le bénéfice sanitaire en sera marginal voire quantitativement annulé par l’explosion du nombre d’infections, et – ce qui est à redouter – les cas de covid long vont exploser. Autant dans ce « laisser courir » grandissant que dans la colère qui répond au pass vaccinal, la question de la protection collective, de la justice sociale, de la responsabilité vis-à-vis d’autrui, de la place des plus précaires et de tous les physiologiquement imparfaits (1) est totalement absente. Seule demeure la défense de libertés individuelles, il n’y a plus de nous.

Injonctions confuses contre responsabilisation collective

Trop de police et pas assez de science, trop d’injonctions individuelles et pas assez de réflexions structurelles. Comme l’a relevé José-Luis Jimenez, chercheur en chimie de l’air et lanceur d’alerte sur la transmission aérosolisée du SARS, beaucoup d’injonctions mises en avant font reposer toute la responsabilité de la dynamique épidémique sur les comportements individuels et en dédouanent les instances publiques. C’est par exemple le cas du lavage des mains (on sait aujourd’hui que son utilité est marginale à nulle contre ce virus) ou du vaccin (en supposant qu’il suffirait à lui seul à empêcher les infections et que tout le monde y aurait accès). En revanche, communiquer clairement sur le fait que le virus se transmet essentiellement par aérosols implique une responsabilité des institutions publiques dans la fourniture de masques efficaces et la mise en place de systèmes de renouvellement de l’air. Sur ce sujet on ne peut que déplorer la lenteur et la confusion de la communication publique. Après avoir prétendu en avril 2020 que les masques sont inutiles en population (pour en cacher la pénurie honteuse), ils sont devenus obligatoires en lieux clos trois mois plus tard, sans que la raison en soit expliquée, avec dans certains cas une extension aux espaces extérieurs qui a rendu le message encore plus confus. Incohérences majeures qui ont par la suite durablement érodé l’adhésion publique aux mesures de protection collective, et donné du grain à moudre aux désinformateurs de tout poil.

Le point commun de ces injonctions est qu’elles n’ont laissé aucune place ni à la compréhension des mécanismes de transmission virale et à la prévention du risque qui en découle, ni à une prise en main collective générale de la question sanitaire. Une masse d’individus dépossédée de moyens de compréhension et subissant des injonctions confuses, non seulement aura beaucoup moins de leviers d’action qu’une population correctement informée et faisant corps (comme celle de la favela de Maré dont je parlais en juillet dernier), mais donnera également plus de prise aux récits charlatanesques et/ou d’extrême-droite qui prolifèrent sur le terreau – déjà suffisamment fertile – de l’individualisme.

Infectez-les tous, le darwinisme social reconnaîtra les siens

Ce virus devenu pandémique a ainsi exacerbé toutes les faiblesses des sociétés occidentales: conception déresponsabilisante de la liberté, culture générale scientifique en décrépitude, invisibilisation des pauvres et des faibles encore plus accentuée. Cet ensemble favorise les politiques de « laisser-faire », qui pénaliseront toujours plus durement les pauvres : ceux qui vivent dans des logements exigus, qui ont des emplois manuels non faisables en télétravail, qui dépendent de transports publics bondés et non aérés, qui ont un moindre accès aux services publics, les détenus (à l’heure où j’écris ces lignes le 22 janvier, tous les bâtiments d’hommes de Fleury Mérogis contiennent un cluster), les sans-abris, les migrants. De même les fameuses comorbidités dont on entend de plus en plus qu’elles font décéder « avec mais pas de l’infection » (2) sont bien plus fréquentes chez les corps usés par les années de précarité.

