Articles du Vendredi : Sélection du 10 mars 2023

« Les militants pour le climat ne peuvent être à eux seuls
les sauveurs de l’humanité »

Audrey Garric
www.lemonde.fr/planete/article/2023/03/03/les-militants-pour-le-climat-ne-peuvent-etre-a-eux-seuls-les-sauveurs-de-l-humanite_6164033_3244.html

Le chercheur néerlandais Joost de Moor, professeur assistant en sciences politiques à Sciences Po Paris, a analysé dans plusieurs études le rapport au temps des militants pour le climat.

Vendredi 3 mars, les jeunes étaient invités à manifester à l’occasion d’une journée de grève mondiale pour le climat organisée par Fridays for future, le mouvement lancé par Greta Thunberg en 2018. Le chercheur néerlandais Joost de Moor, professeur assistant en sciences politiques à Sciences Po Paris, a analysé dans plusieurs études le rapport au temps des militants pour le climat, et notamment la tension entre le sentiment qu’il est trop tard et la poursuite de l’action.

Quel bilan tirer du mouvement climat ces dernières années ?

Les mouvements, en particulier Fridays for Future et Extinction Rebellion, ont le mérite d’avoir amené un grand nombre d’activistes à s’intéresser à la politique climatique, et souvent à des formes assez radicales de celle-ci, même si l’on constate récemment un déclin des niveaux de mobilisation. Après le Covid-19, seuls les militants les plus expérimentés ont eu tendance à revenir dans la rue. Ils ont diversifié leurs cibles et leurs tactiques.

Plus largement, le mouvement a sensibilisé les gens au changement climatique. Au niveau européen, il a aussi contribué à inscrire la question climatique à l’agenda politique, ce qui a permis, avec d’autres facteurs, de déboucher sur le Green Deal [politique européenne visant à atteindre la neutralité carbone pour 2050] et sur des victoires pour certains partis politiques, comme les Verts en Allemagne.

Cependant, dans d’autres pays, comme le Royaume-Uni ou la Suède, le changement climatique n’a pratiquement pas pesé lors des récentes élections. Les activistes pour le climat ont aussi obtenu l’adoption de déclarations d’urgence climatique, mais celles-ci n’ont guère eu d’impact. En général, malgré quelques pas importants dans la bonne direction, les émissions continuent d’augmenter.

Mais nous devons être réalistes quant à ce que nous pouvons attendre des mouvements climatiques. Ils peuvent être une pièce importante du puzzle, en créant les conditions nécessaires pour que les transformations se produisent, mais ils ne peuvent être à eux seuls les sauveurs de l’humanité. Les élites et les masses doivent également s’impliquer activement.

Ce mouvement parvient-il à définir une stratégie claire ?

Au niveau mondial, le mouvement climat partage certaines visions fondamentales d’un avenir souhaitable : veiller à une répartition équitable des coûts et de la lutte contre le changement climatique, soutenir les communautés autochtones dans leur protection de la nature, trouver un sens au-delà du consumérisme, etc. Cependant, très peu d’activistes semblent savoir comment y parvenir, ce qui leur inspire souvent un sentiment de fatalisme et de désespoir. Il est plus facile d’imaginer la fin du monde que la fin du capitalisme.

Ainsi, plutôt que de détailler à quoi l’avenir pourrait ou devrait ressembler, les activistes climatiques se concentrent sur ce qui peut être fait ici et maintenant, souvent sous la forme du blocage de sites polluants ou du développement d’alternatives. Elaborer une stratégie précise et essayer de penser trop spécifiquement à la façon de résoudre la crise climatique est si décourageant que les militants préfèrent faire tout ce qui va plus ou moins dans la bonne direction.

Vos études montrent que l’activisme climatique est pris en étau dans deux temporalités contradictoires. Quelles sont-elles ?

Les militants combinent des stratégies qui supposent que l’apocalypse peut encore être évitée avec des récits selon lesquels elle est en cours ou inévitable. Un exemple bien connu de cette tension est le slogan du mouvement Extinction Rebellion : « Agissez maintenant parce qu’il est trop tard. » Les deux temporalités, contradictoires en apparence, existent côte à côte. Il y a plusieurs raisons à cela.

Tout d’abord, les militants eux-mêmes sont souvent hésitants à ce sujet, et peuvent se sentir plus fatalistes à certains moments qu’à d’autres. Ensuite, cela dépend de ce pour quoi il est trop tard et pour qui. Enfin, les militants les plus convaincus de la temporalité postapocalyptique ne savent pas comment y faire face − émotionnellement ou stratégiquement – et la refoulent. A la place, ils choisissent simplement de poursuivre leur combat pour limiter les dégâts du changement climatique.

