Articles du Vendredi : Sélection du 04 septembre 2020


Feux de forêt : un risque accru par le réchauffement climatique
Météo France
http://meteofrance.com/actualites-et-dossiers/actualites/a-la-une/avec-meteo-france/feux-de-foret-un-risque-accru-par-le-rechauffement-climatique

En asséchant la végétation, le réchauffement climatique entraîne une augmentation du danger météorologique de feux de forêts. Les chercheurs de Météo-France ont étudié l’évolution de cet aléa au cours du siècle passé et pour les prochaines décennies : il augmente depuis les années 1960 et devrait encore augmenter au cours du XXIe siècle.

Du réchauffement aux incendies

  • Des températures plus élevées favorisent l’évapotranspiration des plantes. La végétation s’asséchant, elle devient plus sensible au développement des incendies.
  • Sur certaines régions, le réchauffement climatique devrait également entraîner une baisse de la pluviométrie durant les saisons propices aux incendies, aggravant le phénomène. C’est le cas de tout le bassin méditerranéen, où tous les modèles climatiques simulent un assèchement. Cette zone est ainsi définie comme un « hotspot » du changement climatique dans le dernier rapport du Giec.
  • Des hivers plus chauds favorisent les attaques de parasites (insectes et champignons) qui  sont généralement détruits ou affaiblis par les gelées. Ces attaques entraînent des dépérissements importants de certaines forêts et landes de buis. Une fois morts, ces végétaux sont extrêmement sensibles aux incendies.

La propagation d’un feu de forêt dépend, quant à elle, principalement de la force et de la direction du vent, moins sensibles au changement climatique. Les régions méditerranéennes subissent les effets dévastateurs du mistral et de la tramontane.

Des événements extrêmes plus fréquents dans un climat réchauffé

À l’échelle planétaire, l’année 2019 a été la 2e année la plus chaude jamais observée. Les cinq dernières années sont aussi les cinq années les plus chaudes jamais enregistrées dans le monde. À l’échelle de la décennie, le constat est le même : la période 2010-2019 a été la plus chaude jamais connue. Chaque décennie, depuis les années 1980, a été plus chaude que la précédente… L’Australie a connu, en fin d’année 2019, des incendies sans précédent s’inscrivant dans le contexte d’une année 2019 record en Australie.
En France, les canicules exceptionnelles de l’été 2019 se sont accompagnées de nombreux incendies dans le Sud-Est mais aussi dans le nord de la métropole.

L’été 2003, qui reste l’été le plus chaud à l’échelle de la métropole, a donné lieu à une saison feux de forêt historique avec près de 60 000 ha brûlés en Zone Sud et 10 accidents mortels. L’an dernier, en 2019, 10 000 ha ont brûlé.

Dans un contexte de réchauffement global et accéléré, les événements extrêmes se multiplient.  Les canicules seront plus intenses et plus fréquentes. Certaines zones comme le bassin méditerranéen ou l’Australie méridionale connaîtront aussi des sécheresses accrues. L’évolution des conditions de températures et de sécheresse favorise le développement des feux de forêt et de végétations sur le bassin méditerranéen et plus largement en France.

Selon l’Organisation mondiale de la météorologie, le changement climatique d’origine humaine provoque une augmentation de la sévérité et du nombre des feux, sur des zones géographiques plus étendues avec un allongement de la saison des feux.

La fréquence des incendies pourrait ainsi augmenter sur plus de 37,8 % du territoire mondial, pour la période 2010-2039, pour un scénario de réchauffement d’environ 1,2 °C. Cette part de territoire concerné par le risque de feux pourraient atteindre 61,9 % de la surface terrestre en 2070-2099, pour un réchauffement d’environ 3,5 °C.

En France : une extension géographique et temporelle du risque d’incendies

En 2010, Météo-France a réalisé un rapport sur l’impact du changement climatique sur l’Indice de feu météorologique (IFM) dans le cadre de la mission interministérielle sur l’extension des zones sensibles aux incendies de forêts.

