Articles du Vendredi : Sélection du 09 septembre 2022

Réchauffement climatique : la planète atteint de nouveau des points de bascule, alertent les scientifiques
Lauriane Nembrot
https://information.tv5monde.com/info/rechauffement-climatique-la-planete-atteint-de-nouveau-des-points-de-bascule-alertent-les-0

Jeudi 8 septembre, la revue Science publie une analyse poussée des effets de l’augmentation des températures sur la vie sur Terre. Selon plusieurs projections, plusieurs points de bascule sont déjà atteints avec des températures qui gagnent 1,5°C. Cette situation plonge la planète dans un scénario inquiétant.

Les “points de bascule”, ou “tipping point” en anglais sont considérés par les scientifiques comme un point de non-retour. Il s’agirait du moment précis où l’incidence du réchauffement climatique sera telle que ses conséquences sur la vie sur Terre à l’échelle planétaire seraient irréversibles.

David Armstrong McKay et Tim Lenton, tous deux chercheurs à l’université d’Exeter au Royaume-Uni proposent ce jeudi 8 septembre dans la revue Science une “réévaluation des points de bascule climatique”.

Pour mener cette étude, les scientifiques ont notamment analysé des données climatiques en les recoupant au fil du temps. Grâce à cette approche basée sur la paléoclimatologie, les scientifiques peuvent calculer le temps que l’humanité va mettre avant d’atteindre ces points de bascule. La durée de la transition varie de “plusieurs décennies à des milliers d’années” selon le système, précise cette analyse scientifique. “Par exemple, les écosystèmes et les modèles de circulation atmosphérique peuvent changer rapidement, tandis que l’effondrement de la calotte glaciaire est plus lent mais entraîne une élévation inévitable du niveau de la mer de plusieurs mètres”.

Des effets même si “la température cesse d’augmenter”

Selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), ces points de bascule de l’environnement sont au nombre de neuf. “L‘équipe internationale a conclu que 16 systèmes biophysiques majeurs impliqués dans la régulation du climat de la Terre (appelés “éléments de bascule”) ont le potentiel de franchir des points de bascule”, indique l’étude publiée ce jour.

Dans les colonnes de la revue Science, les chercheurs estiment que “même aux niveaux actuels de réchauffement climatique, le monde risque déjà de franchir cinq points de bascule climatiques dangereux”. Toujours selon les projections des chercheurs, “les risques augmentent à chaque dixième de degré de réchauffement supplémentaire”.

Selon les chercheurs, l’activité humaine et les émissions qu’elle génère ont déjà “ont déjà poussé la Terre dans la zone dangereuse des points de bascule”. En clair, “cela signifie que même si la température cesse d’augmenter, une fois que la calotte glaciaire, l’océan ou la forêt tropicale aura dépassé un point de bascule, elle continuera à changer vers un nouvel état”.

Les différents points de bascule à connaître 

– Selon le GIEC, le “tipping point” ou point de bascule en français correspond au “degré de changement des propriétés d’un système au-delà duquel le système en question se réorganise, souvent de façon abrupte, et ne retrouve pas son état initial même si les facteurs du changement sont éliminés”.

– En ce qui concerne le système climatique, le point de bascule fait référence à un “seuil critique au-delà duquel le climat mondial ou un climat régional passe d’un état stable à un autre état stable”. À ce jour, le GIEC en reconnaît neuf :

  1. Arrêt de la circulation méridionale de retournement de l’Atlantique 
    2. Désintégration de la calotte glaciaire de l’Antarctique occidental
    3. Dépérissement de la forêt tropicale amazonienne
    4. Déplacement de la mousson ouest-africaine
    5. Pergélisol et hydrates de méthane
    6. Mort des récifs coralliens
    7. Déplacement de la mousson indienne
    8. Désintégration de la calotte glaciaire du Groenland 9. Déplacement de la forêt boréale 

De nouveaux points de bascule atteints

En plus d’étudier les points de bascule tels qu’ils ont été établis par les membres du GIEC, cette étude permet d’identifier de nouveaux éléments de bascule. Selon les deux auteurs,  la “convection de la mer du Labrador et les bassins sous-glaciaires de l’Antarctique oriental ont été ajoutés par rapport à l’évaluation de 2008”. L’étude précise notamment “que la glace de mer d’été arctique et l’oscillation australe El Niño (ENSO) ont été supprimées faute de preuves de la dynamique de bascule”.

Toujours selon cette étude, au moins cinq points de bascule pourraient être déclenchés dans peu de temps. David Armstrong McKay et Tim Lenton pointent du doigt les températures actuelles. Ils listent notamment “les calottes glaciaires du Groenland et de l’Antarctique occidental, le dégel abrupt et généralisé du pergélisol, l’effondrement de la convection dans la mer du Labrador et la mort massive des récifs coralliens tropicaux”.

Quatre d’entre eux passent d’événements possibles à probables à un réchauffement climatique de 1,5 ° C, et cinq autres deviennent possibles autour de ce niveau de chauffage”, révèle Science.

Nous pouvons déjà voir des signes de déstabilisation dans certaines parties des calottes glaciaires de l’Antarctique occidental et du Groenland.

David Armstrong McKay, co auteur de l’étude.

L’impact des accords de Paris insuffisant ?

Cette nouvelle analyse indique que la Terre a peut-être déjà quitté un état climatique «sûr» en raison du nombre de points de bascule atteint. Un nombre qui s’est accéléré lorsque l’augmentation des températures sur Terre a atteint environ 1 ° C, rappelle l’étude.

Une conclusion de la recherche est donc que l’objectif de l’Accord de Paris des Nations Unies ratifié lors de la COP21 fin 2015  de limiter le réchauffement bien en dessous de 2 ° C et de préférence de 1,5 ° C n’est pas suffisant pour éviter complètement un changement climatique dangereux.  Selon l’évaluation, la probabilité du point de bascule augmente nettement en cas de réchauffement de 1,5 à 2 °C, avec des risques encore plus élevés au-delà de 2 °C.