Cela peut créer de la frustration parmi eux, des accusations de fatalisme ou au contraire de manque de réalisme, un sentiment de ne pas être honnêtes (quand on répète pendant dix ans que c’est maintenant ou jamais) et des désaccords de stratégie, notamment sur le fait de privilégier la baisse des émissions de gaz à effet de serre [l’atténuation] ou l’adaptation au changement climatique.

C’est pourquoi il est si important que le mouvement accepte l’incertitude ainsi que le fait qu’il ne sera probablement jamais trop tard en général : ils devraient plutôt chercher le juste milieu entre le maintenant et le jamais, pour défendre tant des politiques d’atténuation que d’adaptation.

Comment les grandes lignes de fracture au sein du mouvement climat ont-elles évolué ?

Je dirais qu’au fil des ans le mouvement est devenu plus apte à rester uni malgré les conflits internes. La justice climatique était autrefois source de conflits, mais elle est devenue un cri de ralliement général. Les tactiques radicales, auparavant contestées, bénéficient désormais d’un large soutien. La question de l’engagement avec l’Etat ou avec d’autres acteurs semble également avoir été résolue en reconnaissant que toutes les tactiques sont nécessaires et compatibles.

Cependant, certains conflits subsistent : l’arrestation est-elle une tactique utile ou est-elle excluante vis-à-vis de ceux qui ne peuvent pas se permettre d’être arrêtés ? Les actions très perturbatrices des dernières années sont-elles productives ou non ? Quelle est la bonne cible ? Le mouvement climat, qui ne va pas disparaître tant que la crise climatique ne sera pas résolue, devra également savoir s’il est capable de maintenir la pression sur la durée.

Climatosceptiques : sur Twitter, enquête sur les mercenaires de l’intox
Sebastián Escalón
https://lejournal.cnrs.fr/articles/climatosceptiques-sur-twitter-enquete-sur-les-mercenaires-de-lintox

Au sein du projet Climatoscope, David Chavalarias et ses collègues étudient la structure, les tactiques et les arguments des réseaux climatosceptiques sur Twitter. Des réseaux bien organisés, particulièrement actifs depuis quelques mois, dont l’objectif est de semer le doute sur la réalité du changement climatique, et de ralentir toutes les actions visant à réduire l’empreinte de l’humanité sur le climat.

Vous venez de publier une étude sur le regain de l’activité climatosceptique que vous avez constaté sur les réseaux sociaux depuis l’été 2022. Mais d’abord, qu’est-ce qu’un climatosceptique ?

David Chavalarias1 : Les climatosceptiques, ou climato-dénialistes comme on les appelle aussi, sont des personnes qui rejettent les principales conclusions de la science du climat et des synthèses du Giec, qui reflètent l’état des connaissances sur le climat et le changement climatique. En particulier, ils nient le fait que le réchauffement climatique soit d’origine anthropique et qu’il va causer des dégâts considérables. Pour certains d’entre eux, il n’y a pas de changement climatique. Pour d’autres, il est dû à la variabilité naturelle du climat et donc on ne peut rien y faire. Certains vont jusqu’à dire que le CO2 est bon pour l’Homme et la planète. Un large éventail d’arguments est ainsi mobilisé avec pour objectif principal de retarder les mesures à prendre pour lutter contre le changement climatique.

Vos travaux portent sur ces groupes ayant un agenda et un intérêt à faire avancer ces idées-là sur les réseaux sociaux. Que peut-on en dire ?

D.C. : J’ai lancé en 2015 avec Maziyar Panahi un observatoire, appelé le Climatoscope, pour analyser le débat climatique sur la plateforme Twitter à l’échelle mondiale, en français et en anglais. L’observatoire collecte des centaines de milliers de tweets sur le sujet par semaine. Avec nos collègues Paul Bouchaud et Victor Chomel, nous avons étudié comment ce débat évolue dans le temps, notamment à l’occasion d’événements climatiques extrêmes ou de sommets internationaux sur le climat. Nous identifions les forces en présence et les stratégies des différents camps pour faire passer leurs messages.

Dans le cas des groupes dénialistes, nous nous sommes intéressés plus particulièrement à la manière dont ils arrivent à persuader une partie non négligeable de la population de croire à des pseudo-faits, qui vont à l’encontre de ce qui est accepté scientifiquement et de ce que ressent la population année après année. Il y a un aspect de guerre communicationnelle, où un groupe très minoritaire essaie d’imposer ses vues, ou pour le moins semer le doute chez une portion croissante de la population. Depuis cet été en France, on observe un regain d’activité climatosceptique venant d’environ 10 000 comptes Twitter qui, en majorité, faisaient partie de la sphère antivax et anti-système d’orientation alt-righ pendant la pandémie et dans une moindre portion, des mouvances d’extrême droite comme Reconquête!.