Les chercheurs ont pour cela utilisé une réanalyse atmosphérique (Safran) sur la période passée et un modèle climatique (Arpège-Climat) pour suivre l’évolution de l’IFM de 1958 à l’horizon 2100. Les simulations montrent une augmentation constante de la fréquence des jours présentant un danger météorologique de feux de forêts, ainsi qu’un allongement de la saison propice aux incendies (elle débuterait plus tôt au printemps pour se terminer plus tardivement en automne). L’extension des territoires exposés à ce danger devrait également progresser vers le nord de la France.

La valeur moyenne de l’IFM a augmenté de 18 % entre la période 1961-1980 et la période 1989-2008. À l’horizon 2040, l’IFM moyen devrait progresser de 30 % par rapport à la période 1961-2000. Certaines simulations montrent que cette augmentation pourrait atteindre jusqu’à 75 % d’ici 2060. À cette échéance, une année comme 2003 deviendrait ainsi la norme en matière de danger météorologique de feux de forêts.

Les chercheurs de Météo-France ont ensuite croisé ce danger météorologique de feux avec les cartographies de vulnérabilités aux feux de forêts des principaux peuplements forestiers, établies par l’Office national des forêts (ONF) et l’Inventaire forestier national (IFN). Des cartes de sensibilité potentielle aux incendies de forêts estivaux aux horizons actuel (1989-2008) et moyen terme (2031-2050) ont ainsi été établies.

La transition écologique reléguée au 2ème plan de la relance
RAC
https://reseauactionclimat.org/transition-ecologique-releguee-au-2eme-plan-relance

Ce matin, les détails des 100 milliards d’euros du Plan de relance ont été dévoilés par le Premier ministre, qui montre une fois de plus l’ambigüité de l’engagement du Gouvernement sur la transition écologique.

Pour Meike Fink, Responsable transition climatique juste au Réseau Action Climat : « Ce plan de relance révèle encore une fois l’ambigüité du Gouvernement en matière de transition écologique : quelques pas en avant, mais plusieurs pas en arrière. Malheureusement, cette politique du “en même temps” ne permettra pas à la France de respecter ses objectifs climatiques. »

L’accélération annoncée de la transition, via les 30 à 40 milliards d’euros supplémentaires fléchés, est limitée par :

  • Le bornage à deux ans des aides pour la transition, ce qui ne permettra pas à ces filières d’avenir de s’implanter de manière pérenne.
  • La poursuite du financement de technologies ou projets incompatibles avec les principes de la transition écologique : nucléaire, nouvelles infrastructures routières, agriculture de précision, hydrogène non-renouvelable, 5G.
  • Le sous-calibrage de certaines lignes budgétaires qui ne permettront pas d’atteindre les objectifs affichés (1 milliard €/an supplémentaire sur la rénovation des logements privés ne permet ni d’augmenter la performance des rénovations ni de diminuer le reste à charge pour les ménages les plus modestes).
  • Les aides aux entreprises, sans aucune condition écologique et sociale qui continuent d’alimenter des secteurs incompatibles avec les limites planétaires (notamment la baisse des impôts de production).

La balle est dans le camp des Parlementaires pour augmenter l’ambition et la cohérence du Plan de relance et rendre le budget global de la France pour 2021 plus vert et juste.

Pour Jean-Baptiste Lebrun, Directeur du CLER – Réseau pour la transition énergétique :

“Le plan de relance est une opportunité historique d’investir enfin massivement pour la transition écologique et sociale. Les annonces du Gouvernement contiennent quelques pas dans la bonne direction mais cela reste encore insuffisant, sur les montants, la durée et dans les modalités précises de mises en œuvre. Pour le transformer en nouvel élan, il faudra en même temps s’ajuster en faisant des investissements réellement efficaces, et surtout se préparer à accélérer et amplifier les pas suivants. Les énergies renouvelables sont par exemple les grandes absentes de ce plan, alors même que nous sommes très en retard sur nos objectifs et que le Gouvernement consacre plusieurs milliards sur d’autres filières pour lesquelles il n’y a ni stratégie, ni objectifs de développement démocratiquement débattus et décidés. ”