Mais l’étude apporte tout de même “un soutien scientifique solide à l’Accord de Paris”. En effet, les auteurs de cette analyse scientifique montrent que le risque d’atteindre de nouveaux points de bascule s’intensifie au-delà du niveau prévu par les Accords de 2015.

“Chaque dixième de degré compte”

Pour maintenir des conditions vivables sur Terre, protéger les gens contre la montée des extrêmes et permettre des sociétés stables, nous devons faire tout notre possible pour éviter de franchir des points de bascule. Chaque dixième de degré compte”, prévient le scientifique suédois et directeur du Potsdam Institute for Climate Impact Research, Johan Rockströ.

Nous devrons peut-être également nous adapter pour faire face aux points de bascule climatiques que nous ne parvenons pas à éviter. 

Tim Lenton, co auteur de l’étude sur les points de bascule.

Pour éviter de franchir d’autres points de bascule, plusieurs pistes déjà connues sont rappelées par les scientifiques dans cette étude. Ils appellent à réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre et à accélérer la transition énergétique. “Nous devrons peut-être également nous adapter pour faire face aux points de bascule climatiques que nous ne parvenons pas à éviter et soutenir ceux qui pourraient subir des pertes et des dommages non assurables“, explique Tim Lenton.

Face à l’urgence climatique, les activistes écologistes ont soif de radicalité
Mathieu Dejean
www.mediapart.fr/journal/france/230822/face-l-urgence-climatique-les-activistes-ecologistes-ont-soif-de-radicalite

Sous l’effet d’un été de sécheresse, d’incendies et de pénurie d’eau, les activistes pour le climat durcissent le ton. Sachant le soutien croissant de la population, certains assument de causer des dégâts matériels au nom de la lutte contre une violence systémique.

 « J’ai 22 ans, et je sais que chaque été est le plus froid du restant de ma vie. Il faut qu’on soit à la hauteur de cette radicalité. » Au bout du fil, Alizée, militante pour le climat dans le collectif Dernière Rénovation, qui s’est fait connaître en s’attachant au filet en pleine demi-finale hommes de Roland-Garros le 3 juin dernier, témoigne d’un état d’esprit en voie de normalisation.

À l’instar de ses camarades qui ont bloqué le périphérique de Paris ou le Tour de France cet été pour demander la rénovation thermique (six d’entre eux seront jugés en novembre, une autre en janvier), et comme de plus en plus de collectifs écologistes, elle se dit prête à aller « jusqu’au procès » pour entraver le « business as usual ».

Les espoirs déçus de bifurcation lors des dernières échéances électorales, la virulence de la sécheresse estivale et l’inertie du gouvernement ont achevé de modifier les options stratégiques d’une fraction du mouvement climat.

« Pendant toute une période, le mouvement climat a mis l’accent sur sa respectabilité, sur le fait de ne pas s’en prendre aux biens et aux personnes, dans l’hypothèse que ça permettrait de construire un mouvement de masse. Maintenant on est à un point où, sous l’effet d’un sentiment d’urgence, des actions d’un autre type redeviennent légitimes. Il y a des choix à faire, qui sont exclusifs les uns des autres », observe Nicolas Haeringer, directeur des campagnes pour l’ONG 350.org et activiste depuis le début des années 2000.

S’il constate, depuis une dizaine d’années déjà, une « montée en puissance de l’idée de désobéissance civile », Vincent Gay, membre du bureau d’Attac France et coauteur de Pour la justice climatique. Stratégies en mouvement, voit aussi émerger un flanc plus radical, qui agit spontanément et assume d’avoir « un impact matériel plus important » : « Cette tendance prend de l’ampleur. Face à l’accroissement de la crise, les débats entre organisations sur “jusqu’où aller” sont un peu derrière nous », affirme-t-il depuis l’université d’été d’Attac.

En parallèle, comme pour nourrir un peu plus cette colère due à la destruction du vivant, le sécessionnisme des riches, consenti de fait par le gouvernement, devient plus criant que jamais – des terrains de golf arrosés aux itinéraires ridiculement courts effectués en jet privé et exposés publiquement.

« L’immensité de la catastrophe a accentué la colère, comme l’absence de réaction du gouvernement. Maintenant, on est dans le mur, on le ressent dans nos chairs, et pourtant l’État protège les puissants qui nourrissent ce système », dénonce ainsi la militante écologiste Claire Lejeune, qui ne voit que la « résistance collective » comme solution, à l’Assemblée nationale et sur le terrain des luttes.

« Le fait que ces caprices soient visibles et acceptés par le gouvernement rend légitimes des actions plus radicales », abonde le député de Paris Julien Bayou, secrétaire national d’Europe Écologie-Les Verts (EELV), tout en posant la violence comme ligne rouge.

Neutraliser, désarmer, saboter

De fait, les activistes ciblent plus qu’avant la racine du problème, s’affranchissant des listes de revendications adressées aux ministères, dans l’espoir d’avoir un impact direct, même à petite échelle. Trous de terrains de golf bouchés avec du ciment, pneus de SUV dégonflés, jacuzzis éventrés ou encore mégabassines démantelées ont ainsi émaillé les mois de juillet et d’août.

« La radicalité a une longue histoire dans le mouvement écologiste, du démontage du McDonald’s de Millau en 1999 à celui de la ferme-usine des Mille vaches en 2014, mais ce qui est nouveau, c’est qu’aujourd’hui c’est beaucoup plus spontané et gazeux, signe que la colère monte », analyse la députée de La France insoumise (LFI) Aurélie Trouvé.

Au sein du collectif des Soulèvements de la Terre, qui a organisé plusieurs actions contre des mégabassines (ces cratères géants qui pompent l’eau des nappes phréatiques afin d’alimenter les grandes cultures intensives), on constate aussi que les lignes bougent.