Comment étudiez-vous ces comptes et leur activité ?

D.C. : Twitter a été notre plateforme de prédilection d’une part parce qu’elle met à disposition du public une partie de ses données, et d’autre part parce que c’est une plateforme qui concentre un grand nombre d’influenceurs sur les questions politiques et climatiques. Les dizaines de millions de tweets que nous avons moissonnés sur le changement climatique ont un contenu, des auteurs et des indications comme : qui répond à qui, qui aime quoi, qui est en relation avec qui. Ceci nous permet de transformer ces données en structure mathématique, un graphe où les nœuds représentent des utilisateurs et les liens entre les nœuds représentent leurs interactions. Ce graphe nous permet de caractériser des structures sociales sous forme de communautés de militants alignés idéologiquement.

Nous pouvons entrer ensuite dans le contenu de ce qui est dit. Nous essayons ainsi de comprendre comment ces groupes-là s’organisent pour gagner de l’influence et prendre le pas sur leurs adversaires.

Qu’avez-vous appris sur ces groupes climatosceptiques, leurs stratégies et leur coordination ?

D.C. : Leur première caractéristique est bien sûr de diffuser des informations fausses ou des présentations trompeuses de vrais résultats sur le climat. Ensuite, ils présentent une suractivité par rapport à ceux qui défendent le consensus climatique. Ils compensent le fait d’être minoritaires par une forte présence en ligne. Une autre caractéristique est que les « experts » climatosceptiques s’expriment sur tout. C’est une différence par rapport à ceux qui défendent la réalité du changement climatique, qui s’expriment principalement sur leur domaine de compétence. De plus, les comptes climatosceptiques n’ont pas peur de se contredire eux-mêmes. Un jour ils diront que le changement climatique n’existe pas, et un autre ils relaieront l’idée qu’il existe mais qu’on ne peut rien y faire. On observe aussi que les climatosceptiques pratiquent régulièrement des attaques ad hominem. Ils attaquent en particulier les scientifiques du Giec pour créer de la polémique et les délégitimer. Les dénialistes relaient 3,5 fois plus de messages « toxiques » que les autres communautés.

Autre caractéristique, ces communautés ont un taux de comptes inauthentiques (des robots ou personnes payées pour relayer des messages) près de trois fois supérieur à celui des autres communautés. Il est donc très probable qu’elles s’adonnent à des pratiques dites d’astroturfing, dont le but est de constituer une foule factice pour faire croire qu’une cause est beaucoup plus soutenue dans la population qu’elle ne l’est réellement. Enfin, on observe des patterns d’activité très spécifiques. Par exemple, plusieurs lundis de suite, ils vont tous se mettre à défendre l’idée que le CO2 est bon pour les plantes.

Quels sont les arguments qu’ils développent ?

D.C. : Ils sont nombreux et variés. Il y a par exemple l’appel au sens commun, qui ne vaut rien scientifiquement. Typiquement, ce sont des messages du type : « il neige abondamment en Suisse ou en Autriche, du jamais vu à la mi-septembre, heureusement qu’il y a le changement climatique »’ Il y a des arguments sur l’immoralité des défenseurs du climat à partir de faits anecdotiques, comme le compostage humain, pour dire, regardez, ils sont fous. On trouve des arguments complotistes du genre contrôle des populations. Exemple : « maintenant que le Covid est fini, ils vont essayer de nous contrôler avec le changement climatique ». Ils essaient de faire croire que les travaux du Giec relèvent d’un agenda politique. « C’est la gauche qui veut détruire l’économie ! », par exemple. Il y a encore des arguments de type pseudo-scientifique qui mettent en avant l’infime minorité de chercheurs climatosceptiques. Enfin, beaucoup de messages visent à dénigrer l’expertise des membres du Giec et de leurs relais.

Comment cette communauté est-elle structurée ?

D.C. : Le climatoscepticisme est composé de trois grands courants au niveau mondial. On a d’abord le climato-dénialisme, aux motivations économiques. Ce sont par exemple de faux militants payés par les industries fossiles dont le but est de retarder l’action contre le réchauffement climatique. Ceci a déjà été largement documenté. Il y a ensuite les climatosceptiques politiques. Ceux-ci rejettent la réalité du réchauffement climatique ou dénigrent les mesures proposées pour y remédier avant tout pour nuire à leurs opposants politiques qui les défendent. Le changement climatique ne les intéresse pas nécessairement en tant que tel. Aux États-Unis, au moment des élections américaines, il y a eu un regain de climatoscepticisme car il s’agissait d’attaquer le projet environnemental démocrate. Enfin, la troisième catégorie est le climatoscepticisme géopolitique qui provient de pays aux régimes totalitaires. Pour ces régimes, pour le Kremlin par exemple, le changement climatique est un bon terrain pour diviser les populations et affaiblir les démocraties, comme je l’ai développé dans mon ouvrage Toxic Data. On sait par exemple qu’une des stratégies de Poutine pour gagner de l’influence sur le plan géopolitique est de mener des opérations de subversion sur les réseaux sociaux pour affaiblir les démocraties. Son but est d’exacerber les divisions intérieures afin d’altérer la cohésion sociale et que l’attention des gouvernements soit absorbée par des conflits intérieurs, voire si possible qu’ils soient eux-mêmes délégitimés.