Pour Cécile Marchand, Chargée de campagne climat et acteurs publics aux Amis de la Terre France :

“En l’état, les potentielles avancées entrainées par les investissements ‘verts’ du plan de relance risquent d’être rapidement annulées par toutes les aides supplémentaires prévues dans les secteurs polluants, sans aucune contrepartie. Hier encore, on apprenait que Bpifrance, qui se voit dotée de 2,5 milliards d’euros dans le plan de relance pour devenir ‘la banque du climat’, s’apprêtait à soutenir Total pour un immense projet gazier dans l’Arctique russe. Un exemple qui traduit le manque de crédibilité flagrant d’un gouvernement toujours adepte du ‘en même temps’.”

Pour Quentin Parrinello, Responsable de plaidoyer chez Oxfam France :

“Baisser aveuglement les impôts de production, c’est donner les mêmes marges de manœuvre à une entreprise solidaire et un gros pollueur, sans se poser la question de quelle réindustrialisation nous souhaitons. Pire, selon la DGFiP, les secteurs qui devraient le plus bénéficier de la baisse des impôts de production sont le secteur extractif et la finance, sans aucune garantie qu’ils s’engagent dans une transition écologique. Cette baisse dont le coût pour les finances publiques inquiète jusqu’à la Banque de France risque d’être payé par les plus vulnérables, premières victimes de la crise. Il faut conditionner la relance à des objectifs sociaux, environnementaux, climatiques et fiscaux. Une baisse aveugle des impôts de production renforcera un système économique anachronique. A moyen-terme, il faudra aussi se poser la question de la résilience de notre modèle économique afin de bâtir une entreprise qui partage mieux les richesses, dans le respect des limites planétaires.”

Pour Arnaud Schwartz, Président de France Nature Environnement :

“Le plan de relance, bien que contenant des avancées attendues depuis trop longtemps, notamment en faveur du rail, est également porteur d’erreurs majeures : absence d’étude d’impact environnementale, entêtement nucléaire, fuite en avant techno-numérique sans prise en compte du principe sanitaire de précaution et des effets rebond énergétiques et matériels, pour n’en citer que quelques-unes. Par ailleurs, ce plan n’est pas non plus à la hauteur du côté du financement des moyens humains nécessaire à la transition énergétique et écologique de notre économie : nous avons besoin d’ingénierie dans les territoires, mais aussi d’éducateurs, d’inspecteurs, d’enquêteurs et d’une justice spécialisée. Peut-on se payer le luxe d’un autre coronavirus avant d’agir en ce sens ? »

Pour Clément Sénéchal, Chargé de campagne politiques climatiques à Greenpeace France :

“Le Gouvernement nous propose un plan de relance à l’envers plutôt qu’un plan de relance vert. Offrir des milliards aux industries polluantes – via des baisses d’impôts ou des aides à la relocalisation – sans la moindre conditionnalité environnementale revient en effet à renflouer un modèle productif incompatible avec les limites planétaires. De même, investir dans de fausses solutions au nom du “verdissement”, comme l’hydrogène non-renouvelable, le nucléaire, l’agriculture de précision, la 5G, l’avion vert, les voitures thermiques neuves ou les SUV électriques, relève de l’anachronisme. Le plan de relance offre pourtant une opportunité historique de redéfinir le contrat politique qui lie les activités économiques et la société. Mais le Gouvernement campe délibérément sur une posture conservatrice inspirée par le MEDEF plutôt que par la science et l’urgence climatique, au risque de reporter à trop tard les changements concrets dont nous avons besoin. La majorité doit impérativement rectifier le tir à l’Assemblée nationale. »

Pour Manon Castagné, Chargée de plaidoyer souveraineté alimentaire et climat au CCFD-Terre Solidaire :