Le 6 novembre 2021, la pompe d’une mégabassine (reconnue comme illégale) a ainsi été démontée lors d’une manifestation à laquelle 1 500 personnes ont participé à Mauzé-sur-le-Mignon (Deux-Sèvres), un acte revendiqué par le porte-parole de la Confédération paysanne, Nicolas Girod, qui a voulu remettre un bout de la pompe au ministre de l’agriculture.

Une tribune demandant l’arrêt immédiat de la construction de « ces projets aberrants d’accaparement de l’eau », signée tant par la CGT que par des candidats à la présidentielle (Jean-Luc Mélenchon, Yannick Jadot), a été publiée dans la foulée dans Le Monde, validant la légitimité de l’action.

Certes, les pratiques de sabotage ou de résistance offensive ne sont pas nouvelles dans le milieu des luttes écologistes. Du sabotage de la centrale nucléaire de Fessenheim en 1975 à la résistance de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes face à l’« opération César » en 2012, elles font partie d’un répertoire d’actions collectives balisé. C’est l’importance qu’elles acquièrent dans cet arsenal relativement au plaidoyer et leur « capital sympathie » dans l’opinion publique qui constituent une nouveauté.

« Le curseur bouge. J’ai dix-sept ans de recul, et je vois que ce qui pouvait être perçu comme extrémiste à l’époque est davantage compris aujourd’hui, voire conçu comme le minimum vital », affirme ainsi Lamya Essemlali, présidente de Sea Shepherd France, l’ONG de défense des océans réputée pour sa radicalité. « La crainte, c’est plutôt que l’attentisme de l’État face aux destructions du vivant provoque une situation hors de contrôle, avec les plus forts qui bouffent les plus faibles, et qu’on entre dans une guerre civile incontrôlable », ajoute-t-elle.

Pour conserver ce soutien de la population, et faire comprendre leur nouveau modus operandi, les activistes revendiquent des actions de « désarmement », plutôt que de « sabotage ». « Cette notion a un sens assez clair : les bassines ou les cimenteries [des centrales à béton ont été volontairement dégradées fin juin 2021 à l’appel des Soulèvements de la Terre – ndlr] sont des armes de destruction, et il est nécessaire de les désarmer, dans un contexte de guerre contre le vivant », explique ainsi Justin, de la coordination des Soulèvements de la Terre.

Lamya Essemlali, qui, avec Sea Shepherd, s’est opposée aux baleiniers, a confisqué des filets illégaux ou encore détruit des pièges de braconniers, est sur la même ligne. « On n’a jamais blessé personne en 45 ans, et détruire l’arme de quelqu’un qui s’apprête à agresser quelqu’un d’autre, ce n’est pas de la violence », affirme-t-elle.

Ce renversement de l’accusation, où la question tacitement posée n’est plus celle de la légitimité de la violence mais de sa nécessité dans des situations de violence systémique, est assez largement partagé par les mobilisations contemporaines. « Les critiques voire le refus de la non-violence sont […] portés par certain·es activistes comme l’affirmation du droit à la légitime défense dans un état d’urgence », note la directrice de recherche CNRS à Sciences Po Réjane Sénac dans son ouvrage Radicales et fluides.

Avec la fin de l’abondance, la guerre des ressources commence

« Ce n’est pas nouveau, mais c’est vrai que ça s’accélère en France », convient la députée écologiste de la Drôme Marie Pochon, venue de l’ONG Notre Affaire à tous, qui anticipe qu’« un jour ou l’autre, malheureusement, ces actions vont dépasser les limites de la désobéissance civile ». Bien sûr, la culture de la non-violence demeure très forte dans le mouvement climat, comme en témoigne le récent Manifeste pour la non-violence de Pauline Boyer et Johann Naessens.

Les deux coauteurs y affirment notamment : « La destruction de matériel ou le sabotage ne sont envisageables que si le groupe d’action les pense légitimes aux yeux de l’opinion publique. À l’inverse des stratégies violentes ou armées, où les activistes font tout pour ne pas se faire prendre ni juger pour leurs actions, les activistes des luttes non violentes mènent leurs actions à visage découvert, revendiquent publiquement leurs actions et sont prêt·es à subir des poursuites judiciaires. »

Mais certain·es militant·es commencent à interroger ces règles, voire à passer outre. Le géographe et militant suédois Andreas Malm a ouvert la voie en brisant le tabou sur la « violence collective non armée » et la destruction de biens dans Comment saboter un pipeline.

« Il n’est pas nécessaire de vouloir à tout prix s’exposer à la loi – au contraire, ce paragraphe du protocole de la désobéissance civile devient plus caduc chaque jour, un pouvoir qui détruit les fondements de la vie ne pouvant attendre aucune loyauté de ses sujets. Le sabotage peut s’accomplir dans l’obscurité », écrit-il. Les partisans d’une insurrection climatique lui ont emboîté le pas.

À la mi-août, le collectif Rivières en colère revendiquait ainsi dans un communiqué le débâchage clandestin de deux mégabassines en Vendée : « La nuit du 8 au 9 août, nous avons enfilé des gants et masqué nos visages, nous avons pris des pinces et des couteaux, et nous avons enlevé la bâche qui recouvrait deux mégabassines du Sud-Vendée », détaillaient ses signataires, avant de mettre en garde la préfecture et le gouvernement que tout nouveau projet de ce type serait désormais accueilli de même.

