Articles du Vendredi : Sélection du 05 novembre 2021


La planète est entrée « dans un territoire inconnu »
Audrey Garric
www.lemonde.fr/planete/article/2021/10/31/les-sept-dernieres-annees-devraient-etre-les-plus-chaudes-jamais-enregistrees_6100514_3244.html

Marquée par des vagues de chaleur et des inondations exceptionnelles, 2021 se classerait comme la cinquième, sixième ou septième année la plus chaude, selon l’Organisation météorologique mondiale (OMM).

La planète a été propulsée dans un territoire inconnu, avec des répercussions considérables pour les générations actuelles et futures. » C’est en ces termes alarmants que l’Organisation météorologique mondiale (OMM) résume son rapport provisoire sur l’état du climat en 2021 – qui s’appuie sur les neuf premiers mois de l’année et dont les données seront confirmées en janvier 2022. L’instance onusienne conclut que les sept dernières années sont en passe de devenir les plus chaudes jamais enregistrées.

L’année 2021, elle, devrait « seulement » se classer comme la cinquième, sixième ou septième année la plus chaude, en raison d’un refroidissement temporaire dû au phénomène La Niña – une anomalie thermique des eaux de surface du Pacifique équatorial qui diminue la température globale de la planète. « Mais cela n’annule ni n’inverse la tendance à long terme de l’augmentation des températures », prévient l’OMM.

Le rapport de l’OMM est paru dimanche 31 octobre, jour de l’ouverture de la 26e conférence des Nations unies sur le climat (COP26) à Glasgow, en Ecosse. La COP26 devra accélérer la lutte contre le dérèglement climatique, alors que les engagements des pays pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre restent insuffisants : selon l’ONU, ils mettent la planète sur une trajectoire de réchauffement de 2,7 0C d’ici à la fin du siècle. « La température moyenne de la Terre cache de fortes disparités régionales. Un réchauffement global de 2,7 0C correspondrait à environ + 4,4 0C en France à la fin du siècle, selon l’institut Berkeley Earth », prévient le climatologue Christophe Cassou, directeur de recherche au CNRS et l’un des auteurs du premier volet du sixième rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), paru en août.

Les concentrations des trois principaux gaz à effet de serre – dioxyde de carbone (CO2), méthane (CH4) et protoxyde d’azote (N2O) – ont atteint des records l’an dernier. La concentration du CO2, principalement émis par la combustion d’énergies fossiles, s’est établie à 413 parties par million (ppm), un niveau inégalé depuis plus de trois millions d’années.

Le ralentissement de l’économie imposé par la pandémie de Covid19 « n’a pas eu d’incidence perceptible » sur le niveau et la progression de ces gaz dans l’atmosphère, malgré une chute temporaire des émissions en 2020. Plus inquiétant encore, la concentration de chacun de ces gaz a plus augmenté l’an dernier que la moyenne annuelle de la période 2011-2020. Cet excédent de gaz à effet de serre entraîne un surplus d’énergie, qui réchauffe l’atmosphère et les océans. La température moyenne à la surface du globe en 2021 a dépassé d’environ 1,09 0C la moyenne de la période préindustrielle (1850-1900), fait savoir l’OMM, en s’appuyant sur six jeux de données mondiaux (NASA, NOAA…) et des données recueillies entre janvier et septembre.

Le réchauffement océanique a probablement battu de nouveaux records cette année. Ce sont en effet les mers qui stockent plus de 90 % de la chaleur accumulée dans le système terrestre. Une grande partie des océans ont connu au moins une forte vague de chaleur marine, y compris en Arctique. Le monde marin est également plus acide, ce dont souffrent les poissons, les coraux ou les coquillages. Les océans absorbent en effet 23 % des émissions annuelles de CO2 d’origine humaine. « Au large des côtes, à l’échelle mondiale, le pH de surface est aujourd’hui plus bas qu’il n’a jamais été depuis au moins vingt-six mille ans », prévient l’OMM. Or, plus son pH diminue, moins l’océan peut absorber le CO2 de l’atmosphère.

Les océans continuent par ailleurs de s’élever. L’élévation moyenne du niveau de la mer a été de 4,4 mm par an entre 2013 et 2021 à l’échelle du globe, soit deux fois plus qu’entre 1993 et 2002 (2,1 mm par an). Les océans montent en partie en raison de leur expansion thermique sous l’effet du réchauffement. Mais l’exacerbation du phénomène s’explique essentiellement par l’accélération de la perte de masse de glace que subissent les glaciers et les calottes glaciaires.

Succession d’inondations

La banquise arctique a été moins gravement touchée cette année. Avec une superficie de 4,72 millions de kilomètres carrés en septembre, elle se classe en douzième position des plus petites étendues de glace enregistrées par satellite depuis quarante-trois ans. Mais pour la première fois, il a plu au point culminant de la calotte du Groenland (3 200 mètres), là où il n’avait jamais que neigé. Par ailleurs, l’été exceptionnellement chaud et sec dans l’ouest de l’Amérique du Nord a durement frappé les glaciers de montagne de la région. La perte de leur masse s’est accélérée au cours des deux dernières décennies, doublant presque au cours de la période 2015-2019 par rapport à 2000-2004.

Le réchauffement n’est qu’un aspect du dérèglement climatique, qui se manifeste aussi par la multiplication des événements extrêmes : vagues de chaleur intense et incendies au Canada, aux Etats-Unis, et dans une importante partie de la région méditerranéenne ; et à l’inverse, conditions anormalement froides dans le centre des Etats-Unis et au nord du Mexique à la mi-février, ainsi qu’en Europe au début du mois d’avril.

L’année a également été marquée par une succession de précipitations et d’inondations catastrophiques, notamment en Chine, en Allemagne, en Belgique, dans le nord du bassin amazonien et au Soudan du Sud.

Une des conséquences des phénomènes météorologiques extrêmes et des chocs économiques, exacerbés par la pandémie de Covid19, réside dans « le nombre croissant de personnes confrontées à la famine et à l’effondrement total de leurs moyens de subsistance », précise l’OMM, principalement en Ethiopie, au Soudan du Sud, au Yémen et à Madagascar.

