Articles du Vendredi : Sélection du 05 mai 2023

« Les limites planétaires ne sont pas des portes de saloon qu’on peut franchir dans un sens puis dans l’autre »
Arthur de Grave
https://usbeketrica.com/fr/article/la-democratie-ne-consiste-pas-a-substituer-un-narratif-a-un-autre

Dans son nouvel ouvrage Politiser le renoncement (Divergences, 2023), Alexandre Monnin prolonge les réflexions initiées avec Emmanuel Bonnet et Diego Landivar dans leur livre Héritage et fermeture, une écologie du démantèlement (Divergences, 2021). Entretien avec le philosophe, qui continue d’enrichir le cadre conceptuel original de la redirection écologique.

Fleuves pollués, sols stérilisés, industries, chaînes logistiques et infrastructures numériques gourmandes en énergie… On peut toujours le déplorer, mais l’héritage du capitalisme ne peut pas être effacé en un claquement de doigts. S’il convient mieux de le démanteler que de l’accepter, alors la question des arbitrages à opérer prend une dimension proprement politique. Qui peut revendiquer ce droit d’inventaire dans les ruines de l’Anthropocène ? «  Fermer », oui, mais selon quelles modalités, avec quelle idée de la justice, et quelle place faite à l’exercice de la démocratie ?

Pour le philosophe Alexandre Monnin, directeur scientifique d’Origens Medialab et directeur du MSc « Strategy & Design for the Anthropocene » porté conjointement par Strate École de design Lyon et l’ESC Clermont, ces questions sont tout sauf des détails d’intendance. Plutôt une manière de se frotter au réel et d’en finir avec les fantasmes de retour au « terrestre » chers aux disciples de Bruno Latour.

Usbek & Rica : Vous invitez à envisager la question de la redirection écologique dans une perspective politique. Que faut-il entendre par là ?

Alexandre Monnin

Nous héritons d’un certain nombre d’infrastructures dont nous dépendons à court terme, mais qui nous condamnent à moyen terme. Nous savons que nous ne pourrons pas tout maintenir tel quel, ni nous contenter de verdir l’existant. Des arbitrages vont être nécessaires. Mais ces derniers seront d’autant plus brutaux qu’ils n’auront pas été anticipés ni opérés dans un cadre démocratique.

Il faut donc se doter d’une boussole politique. Si nous prenons au sérieux les idées de démantèlement et de fermeture, nous ne devons pas les laisser devenir de simples slogans. Nous ne pouvons pas faire l’impasse sur les conséquences, ni sur les ambiguïtés de la fermeture. Ni faire comme s’il était possible de tout fermer sans prendre en compte les attachements dans un grand geste viriliste, congédiant la modernité du jour au lendemain…

Vous vous montrez d’ailleurs assez critique vis-à-vis des philosophies qui font de la reconnexion avec le vivant la solution au problème écologique.

Alexandre Monnin

Une certaine écologie du vivant, qui traite la modernité comme une simple parenthèse ontologiquement mauvaise, me semble en effet très problématique. Affirmer simplement qu’il faudrait y renoncer, comme s’il s’agissait d’une simple question morale, relève d’une forme d’inconséquence.

La pandémie a joué le rôle de grand révélateur : des courants de pensée a priori très différents les uns des autres ont révélé leurs limites.

Je pense ici au philosophe italien Giorgio Agamben comparant le pass sanitaire à une étoile jaune, à l’auteur ou aux auteurs du Manifeste conspirationniste (Seuil, 2022) minimisant la pandémie à l’extrême, ou encore, dans une moindre mesure, à Bruno Latour et ses disciples parlant de « sortie de la production » au moment même où les travailleurs dans les entrepôts logistiques redoublaient d’effort au risque de leur vie. Dans certains cas, leur vitalisme cachait un arrière-plan validiste, voire malthusien. À rebours de ce vitalisme, nous ne pourrons pas démanteler la Technosphère sans une pensée de la technique. Or, la technocritique peut aussi se muer en technophobie pure et simple, ce qui constitue une autre impasse.