Joint par Mediapart, Andreas Malm, qui vient de passer plusieurs semaines avec le mouvement climat en Italie et en Allemagne, est formel : « J’ai longtemps hésité à le dire, mais on peut désormais affirmer que le sabotage est une tendance émergente dans le mouvement climat. Ce n’est pas un raz-de-marée, loin de là, mais ça arrive de plus en plus souvent, et le mouvement climat en Europe en parle et se demande sérieusement comment s’y engager à plus large échelle. Cela commence à être une tendance. »

Il en veut pour preuve la variété des actions qui s’intègrent dans cette tactique : des plus douces, comme le mouvement des « tyre extinguishers » (« dégonfleurs de pneus »), qui s’en prend aux SUV sans formellement dégrader des biens, aux plus radicales comme le sabotage d’un pipeline en construction sous la rivière Wedzin Kwa, en Colombie-Britannique (Canada), en février 2022, ou celui d’un pipeline à Wilhelmshaven (Allemagne), le 12 août, par le mouvement Ende Gelände, qui a officiellement fait sienne cette tactique depuis un an. « Et ce n’est que le commencement. Tout indique que d’autres sabotages sont en préparation », ajoute Andreas Malm.

Si les discussions sont encore conflictuelles à ce sujet au sein du mouvement climat dans son ensemble, le militant suédois estime que le passage à des méthodes d’action plus radicales est logique, compte tenu de l’aggravation du dérèglement climatique et de « la détermination de la classe dirigeante à brûler la planète aussi vite que possible ».

« Le mouvement climat a connu une vague de mobilisations de masse en 2018-2019, qui doit être suivie par autre chose, quelque chose de nouveau : il doit y avoir une prochaine étape adaptée à la situation actuelle », conclut-il.

Dépassement des organisations traditionnelles

Pour la députée écologiste Marie Pochon, ce phénomène observable en France est comparable à celui des « gilets jaunes » dans un autre domaine. Désormais, en effet, les actions ne sont plus toutes coordonnées par des collectifs : elles sont plus spontanées, sporadiques, et dépassent les organisations syndicales et partisanes :

« Cette violence subie aujourd’hui, du fait des pénuries non anticipées d’eau et de l’appropriation des ressources par quelques-uns en ces temps de crise, provoque une colère qui s’exprime de manière moins structurée, et y compris en dehors du champ de la non-violence. »

Comme les gilets jaunes, ces activistes n’ont plus aucune confiance dans le système institutionnel pour freiner la catastrophe climatique. « C’est le signal qu’il y a une perte totale de confiance dans la capacité de l’État à agir efficacement et rapidement », constate Vincent Gay.

Les député·es écologistes, qui ont fait leur retour à l’Assemblée nationale, où ils disposent d’un groupe, comptent bien faire la démonstration que l’action politique institutionnelle peut être utile.

Julien Bayou a ainsi annoncé son intention de déposer une proposition de loi à l’automne pour interdire les jets privés, ou encore demandé un moratoire immédiat sur la chasse, pour préserver la faune après la disparition de 60 000 hectares de forêt partis en fumée. « C’est l’inaction de l’État qui produit ce réflexe de la société. L’enjeu c’est : comment demander une transition à la majorité si les plus riches en sont complètement exemptés ? Ce n’est pas possible », explique-t-il au sujet des jets privés.

En attendant, les conflits autour de l’eau, de la chasse ou encore de l’agriculture vont continuer à se durcir. Dans un contexte de fin de la situation d’abondance, la privatisation des ressources communes sera au centre des attentions. Le philosophe Mark Alizart, auteur du Coup d’État climatique, fait d’ailleurs sienne l’expression « guerre de l’eau » apparue cet été.

« C’est la phase 2 du réchauffement climatique : la guerre des ressources, explique-t-il. Le changement climatique restait abstrait ; désormais, sa conséquence très concrète a jailli cet été : c’est la guerre pour s’approprier des ressources. Dans ce contexte, l’illégalité est de tous les côtés. »

Un été de plus. Manifeste contre l’indécence (1/2)
Par Johann Chapoutot (Professeur, Sorbonne Université) et Dominique Bourg (Professeur honoraire, Université de lausanne)
https://lapenseeecologique.com/un-ete-de-plus-manifeste-contre-lindecence

L’été 2022 n’aura représenté, à l’échelle de l’hémisphère Nord, qu’un été de plus, une n-ième confirmation de ce que nous savons depuis plus de 30 ans, depuis le premier rapport du GIEC ; une répétition de ce que nous expérimentons depuis 2018. Le dérèglement climatique n’est plus une abstraction, mais une dévastation (500’000 hectares de forêts brûlées en Europe occidentale), chaque année plus importante. En ce sens il ne surprend plus, ne nous apprend plus rien, mais il touche, au sens physique et émotionnel, des pans toujours plus vastes de la population : la tristesse, l’effroi et le désarroi dominent, qui peuvent déboucher, au plan psychique, sur des accablements bien compréhensibles et, sur le plan politique, sur une colère qui peut confiner à la rage.