Valérie Gérard : ‘ Ce mouvement anti-pass ne construit rien de commun mais prône la destruction de toute communauté ‘ (Tracer des lignes)
Johan Faerber
https://diacritik.com/2021/10/05/valerie-gerard-ce-mouvement-anti-pass-ne-construit-rien-de-commun-mais-prone-la-destruction-de-toute-communaute-tracer-des-lignes

Essentiel : tel est le mot qui vient à l’esprit pour qualifier Tracer des lignes, le bref et percutant texte d’intervention que la philosophe Valérie Gérard vient de faire paraître aux passionnantes éditions MF sur la mobilisation contre le pass sanitaire. Car, depuis cet été, tous les samedis, on le sait, défile dans les rues de France un mouvement allant jusqu’à rassembler près de 300 000 personnes militant contre la mise en place d’un pass sanitaire. Mais qui compose réellement ce mouvement ? Lutte-t-il pour les libertés ou n’est-il qu’une variante d’extrême droite de la Manif pour tous qui a décomplexé l’homophobie en France ? A l’heure où l’antisémitisme règne sur les plateaux télé, cette lutte contre la dictature sanitaire et les grands groupes pharmaceutiques n’est-elle pas un nouveau tremplin pour les contre-révolutionnaires ? Autant de questions complexes et délicates que Diacritik ne pouvait manquer d’aller poser à l’autrice du déjà remarquable essai Par affinité. Amitié politique et coexistence le temps d’un grand entretien.

Ma première question voudrait porter sur la genèse de votre salutaire Tracer des lignes : sur la mobilisation contre le pass sanitaire qui vient de paraître aux éditions MF. A quel moment précis avez-vous désiré prendre la parole sur ce mouvement français qui, cet été, a parfois rassemblé jusqu’à 300 000 personnes s’opposant à l’instauration d’un pass sanitaire ? Est-ce devant l’ampleur qu’y prenait l’antisémitisme notamment au mois d’août ou devant la tentation de certaines et certains de Gauche à vouloir participer à un mouvement dont le socle paraissait être la dénonciation du tout-sécuritaire de la gouvernance Macron ? Est-ce cette tentation qui vous a décidé à tenter de tracer des lignes claires afin de démêler ce mouvement qui dit l’époque, à savoir le confusionnisme ?

J’ai d’abord eu besoin de mettre les choses au clair pour moi-même, après quelques conversations qui m’avaient laissée assez abasourdie ou perplexe, soit avec des gens qui m’expliquaient qu’ils défendaient la liberté contre l’autoritarisme en ne se faisant pas vacciner, et que se vacciner était un acte de collaboration avec la dictature en marche, soit avec des gens qui soutenaient sincèrement, mais un peu naïvement peut-être, qu’en participant à la mobilisation dite contre le pass sanitaire, ils œuvraient en faveur d’une troisième voie, la voie anti-pass mais pro-vaccins et pro-mesures sanitaires freinant la circulation du virus, sans s’interroger sur le sens d’une telle entreprise si elle reste inaudible. Si, sur les principes, sur les objectifs, les lignes peuvent être claires dans l’esprit de ces derniers, si c’est clairement depuis une position de gauche qu’ils contestent une nouvelle modalité du contrôle sécuritaire et l’autoritarisme de la présidence de Macron, on peut déplorer un aveuglement sur ce qui fait le sens d’un mouvement populaire. Ne pas poser la question de l’avec – avec qui on défile – et tolérer de se tenir aux côtés de manifestations d’antisémitisme ou de négationnisme de plus en plus décomplexées, c’est évidemment un problème.

Mais ce qui m’a sans doute le plus déterminée est la confusion, qui règne dans beaucoup d’esprits depuis le début de la pandémie, entre la prise de mesures anti-covid et l’autoritarisme gouvernemental, confusion alimentée qui plus est par un usage purement idéologique de concepts philosophiques réduits à quelques clichés et mots d’ordre qui ne laissent de place ni pour la pensée ni pour une perception des faits. Je pense notamment aux concepts foucaldiens de « biopouvoir » et de « biopolitique », qui conduisent certains ou certaines à interpréter toute mesure sanitaire comme synonyme de contrôle de l’État sur les corps, preuve de la mainmise d’un gouvernement des médecins sur nos vies. C’est comme ça que, dès le premier confinement, on a vu un mouvement anti-sanitaire se développer en énonçant l’équivalence entre accepter des mesures anti-covid et se soumettre docilement à Macron ou même le soutenir. Ils ont réussi à configurer l’espace de sorte que la résistance aux mesures sanitaires paraisse la condition de la résistance au Pouvoir, et cet endroit-là est difficile à dénouer. De fait, cet été, des personnalités marquées à gauche qui prenaient position en faveur du mouvement contre le pass sanitaire d’abord au nom de la lutte contre le contrôle sécuritaire ont régulièrement tenu des propos antivax ou covidosceptiques, signe de l’inanité de la prétendue ligne « anti-pass, pas antivax ». C’est peut-être ça qui m’a poussée à prendre la parole publiquement, cette confusion-là, qui se réclame d’un héritage philosophique structurant à gauche, mais mal digéré et très malmené. Le discours idéologique sur le biopouvoir, figure cliché du mal sur laquelle toute mesure de protection devrait être rabattue (se laver les mains, mettre un masque…), fait obstacle à la possibilité d’une réflexion biopolitique qui soit horizontale et émerge des concernés et des concernées, comme celle qui s’était construite au moment de l’épidémie de SIDA et qui avait imposé, contre le déni des gouvernants, une véritable prise en compte de la maladie dans l’espace social et politique, ainsi que des mesures de défense contre la maladie.