Le regain de climato-dénialisme que l’on observe depuis l’été 2022 semble avoir pour origine, pour une part importante, ce troisième courant. Nous observons des comptes qui auparavant semaient la discorde sur les vaccins contre le Covid-19, et qui, après avoir relayé la propagande du Kremlin autour de la guerre en Ukraine, se sont mis à défendre des thèses climatosceptiques. 60 % de la communauté climato-dénialiste active en 2022 a participé à des campagnes numériques pro-Poutine. La force des climato-dénialistes est d’avoir un agenda politique tout en le cachant. Si quelqu’un présente des arguments scientifiques, vous l’attaquez. Vous jouez sur la peur, vous dites que leur but est de vous contrôler. Ce sont les ficelles qui sont utilisées dans bien d’autres entreprises de subversion que le climat, notamment par l’extrême-droite américaine et le Kremlin.

Quel est l’impact de ces réseaux climatosceptiques ? 

D.C. : Le climatoscepticisme est en hausse. Certains sondages le montrent et on l’observe aussi sur Twitter. Mais il a aussi un impact réel sur les scientifiques. Ceux-ci sont harcelés, dénigrés, on leur dit qu’ils servent les élites, qu’ils ont un agenda politique. C’est la stratégie des « cinq D » très prisée par des régimes comme le Kremlin. Discréditer, Déformer, Distraire, Dissuader, Diviser. On peut en rajouter un sixième : faire douter. Ces six « D » sont mis en œuvre sur le terrain climatique. On désinforme en disant par exemple que le réchauffement est dû à la une variation naturelle. On détourne l’attention en reprochant aux scientifiques qui étudient le changement climatique d’avoir un agenda politique. On les dénigre au passage. On dissuade de toute action sérieuse par la peur, en faisant croire que les mesures vont détruire l’économie et les emplois. On fait douter en faisant croire que le consensus scientifique est faible ou que les mesures envisagées ne serviront à rien. Tout cela est très efficace à condition que l’on n’en ait pas conscience. C’est pourquoi il faut bien comprendre ce qui se joue en ligne pour ne pas se faire manipuler.

Pensez-vous que l’action climatique des États soit ralentie par ce type de militantisme numérique climato-dénialiste ?
D.C. :
Ce n’est que mon opinion mais j’en suis convaincu. On le voit sur les énergies renouvelables. Il y a de grands débats sur les réseaux sociaux sur l’idée qu’elles ne sont pas efficaces, et certaines collectivités territoriales et le gouvernement deviennent plus rétifs à s’engager sur cette voie. Comprenez que si vous avez ne serait-ce que 10 % de la population très radicalisée et prête à descendre dans la rue pour protester contre ce type d’initiative ou contre par exemple, l’augmentation du prix de l’essence, les gouvernements seront moins à même de prendre ces mesures. C’est la stratégie de division : plus le pays est divisé, moins vous pourrez mettre en œuvre des politiques publiques audacieuses efficaces pour traiter un problème majeur comme le changement climatique. Nous avons montré dans notre étude que, bien que les synthèses du Giec mènent les débats sur le moyen terme sur Twitter, au quotidien, les réactions des climato-dénialistes, mais également des technosolutionnistes, réduisent l’activité en ligne des membres du Giec et de leurs relais. Ce type de militantisme climatosceptique freine donc a priori la diffusion des connaissances scientifiques et des conclusions du Giec.

Notes

  • Directeur de recherche au CNRS, directeur de l’Institut des systèmes complexes de Paris Île-de-France (ISC-PIF, unité CNRS).

 

https://iscpif.fr/climatoscope/?p=72#tab-id-2

Contexte :

Dès 1912, certains ont mis en garde contre les effets d’émissions massive de CO 2 dans l’atmosphère par la nouvelle ère industrielle. Dès la fin des années 1970, les études internes des industries fossiles ont établi des projections précises liant le réchauffement de la planète aux émissions de CO 2 , prédisant à la même occasion des “effets environnementaux dramatiques à venir avant l’année 2050”. Pendant ce temps, ces mêmes entreprises, et en particulier ExxonMobil, ont tenté de convaincre le public qu’il était impossible d’établir un lien de causalité entre l’utilisation de combustibles fossiles et le réchauffement climatique parce que les modèles utilisés pour modéliser la réponse du climat étaient trop incertains.