Le « pouvoir, ou l’impuissance assumée

Jamais le pouvoir politique n’a aussi peu mérité son nom. En Allemagne, une coalition hétéroclite est empêchée d’agir par la minorité de blocage que constitue le FDP, le parti libéral-démocrate qui, depuis toujours, est la voix de l’industrie automobile, si puissante outre-Rhin, de la banque et des besserverdienende, « ceux qui ont réussi » (à hériter, généralement) et qui gagnent sensiblement plus que la moyenne, par la rente ou le salaire. Parti minoritaire de la coalition entre verts, sociaux-démocrates et libéraux, le FDP est le Juniorpartner le plus puissant de cet attelage dit du « feu tricolore » (Ampelkoalition vert-rouge-jaune) ou rien n’est possible sans l’approbation de Christian Lindner, ministre des finances et vice-chancelier effectif, qui a obtenu, de surcroît, le portefeuille des transports pour un des siens : tout ce qui est hostile à la berline du rentier ou du manager allemand (limitation de la vitesse sur autoroute, taxes sur le diesel, fin des privilèges fiscaux exorbitants pour l’usage d’une voiture de service, etc…) est exclu. Lindner reste obstinément rivé à son crédo néolibéral : baisse des impôts, déconstruction de l’État social, privatisations, dérégulation. Pour le reste, c’est l’innovation qui y pourvoira : la technologie sauvera le « climat »   ou la « planète » (qui continuera fort bien de tourner après l’extinction du vivant…). En attendant, au cœur d’un été qui a éprouvé l’Allemagne et les Allemands comme jamais (et ce n’est qu’un début), Lindner a célébré avec faste un mariage clinquant sur l’île chic et (devenue) beauf de Sylt, où le taux de Mercedes et de BMW au km2 défie l’imagination. En Grande-Bretagne, l’échec de Boris Johnson a laissé place à une compétition interne au parti conservateur, dont les 200’000 membres, généralement âgés et aisés, doivent choisir un nouveau Premier Ministre. Chassé du pouvoir pour son mépris des principes élémentaires de la démocratie (respecter des règles que l’on a soi-même fixées, durant le confinement, par exemple, et éviter des faire des fiestas à tout casser au 10 Downing Street quand tout rassemblement est interdit dans un pays placé à l’isolement…), pour son rapport plutôt distant à la vérité, à l’honnêteté et à la dignité, Johnson a dû annoncer son retrait face à une fronde, tardive à vrai dire, de son parti. Curieuse situation : au lieu d’être décidée par le peuple britannique, par de nouvelles élections, la politique du pays le sera par un suffrage de fait censitaire (être à jour de cotisations des Tories) et selon un principe oligarchique (le pouvoir des 200’000) et non démocratique. Pour se gagner les faveurs de ce singulier électorat, les compétiteurs rivalisent d’outrances droitières : xénophobie, europhobie, fantasmes sécuritaires, sermons sur la nécessité de travailler plus (si doux aux oreilles des retraités), vitupérations contre le système social, etc. Un lamentable festival de démagogie où excelleraient les Ciotti, Wauquiez et autres Darmanin.

Aux États-Unis, le succès, mesuré mais réel, des démocrates et de Joseph Biden, qui sont parvenus à faire adopter une législation sociale et écologique minimale, ne doit pas masquer le fait que le trumpisme reste puissant, avec ou sans Trump d’ailleurs, en raison d’un mode de suffrage qui ignore la majorité et qui, dans les États républicains, est, depuis 2020, littéralement bricolé et trafiqué pour empêcher le vote de populations modestes et noires réputées voter pour les Démocrates. Ajoutons à cela le verrou de la Cour suprême où, en raison des hasards démographiques, un « président » raciste, violent, misogyne, complotiste et séditieux, a pu nommer trois juges, créant une majorité issue de la droite religieuse inconnue depuis le XIXe siècle. La situation juridique et judiciaire est résumée par ce tragique bon mot : pour les juges de la Cour suprême, qui réduisent le droit à l’avortement et la protection de l’environnement tout en encourageant la circulation des armes, la vie d’un être humain débute avec la fécondation et s’achève dans une fusillade, si l’on n’est pas mort auparavant, empoisonné par l’eau polluée du fracking ou l’air irrespirable des incendies. Le trumpisme est un possible de notre avenir politique, tant les « communicants » européens ont les yeux rivés sur tout ce qu’il se fait de pire outre-Atlantique. L’extrême droite, quant à elle, a pour le milliardaire violent et factieux, caricature extrême et bouffie du boomer égocentrique, jouisseur et inconséquent, la même tendresse que pour Poutine.

En France, contentons-nous, pour le moment, d’observer que si l’entre-deux-tours de la campagne présidentielle a été marqué par des promesses de verdissement tous azimuts, pour capter un électorat de gauche dont le ralliement était nécessaire afin de battre la candidate d’extrême-droite, ainsi que par la confession, stupéfiante, du candidat à sa réélection que, oui, enfin, il avait compris les enjeux du dérèglement climatique (mais sur quelle planète vivait-il donc auparavant ?), rien n’a été fait, comme durant les cinq ans qui avaient précédé, cinq ans marqués par une politique pro-chasseurs éhontée (ne sont-ils pas les « premiers écologistes de France » ?), par un discours du « travailler plus » et de la « croissance » hors d’époque, et une ironie lourde et sotte à l’égard des « amish » et autres amis des « lampes à huile ». Une promesse de jouissance bête, soutenue par un idéal matérialiste et consumériste obtus, sans autre vision ni horizon que l’accumulation d’argent (« Il faut des jeunes Français qui aient envie de devenir milliardaires[1] ») et la jouissance vulgaire et veule d’un moteur polluant et bruyant. Après avoir nommé au portefeuille de l’écologie une automate sans âme, revendiquant une « écologie du quotidien » et autres balivernes de communicante, le contempteur des amish a porté son dévolu sur quelqu’un de plus connu pour sa dilection pour les pesticides que pour sa sensibilité écologique. L’insignifiance du personnage, aux abonnés absents pendant que la France brûlait – qui rappelait ce ministre de la santé de 2003 qui, en pleine canicule, répondait posément, en petit polo, de son jardin du Var, aux questions d’un JT –, a fini par devenir gênante pour le gouvernement lui-même. L’« écologie des solutions » et « du quotidien » n’avait manifestement rien à dire face à la catastrophe en cours, sinon qu’il fallait bien veiller à éteindre sa box avant de partir en vacances (rappel : plus de 50 % des Français ignorent ce que signifie partir en vacances). La solution aux méga-feux qui frappaient pour la première fois le territoire était toute trouvée.

Un petit geste pour la planète

Ce bref tour d’horizon politique pourrait se poursuivre avec le trumpisme tropical d’un Bolsonaro et l’opiniâtreté guerrière d’un Poutine assassin de masse qui, au moment où sa propre Sibérie brûle été après été, ne trouve rien de mieux à faire que d’ajouter la destruction à la dévastation, en agressant un pays voisin, l’Ukraine, où ses obus et ses missiles tuent plus sûrement et plus rapidement encore. Ce panorama trop bref a pour objet de montrer que l’on ne peut se contenter de céder au pessimisme anthropologique, une tentation bien présente, résumée par la phrase célèbre que Kant écrit dans ses considérations sur l’histoire humaine :

« On ne peut se défendre d’une certaine humeur quand on regarde la présentation de leurs faits et gestes sur la grande scène du monde, et quand, de-ci, de-là, à côté de quelques manifestations de sagesse pour des cas individuels, on ne voit en fin de compte dans l’ensemble qu’un tissu de folie, de vanité puérile, souvent aussi de méchanceté puérile et de soif de destruction [2]».