La détection du variant Omicron en Afrique du Sud en novembre 2021, puis sa rapide propagation à l’occident, a été l’objet d’un cas d’école de fabrication du consentement (pour reprendre le terme de Noam Chomsky): la contagiosité plus élevée de ce variant a été un prétexte pour justifier, dans de nombreux discours officiels, la capitulation des mesures de prévention. En d’autres termes, prenant acte de l’impossibilité de supprimer totalement la transmission de ce variant, plus difficile à obtenir qu’avec ses prédécesseurs, on allait carrément déclarer forfait et se résigner à une contagion de masse, dont seul l’impact hospitalier serait peut-être limité par la vaccination. Surfant sur la lassitude et la frustration généralisées face à une situation qui s’enlise, et sur un débat focalisé sur le seul pass vaccinal, le sophisme est passé comme une lettre à la poste. Pendant ce temps en Afrique du Sud, qui avait lancé l’alerte sur omicron, la vague était endiguée. À l’heure où j’écris ces lignes, le taux d’incidence y est respectivement 47 et 98 fois inférieur à ceux de l’Espagne et de la France. Un élément de plus qui confirme que les actions collectives ont plus de poids que les propriétés intrinsèques de tel ou tel variant.

Parmi les prises de bec sur le pass sanitaire devenu vaccinal, les termes liberticide et flicage sont mis en avant.

On ne peut que déplorer que l’ardeur de l’opposition à cette mesure fut bien moindre lors des lois et décrets qui sur les dernières décennies ont transformé en flicage la vie des chômeurs et des personnes aux minima sociaux, sommés de justifier leur recherche active d’emploi (dans un contexte de chômage structurel massif) sous peine d’être radiés, dont les comptes en banque sont surveillés par les organismes en charge des allocations, et qui se font donner des leçons hors-sol et humiliantes de gestion de leurs finances personnelles. Quant à l’accès aux restaurants, aux loisirs urbains ou aux transports de longue distance, cela fait longtemps qu’il ne fait plus partie de leur monde, sans qu’il n’y ait jamais eu de mouvement de masse sur le sujet. En se focalisant sur les chiffons rouges agités par les toreros en chef, on hiérarchise implicitement les vies, on abandonne les plus pauvres, en oubliant que ce qui est fait aux plus faibles un jour sera étendu à d’autres par la suite.

Externalités négatives

Le point commun majeur entre d’un côté les autorités qui manient mieux le carnet de contraventions que la ventilation des lieux clos, et de l’autre les négateurs de la gravité du SARS-CoV2, est que les uns comme les autres ne parlent quasiment jamais de covid long, ces symptômes persistants invalidants pouvant durer plusieurs mois, qui touchent pourtant 10% à 25% des personnes infectées – en majorité des femmes – et comportant entre autres épuisement, atteintes organiques, réponses auto-immunes ou troubles neurologiques. La vaccination semble réduire la prévalence de ces symptômes d’un peu plus de moitié, mais même dans ces proportions réduites l’ampleur des infections actuelles occasionnera une vague de cas dont on ne mesure pas encore l’impact. C’est le résultat prévisible de l’application de logiques capitalistes : les instances publiques n’agissent que quand le risque immédiat de saturation hospitalière menace la poursuite de l’activité économique ; quant aux autres effets délétères, elles les reconnaissent le moins possible pour ne pas avoir à payer, et en transférer le poids sur les pauvres et les jeunes. Comme pour le climat, la pollution de l’air, la surexploitation des ressources, etc.

Recoller les morceaux

Sortir de cette crise demandera un travail profond, tant elle a exacerbé les mêmes travers qui lui ont permis de prospérer. Remettre l’interdépendance au centre de notre champ de vision, comprendre que la protection des plus faibles est la garantie de communautés robustes, et intégrer la science dans les démarches de reprise en main des conditions de nos vies, comme nous le faisons depuis longtemps dans le mouvement pour le climat. Personne ne se sauvera seul.

 

(1)  Greffés, personnes atteintes de cancer, atteints de maladie chronique invalidante ou auto-immune, diabétiques, cardiaques, dialysés…

(2)   Je ne suis pas pressé de voir le jour où parmi les 300 000 morts annuels dus à la pollution de l’air dans l’Union Européenne, on décomptera séparément les personnes affaiblies pour dire que la pollution de l’air finalement c’est pas si grave, que c’est endémique et qu’il faut apprendre à vivre avec.