Nous allons devoir apprendre à vivre dans des milieux impurs, tramés par des bribes de Technosphère, d’infrastructures industrielles, de communs négatifs… Les limites planétaires ne sont pas des portes de saloon que nous pourrions franchir dans un sens puis dans l’autre ! Le retour au « terrestre », s’il ne s’accompagne pas d’une prise en compte de cette dimension, relève du fantasme.

De même, la tentation du repli sur l’échelon local comme cadre d’action pose problème dans la mesure où ce dernier ne permet pas de correctement saisir les enjeux liés à la technique, au changement climatique et aux migrations de populations qu’il va entraîner. Ces questions se posent à nous à un niveau planétaire. La radicalité est nécessaire au regard des enjeux, mais prenons garde à ce qu’elle ne débouche pas sur des positions réactionnaires.

N’est-ce pas justement ce qui vous conduit à parler d’une « ligne de crête » ?

Alexandre Monnin

Absolument. Nous dépendons aujourd’hui collectivement d’infrastructures qui compromettent notre survie future. Le business as usual, le verdissement de la croissance, voire la radicalisation de l’extractivisme ne sont pas des options crédibles. Congédier de manière brutale, au choix, la modernité, la civilisation, le capitalisme, la Technosphère, pour mieux se reconnecter à la nature, n’en sont pas davantage. Entre ces deux pôles, une autre voie est possible. Pas un dépassement : une autre voie.

Comment prendre en compte les attachements qui nous lient aux « ruines » du capitalisme ? Comment arrive-t-on – et à quelles conditions – à détricoter ces chaînes de dépendance ? C’est cette capacité à nous doter de savoirs, d’outils, de pratiques et de critères communs pour opérer la redirection et déterminer collectivement ce qui est viable ou non qui se retrouve au cœur de la question politique.

Le concept de « commun négatif » que vous développiez déjà dans Héritage et fermeture , votre précédent livre, ouvre-t-il un espace nouveau pour l’exercice démocratique ?

Alexandre Monnin

Les communs négatifs, ce sont ces espaces pollués, ces déchets – ce que j’appelle des « ruines ruinées » – mais également ces chaînes industrielles, ces infrastructures logistiques et technologiques – les « ruines ruineuses » – qui fondent un futur déjà obsolète. J’ai déjà posé ce concept pour critiquer la notion d’externalité négative si chère aux économistes, mais très insuffisante : on ne peut pas considérer les conséquences néfastes d’une activité – pensez par exemple à la pollution causée par une activité industrielle – comme des accidents, des faits périphériques qu’il serait possible de compenser ou de dédommager. Ce sont généralement des conditions – et non de simples conséquences – mêmes de l’activité en question. Est-ce qu’on l’accepte ? Est-ce qu’on le refuse ? C’est une façon de décaler la question.

Dans Politiser le renoncement, j’ai continué à tirer le fil, en essayant de penser les communs négatifs à l’aune de la question de la justice telle que la formule le philosophe américano-nigérian Olúfẹ́mi O. Táíwò : une inégale répartition des biens et des maux, qui tendent à s’accumuler dans le temps. C’est bien de cela qu’il s’agit avec les communs négatifs (enfin, surtout des maux !).

Il serait profondément injuste de laisser aux seules populations directement concernées le soin de gérer un commun négatif, comme le prône souvent l’approche par la résilience. La présentation classique de la théorie des communs semble postuler un lien quasi-naturel entre la communauté et le commun qu’elle prend en charge. Dans les faits, c’est autrement plus compliqué, mais dans le cas des communs négatifs, c’est absolument intenable. Personne n’a de mandat pour changer la trajectoire de la 5G, des méga-bassines, etc : il faut mener une enquête pour faire valoir des raisons qui dépassent le collectif qui s’empare de ces questions (y compris en instaurant un rapport de force). Enquêter, aussi, pour acter l’existence d’un commun négatif dans un premier temps, et factoriser les attachements à ce dernier dans un second temps.