Depuis les années 1970, les avancées des sciences du climat n’ont cessé de dresser un constat de plus en plus clair sur la réalité du réchauffement climatique (voir le rapport du groupe I du GIEC, chapitre 1), tandis que le rapport du GIEC de 2021 indique qu’“il est sans équivoque que l’influence humaine a réchauffé l’atmosphère, l’océan et les terres”. Alors que le réchauffement climatique s’intensifie dans chaque région du monde (l’année 2022 étant emblématique) et que ses impacts s’aggravent, cette décennie est critique pour engager résolument une baisse des émissions de gaz à effet de serre. Malgré cela, nous assistons à une intensification de l’activité de groupes dénialistes et climato-sceptiques en ligne et à une révision à la hausse des objectifs d’émission de la plupart des majors pétrolières qui viennent pourtant d’annoncer des bénéfices annuels records (ex. BP).

En France, l’intensification du militantisme dénialiste a été particulièrement marquée depuis juillet 2022 avec une triple actualité climatique : une série d’événements extrêmes, la tenue de la COP27 avec un poids fort des industries fossiles, et enfin la convergence des enjeux du réchauffement climatique avec ceux de la sécurité d’approvisionnement en pétrole et en gaz du fait de la guerre en Ukraine.

Cette étude décrit certaines des stratégies mises en oeuvre par les militants climatosceptiques et dénialistes sur Twitter, quantifie leurs effets et met en avant de potentielles motivations géopolitiques aux côtés des dimensions politiques et économiques déjà présentes. Elle s’appuie sur les méthodologies développées au CNRS au CAMS et à l’Institut des Systèmes Complexes de Paris Au-delà du “fact-checking”, cette étude vise à une meilleure compréhension de la circulation des différents narratifs liés au changement climatique et en particulier ceux relevant de la désinformation.

Principales conclusions :

Au niveau mondial

— Le débat mondial sur le changement climatique sur Twitter est fortement bipolarisé avec environ 30% de climato-denialistes parmi les comptes Twitter qui abordent les questions climatiques.

— La pandémie de COVID-19 a détourné l’opinion publique des questions relatives au changement climatique pendant plusieurs mois.

— Les experts du GIEC et des communautés pro-climat concentrent leurs prises de parole sur leurs domaines d’expertise alors que la communauté dénialiste présente des formes inauthentiques d’expertises : un noyau dur de comptes qui s’expriment sur une multitude de sujets, concentrent une présumée expertise et fabriquent la majorité des narratifs en circulation. Certains sujets de prédilection des dénialistes révèlent une planification de mise à l’agenda public décorrélée de l’actualité.

— Les échanges sur les questions liées au le changement climatique sont très largement organisés autours d’interactions entre humains. Cependant la proportion de comptes Twitter aux comportements inauthentiques dans les échanges connaît une forte augmentation depuis 2019 à l’échelle mondiale, pointant vers de possibles opérations d’astroturfing.

— La communauté dénialiste comporte une surreprésentation de comptes aux comportements inauthentiques de +71% par rapport aux communautés pro-climat, avec 6% de comptes “probablement bot”.

Pour la France

— Une importante communauté dénialiste française s’est structurée à l’été 2022 sur Twitter.
— Une plus forte portion de comptes “probablement bots” : la proportion de comptes inauthentiques au sein de la communauté dénialiste française est 2,8 fois supérieure à celle de la communauté française du GIEC. La proportion de comptes suspendus par Twitter est quant à elle dix fois supérieure.

— La communauté dénialiste produit ou relaie 3,5 fois plus de messages toxiques que la communauté GIEC.
— Le principal influenceur de la communauté dénialiste française est nouvellement acquis à cette cause après avoir été antivax. La transition s’est faite au moment de l’invasion de l’Ukraine et il a un temps relayé la propagande pro-Poutine.

— mise à part une proportion non négligeable de comptes impliqués dans la sphère informationnelle de  Reconquête !, la communauté dénialiste n’est pas composée a priori de militants politiques relevant des partis traditionnels (LFI, PS, EELV, Renaissance, LR ou RN).

— La communauté dénialiste sur Twitter est composée majoritairement de comptes ayant participé à de nombreuses campagnes de contestation antisystème/antivax pendant la pandémie. De plus, sur 10 000 comptes, près de 6000 ont relayé la propagande du Kremlin sur la guerre en Ukraine.