« Le Gouvernement va à rebours de l’histoire en finançant tout et son contraire : l’agro-écologie, l’agriculture bio, et « en même temps » des pratiques qui viennent accroître la pression sur les terres, nuisent à l’emploi agricole et à la souveraineté alimentaire (biocarburants, soutien à l’agriculture de précision, produits bio-sourcés). Par ce refus d’orienter clairement ses investissements, ce plan nuit à la nécessaire transition agro-écologique. M. Macron a également promis une « relance solidaire ». Pourtant, ce plan, à travers son soutien à Business France et à la très opaque BPIFrance, risque de servir les intérêts à l’export des filières agricoles françaises, au détriment de l’autonomie et de la souveraineté alimentaire des pays tiers.”

Pour Olivier Schneider, Président de la FUB :

“Les efforts du Gouvernement sur le vélo quotidien sont notables, avec quadruplement du budget annuel par rapport au plan vélo de 2018. Vu l’engouement exceptionnel des Françaises et des Français, qui considèrent à juste titre le vélo comme un geste barrière, nous espérons que les collectivités locales saisiront la perche tendue, que ce soit en continuant dans leur lancée post-confinement (pérennisation des aménagements « de transition »), ou en s’y mettant grâce au plan de relance. Nous espérons que le Gouvernement incitera celles qui ne l’ont pas encore fait à s’y mettre, notamment en zones moins dense, et confirmera sa promesse d’aider à massifier le stationnement sécurisé, notamment en gare. Enfin, le Gouvernement ne doit pas oublier que les modes de déplacement s’opposent fatalement, et que le plan de relance automobile doit donc prendre en compte la nécessaire baisse du nombre de véhicules motorisés en circulation. La prime de conversion doit donc a minima permettre à un ménage de substituer une automobile contre un, voire plusieurs, vélos (pliant, cargo, électrique, …).”

Pour Charlotte Mijeon, Chargée des relations extérieures au Réseau “Sortir du nucléaire” :

“En prévoyant des financements pour le développement de nouveaux réacteurs, le Gouvernement a franchi une ligne rouge. L’argent des contribuables n’a pas vocation à pérenniser une filière dangereuse, polluante et productrice de déchets radioactifs ingérables. Consacrer des sommes aux « petits réacteurs modulaires » revient à jeter de l’argent par les fenêtres, tant cette technologie est hors sujet et hors délai au regard de l’urgence climatique, qui exige de nous focaliser sur les options permettant de réduire dès maintenant les émissions, et en priorité la rénovation des bâtiments et les énergies renouvelables. »

Pour Bruno Gazeau, Président de la FNAUT :

“La FNAUT se félicite de l’effort réel pour les transports publics avec une enveloppe conséquente pour les vélos, RER métropolitains, extensions, tramway, bus, métro et intermodalité. Les crédits de régénération du ferroviaire sont conformes aux programmes de Sncf Réseau, confirmés pour les CPER lignes régionales. Des ouvertures réelles sont faites pour le fret et des engagements pris pour les trains de nuit, l’accessibilité en gare et les passages à niveaux. D’autres chantiers sont en cours et suivis avec attention, pour la recapitalisation des entreprises de transport, la réduction de leur endettement et les compensations COVID. Mais cet effort pour important qu’il soit doit encore s’inscrire dans la durée de la décennie pour mettre à niveau les infrastructures actuelles, réaliser celles d’un aménagement réclamé du territoire et trouver son financement dans l’adoption d’une fiscalité plus écologique. »

Pour Amandine Lebreton, Directrice du plaidoyer de la Fondation Nicolas Hulot :

« Si les 30 milliards d’euros dédiées à la transition écologique et les soutiens à quelques secteurs d’avenir comme le rail et la rénovation énergétique des bâtiments sont un signal encourageant, la FNH regrette que le Gouvernement ne donne pas toutes les garanties pour accélérer enfin la transition écologique et sociale. Plusieurs conditions auraient permis d’assurer une cohérence politique du plan : sanctuariser 20 milliards d’euros d’investissements publics par an jusqu’en 2030 pour la transition écologique, instaurer des contreparties aux soutiens publics et notamment aux impôts de production, pas un euros pour les projets néfastes pour la biodiversité et le climat, un suivi de la mise en œuvre par le Haut Conseil pour le Climat… Il n’en est rien. Comble de l’incohérence, le Gouvernement présente ce même jour son projet de loi autorisant les dérogations à l’usage des néonicotinoïdes…”