Il faut donc apprendre à faire de la politique dans des milieux « impurs » ?

Alexandre Monnin

Oui, on ne peut pas se contenter de dire qu’il faut se débarrasser des communs négatifs. Prenons la voiture, par exemple : Jason Hickel, l’un des penseurs de la décroissance les plus influents, a lancé il y a quelque temps un débat houleux en affirmant en substance que nous étions en train d’immoler les populations du Sud pour permettre à celles du Nord de continuer à rouler en SUV électriques. Mais il a immédiatement précisé que la décarbonation est nécessaire.

Il ne suffit pas de déclarer qu’il faut se passer de voitures (électriques ou non – même s’il faut absolument se passer des SUV dans tous les cas !) : le problème, c’est qu’il faut aussi prendre en compte les attachements qui ont été tissés, la dépendance réelle d’une bonne partie des populations à ce mode de transport. Il serait sans doute préférable de passer par une soutenabilité faible – dont la voiture électrique est un élément – pour évoluer vers une soutenabilité forte, qui suppose une refonte des modèles d’urbanisme et des infrastructures de transport. S’il s’agit de décarboner le statu quo, cela n’a aucun sens ; mais si c’est une manière de se donner du temps pour opérer une véritable redirection écologique, là, c’est intéressant.

Cette position est-elle audible dans le contexte de polarisation actuel ?

Alexandre Monnin

Sobriété ou efficience, décarbonation ou extractivisme… Les questions sont souvent mal posées. Il faut réussir à articuler différentes temporalités, différents objectifs, sans quoi nous ne parviendrons pas à marcher sur cette ligne de crête.

Pour le philosophe américain John Dewey, la démocratie, c’est quand des populations commencent à se mêler de problèmes qui ne les concernent pas directement. C’est ce que font par exemple les collectifs qui se sont emparés de la question des méga-bassines à Sainte-Soline, ou encore la fondation qui a contraint le gouvernement conservateur-libéral néerlandais, par une action juridique ciblée, à opérer des redirections massives, chose encore inconcevables il y a quelques années.

La démocratie ne consiste pas à substituer un narratif à un autre : elle repose sur la capacité à mener des enquêtes et à nous confronter à des situations intriquées, impures, pour déterminer collectivement ce qui mérite d’être conservé d’un côté, et ce à quoi nous devons renoncer de l’autre. La lutte pour maintenir un cadre propice à la conduite de ces enquêtes est plus que jamais nécessaire.

 

Pourquoi la dérision est une redoutable arme politique
Mathieu Dejean
www.mediapart.fr/journal/politique/270423/pourquoi-la-derision-est-une-redoutable-arme-politique

Le gouvernement ne s’y trompe pas en s’inquiétant des actions sporadiques et ludiques qui l’accablent. À l’usure, la dérision a déjà eu raison de pouvoirs inflexibles par le passé. 

Le scénario de l’essoufflement a fait pschitt. L’accalmie tant attendue par le président de la République, qui s’exprimait le 17 avril en espérant tourner la page de la contestation contre sa réforme des retraites, n’est pas venue. Après des dizaines de manifestations aussi massives qu’insatisfaites, la mélancolie, le fatalisme et la résignation menaçaient le mouvement social, mais il a trouvé un nouveau souffle, dans la dérision.

Impossible pour Emmanuel Macron et ses épigones, désormais, de se déplacer sans provoquer un concert de casseroles, être poursuivis en forêt (à l’instar du ministre de la transition écologique, Christophe Béchu) ou être mis en « sobriété énergétique » (des coupures de courant, dans le langage activiste). Les réseaux sociaux se chargent de parachever ce travail de sape, en tournant en ridicule le terme préfectoral de « dispositif sonore portatif » et en immortalisant le moindre camouflet infligé à la Macronie.

Le groupe électrogène présent lors du déplacement d’Emmanuel Macron à Vendôme est devenu l’allégorie de sa propre impuissance. Partout, l’ironie se glisse dans l’armure du pouvoir. Le mouvement social redécouvre ainsi une arme politique qui a déjà fait la démonstration de son efficacité par le passé.