— la question de la lutte contre le réchauffement climatique et les caractéristiques des militants dénialistes font de cet enjeu sociétal un terrain particulièrement favorable à des opérations d’ingérence étrangère de type subversion.
— Une analyse de causalité montre que sur le moyen terme, la publication des synthèses du GIEC mènent le débat sur Twitter autour des questions climatiques.

— les discours sur Twitter des communautés dénialistes et technosolutionnistes freinent probablement la dissémination des connaissances scientifiques et des conclusions du GIEC en agissant de manière négative sur l’activité en ligne des scientifiques des sciences du climat et du changement climatique.

Réforme des retraites : “Pour le climat, l’urgence est avant tout de réduire notre temps de travail”, estiment des ONG environnementales
franceinfo
www.francetvinfo.fr/economie/retraite/reforme-des-retraites/tribune-reforme-des-retraites-pour-le-climat-l-urgence-est-avant-tout-de-reduire-notre-temps-de-travail-estiment-des-ong-environnementales_5690669.html

Dans une tribune publiée sur franceinfo, les principales associations environnementales et des personnalités, comme l’activiste Camille Etienne, appellent à manifester contre la réforme des retraites, qu’elles jugent préjudiciable pour la lutte contre le réchauffement climatique.

Ils dénoncent une réforme dangereuse pour la lutte contre le réchauffement climatique. Dans cette tribune publiée par franceinfo.fr, des ONG environnementales font le lien entre leur combat de tous les jours et la réforme des retraites proposée par le président de la République, Emmanuel Macron. “Travailler plus, c’est produire plus, c’est extraire plus, c’est polluer plus”, dénoncent-ils. Ils estiment également que le gouvernement se trompe de priorité : ” Le rapport du Conseil d’orientation des retraites (COR) ne nous prédit pas un monde invivable en 2050, le rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), si”. Ils s’expriment ici librement.

Nous sommes scientifiques, artistes, activistes, et simples citoyen·nes et alertons depuis des années sur les menaces qui pèsent sur l’habitabilité de notre planète.

Habitué·es des Marches pour le climat, des actions de désobéissance civile non-violente ou du travail de terrain, la mobilisation contre l’actuelle réforme des retraites nous concerne également.

Cette réforme va à rebours de tous les enjeux du moment. D’une part, dans un contexte d’inflation massive et de crise énergétique qui causent de graves difficultés financières aux Françaises et Français, particulièrement les plus précaires, elle va creuser les inégalités déjà présentes dans le monde du travail. D’autre part, alors que le défi climatique est une des priorités absolues, cette réforme ne fera qu’aggraver la situation.

Travailler plus, c’est produire plus, c’est extraire plus, c’est polluer plus. Construite sur un modèle économique productiviste insatiable, destructeur du climat et de la biodiversité, la réforme des retraites va à rebours de l’urgence, la vraie.

La priorité ne peut plus être l’augmentation de la production pour satisfaire des objectifs arbitraires de croissance économique ; notre société doit être résolument tournée vers le bien-être des individus qui la composent, et sa soutenabilité écologique. Au toujours plus d’exploitation des êtres humains et des ressources naturelles, et toujours plus de profits pour une poignée de milliardaires, c’est la réduction globale du temps de travail que nous devons poursuivre et poser la question du sens du travail pour répondre aux besoins sociaux et environnementaux, pour travailler mieux et travailler moins.
Bafouant l’Accord international de Paris pour le climat, le gouvernement sabote la mise en œuvre d’une politique climatique ambitieuse. Pour lui, il y a urgence à réformer les retraites alors que le Conseil d’Orientation des Retraites nous répète que le système n’est pas en danger. A l’inverse, les scientifiques du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) alertent depuis des dizaines d’années sur les dangers du dérèglement climatique, sans que le gouvernement semble en prendre la mesure, au point que tous les ans, depuis 2018, le Haut Conseil pour le climat fustige l’insuffisance des politiques publiques mises en œuvre. Pire, le gouvernement profite de la focalisation de l’attention sur le système des retraites pour faire passer des lois répressives envers des acteurs de la société civile, comme par exemple la loi Kasbarian-Bergé dite “anti-squat” ou encore celle criminalisant les intrusions dans les enceintes sportives sous prétexte d’assurer la sécurité des Jeux Olympiques de 2024. Il ne maîtrise pas le sens de l’urgence, et aggrave les crises.

S’en prendre au système par répartition, c’est mener une politique régressive sur le plan climatique. Avec la réforme, l’incertitude de l’âge de départ et du montant de la pension de retraite incitera celles et ceux qui le peuvent à constituer une épargne supplémentaire dans le privé, auprès de gestionnaires d’actifs. Ces épargnes seront donc gérées par des assureurs et des banques, qui financent majoritairement les énergies fossiles, donc qui accélèrent le dérèglement climatique.