De nouveau, ce sont les malades, par exemple les personnes atteintes de covid longs, qui ont dû militer pour faire reconnaître cette dimension de la maladie, avec des médecins qui à leurs côtés tentent de trouver des thérapies, dans un espace institutionnel ou contre un espace institutionnel qui laisse peu de place pour ces soins, tant le problème a été nié longtemps en France. D’autres l’ont souligné avant moi : il n’y a pas de pouvoir des médecins dans cette pandémie, qui révèle tout sauf une emprise totale d’un biopouvoir sur nos vies. Le conseil scientifique est peu écouté et ses rapports sont régulièrement dissimulés, contre la loi qui exige qu’ils soient rendus publics sans délai, tant ils dérangent le pouvoir politique. Ça a été le cas l’hiver dernier lorsque le rapport préconisait un confinement que Macron refusait, ça a été le cas cet automne, où le rapport exigeant une solide politique de dépistage dans les écoles, que l’exécutif refuse, a été tenu secret 11 jours. Mais vous trouverez des gens qui confondent conseil scientifique et conseil de défense et vous expliquerons que le gouvernement des médecins a remplacé la démocratie. Beaucoup de médecins, loin d’avoir une position dominante dans la gouvernementalité à l’œuvre, travaillent au contraire autant qu’ils peuvent à la construction d’un mouvement critique d’un gouvernement qui multiplie les décisions les plus contre-productives d’un point de vue sanitaire.

On notera qu’ils ne bénéficient d’aucun soutien du pouvoir politique lorsqu’ils sont harcelés et menacés de mort. Le Président préfère continuer à marquer sa déférence envers Raoult, un des héros des opposants et opposantes à toute mesure sanitaire, qui n’hésite pas à relayer des articles appelant à mettre à mort des médecins. On est donc très loin d’un gouvernement des médecins. S’il y a eu gouvernementalité biopolitique brutale, c’est sans doute dans la réduction de la vie au travail (dans les sphères duquel la circulation du virus était niée, et l’exposition au virus parfaitement assumée, « quoi qu’il en coûte »), et dans l’énoncé de la distinction entre « contacts utiles » et « contacts inutiles ».

Mais, surtout, la biopolitique peut désigner autre chose. Quelques groupes réfléchissent à ce qui est possible en termes d’« autodéfense sanitaire », l’idée énonçant par elle-même la disjonction entre la question de la résistance au virus et celle de la soumission à Macron, ou plus généralement à un biopouvoir gouvernemental : une approche démocratique et égalitaire du virus et des mesures à prendre pour nous protéger les uns, les unes, les autres, et endiguer, autant que possible, sa circulation, est possible. Même si elle est entravée par le gouvernement. Ça pourrait même s’appeler « biopolitique », sans que ce terme désigne l’ennemi, si on était capable de penser que « politique » n’est pas synonyme de domination étatique. Il se trouve que c’est ce qui a été fait au Chiapas, alors que le gouvernement mexicain refusait de prendre des mesures anti-covid. Il se trouve que c’est ce qui a été fait dans certains quartiers au Brésil, dans certaines favelas, et que le pouvoir de Bolsonaro a interdit et entravé les mesures populaires et autonomes de défense contre le virus. Il suffit de regarder un peu au-delà des frontières pour voir à quel point l’identification entre combattre un pouvoir politique autoritaire et combattre toutes les mesures de défense sanitaire est inepte. Parfois, combattre le virus et combattre l’autoritarisme ou le fascisme font tout un. C’est aussi en me demandant comment on en est arrivé, en France, à assimiler se faire vacciner et soutenir Macron (la stupidité de la presse qui interprète le taux de vaccination comme un succès du Président donne un élément de réponse, mais pas suffisant), que j’ai éprouvé le besoin de tracer quelques lignes.

Pour en venir au cœur de votre propos sur ce mouvement de prime abord nébuleux, la première ligne que vous tracez consiste à poser, en politique, la question de l’affinité. Vous avez signé en 2019 un important essai Par affinité. Amitié politique et coexistence dont votre propos ici démontre de manière imparable l’efficience intellectuelle et morale en ce que ce mouvement anti-pass pose selon vous une seule question si l’on admet, comme vous y invitez, à « se servir d’une boussole affinitaire dans ses prises de position » : avec qui défile-t-on ? En quoi ainsi la question centrale à se poser devant le mouvement antipass consiste-t-elle non pas uniquement à savoir pour quoi on défile mais avec qui on défile ? Peut-on défiler avec Florian Philippot et ne pas partager ses idées ? La manifestation n’est-elle précisément pas le premier lieu de toute communauté ?

En effet, alors que, quand on pense la question de l’avec comme une question d’alliance, on croit pouvoir accepter n’importe quel allié pour atteindre ses fins, qui seules comptent – de toute façon, l’alliance, purement instrumentale, cessera une fois l’objectif atteint –, quand on la pense en termes d’affinités, on est conscient qu’une manifestation, qu’un mouvement social, constitue déjà, dans les formes qu’il prend, le monde qu’il cherche à faire advenir. Et avec qui on constitue un monde, ça compte. Toute manifestation est évidemment hétérogène et plurielle, mais on manifeste avec des gens avec qui des liens sont possibles et souhaitables. On est souvent attiré par un mouvement parce que les manières d’être, les types de lien qui y ont cours, sont désirables, et bonnes à partager dès maintenant (ou à l’inverse on est poussé hors d’un mouvement dont on aurait pu aimer le mot d’ordre parce que les manières et les liens y sont invivables – c’est ce que peuvent éprouver des femmes qui rejoignent un mouvement révolutionnaire et en sortent en constant sa structure sexiste et patriarcale). La question est moins de savoir si on peut défiler avec Philippot sans partager ses idées, que celle de savoir si on pense pouvoir partager quelque chose avec lui.

Plus généralement, il n’y a pas en politique de principes désincarnés. Qui les énonce, en quels termes, avec quel ton, dans quelle conjoncture : ça change tout. Un « non à la surveillance de masse » énoncé par l’extrême-droite, avec une rhétorique antisémite et négationniste, ne peut être détaché ni de son milieu d’énonciation ni des moyens de son énonciation. L’imaginaire qu’il constitue en étant relayé n’est pas émancipateur, même si le mot d’ordre pourrait le faire croire. Dans la mesure le mouvement a surtout ce ton-là, où on a tous vu les affiches « pass nazitaire » avec des S évoquant la SS, le rejoindre, c’est le renforcer, et renforcer cet imaginaire, en augmentant la confusion générale. À défiler avec des fascistes contre l’autoritarisme, on risque alors surtout de renforcer le fascisme, et, à terme, l’autoritarisme.