Pour Vaia Tuuhia, Déléguée générale de l’association 4D :

“Le gouvernement a manqué l’occasion d’enclencher une vraie politique de développement durable pour la nation en ne structurant pas le plan de relance autour des Objectifs de Développement Durable. Malgré quelques mesures intéressantes concernant la lutte contre l’artificialisation, l’agro-écologie, nous passons à côté d’une stratégie et d’une vision à long terme de durabilité pour la France.”

La « croissance verte » est un mythe
Nafeez Ahmed
www.vice.com/fr/article/qj4z9p/la-croissance-verte-est-un-mythe

Aucun « scénario réaliste » ne permet de concilier la croissance économique exigée par le capitalisme avec un climat sûr.

Plus les sociétés s’enrichissent, plus elles consomment de ressources. Et plus elles consomment de ressources, plus elles génèrent de pollution, ce qui entraîne un réchauffement climatique et une destruction des écosystèmes naturels. Nous devons, d’une manière ou d’une autre, rompre ce lien entre la richesse matérielle et la catastrophe environnementale. C’est pourquoi les institutions financières et les gouvernements reconnaissent la nécessité de « découpler » la croissance des pressions qu’elle exerce sur les ressources naturelles.

Pour limiter le réchauffement de la planète à 1,5°C, il faut réduire considérablement notre empreinte matérielle et notre consommation des ressources de la Terre, peut-être en passant aux énergies renouvelables.

Andrew McAfee, chercheur principal à la Sloan School of Management du MIT, a récemment développé cette notion de découplage dans son livre More From Less. Selon lui, les données financières montrent que nous pouvons facilement réduire notre empreinte matérielle tout en continuant à faire croître nos économies dans un scénario gagnant-gagnant.

Mais les nouvelles analyses scientifiques d’un groupe de spécialistes des systèmes et d’économistes pour les Nations unies semblent compromettre toute cette entreprise, signalant que l’approche conventionnelle du découplage est basée sur des lectures sélectives de données statistiques.

McAfee soutient, par exemple, qu’à mesure que nous augmentons les richesses, le moteur de la productivité du capitalisme nous amène à de plus hauts niveaux d’efficacité grâce à de meilleures technologies. Cela signifie que nous sommes capables de fabriquer des produits plus petits et plus rapidement en utilisant moins de matériaux et, dans certains cas, moins d’énergie, et donc, en produisant moins de pollution. Le problème est que ce scénario, selon la nouvelle recherche, fait l’impasse sur un point : une plus grande efficacité dans certaines régions ou certains secteurs ne ralentit pas la machine de consommation globale. Dans le cadre d’un système plus large, ces gains d’efficacité nous permettent de consommer mondialement des quantités de ressources encore plus importantes.

C’est pour cette raison que les données sur les flux de matières de ces dernières décennies confirment qu’il n’existe « aucun scénario réaliste » pour un tel découplage de la croissance économique et de l’utilisation des ressources. En passant en revue 179 des meilleures études sur cette question entre 1990 et 2019, on constate en outre qu’il n’existe « aucune preuve » qu’un découplage significatif ait jamais eu lieu.

« Le concept de découplage repose en partie sur la foi », conclut l’équipe de l’Institut de recherche BIOS en Finlande, une organisation scientifique multidisciplinaire indépendante qui étudie les effets des facteurs environnementaux et des ressources sur l’économie, la politique et la culture.