Que de vanité, de puérilité et de dévastation, en effet. Le pays brûle, et les moteurs vrombissent toujours plus. Le capitalisme consumériste, en danger de mort, invite plus que jamais à barboter dans le néant, à consommer, consumer et détruire tant et plus, car c’est la logique et c’est le projet de ceux qui, niant ou masquant le désastre, continuent à faire de l’argent – sur du vide ou de la cendre –, et ne veulent pas entendre raison, ni entendre les mots de sobriété ou de décroissance.

On peut céder au pessimisme anthropologique et, jugeant que l’on a affaire à une espèce suicidaire (certains biologistes et éthologues ont franchi le pas) ou misérable (réflexe de tant de moralistes), se réfugier douillettement dans un bonheur isolé (littéralement, sur une île, intellectuelle, artistique, familiale…) en abandonnant le vulgum pecus, ce troupeau qui ne mérite rien d’autre, à sa perte. Cet aristocratisme se défend : n’y a-t-il pas mieux à faire que raisonner un imbécile juché sur son jet ski ?

Que la majorité de l’espèce, rivée à un matérialisme sordide, soit inamendable, est une hypothèse défendue par des auteurs qui, après tout, avaient des arguments solides : Hannah Arendt pouvait préférer la « vie de l’esprit » à la « condition de l’homme moderne ». La vie contemplative, la pensée, la création continuée d’une vie bonne, soucieuse des mots, du monde et des morts, n’est peut-être pas accessible à tous. Imaginez Hannah Arendt devant une émission de télé-réalité ou consultant le compte d’un influenceur quelconque, fiscalement exilé à Dubaï… La vulgarité, le ravage croissant, la jouissance immonde et insensée de toutes les « potentialités » d’une action « libre » – tout cela, et bien plus, peut bien sûr légitimement amener à désespérer de l’humanité.

On peut aussi considérer que toutes ces horreurs (de l’influenceuse décérébrée au crétin en quad) sont promues et vendues par des supports médiatiques et financiers qui ont un intérêt pécuniaire à leur diffusion massive – pour vendre des produits et sous-produits acheminés par des porte-conteneurs, désastreux pour tous, et pour nourrir des comptes offshore.

L’expression courante le trahit bien : on « vend du rêve », ou plutôt un mirage, celui des écrans, d’un monde hors-sol, déterritorialisé, soutenu par des ressources censément illimitées et une croissance supposément infinie, dont le signal hypnotique des « pubs » et des « portables » veut nous faire accroire la réalité. Il y en a une : ces pétromonarchies du désert, où l’on construit des stades climatisés qui ne serviront qu’une fois, pour un événement absurde, et au prix de milliers de morts[3], ces skylines du désert, absurdement non viables et promises à l’abandon, paradis défiscalisés pour créatures de l’internet ou pour ex-présidents-conférenciers en quête de cachets replets.

Anthropocène, capitalocène, etc.

Il est donc facile, et faux, de désespérer in toto de l’espèce humaine qui n’en peut mais. On retrouve cette réflexion dans les débats autour de la notion d’anthropocène : depuis la fin du XVIIIe siècle, armé par une puissance thermique et mécanique inédite dans l’histoire humaine, mais aussi géologique, le genre humain est devenu une puissance tellurique, capable de déplacer, concasser, broyer et conformer plus de matière que les seuls phénomènes naturels.

Nombreux sont les auteurs à proposer d’autres termes pour désigner cette période catastrophique, des mots plus adéquats, plus propres à identifier les responsabilités et à spécifier le phénomène – car c’est moins les êtres humains qui ont broyé et détruit qu’un certain type d’humanité, mû par le désir, la compulsion, de posséder, d’exploiter et de dominer. De détruire, aussi.

On peut ainsi désigner la période que nous vivons, depuis deux siècles, par le terme de capitalocène, car la maîtrise de la vapeur a inauguré l’ère thermo-industrielle des manufactures, des usines, de la colonisation et du capital-roi – toute action humaine (préférée à toute forme de réflexion ou de méditation, du reste) ayant pour seul objectif l’accumulation d’argent, à la seule fin que cet argent lui-même en engendre encore plus, dans une course dont on voit mal le sens sinon, pour les psychanalystes, la négation désespérée de la finitude et de la mort.

On peut donc identifier l’ère géologique hâtivement attribuée à l’humanité dans son ensemble au système économique, social et culturel si particulier, si contingent, si limité qui l’a fait advenir (le capitalisme) et ce, sans exclusive (le stalinisme productiviste et prométhéen visait lui aussi l’accumulation primitive de capital, au besoin par des famines provoquées dans des régions privées de grains réservés à l’exportation, pour faire rentrer des devises…)[4]. On peut aussi la désigner par la manière dont le capitalisme colonial a mis en coupe réglée le monde, en établissant des plantations partout.