Prétendre défendre des principes et des objectifs quels que soient les alliés qu’on se trouve, faire passer des idées avant les gens, c’est agir en idéologue, pour qui le monde doit se plier aux idées, au mépris de ce qu’il se passe, en termes de constitution de forces, d’imaginaires, de liens, et déjà d’un monde. Partir non pas des idées mais des gens, ce qui est une autre manière de décrire la manière affinitaire de s’orienter, conduit à considérer, dans un mouvement, au-delà de ses objectifs affichés, ses moyens, les manières d’être qui s’y déploient, son répertoire d’action, les affects qui le traversent, l’atmosphère qu’il charrie. L’atmosphère qui accompagne ce mouvement, c’est la violence exercée contre des soignants et les soignantes, agressé·e·s ou menacé·e·s, c’est l’antisémitisme et le négationnisme (qui ont par ailleurs libre cours sur les plateaux de télévision), c’est l’affirmation d’un ultralibéralisme assez forcené.

Un des points centraux de votre réflexion consiste à vous demander si ce mouvement de contestation, par son ampleur et ses enjeux, rejoint l’ampleur et les enjeux des mouvements de 2016 contre la Loi Travail et de 2018 avec les Gilets jaunes. D’emblée, vous affirmez à juste titre et avec force que ce mouvement contre le pass n’a rien à voir, en dépit de la présence de Gilets jaunes, avec le mouvement de l’hiver 18. Pourquoi vous semble-t-il différent ? Vous établissez notamment une différenciation majeure sur la nature de la violence : les Gilets jaunes n’ont jamais appelé à la violence contre des personnes mais ont uniquement commis des actes de vandalisme. Pourtant, les Gilets jaunes vouaient une haine manifeste à Macron. Quelle différence fondamentale émerge alors cependant ?

Je suis en effet revenue sur la comparaison entre ce mouvement et le mouvement des Gilets jaunes parce qu’elle a été assez récurrente cet été. À gauche, beaucoup avaient vu dans le mouvement des Gilets jaunes, lorsqu’il a commencé, un mouvement poujadiste auquel ils ne voulaient pas se joindre, puis ils se sont rendus compte qu’ils passaient à côté de quelque chose et l’ont rejoint (ou ont continué à le mépriser en raison d’un certain mépris de classe). Pour certains ou certaines, il y a peut-être eu une peur de reproduire la même erreur. C’est ainsi que j’ai lu plusieurs fois des arguments du type : « ceux qui critiquent le mouvement anti-pass refont la même erreur que du temps des Gilets jaunes, ils passent à côté d’un grand élan démocratique et manifestent leur haine du peuple et leur mépris de la démocratie. »  Comme la pandémie a interrompu une série de mouvements très forts (2016, 2018, comme vous le rappelez, mais aussi le mouvement contre les retraites juste avant l’arrivée du Covid), la tentation pouvait être grande de voir cette série reprendre cet été, sur un mot d’ordre qui a du sens à gauche.

À mes yeux ce mouvement n’est pas une reprise des Gilets jaunes, même s’il peut y avoir des continuités de personnes, parce qu’il n’en reprend pas le sens, et n’installe pas la même atmosphère dans le pays. Le mouvement des Gilets jaunes était divers, il y a avait des gens d’extrême droite dans les cortèges, mais ils ne donnaient pas son ton au mouvement. C’était d’abord un mouvement de précaires contre une gouvernance capitaliste écrasante. C’était aussi un mouvement où, quotidiennement sur les ronds-points, du commun s’est construit. Ce mouvement anti-pass ne construit rien de commun. Il prône au contraire la destruction de toute communauté : comment qualifier autrement le refus de mesures partagées de défense commune contre un virus, le refus de mesures d’attention et de protection réciproques ? Ce refus est manifeste dans les formes que prend la violence. Alors que la violence des Gilets jaunes visait des symboles de l’oligarchie ou du pouvoir impérial (Fouquet’s, Arc de Triomphe…), la violence des anti-pass vise des centres de vaccination, des centres de dépistage du covid : des lieux et des symboles du soin, de la sécurité et de la solidarité sociales. Elle s’en prend aussi, ainsi, à des personnes, des soignant·e·s agressé·e·s, ou menacé·e·s, ce qui fait encore une différence avec la violence des Gilets jaunes. Certes ces derniers haïssaient Macron, mais en régime de présidence à ce point monarchique, il est difficile de distinguer l’homme de la fonction, la personne d’un régime écrasant et honni. Là, ils s’en prennent à des gens qui sont sur le pont depuis 18 mois pour soigner les gens et informer le public sur le fonctionnement du virus et les moyens de s’en protéger.

Loin de ranger ce mouvement anti-pass du côté des Gilets jaunes et de pouvoir rabattre l’antisémitisme de ce mouvement sur celui de l’hiver 18, vous le rapprochez plutôt du mouvement de la Manif pour tous. En quoi ainsi s’agit-il pour vous d’un mouvement similaire ? Quelles sont leurs affinités respectives ? Vous dites notamment que, dans un cas comme dans l’autre, c’est « une force destructrice de l’égalité et des libertés qui s’ancrent dans l’égalité ». En quoi s’agirait-il donc d’un mouvement qui, en fait, sous prétexte de liberté, attaque l’émancipation ? Pourquoi, selon vous, le fascisme constitue-t-il le point commun entre ces deux mouvements ?

En tout cas, ce mouvement a suscité en moi le type d’affects que la Manif pour tous avait suscités : l’inquiétude à voir se constituer une force destructrice de toute émancipation, lourde de dangers pour l’avenir.

De fait la droite ultra a pris des forces en 2013. Ce qui rapproche ces mouvements, ce sont d’abord des personnes influentes (Henrion-Claude, Fouché, Di Vizio, ou Barnérias, le réalisateur de Hold up). Ensuite, ce sont ensuite deux mouvements qui ont encouragé, par leur existence, la violence contre les personnes (les agressions contre les homosexuelles et les homosexuels ont augmenté dans le sillage de la manif pour tous, cet été les agressions contre les soignantes et les soignants ou les structures de soin étaient quotidiennes). Il n’y avait rien de tel du temps des Gilets jaunes. Ce sont deux mouvements qui manient le confusionnisme : la Manif pour tous reprenait l’imagerie et des slogans de 68 pour son projet discriminatoire, dévoyant par exemple les principes capitalistes en reliant l’opposition au mariage pour tous et la lutte contre la marchandisation des corps ; le mouvement anti-pass pratique le même type de confusion, en mobilisant le « slogan » « mon corps mon choix » ou les principes de la lutte contre les violences sexuelles, par exemple, pour s’opposer au vaccin. La Manif pour tous s’attaquait évidemment à l’égalité. Le mouvement anti-mesures sanitaires aussi, même si c’est moins direct : refuser de lutter collectivement contre le virus, c’est refuser de construire collectivement une égalité face au virus et considérer que les plus forts s’en sortiront, et tant pis pour les plus faibles. Ce qui s’exprime, c’est une forme de darwinisme social, une forme d’eugénisme, qui n’a rien d’émancipateur.