C’est pourquoi, avec la majorité de la population, nous sommes opposés à cette réforme des retraites. Elle participe d’une logique qui épuise les humains et la planète en visant les objectifs insoutenables d’une croissance infinie dans un monde fini.

Le sens du progrès, notamment dans sa dimension sociale, doit nous mener vers une société juste, équilibrée et permettre de vivre mieux, d’avoir du temps pour nous, de choisir ce que l’on produit et comment on le produit. L’humain devient un obstacle pour le capitalisme libéral qui préfère les machines qui ne font pas grève, ne se mettent pas en arrêt de travail et qui ne prétendent pas à la retraite !

À partir du 7 mars, si le gouvernement et les parlementaires restaient sourds à la contestation populaire, les syndicats appellent à amplifier le mouvement social en mettant la France à l’arrêt dans tous les secteurs. Nous avons toutes et tous de bonnes raisons de nous joindre à cet appel et de lutter pour construire collectivement un avenir désirable sur une planète viable. Dans toute la France, nous serons de nouveau des millions à rejoindre la mobilisation pour stopper cette réforme des retraites.

 

Klimaren auzian erabakiak bideratzea da ultra-aberatsen estrategia
Jenofa Berhokoirigoin
www.argia.eus/argia-astekaria/2814/klimaren-auzian-erabakiak-bideratzea-da-ultra-aberatsen-estrategia

Klase ikuspegitik aztertzen du klima larrialdia Edouard Morena politologoak, eta Fin du monde et petits fours: Les ultra-riches face à la crise climatique (“Munduaren bukaera eta ‘petits fours’-ak: ultra-aberatsak krisi klimatikoaren parean”) liburua plazaratu berri du. Ultra-aberatsen neurrigabeko kontsumoa baino kaltegarriagoak ditu ondoko bi ardatzak: beraien dirutza zertan inbertitzen duten eta trantsizio-politikak kontrolatzeko eta bideratzeko darabiltzaten estrategiak.

Bistan da badirela beraien yate eta jet-set nazkagarriak, kabiar eta xanpain boteilak, luxuzko bunkerrak zein Niloko krokodilo edo zibellina larruzko berokiak. Ultra-aberatsek neurrigabeko kontsumo heina daukate eta badirudi klima aldaketan eragindakoaz ez direla kontziente. Urtean batez beste 8.190 tona CO2 ondorioztatzen ditu bilioidun bakar batek –herritar “ohiko”  batek baino mila aldiz gehiago–. Baina Londreseko Unibertsitatean ikerlari den Edouard Morenak dio kontsumo horri begiratzea ez dela nahikoa. Kontsumitzaile izateaz gain, eragile ere direlako: “Klimaren aldeko konpromisoa hartzen duten ultra-aberatsak beraien boterea babesten saiatzen dira batez ere”.

Joera indibidualistatik harago, ultra-aberatsen klasearen iraupenerako eta aberasten segitu ahal izateko landuriko bideak xeheki aztertzen ditu Morenak Fin du monde et petits fours: les ultra-riches face à la crise climatique (“Munduaren bukaera eta ‘petits fours’-ak: ultra-aberatsak krisi klimatikoaren parean”). Bere tesia osatzeko, ondoko bi osagaiak xeheki ikertu ditu: beraien inbertsioak eta trantsizioaren aldeko inplikazioa.

“Daukaten aberastasunaren ikaragarrizko heinak gaitu ultra-aberatsak eta herritar xumeok elkarrengandik bereizten. Baina dirua ez dute bururdiaren azpian gordetzen, proiektu klimatizidetan inbertitzen dabiltza”. Zifra bakar bat horren erakusleiho gisa: inbertsioen eragina kontuan hartuz, urtean 2,4  milioi tona CO2 ondorioztatzen du ultra-aberats batek –ohiko herritar baten finantza inbertsioek, ordea, 10,7 tona CO2–. Greenpeace eta Oxfam gobernuz kanpoko erakundeek iazko udan plazaraturiko datuak dira, Frantziako 63 bilioidunek nagusiki inbertituriko enpresen karbono-aztarnari begiratu eta proportzionalki dagokiona bideratuz bakoitzari. “Beraien aktibo-zorroari –erran nahi baitu inbertsioei– begiratzerakoan gara ohartzen daukaten benetako klima eraginaz”, Morenaren hitzetan.