Le plantationocène est bien décrit par l’écrivain Éric Vuillard dans Une sortie honorable (Actes Sud, 2022). Maîtrise et domination de la flore, exploitation sans scrupule ni limite de la faune, dont les indigènes font d’ailleurs partie : si l’on détruit les espèces endémiques, quand elles se révèlent nuisibles à l’exploitation coloniale, on réduit les animaux bipèdes en esclavage. Eric Vuillard, là encore, le décrit admirablement à l’exemple des exploitations d’hévéas en Indochine française, pour le compte de Michelin et de ses pneus, justification majeure d’une guerre coloniale absurde et meurtrière :

« Le chemin s’enfonça dans la forêt, et les voyageurs éprouvèrent, en même temps qu’une sorte d’enchantement, une indicible angoisse. Des deux côtés de la route, c’était un défilé immobile et implacablement répété (…). Ce n’était pas une forêt comme les autres, ce n’était ni une forêt tropicale, broussailleuse ou sauvage, ni l’épaisse forêt des songes, la forêt obscure où les enfants se perdent ; c’était une forêt plus étrange encore, plus sauvage peut-être, plus obscure. À son entrée, le voyageur frissonne. Il semble que dans cette forêt, par un curieux sortilège, tous les arbres poussent exactement à la même distance les uns des autres. Un arbre, puis un autre arbre, toujours le même, et un autre, et encore un autre, comme si la forêt nétait composée que dun seul et unique spécimen se multipliant à linfini. La nuit, aux heures froides, des hommes marchent régulièrement darbre en arbre. Ils tiennent un petit couteau. En cinq secondes, ils font quelques pauvres pas, se baissent, se relèvent, et laissent une entaille dans l’écorce de l’arbre. Cela leur prend au maximum quinze secondes, et ainsi, environ toutes les vingt secondes, l’homme atteint un autre arbre, et sur la rangée voisine un autre homme le suit, et sur des centaines et des centaines de mètres, des centaines d’hommes, pieds nus, vêtus de toile, avancent, une lanterne à la main, le couteau dans l’autre, et entaillent l’écorce (…). Et chaque nuit, chaque homme saigne environ mille huit cents arbres, mille huit cents fois l’homme dépose son couteau sur l’écorce (…). Et cependant que nos inspecteurs du travail traversent en voiture l’in- terminable plantation, cependant qu’ils admirent la rationalité à l’œuvre, comment Taylor et Michelin sont parvenus à conjurer “la flânerie naturelle” de l’ouvrier annamite par une organisation rationnelle du travail, cependant que les inspecteurs admirent à quel point cette forêt, l’organisation impitoyable de cette forêt, représente une lutte inouïe contre le temps perdu, le regard attiré par l’immensité glacée de l’œuvre, ils éprouvent une sorte d’effroi ».

D’autres termes sont aussi proposés : poubellocène, pyrocène… – car nous vivons dans ce monde dégradé que nous avons fait advenir : celui de l’objet proliférant, du déchet omniprésent et du feu qui dévore toujours plus.

L’extrême-centre, ou le règne des forcenés.

Face à cela, on est médusé par la démission d’un pouvoir qui n’est qu’impuissance. Il y a ceux qui nient, et dont la veulerie criminelle servira jusqu’au bout les intérêts et les pulsions les plus sordides. Trump, dans sa bêtise minérale et son égocentrisme pathologique, est l’archétype de ceux qui n’apprennent rien et comprennent moins encore. Leur clientèle électorale participe de cette veulerie : déni face à la catastrophe, ou négationnisme assumé leur permettent de défendre pied à pied un mode de vie qui sème la mort à grandes brassées. On placera dans la même catégorie tous les autoritaires et les illibéraux qui, de la Chine, dont la capitale est inhabitable une grande partie de l’année, à la Russie, en passant par la Turquie, les pétromonarchies ou le Brésil de Bolsonaro, qui détruit activement la forêt amazonienne, ont partie liée avec l’industrie fossile qui les finance – des carbofascistes qui lient, dans un même geste, mépris des droits humains et destruction du vivant, comme naguère les nazis[5].

Il y a aussi le trumpisme plus raffiné, moins vociférant, plus photogénique dans ses costumes ajustés, des libéraux allemands, britanniques ou français. Pour être plus présentables, ceux-là n’en sont pas moins redoutables. Là où Trump possède la franchise de l’imbécile, cette bêtise à front de taureau qui tonitrue sans complexe, les autres finassent, trichent et prétendent « travailler pour les Français », « chercher des solutions », vouloir une « écologie pragmatique », etc. L’ami de Benalla est, jusqu’à la caricature, l’incarnation de ce pouvoir qui se prétend « en même temps » de droite et de gauche, tout en menant la politique la plus brutalement droitière depuis Chirac, Pasqua et Pandraud (1986-1988). La dévalorisation du langage (il s’agit de dire absolument n’importe quoi, pourvu que cela rapporte des voix, comme citer le slogan du NPA en plein meeting…), le brouillage des repères (appeler au « barrage » contre l’extrême-droite avant de gouverner, de facto, avec elle en la retrouvant sur de nombreux textes au Parlement) et le mépris du bien commun (de l’abolition de l’ISF jusqu’à l’inaction climatique, en passant par le démantèlement de l’ONF et de Météo-France) atteint avec le « pouvoir » actuel des niveaux inégalés depuis le quinquennat de Nicolas Sarkozy, véritable matrice d’une brutalité post-politique et post-démocratique qui, à l’abri d’institutions archaïques et monarchisantes, trouve pleinement à s’épanouir depuis 2017. Le « voyou de la République », comme l’avait surnommé l’hebdomadaire Marianne, ne s’y est du reste pas trompé : « Macron, c’est moi, en mieux[6] ».

Les analystes les plus sagaces de ce qui, politiquement, se joue sous nos yeux (en France, certes, mais aussi dans d’autres démocraties libérales anciennes et, croit-on, solides) sont l’économiste Bruno Amable, qui observe la calcification d’un « bloc bourgeois » de moins en moins amendable[7], et l’historien Pierre Serna, qui a forgé la notion, a priori paradoxale, d’extrême-centre[8].

Le « centre », avec calme et componction, ne cesse de renvoyer dos-à-dos, et hors de l’espace politique, les « extrêmes », de « droite » et de « gauche ». C’est le cas, en France, depuis 1795, à un moment où, las des émotions révolutionnaires, un juste milieu, le « marais » de l’Assemblée, s’est rallié des conventionnels en quête de repos et d’oubli pour créer un parti de la raison, qui renvoyait les Jacobins et les Royalistes, ces « terroristes » (le mot est d’époque) aux marges de la République. C’est dans un général talentueux et un brin mégalomane, Bonaparte, qu’ils ont trouvé leur homme, dans une marche au pouvoir à laquelle les élections de 2007 et de 2017 ont été du reste comparées par des éditorialistes courtisans. Ce centre-là n’est pas centriste au sens où il serait un point d’équilibre, modéré, entre deux antipodes.