Je ne sais pas jusqu’où la comparaison avec la Manif pour tous peut être tenue : elle est au départ plutôt heuristique. Mais, dans les deux mouvances, on se réclame d’une certaine nature (d’un côté des sexes et des orientations sexuelles, de la famille, de l’autre côté, des systèmes immunitaires) pour refuser la construction politique d’une égalité. Ce sont des mouvances où on est prêt à pratiquer la violence contre des lieux du soin pour empêcher les pratiques qu’on réprouve (les avortements, la vaccination) – ces pratiques fascistes, comme le sont les menaces et intimidations de personnes en manifestation, suffisent à prouver que la revendication de « liberté » est vide et dissimule une contestation de toute politique de santé publique.

Mon autre question découlant de la précédente serait celle-ci : est-ce que finalement ce mouvement ne met pas en lumière que défendre la liberté, comme va le faire pendant la campagne Marine Le Pen, ce n’est pas défendre une valeur de droite contre une valeur de gauche, l’émancipation ? Est-ce que défendre la liberté, c’est-à-dire défendre un droit de consommer et une manière de confort individualiste et autarcique, c’est désormais être de droite ? Enfin, est-ce que ce mouvement anti-pass s’attaque véritablement au pouvoir macroniste ? N’a-t-il pas plutôt pour vocation de détruire des lieux de solidarité et de protection sociale comme les centres de vaccination ? Comment expliquer, par ailleurs, qu’il n’y a pas une répression policière aussi importante que pour les mouvements de 2016 et 2018 en dépit de l’ampleur des mobilisations chaque samedi ?

Je ne sais pas si défendre la liberté, c’est désormais être de droite, dans la mesure où la liberté a toujours été théorisée à droite et à gauche. La liberté comme valeur de droite, c’est aussi vieux que le libéralisme à l’époque de la naissance du capitalisme. Contre cette conception de la liberté, ce que montrait Rousseau par exemple, c’est que l’égalité est ce sans quoi la seule liberté qui existe est celle, pour les mieux dotés, en richesses, en réseaux, en forces, d’écraser et de dominer les autres. L’égalité est alors ce qui libère des relations de domination présentes dès qu’il y a inégalité, dès qu’il y a discrimination. Ça me permet de revenir à la question précédente sur les libertés qui s’ancrent dans l’égalité. Revenons à la situation actuelle : sans construction collective d’une égalité face au virus, si règne ce que prônent ceux et celles qui s’opposent aux mesures sanitaires, ce qui est construit, c’est un monde dans lequel les personnes les plus fragiles, parce qu’immuno-déficientes par exemple, n’ont plus de liberté de mouvement depuis plus d’un an. Elles payent le prix de la « liberté » de ne pas mettre de masque, de laisser le virus circuler, etc. La liberté qui est défendue, c’est en effet une liberté purement égocentrique, celle d’individus qui considèrent « il n’y a pas de société », comme disait Thatcher. Que la réciprocité, la mutualité, la solidarité, n’ont pas d’importance. C’est conception libertarienne de la liberté, qui n’est qu’un nom donné au refus de tenir compte de l’autre et à la passion de domination.

Parmi les anti-pass, sur cette question de la liberté aussi la confusion est grande.  La liberté que certains ou certaines pensent opposer à l’État autoritaire est finalement opposée à la prise en compte du fait que nous coexistons, que nous ne sommes pas des monades isolées autarciques, et que, en conséquence, nous accorder sur des mesures pour nous protéger mutuellement, c’est source de puissance collective, redistribuée égalitairement. Ça n’entrave la liberté rêvée que de ceux et de celles qui refusent de reconnaître la dimension collective de l’existence (alors que leur vie est soutenue par la collectivité). La « liberté » est un signifiant assez vide, si on ne précise pas comment on l’entend. La clé est sans doute de savoir si on la conçoit comme appartenant par nature à l’individu autarcique (ce qui n’est qu’une illusion que seule une position de domination rend possible), et alors on pense que la communauté, et l’autre, l’entravent, et la seule solution pour ne pas être entravé est de les dominer, ou si on la conçoit comme produite horizontalement, politiquement, par la mise en commun de nos forces.

Ainsi compris, le mouvement anti-pass ne s’attaque pas au pouvoir macroniste : l’individu ultralibéral qui le constitue est au contraire en phase avec ce pouvoir. S’en prendre à la sécurité sociale, aux dispositifs de solidarité, c’est ce que fait cette présidence d’une autre manière et à une autre échelle.

Je ne sais pas pourquoi la répression policière n’est pas aussi forte que lors des mouvements de 2016 et 2018, mais c’est assurément un signe qu’il n’y a pas continuité. Et ce fait est particulièrement notable, dans la mesure où le traitement de la pandémie a souvent été policier plutôt que sanitaire. Les confinements et couvre-feux ont permis de quadriller encore plus les banlieues. Mais, manifestement, les anti-pass qui défilent ne sont pas traités comme des ennemis par le pouvoir. On pourrait aussi gloser sur le fait que la police est dispensée du pass, ce qui semble indiquer une certaine affinité avec le mouvement.