‘Laborantza 4.0’ aroa ireki nahi dute, berdez pintatu eta produktibismoarekin segitzeko
Jenofa Berhokoirigoin
www.argia.eus/argia-astekaria/2766/laborantza-40-aroa-ireki-nahi-dute-berdez-pintatu-eta-produktibismoarekin-segitzeko

Laborantza hirugarren iraultzara sartzera omen doa. Lehena XVII. eta XVIII. mendeetan gertatu zen, lugorrien bukaerarekin eta lurra gehiago ustiatzeko logika eta ekoizpen-teknika berrien garapenarekin; bigarrena, XX. mendean, mekanizazioarekin eta ongailu zein produktu fitosanitario kimikoen zabalpenarekin.

Hirugarrena bidean dela diote hainbat instituzio, sindikatu eta multinazionalek –edo behintzat, bidean nahi lukete–. Teknologia berrietan, big data eta algoritmoetan oinarritzen den iraultza dugu. Hau ere garapen iraunkorraren izenean, omen.

“Laborantza 4.0”, Smart Farm, “zehaztasunezko laborantza”, “laborantza numerikoa”, “laborantza adimentsua”… nozio berriak dira guziak, lehen sektorean batzuk eman nahi luketen aldaketa definitzeko. Izan robotak, droneak, ordenagailuak, txipak ala kamarak, teknologia numerikoak elikadura ekoizpenean integratu nahiak geroz eta leku gehiago hartzen ari du instituzio eta multinazionalen artean –gehiago kostatzen zaio, ordea, laborarien artean hedatzea–. Belar “tzarrak” detektatzeko robota; behiak jeztekoa; edota erleak ordezkatuz polinizatzen duena; elikadura-katean teknologia eta adimen artifiziala sartu nahian dabiltza. Diotenez, big data-n bildutako datuei eta algoritmoei esker, kasuan kasu lur eremu edota kabala bakoitzarentzat jakin daitezke zehazki zein dituzten beharrak, hortik behargabeko xahutzeak saihestuz –hortik, “zehaztasunezko laborantza” nozioa–.

Enpresa pribatuak aspaldian dabiltza laborantza osoki kontrolatzeko ametsarekin. Jateko beharra beti ukanen dugulako asetzeko, etengabean izan daitekeelako diru-iturri. GEO genetikoki eraldatutako hazien jabetzari esker munduaren jabe bihurtu nahian ari dira 1990eko hamarkadaz geroztik. Orain, ordea, numerikoaren bidez ere dabiltza kontrola eskuratu nahian. GEOen ekoizpenean berezituriko Monsanto erosi zuen 2018an Bayer multinazionalak, eta gaur egun hau dabil laborantza numerikoan inbertitzen, mundu mailako liderra bihurturik.  2020an 500 langile zituen laborantzaren numerizaziora bideraturik, 2017az geroztik 2,5 aldiz biderkatu zuen horretarako enplegaturiko langile kopurua. Ondoan ditu, besteak beste, Yara ongailu ekoizle boteretsua eta kapitalismoaren sinbolo ditugun McDonald´s edota Walmart multinazionalak.

Confédération Paysanneko laborari Morgan Odyk Nous, paysans, refusons la colonisation de l’ONU par l’agrobusiness (“Laborariok errefusatzen dugu agrobusiness-ak NBE kolonizatzea”) testuan idazten duenari segi, bada kezkatzekoa: “Elikadura ekoizpenaren industrializazioa borobiltzea dute helburu, prozesua erabat artifizializatuz. Azkenean, robotizazioa, big data, kimika eta bioteknologiak oinarri dituen ‘smart laborantza’-k laboraririk gabeko laborantza du helburu”. Horregatik hastapenetik aurka kokatu zen laborari ttipien sindikatua den Via Campesina: “‘Laborantza adimentsua’ nozioarekin maskara berdea jarri nahi diote logika agroindustrialari”.

Eraldaketa hau bultzatzen dabiltzan start-up gehienak AEBetan, Txinan eta Indian dira, eta pentsa daitekeenez, ez dira laborarien artean osaturiko kooperatiba ala elkarteak… Funtsean, garaian pestizidak eta ondotik transgenikoak zabaltzen arituriko berak ditugu orain laborantza numerikoa laudatzen ari. Beste behin hor ditugu ekoizpen intentsibo eta industrialaren sustatzaile diren sindikatuak. Horrela mintzo da Christine Lambert FNSEA-ko presidentea: “Produktu fitosanitarioen hedapena gutxitzeko bidea dugu robotaren erabilpena”. Arazoa da, fitosanitarioen hedapena gutxitzeko bidean laborantza herrikoia eta ekologikoa sustatu beharrean, nahiago dutela robotek bideraturiko nekazaritza.