Il veut concentrer le pouvoir à son seul profit, il veut le centraliser par des institutions autoritaires dont la constitution de 1958-1962 est un exemple rêvé. Cette volonté de pouvoir est extrême, et n’a rien de tempérée : il s’agit de défendre des intérêts sonnants et trébuchants, un état de la société et une marche du monde qui convient à merveille à ces gens-là.

L’extrême-centre peut bien fustiger l’extrême-droite, mais il s’allie à elle systématiquement contre la gauche car, avec celle-ci, il a trop à perdre. Avec les ultranationalistes ou les fascistes, on peut s’entendre sur l’essentiel : anticommunisme, écrasement du mouvement syndical et ouvrier, défense des patrimoines fiscaux, nationalisme, xénophobie, conservatisme social, promotion des égoïsmes de classe ou de race… Au Parlement français, à l’été 2022, la fin de la redevance audiovisuelle, qui finance un service public d’une qualité telle qu’il caracole dans les audiences, a été votée par la droite au pouvoir et par l’extrême-droite, qui la réclamait depuis longtemps, sans coup férir. Ce n’est qu’un exemple, et cela va continuer. On peut être sûr d’une chose : le « pouvoir » actuel maintiendra son alliance objective avec l’extrême-droite pour faire voter tout ce qu’il y a de pire en matière écologique et sociale. Ils iront au bout de leur logique : totem de la « croissance », destruction de l’État social et des services publics, xénophobie et polémiques absurdes pour amuser la galerie et parler d’autre chose.

On craignait une « chambre introuvable », alors qu’elle est toute trouvée : la droite qui est aux affaires s’allie à chaque fois avec la droite qui ne gouverne pas (LR), et avec l’extrême-droite (RN). Ces droites, de salon, présentables ou extrêmes, sont d’accord sur l’essentiel : la destruction de l’audiovisuel public, la destruction des services publics, la captation des richesses au profit de la minorité qui les finance, la course à la « croissance », l’usage politicien de la « dette » et, bien sûr, la démission générale face aux enjeux climatiques. L’État, aux mains de ceux qui, du reste, le détruisent avec méthode, poursuit donc sur son erre : l’inaction climatique avérée, actée par de multiples condamnations devant des juridictions administratives[9], la dissolution du lien social, l’aggravation logarithmique des injustices[10].

Euskal ekologismo sozialaren premiaz eta erronkez
Mikel Gomez
www.argia.eus/argia-astekaria/2790/euskal-ekologismo-sozialaren-premiaz-eta-erronkez

Aurtengo uda agerian uzten ari da Klima Aldaketak eragin negatiboa izango duela bai gure bizitzetan baita datozen belaunaldien bizitzetan ere. Oso zentzuzkoa da etorkizunari beldur puntu bat izatea, baina askotan galdetzen diot neure buruari zenbateraino ez ote diren gure ezinegonak guztiok irentsi ditugun pelikula eta telesail katastrofisten ondorio, zeren eta distopia bada etorkizuna irudikatzeko dugun modu bakarra, jai daukagu. Gurea baino kultura sanoago batean, telesailek elikagaien produkzio lokalaz, hiri jasangarriez, bortizkeria matxistaren amaieraz eta errentaren banaketaz hitz egingo lukete (ederra egun hauetako Berriaren Utopiarantz seriea). Garaiotan erradikala izatea ez da desesperazioa sinesgarria egitea, itxaropena posible egitea baizik.

Desazkunde justua ideia erakargarria da, baina abstrakzio ideologikotik plano politiko eta konkretura pasa behar dugula uste dut.  Zenbat murriztu beharko genituzke CO2 isurketak 2030erako? Zer neurri hartu beharko lituzkete erakundeek energia aurrezteko? Zeintzuk dira gure proposamenak etxebizitza, garraio edo enplegurako? Zeintzuk eta zenbat dira murriztu behar diren sektoreak? Zer proposatzen dugu enplegu gabe geratuko diren langileentzat? Eta aisialdi ereduaz, zer diozue?

Ekonomia berlokalizatzea, nekazal oinarrizko errenta edo materialak birziklatzeko plantak adibide egokiak dira. Kontsumismo eta bizitzaren garestitzearen aurrean, liburutegiak inspiragarriak izan daitezke, objektuen jabego publikoa eta erabilera komunitarioa sustatuz.

Txikiak badira ere, garaipen beharrez dago gehiengoentzat izan behar duen ekologismoa. Bere buruan sinistu eta askorengan ilusioa pizteko. Horretarako, ezinbestekoa da klase ertaineko/gizon/zuri/heldu/aspergarri/liburujale militantearen iruditegia gainditzea. Niregatik, ongi etorriak haize berriak.

Beste gauza askoren artean, datozen urteetan blokatzeak, greba orokor klimatikoak, lurzoru eta azpiegitura handien okupazioak, komunitate energetikoak…antolatuko dituen mugimendu ekologista eraikitzea dagokigu. Eta noski, botereguneetatik bota beharko dugu petrolioko oligarken laguna den hiru letratako alderdia…VOX ez, bestea. Hasteko, legegintzaldi honetarako espero den EAEko Klima Aldaketaren legea galdu ezin dugun aukera da.  Eta nola aurre egin lobby fosilari EHtik? Ez daukat argi, baina Repsolek boikot kanpaina indartsu bat merezi du.

Honetaz guztiaz gogoetatzeko, zatoz irailaren 30eko asteburuan Portugaleteko gaztetxeko ekotopaketetara, borrokarako grina eta bizipoza!