Un des points centraux de votre réflexion consiste à poser, au cœur de la politique, la question de l’élection par affinité et la puissance politique. Vous affirmez ainsi que la question de la vaccination ne se joue pas uniquement sur le terrain de la preuve scientifique mais devient une éminente question politique. Convoquant une vision de la politique fondée sur des préférences pour des liens afin de promouvoir une logique de coexistence, vous défendez, en vous appuyant sur Hannah Arendt, une préférence affective pour le vaccin contre « la prétendue détention d’une vérité » par les antivax : évoquant une « inclination affective pour un mode d’être avec », vous dites ainsi : « je préfère prendre le risque d’avoir tort avec des gens avec qui la vie serait sensée, que raison avec les autres, avec qui je n’ai pas envie de vivre, de partager le monde ».
Prenant à rebours la question scientifique, vous faites du monde du vaccin une manière d’être ensemble : en quoi le mouvement contre le pass sanitaire est-il pour vous une attaque de la solidarité et du contrat social, un mouvement profondément contre-révolutionnaire finalement ? En quoi finalement construit-il une communauté sur la destruction de toute communauté ?

Sur le vaccin, je refuse de me placer sur le terrain de l’argumentation scientifique parce que ce n’est pas dans mes cordes. J’admets que je fais confiance aux études, aux protocoles scientifiques, et aux médecins qui le recommandent. Une discussion avec les antivax qui s’imaginent être devenus spécialistes de ces questions n’aurait à mes yeux aucun sens. Par contre on peut rechercher ce que dissimule le recours à un registre supposément scientifique. Lorsqu’on n’a pas affaire à des gens qui ont sincèrement peur parce qu’ils ont entendu les discours de ceux et de celles qui veulent propager la peur, mais à des opposants et opposantes convaincues au vaccin, derrière la haine pour le vaccin, on trouve l’affirmation eugéniste de la confiance dans de bonnes défenses naturelles, et le refus de construire, face à une menace partagée, une réponse collective. On tient à s’en sortir seul – et on imagine que ça sera le cas parce qu’on est mieux doté, qu’on prend davantage soin de soi, etc. Peu importe que le virus continue à circuler, qu’il risque de muter, etc. : ce n’est pas notre affaire. Comme on l’a beaucoup trop entendu, « tout ça pour sauver des vieux ». C’est en cela que c’est un mouvement de déliaison politique, qu’on peut dire contre-révolutionnaire, en effet, si on admet qu’on se politise et qu’on se constitue en force révolutionnaire quand on éprouve que le sort d’une personne dans une communauté est l’affaire de tous, et que la solidarité est à construire.

C’est pour cette raison que j’écris que je préfère l’idée de vaccin à l’idée de sélection naturelle par les défenses immunitaires, de même que je préfère être avec des gens qui défendent l’idée de vaccin, et donc qui prônent une défense collective contre un virus, qu’avec des gens qui comptent s’en sortir seuls et se désintéresser du sort des autres – je ne vois tout simplement pas ce qui est possible avec les derniers. Préférer la manière d’être des uns (des unes) ou des autres, c’est une question de sensibilité, et de sensibilité qui a une dimension éthique et politique.

Plusieurs fois, afin de désamorcer l’identification entre se faire vacciner et approuver Macron, des médecins ont dit : « le vaccin n’est pas une question politique, c’est une question scientifique ». Je pense au contraire que c’est une question politique, en un autre sens de « politique » : c’est une forme de la coexistence qui se dessine dans la préférence pour le vaccin. De toute façon, les faits scientifiques ne commandent pas les décisions pratiques. Ce sont les désirs qui déterminent les orientations (et éventuellement on va se réclamer de « la science » pour justifier a posteriori le désir). Il ne suffit pas qu’un vaccin marche et ne soit pas dangereux pour qu’il soit promu par une politique de santé publique : il faut un désir d’éradiquer un virus. Et, contrairement aux discours pseudo-foucaldiens, instaurer des mesures sanitaires, ça ne revient pas nécessairement à soumettre les vies à l’emprise de la rationalité. D’autres logiques peuvent être en jeu : le désir de mettre fin à un épisode pandémique pénible, une sensibilité à l’autre, une tendance à y faire attention.

C’est parce que cette dimension affective des orientations politiques est si importante qu’on peut être amené à penser cette formule qui résume un peu le principe d’une orientation affinitaire : « je préfère risquer me tromper avec des gens avec qui je pense que la vie est sensée, plutôt qu’avoir raison avec ceux avec qui je ne peux envisager de partager ma vie ». Ça pourrait signifier quelque chose du type : admettons que les complotistes libertariens aient raison, et qu’on se trompe de l’autre côté, je préfère quand même faire partie de ceux qui tentent la réponse collective et solidaire. Ça a plus de sens, le monde est plus sensé si cette tentative existe.

Ma question suivante voudrait revenir sur l’arc confusionniste qui domine ce mouvement. Selon vous, il y a une ambiguïté savamment entretenue entre les anti-pass et les anti-vax qui bien souvent sont en vérité les mêmes. En quoi, selon vous, finalement ce mouvement anti-pass serait tout simplement un mouvement antivax qui n’oserait pas dire son nom ?

La frontière entre mouvement anti-pass et mouvement anti-vax est en effet poreuse. De fait, les prises de parole ou les discussions sur le pass sanitaire dévient à peu près systématiquement sur le problème des vaccins, et, plus, généralement, des mesures sanitaires en général. On se retrouve pour parler du pass, et très vite quelqu’un demande, outré, jusqu’à quand on va supporter le gel hydro-alcoolique, et sort un couplet sur la dictature du masque. On peut quand même se demander pour quel genre de subjectivité il serait insupportable hors pandémie de s’isoler quelques jours, de mettre un masque et de se laver les mains pour ne pas transmettre une maladie, gestes qui ne peuvent alors relever que de l’injonction verticale. Les anti-pass sanitaire sont souvent anti-tout (antivax, anti-masques, anti-confinements, etc.), sauf anti-covid. Les pancartes dans les cortèges sont à cet égard éloquentes.

On ne peut pas penser ce mouvement en faisant abstraction du mouvement anti-sanitaire qui s’est constitué depuis le début de la pandémie, et qui s’est structuré autour de la nébuleuse complotiste covido-sceptique. On pourrait peut-être opérer des rapprochements avec le mouvement du Tea-Party et celui qui a envahi le Capitole en janvier dernier. Et ce mouvement anti-sanitaire, il pourrait d’ailleurs être intéressant d’en faire une lecture genrée, dans la mesure où l’affirmation de soi anti-masque anti-vax anti-gel hydroalcoolique – je refuse de prendre sur moi pour faire attention à l’autre – a un côté viriliste qui était assez manifeste sur des pancartes « sans masque et sans capote ».