2000. urteaz geroztik, klase kontzientziatik “klase kontzientzia klimatikora” salto egin dute ultra-aberatsek: “Konbinatzen dira, batetik, erregai fosiletan oinarrituriko kapitalismoaren eraginen kontzientzia eta beraz ondorio negatiboak ttipitzeko gisan horren erreformatzeko beharra  –beti ere irabaziak lortuz–, eta bestetik, aldaketa klimatikoa beraien klase interesentzat eta boterearentzat mehatxu izanaren kontzientzia altua. Horiei gehitu behar zaie finantza merkatuko mekanismoak eta ‘tekno-soluzioak’ [teknologia berrietan oinarrituriko aterabideak] bideratuz etekinak lortu ditzaketenaren kontzientzia”, politologoaren arabera. Dakitelako “zaurgarri” ere badirela, bai klima aldaketaren parean baita trantsizio politikoen aurrean ere.

Hortik dator klima eta trantsizio ekologikoaren politiketan kokatzeko estrategia –Morenak dioenaz, luxuzko bunkerrak eraikitzea gauza bat da, baina ultra-aberats gehienek argi dute gehiago dutela irabazteko COP gailurren gisako hitzorduetan egonez–. Ondokoa dute helburu: eztabaida komeni zaien zentzura bideratzea eta erabaki politikoetan eragitea, beraien klasearentzako okerrena litzatekeena saihesteko gisan eta beti ere, aberasteko gosea asetzeko. “Jet-set klimatikoak” izendatzen ditu klimatologo britainiar Kevin Andersonek, beraien jet-set pribatua erabiliz dabiltzalako klimari buruzko gailur batetik bestera.
“kapitalismo berdearen” beharra, aberats segitzeko

“Kapitalismo berdea” dute aterabidetzat eta etengabean dabiltza horren aldeko mezua predikatzen. Morenak argi utzi nahi du ultra-aberats ezagunak icebergaren punta baizik ez direla eta erabat estrukturatuta dagoela beraien estrategia: aditu, lobby talde, gobernuz kanpoko erakunde, think-tanks gogoeta laboratorio, NBEko burokrata, goi-funtzionario, zientzialari zein komunikatzaile, guztien artean lortzen dute “kapitalismo berdea” soluzio gisa saltzen. Diskurtsoa xeheki landua dute eta honen azterketa argia topatu dezakegu Fin du monde et petits fours liburuan. Nola ez, irakurketa ultra-liberala dute: estatuek ezingo diote aurre egin erronka klimatikoari, finantzaren eta enpresa pribatuen bidetik dator soluzioa. Urtez urte, COP gailurrez gailur doa uste hori errotzen. Pentsa, Abu Dhabi National Oil Company petrolio konpainiako zuzendari Sultan Al Jaber izanen da azaroan iraganen den COP28 gailurraren presidentea!

Zein da beraz estatuen betebeharra? “Energia nazionalizatzeko politikekin edo garraio publikoa bermatzeko inbertsio masiboekin zuzenean esku hartu beharrean, inbertsio-funtsen  eta trantsizioaren aldeko enpresen zerbitzura jarri behar dira gobernuak. Hori horrela, etekinak izanez gero eragile pribatuentzat dira, eta galerak badaude, Estatuarentzat, hots, herritarrentzat”. Antolaketa hori martxan dela dio liburuaren egileak, eta adibidetzat dauka Europako Itun Berdea.

2009an Kopenhagen egindako COP15ean sentitu zen sukalde lanaren emaitza: “Epe luzera bi graduko beroketa ez gainditzearen helburua  garaipen gisa ikusi zuten eliteek: karbono isurketa apalaren aldeko trantsizioaren beharra zekarren, eta inbertsio ikuspegitik, kapitalismo berdearen bidea segurtatua zitzaien”. Helburu lauso hori betetzeko betebehar ala aldaketarik ez zitzaien behartu estatuei. Orduz geroztik, gutxi ala asko, horretan gara. Paraleloki, finantza merkatuan salerosi daitekeen balore gisa kokatzen dute karbonoa ultra-aberatsek, eta ingurune naturaletan inbertituz CO2 isurketak konpentsatzeko aukera soluzio gisa zabaltzen dabiltza –nahiz eta nahiko argi geratzen ari den karbono-merkatuak ez dakarrela behar genukeen isurketen gutxitzea–. Hots, oinarrian duten helburua beterik dute: trantsizioa deitzen zaion horrekin aberasten segitzen dute.

Morenak ondokoa dio Marianne komunikabideari eskainitako elkarrizketan: “Ultra-aberatsek eragozten dute ekologiari buruzko eztabaida”, kapitalismo berdea “soluzio bakar” gisa kokatzea lortuz. Klase gisa antolaturiko estrategia hori kontuan harturik, are beharrezkoagoa zaigu “aldaketa klimatikoaz” hitz egin beharrean “justizia klimatikoaz” hitz egitea. Klase-borroka ere badelako klima larrialdiarena.