L’équipe du BIOS avait déjà attiré l’attention du Rapport mondial sur le développement durable des Nations unies sur le risque que la croissance économique sans fin sous le capitalisme soit sapée en raison de l’intensification des limites « biophysiques ». La combinaison de la diminution des rendements de l’extraction énergétique et de l’augmentation des coûts des crises environnementales mine déjà la croissance et nous oblige à réécrire le système d’exploitation économique mondial, ont conclu les scientifiques dans un rapport adressé aux Nations unies.

Dans deux nouveaux documents de recherche évalués par des pairs et publiés en juin, leur analyse va plus loin. La volonté du capitalisme de maximiser les profits signifie que l’économie est structurée autour d’une croissance économique continue : si elle ne croît pas, elle s’effondre. Par conséquent, les avancées technologiques permettent au capitalisme de se développer plus rapidement et plus largement.

Une fenêtre étroite de données

La première étude, publiée dans Environmental Politics, souligne que les impacts environnementaux et l’utilisation des ressources de nombreuses économies nationales ne sont pas durables. Si l’économie doit continuer à croître ou même se maintenir à son niveau actuel, afin de rester dans les limites planétaires de l’utilisation des ressources, nous devons la « découpler » de ces impacts environnementaux. Or, les auteurs concluent que la plupart des mesures comptables utilisées pour déterminer le découplage obscurcissent ou excluent systématiquement les données critiques. « L’existence du découplage dans une zone géographique ou un secteur économique délimité ne signifie pas, en soi, que le découplage se produit dans un contexte plus large », a fait valoir l’équipe du BIOS. « Des phénomènes bien connus et largement étudiés comme le paradoxe de Jevons, le rebond et l’externalisation montrent que le découplage sectoriel et local peut coexister avec et même dépendre d’un impact environnemental accru et d’une utilisation accrue des ressources en dehors de l’unité géographique ou sectorielle analysée », ont-ils écrit.

En 1865, l’économiste anglais William Stanley Jevons notait que l’augmentation de l’efficacité de l’utilisation du charbon tendait à augmenter la demande de charbon au lieu de la réduire. Trop souvent, une plus grande efficacité peut se traduire par des impacts environnementaux plus importants parce qu’elle permet d’atteindre des niveaux de consommation plus élevés à moindre coût.

Dans l’analyse de l’équipe du BIOS, une grande partie des données rassemblées par McAfee et d’autres chercheurs proviennent d’une fenêtre étroite qui se concentre sur une région ou un secteur particulier, sans reconnaître les impacts plus larges en dehors de cette région ou de ce secteur. Par conséquent, les impacts environnementaux beaucoup plus profonds de l’utilisation des ressources peuvent souvent être exclus de l’analyse simplement en réduisant la fenêtre de données.

Je discute avec McAfee des nouvelles recherches menées par les auteurs du BIOS. Il est sceptique quant aux résultats : « Nous semblons être d’accord sur le fait que des cas spécifiques de découplage sont effectivement en cours, comme le découplage des émissions de carbone par exemple. Là où nous ne sommes pas d’accord, c’est que je considère ces cas de découplage comme faisant partie d’une tendance plus large qui ne fera que s’améliorer globalement, bien que les nations moins développées au niveau mondial doivent encore rattraper leur retard. »

Je l’interroge sur la conclusion selon laquelle ce découplage n’est que « relatif » et pourrait permettre, au contraire, d’augmenter la consommation des ressources. « Aux États-Unis, nous disposons de données claires sur le découplage absolu, dit-il. Je peux vous donner deux exemples clés : notre consommation d’engrais et de métaux ont toutes deux clairement diminué ces dernières années. Ces données et d’autres encore le prouvent sans équivoque. Je suis donc surpris par leurs conclusions. »

Les données que McAfee m’a communiquées semblent en effet indiquer une diminution de l’utilisation du sulfate de potassium, du phosphate et de l’azote à partir des années 2000 environ. Mais ses propres données viennent également compliquer ce tableau, en notant que la consommation « totale d’engrais » dans l’agriculture américaine n’a pas diminué dans l’ensemble : elle a d’abord atteint un sommet vers 2008, puis a diminué pendant quelques années avant de revenir aux niveaux de 2008 et de les dépasser en 2014.