Enfin ma dernière question voudrait porter sur l’éclairant et très juste rapprochement que vous opérez entre le mouvement anti-pass et la politique macroniste face à la pandémie. Vous dites que Macron et les anti-pass défendent la même vision d’une politique non-solidaire et résolument individualiste. Vous citez notamment les impensables atermoiements pendant plus de 5 mois de la campagne de vaccination en France ou encore les déclarations de Macron affirmant jusqu’en décembre 2020 ne pas avoir assez de recul sur le vaccin. Vous dites d’ailleurs : « Il n’y a pas de politique sanitaire en France. Il y a en revanche une augmentation du contrôle policier, cest certain. » Pourriez-vous nous expliquer cette formule ?

J’ai en effet été frappée, les premiers mois de la campagne de vaccination, de voir à quel point le gouvernement fabriquait une approche individualiste de la question : pour les actifs et les actives exposé·e·s qui souhaitaient avoir accès au vaccin, pendant des semaines, il fallait trouver un piston, ou avoir un coup de chance, mais la résolution était individuelle. En refusant de protéger réellement les gens, dans les transports, dans les écoles par exemple, le gouvernement contraint aussi à rechercher individuellement à se protéger (pour ceux et celles qui peuvent se le permettre financièrement). Cette vision individualiste n’est pas le seul point commun entre le gouvernement et les anti-pass. Le gouvernement a participé au covido-scepticisme, en niant l’arrivée de la pandémie en mars 2020, puis en niant pendant des mois la transmission du virus par aérosolisation, l’existence des covid longs, la transmission du virus chez les enfants, l’existence du virus dans les écoles. Il a participé au mépris de la science en refusant de tenir compte des recommandations scientifiques. Il n’y a pas de politique sanitaire en France au sens où les mesures qui sont prises s’accompagnent d’exceptions ou de clauses qui leur diminuent leur intérêt sanitaire (isolement pour les malades du covid – sauf deux heures par jour ; pass sanitaire – valable avant que le vaccin ait fait son effet ou jusqu’à 72 heures après un test anti-génique, fermeture des universités mais ouverture des écoles, etc.). Il n’y a pas de politique sanitaire dans la mesure où il y a un refus obstiné de toute mesure qui soit efficace et non punitive : par exemple installer des filtres à air dans tous les lieux recevant du public. Les mesures principales auront été des mesures de police (couvre-feu, confinement avec attestation donnant lieu à des contrôles arbitraires, confinement pour toute activité non économique (« non utile »), pass sanitaire) qui laissaient le virus circuler. Aucune mesure n’a été prise aux frontières contre le virus initial puis contre les variants anglais et delta. Le gouvernement s’apprête à faire retirer les masques aux enfants non vaccinés, indépendamment de l’incidence du virus dans leur classe d’âge. C’est pourquoi il me semble qu’une véritable opposition au gouvernement consisterait à exiger et à construire une véritable politique de défense collective contre le virus, au lieu de fantasmer un gouvernement biopolitique qui aurait imposé une dictature sanitaire. De manière générale, il y a suffisamment de raisons de lutter contre cette gouvernance pour ne pas fantasmer une dictature sanitaire.

Valérie Gérard, Tracer des lignes : sur la mobilisation contre le pass sanitaire, éditions MF, 32 p., septembre 2021, 1 €99 — Disponible sur toutes les plateformes ou sur le site des éditions-mf


«Atmosferan pilatutako CO2aren erdia azken 30 urteetan isuritakoa da»
Iñaki Petxarroman
www.berria.eus/paperekoa/1911/017/001/2021-11-05/atmosferan-pilatutako-co2aren-erdia-azken-30-urteetan-isuritakoa-da.htm?utm_source=Twitter&utm_medium=Sare_sozialak_CM

Ez du esan nahi Glasgowkoa «azken aukera» izango dela, baina argi du goi bilera horrek duen garrantzia. Herrialdeak konpromisoak handitzen eta agindutakoak betetzen hasteko garaia dela uste du zientzialariak.

Glasgown ez badago ere, arretaz jarraitzen ari zaie Sergio H. Faria BC3ko Ikerbasque irakasle eta Klima Aldaketari Buruzko Gobernu Arteko Taldeko (IPCC) ikertzailea (Curitiba, Brasil, 1974) handik heltzen diren berriei. Haren iritziz, goi bileran ikusiko da Parisko Hitzarmenaren ebaluazioa eta aurrera begira herrialdeak zer gehiago egiteko prest dauden hura betetzeko. «Horregatik da garrantzitsua, eta konpromiso zehatzak eta garbiak behar dira, ez dadin inor ihesi joan».

Zer konpromiso hartu beharko lituzkete herrialdeek COP26an?

Herrialdearen arabera. Oro har, berriztagarrien trantsizioa, erregai fosilen erabilera mugatzea, metano isurketak gutxitzea, CO2aren xurgatzea handitzea —basoberritzeen bidez edo beste modu batzuen bidez—, lurraren erabileraren kudeaketa… Estrategia ezberdinak daude, eta herrialde bakoitzak erabaki behar du zein lehenetsi, duen ahalmenaren arabera. Zer gertatu da? Bada, Parisko konpromiso asko oraindik ez direla bete, eta betetzea lortu dena ez dela nahikoa izan 1,5 graduko berotzearen helburua lortzeko. Uste dut orain dela aukera, Glasgown; ez nuke esango azken aukera dela, baina benetan gure esku dugu klima aldaketari galga jartzeko.

Azken konpromisoen arabera, isurketak %7,5 gutxituko lirateke 2030erako, baina %30-40 gutxitu beharko lirateke.

Parisko Hitzarmeneko xedeak bete nahi baditugu, konpromiso eta ekintza sakonagoak behar ditugu. Ekintza bizkorragoak, globalki koordinatuagoak… Baina, batez ere, gehiago bete behar dira hitzemandakoak. IPCCk agerian utzi du argitaratutako azken txostenean atmosferan pilatutako CO2aren erdia azken 30 urteetan isuritakoa dela. Eta berotegi gasen atmosferako pilaketa inoizko handiena da. Horrek aurrekaririk gabeko berotze tasak dakartza; gutxienez, duela 2.000 urtetik hona. Klima aldaketaren ondorioak planetako toki askotan sumatzen ari dira, eta, haietako batzuek, zoritxarrez, ez dute atzera-bueltarik. Gure esku dago aldaketen abiadura murriztea, isurketen murrizketa zorrotzak eginez gero. Eta arrakasta handiz jokatuz gero, aldaketa asko galga ditzakegu.