Rire au nez du pouvoir : un plaisir offensif

Louis-Philippe, dernier roi à avoir régné en France (entre 1830 et 1848), a été inlassablement caricaturé en poire pendant dix-huit ans sans jamais trouver matière à censure. « Ce qui a conduit à son effondrement, c’est la satire dans la presse, qui le ridiculisait partout dans une logique symbolique d’agression du pouvoir », explique le professeur de littérature à l’université Paris Nanterre Matthieu Letourneux, qui a co-dirigé le livre L’Empire du rire XIXe – XXIe siècle.

Plus récemment, à chaque fois que la Ve République a renoué avec une conception plus autoritaire et répressive de l’État, elle a ressuscité la tradition de la raillerie satirique.

En mai 1968, le gaullisme a été mis à terre tant par la violence révolutionnaire que par un rire d’agressivité hérité de l’Internationale situationniste. L’écrivain et traducteur Serge Quadruppani en témoigne dans son récit autobiographique, Une histoire personnelle de l’ultragauche, où il fait référence à la célèbre photo de Daniel Cohn-Bendit rigolant à la face d’un CRS : « Des pans entiers du pouvoir [des dominants] peuvent s’écrouler au premier éclat de rire » ; « En Mai, rire au nez du pouvoir, descendre dans la rue a payé. » 

Dans Quartier rouge, un essai sur le plaisir et la gauche, le philosophe Michaël Fœssel note aussi cette particularité : « C’est en 1968 que, pour la dernière fois, le plaisir s’est imposé comme un motif de contestation collective. »

La dérision permet de basculer dans une logique de guérilla : elle est paradoxalement plus violente que la manifestation.

Matthieu Letourneux, codirecteur du livre « L’Empire du rire »

Il y a donc une raison au retour de ce répertoire d’actions carnavalesques : « Plus le pouvoir semble figé, crispé, sourd, plus la dérision est une façon efficace de le mettre en crise, analyse Matthieu Letourneux. C’est une culture très ancienne, qui dit quelque chose du moment, de l’époque : puisque le dialogue social, celui de la manifestation, ne fonctionne pas, on passe à un autre mode d’interaction, qui est la dérision du pouvoir. »

Si, dans un premier temps, Emmanuel Macron et ses ministres ont cru pouvoir balayer d’un revers de main ces happenings intempestifs en les renvoyant à leur caractère minoritaire, ils les regardent désormais avec plus d’inquiétude. « Ce n’est pas drôle, c’est grave », tançait ainsi un ministre de poids, cité par Politico, à la suite de l’exfiltration du ministre de l’éducation nationale, Pap Ndiaye, gare de Lyon, le 24 avril.

Et pour cause : bien que symboliques, ces actions sont loin d’être inoffensives. « La dérision permet de basculer dans une logique de guérilla : elle fonctionne ponctuellement et attaque le pouvoir dans son assise symbolique, ce qui la rend paradoxalement plus violente que la manifestation. C’est une agression désamorcée par le geste même de l’humour. C’est pourquoi nous sommes dans un moment clé : le rire n’est pas de l’enfantillage, c’est aussi de l’action politique », détaille Matthieu Letourneux. Le rire est d’autant plus efficace, face à un gouvernement fragilisé, que la répression policière du rieur n’est pas aisément soutenable aux yeux de l’opinion publique.

La force du performatif

Après l’acmé de la répression atteint dans la mobilisation contre les mégabassines à Sainte-Soline (Deux-Sèvres), le mouvement contre la réforme des retraites n’est ainsi pas le seul à mettre, plus qu’avant, l’accent sur la dérision (même si elle était déjà bien présente dans les cortèges). Les manifestant·es contre l’autoroute A69 Toulouse-Castres avaient troqué le pavé contre un niveau à bulle pour construire un mur en plein milieu de l’asphalte, le 24 avril. Dans la journée, les activistes avaient aussi organisé une course de caisses à savon aux allures de « Mario Kart » écolos.