Instituzioak ere dira bilakaerari so, tartean Europar Batasuna. Ikerketa eta berrikuntza arloan dabilen Horizon Europe programak adibidez 95,5 mila milioi euroko aurrekontua du 2021-2027 urteentzat –5,4 mila milioi Next Generation UE planatik–, eta hauetarik 8,95 mila milioi ditu elikadura, laborantza eta ingurumenera bideraturik. Iaz Frantziako Gobernuak adostu PIA4 Gerorako Inbertsio Planak ere 100 milioi euro ditu arlo horretako enpresa pribatuentzat. Inra egitura publikoak 200 start-up sortu ditu azken hogei urteetan, eta azken aldian gero eta gehiago berezitu da Laborantza 4.0-an.

Betiko leloa: klima aldaketari aurre egiteko bidea

Nola ez aipa, GACSA plataforma, NBEk sortua 2014ko klimari buruzko gailurraren kari. “Klima larrialdiaren aurrean berritu beharra azpimarratuz, agroindustriako lobbyek lehen lerroan jarritako laborantza ereduaren apologia egiten dabil GACSA” irakurri daiteke Action contre la faim, CCFD-Terre Solidaire eta Oxfam gobernuz kanpoko erakundeek plazaraturiko agirian.
Mundu mailako berotegi gasen isurketen %24 laborantzatik dator –%10 Europa mailan–.

Baina kontuz, eredu industrialean dago gaitza: animalia hazkuntza alimaleek ondorioztatu metano isurketan, monokulturetan hedaturiko ongailu kimikoetan eta eredu hau oraindik gehiago zabaltzeko gisan bideraturiko deforestazioetan. Adibidez, langileen %55 laborari dituen Afrika kontinenteak soilik isurketen %15 ditu lehen sektoretik, eta mundu mailako isurketen %4 soilik da Afrikatik.

Hori horrela ez du zentzurik eredu industrialaren numerizazioak. Berdez pintatzeak ez du klima larrialdiaren arazoa konponduko, robot batek ala laborari batek hedatu, beti kutsatuko duelako ongailu kimikoak. Gainera, badakigu teknologia berrien ekoizpenak ikaragarriki kutsatzen duela, mineralen ustiapenarekin adibidez.

Gosetearen kontrako aterabidea dute bigarren argudiotzat, transgenikoekin duten gisara. 2050ean 10.000 milioi biztanle izanen gara eta ekoizpena emendatu beharko dugu, baina berotegi efektuak ttipituz. “Arazo sozial, politiko eta ekologikoei begira aterabide teknologikoak dakarzki zehaztapenezko laborantzak; baina aterabide hauek asmatuak dira eredu konbentzionalak bere horretan segitzeko gisan. Alta, badakigu sistema dela arazoen arduraduna”, irakurri daiteke Christopher Milesen The combine will tell the truth: On precision agriculture and algorithmic rationality (“Zehaztasunezko laborantza eta algoritmoen arrazionalitateari buruzko egia salatuko digu uztamakinak”) artikulu mamitsuan. Azaltzen duen ideia horrek balio du gosetearentzat –munduan %10ak du gosea pairatzen, baina aldi berean, elikagaien %20 zakarrontzira doa–; langile eskasiarentzat –Europako etxaldeen laurdena desagertu da azken hamar urteetan, baina ekoizpena emendatu da–; laborarien prekarietatearentzat, eta beste.

Izan legedi zorrotz, dirulaguntza zuzengabe ala merkatu liberal eta mundializatu, bere baserrian libreki eta duinki aritzeko bidean hamaika traba ditu laborariak. Aro berri honek big data eta GAFAM boteretsuekiko dependentzia ekarriko lioke… soluzio gisa saldurikoa, bere kalterako, beste behin.