Atzeraezinezkoa da itsasoaren berotze prozesua, ezta?

Bai, ozeanoek inertzia handia daukate. Horregatik, itsasoaren tenperatura eta garaiera oso mantso aldatzen dira, baina mendeak behar dira horri buelta emateko, akaso milurtekoak. Aldaketak hasten direnean itsasoetan, beraz, oso zaila da haiek geratzea. Baina garrantzitsuena da ulertzea gure ekintzek garrantzi handia daukatela aldaketa horiek mantsotzeko eta mugatzeko.

Zientzialariek ohartarazi duzue oihanak gordetzen dutena baino karbono gehiago isurtzen hasi direla.

Atal hau gehiago dagokio klima aldaketaren egokitzapenari, eta ez dugu aztertu 6. txostenean, baizik eta hurrengo urtean argitaratuko den beste batean. IPCCren 2. taldeak egin du lan hori. Hori eta 3. taldeak egindako beste bat 2022ko lehen hilabeteetan argitaratuko dira, eta zehatz aztertuko dituzte klima aldaketaren eragin klimatiko, sozioekonomiko eta ingurumenekoak… Eta, horrekin batera, egokitzeko estrategiak proposatuko dituzte.

Metano isurketak murriztea erabaki dute ehundik gora estatuk. Itxaropena sortzen dizu horrek?

Metanoak berotze ahalmen handiagoa du CO2ak baino, baina askoz ere denbora laburragoan geratzen da atmosferan. Beraz, atmosferaren metano pilaketa segituan igartzen da kliman. Pilaketa azkar bat dagoenean, oso kezkagarria da; eta gutxitzen denean, berehala nabaritzen da. Beraz, metano isurketen berehalako murrizketa oso itxaropentsua litzateke, baldin eta ez badu baldintzatzen CO2 isurketak gutxitzeko gure ahalegin kolektiboa.

Zer esan nahi duzu horrekin?

Metano isurketen murrizketak geldo dezake klima aldaketaren erritmoa, eta horrek eragin dezake CO2 isurketak gutxitzeko ahalegina moteltzea. Hori hondamendi bat litzateke, zeren karbono dioxidoa da epe ertain eta luzera berotzea gidatzen duena. Beraz, ezin dugu hau erabili aitzakia gisa CO2 isurketak gutxitzeko ahaleginak erlaxatzeko. Biak gutxitzea lortzen bada, bakoitza bere moduan eta erritmoan, orduan bai izango genuke onura bikoitza klimarentzat.

IPCCren azken txostenean diozue isurketak errotik moztea beharrezkoa dela 1,5 graduko berotzearen helburua betetzeko. Garaiz gaudela uste duzu?

Garaiz, teorian, bai. Baina gure ekintzen eta konpromisoen historia ikusita, ezin daiteke baikorregia izan. Bestalde, esan beharra dago: 1,5 graduko berotzea oso esanguratsua da, baina ez dago mugarik zona seguru batetik arriskutsu batera igarotzeko. Esan nahi baita: arriskuak eta kalteak mugatu nahi baditugu, garrantzitsuena da isurketa ahal den gehiena murriztea. 1,5 graduraino iristen bagara, hobeto. Baina hori gainditzen badugu, bi graduko berotzea hobea da 2,5ekoa baino. Gradu erdi bakoitzean ikusiko dugu nola handitzen diren arriskuak eta nola suntsitzen diren naturguneak, koralezko uharrietan, glaziarretan…

Nola eragin du COVID-19ak klima aldaketaren aurkako borrokan?

Pandemiak eragin itzela izan du pertsonen osasunean eta bizitzetan, eta, jakina, klima aldaketari aurre egiteko esfortzuak ere baldintzatu ditu. Dena zailagoa izan da. Ikertzaileon lana, egokitzeko plangintzak, trantsizio energetikorako urratsak… Dena mantsotu da. Zientzialarion txostenak ere hilabete askotan atzeratu dira. Presentzialki egiten diren sei hilabeteroko bilerak —gure ekoizpenaren muina izaten dira horiek, epeak betetzeko— bertan behera geratu dira, eta dena online egin behar izan dugu. Horrek txostena atzeratu digu, betiko zorroztasun eta kalitateari eutsi nahi izan diogulako. COP26a ere iaz egin behar zen, eta, beraz, Parisko Hitzarmenaren aurrerapenen ebaluazioa ere atzeratu egin behar izan da. Eragin garrantzitsua izan du pandemiak, beraz, eta espero dezagun orain galdutako denbora berreskuratzeko gai izatea.

Hala ere, naturarekin dugun harremana birpentsatzeko lagundu beharko liguke, zoonosien arriskua dela eta.

Osasunaren Mundu Erakundeak (OME) duela urte asko ohartarazi du zoonosien arriskuaz, baina ez gara behar bezala prestatu, ez genekielako noiz izango zen. Klima aldaketarekin antzekoa gertatzen ari da. Duela 30 urtetik ari gara abisatzen haren ondorioez, baina hemen izan arte, ez gara mugitzen. Eta duela urte asko egin behar genituen gauzak egiten hasi nahi dugu orain. Jakina, orain dena presaka eta modu traumatikoan egin beharko da, ez baitago ia denborarik.

IPCCko kide gisa, izan diren filtrazioei buruz galdetu behar dizut. Badirudi gobernuak eta lobbyak presio egiten ari direla, txostenak alda daitezen.

Egileok ezin dugu komentariorik egin txostenen zirriborroen inguruan. Logikoa da, gainera, behin-behineko testua delako, eta, beraz, ez dakigulako testu horiek argitaratuko diren edo ez. Izan ere, balizko aldaketa eta zuzenketak izan ditzakete lanek, eta dokumentu dinamikoak direnez, ez dakigu zertan geratuko diren. Eduki horiek eztabaidan daudenez, gomendioa da ezer ez komentatzea, txostenen egileen errespetuagatik ere.