Autant d’actions qui, dans leur réalisation même, atteignent leur objectif, tantôt en obtenant l’exfiltration d’un ministre ou l’annulation de sa venue, tantôt en faisant advenir, à petite échelle et de manière éphémère, un autre type de société.

Pour l’essayiste et militante écosocialiste Corinne Morel Darleux, cet aggiornamento des luttes n’est pas anodin. Il s’explique d’abord par un « dévissage démocratique » : « Là où, auparavant, on pouvait espérer être entendu par un gouvernement sur le principe du rapport de force, ce n’est plus le cas. On l’a vu avec les “gilets jaunes”, les marches climat ou encore L’Affaire du siècle. Cela produit un sentiment d’abattement, d’échec et d’impasse, la seule réponse étant la répression, comme on l’a vu sur les retraites et sur Sainte-Soline. » 

Le centre de gravité de l’action politique se déplace vers des mouvements plus organiques, dont les actions préfigurent la manière dont on pourrait vivre autrement.

Corinne Morel Darleux, militante écosocialiste

Dès lors, les stratégies passent du registre revendicatif au registre « performatif », soit « des actions et des luttes dont les revendications sont atteintes dans leur propre réalisation ». 

C’est pourquoi, selon elle, la gauche partisane peine autant à apparaître comme un exutoire positif à ces luttes, en dépit de tous ses efforts pour les soutenir : « Le centre de gravité de l’action politique se déplace des partis et des syndicats vers des mouvements plus organiques comme Les Soulèvements de la Terre. Ils n’ont pas d’organe central et mènent des actions qui, au-delà de la communication, de la revendication ou du symbole, préfigurent la manière dont on pourrait vivre autrement », développe-t-elle.

C’est ainsi que ces luttes, même si elles sont limitées dans le temps et l’espace, peuvent avoir des effets importants.

Dans l’immédiat, elles procurent la satisfaction d’avoir encore une prise sur le monde, dans une relation narquoise au pouvoir : « Elles s’enracinent dans le faire, dans l’idée d’affecter directement la matière du monde, ce qui répond à une nécessité absolue d’opposer la joie à un monde anxiogène et radicalement verrouillé », suggère Romain Huët, maître de conférences en sciences de la communication, auteur de l’ouvrage De si violentes fatigues. Les devenirs politiques de l’épuisement quotidien (2021).

« La joie réside dans le fait que le mouvement est hétérogène, mais aussi dans le sentiment de perturber un peu le cours des choses. Cela rompt avec nos habitudes à l’impuissance », poursuit-il.

Cette détermination à agir dans une connivence ludique s’explique aussi par le caractère « vitaliste » des luttes qui convergent en ce moment, qu’elles portent sur la stratégie d’adaptation au changement climatique ou sur la critique du travail : « Pour la première fois, les manifestants ne se battent pas contre une mesure technique qui aménage la vie, mais pour expérimenter des formes de vie qualitativement différentes, en posant la question de la place du travail dans nos existences, ce qui est inédit », souligne Romain Huët.

Sortir de l’impuissance politique

La variété des formes de lutte qui se succèdent dans ce mouvement contre la retraite à 64 ans témoigne, selon lui, d’une « résolution à une vie plus allégée, moins soumises aux ordres du travail, jugé bien souvent comme absolument dégradé qualitativement » : « Le travail n’est pas refusé. Ce qui est refusé c’est le travail qui blesse et abaisse. » Y résister par les éclats de rire, le jeu ou l’allégresse fait donc d’autant plus sens.

À plus long terme, ce regain créatif et ces appropriations sauvages de l’espace public, cumulés à d’autres actions (grèves, manifs sauvages), peuvent déstabiliser le pouvoir. Le philosophe Baptiste Morizot invite ainsi, dans son dernier essai, L’Inexploré, à prendre au sérieux le potentiel émancipateur des « luttes concrètes » : « C’est à mon sens l’effet affectif décisif de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes (victoire qui n’a pas changé le monde) : elle nous donne du possible. Qu’on nous donne du possible, une bouffée de possible, et c’est ce monde qu’on sent pouvoir changer », écrit-il.

C’est bien là l’utilité politique du rire, même quand tout semble désespéré : en révélant l’absurdité du pouvoir officiel, il lui inflige une première défaite.


Azken urteotako lehorte larriena Europan
ELA-Ingurumena
www.ela.eus/eu/ingurumena/albisteak/azken-urteotako-lehorte-larriena-europan

Gutxi batzuen esku dagoen lurraren gehiegizko ustiapenaren beste adibide bat da lehortea. Ahalik eta negozio handiena egiteagatik, pertsonen egungo beharrak eta etorkizuna kontuan hartu gabe.

Aurreikuspen klimatikoen arabera, bero boladak eta lehorteak biziagoak eta maizago izango dira, eta gero eta zailagoa izango da ur nahikoa bermatzea, baita pertsonentzat ere. Klima aldaketarekin gero eta luzeagoak eta biziagoak izango direla kontuan hartuta, are okerragoak izango dira aurreikuspenak.

Kalkuluen arabera, Europako arro hidrografikoetan dauden baliabide hidrikoak %3 eta %7 bitartean murriztuko dira hemendik 2040ra bitartean, eta 2050erako Europako populazioaren %17k ur eskasia izateko arrisku handia izango du. Greziarekin batera, espainiar estatua, estres hidrikoa izateko arrisku handiena izango duten europar herrialdeetako bat izango da. Iberiar penintsularen hegoaldean izango da Europako eskasia handiena.

Baina, zer dago lehortearen atzean? Euri falta bakarrik? Ez duela euririk egiten nabaria eta kezkagarria da, baina lehortea ez da gertatzen soilik klima aldaketagatik, prezipitazio faltagatik eta horrek dakartzan tenperatura altuengatik. Lehorteen eta desertifikazioaren alderdi ezkutuak hauek dira: akuiferoen gehiegizko ustiapena, ureztaketaren hazkunde jasanezina, lurra uztea eta lurzoruaren degradazioa.

Nekazaritzarako ureztaketa intentsiboa da ur kontsumitzaile handia. Estatuko uraren %80 laboreak ureztatzeko erabiltzen da. Bolumenaren adibide bat jartzearren: urte batean Madrilgo 3 milioi biztanlek behar dutena baino 100 aldiz ur gehiago kontsumitzen dutela kalkulatzen da.

Iberiar penintsulako lurraldearen %75 basamortutzeko arriskuan dagoen arren, ura kudeatzeko eredu honek lehentasuna ematen die nekazaritzako kontsumo handiei. Nekazaritzarako ureztaketa da ur kontsumitzaile handiena, ur baliabideen %80 edaten du, eta, datu ofizialen arabera, ureztatze azalera etengabe hazi da azken hamarkadetan. Gainera, ibai eta urtegietan urik ez dagoen eremuetan, lurpeko ura erabiltzen da, eta etorkizuneko ur erreserbak arriskuan jartzen dira. Horren ondorioz, akuiferoen %25 gehiegi ustiatuta daude. Hori dela eta, espainiar estatua da Europan ur ustiapen handiena duen herrialdea. Honi gehitu behar zaio legez kanpo kontsumitzen diren urak: milioi erdi legez kanpoko putzu baino gehiago daudela uste da.

Eta hori gertatzen den bitartean, gailentzen den politika beste alde batera begiratu eta errua euri faltari botatzea da: lurra gutxi batzuen eskuetan ustiatzea, ahalik eta negozio handiena egiteko, pertsonen egungo beharrak eta etorkizuna kontuan hartu gabe. Doñana da adibiderik onena, ura agortzen ari da, eta irtenbidea ureztatze gehiago baimentzea da, baita legez kanpoko landaketak legeztatzea ere.

Klima aldaketaren ondorioak ikusten ari gara dagoeneko, baina politika horiekin egoera larriagotzen ari dira. Agronegozioa lehenesten dute eta arazoak areagotzeko neurriak hartzen dituzte, geldiarazi beharrean.