Des chiffres venus d’ailleurs offrent une image totalement différente. Les données de la Banque mondiale montrent que la consommation totale d’engrais par hectare aux États-Unis a connu une augmentation globale, passant de 112,52 kilogrammes par hectare en 2002 à 138,6 kilogrammes par hectare en 2016. Et une étude du département américain de l’Agriculture de cette année-là n’apporte aucune preuve d’une baisse absolue de la consommation d’énergie ou d’engrais dans l’agriculture américaine depuis 2002.

L’anthropologue économique Jason Hickel, du Goldsmiths College, soutient que McAfee a commis une « erreur comptable » qui exclut « les ressources impliquées dans l’extraction, la production et le transport » des biens importés. Comme une grande partie de la production est délocalisée, « cet aspect de l’utilisation des ressources a été commodément retiré de leurs livres comptables ».

J’ai soumis les statistiques de McAfee à Tere Vadén du BIOS, auteur principal des deux nouvelles études. Selon lui, le fait de trouver des cas isolés de découplage absolu sur des choses spécifiques comme « le fumier de cheval, les chlorofluorocarbures (CFC), le papier, etc. » nous en apprend « très peu sur le métabolisme général ». Habituellement, ce type de « découplage » n’est que la preuve de « changements particuliers dans les méthodes de production et les modes de consommation ». Ainsi, si les États-Unis utilisent moins de papier mais exportent plus de bois, y compris des copeaux, pour la combustion au Royaume-Uni, cela ne nous dit pas grand-chose sur l’utilisation globale des ressources économiques du pays. « C’est pourquoi une perspective géographique et économique globale est nécessaire pour toute preuve ayant une incidence sur le recouvrement absolu des ressources mondiales, qui est le seul objectif écologiquement suffisant. » « Il y a certainement des cas évidents où l’utilisation des ressources semble diminuer alors que le PIB augmente. Mais ces cas sont limités à des secteurs économiques spécifiques ou à des régions géographiques particulières, et sont toujours liés à une intensification de l’utilisation des ressources ailleurs »

Ainsi, selon les auteurs du BIOS, les améliorations apparentes à une certaine échelle se révèlent souvent être des artefacts de ce que nous choisissons de mesurer.

Ce n’est pas parce que nous améliorons considérablement l’efficacité de la production technologique que nous réduisons réellement notre empreinte matérielle dans le monde réel. Pour Vadén, le livre de McAfee est « léger et en retard de plusieurs années » en termes de recherche et de preuves : « En sélectionnant de petits morceaux de preuves du découplage et en les associant à un argument théorique solide en faveur de la possibilité de découplage, on présente une image que beaucoup de gens trouvent attrayante. Mais cette image est aussi éloignée du capitalisme existant que la présentation soviétique du socialisme l’était du socialisme. Oui, c’est en principe possible, oui, il y a certains faits qui le soutiennent, mais dans l’ensemble, l’image est fausse et trompeuse. »

Une intensification de l’utilisation des ressources

Le tableau d’ensemble, à long terme, semble sans équivoque. Selon l’équipe, la consommation mondiale des ressources matérielles a décuplé entre 1900 et aujourd’hui, passant de moins de 10 gigatonnes par an à environ 88,6 gigatonnes en 2017. Dans les décennies qui ont suivi 1970, le taux de croissance mondial s’est accéléré, et non ralenti, la consommation ayant plus que triplé.

En attendant, seuls 9 à 12 % des matériaux sont recyclés, et environ la moitié des ressources utilisées sert à fournir de l’énergie au sens large. L’autre moitié est utilisée pour des infrastructures comme les bâtiments, les transports, les machines et les biens de consommation.

Les chercheurs du BIOS constatent qu’il y a certainement des cas évidents où l’utilisation des ressources semble diminuer alors que le PIB augmente. Mais ces cas sont limités à des secteurs économiques spécifiques ou à des régions géographiques particulières, et sont toujours liés à une intensification de l’utilisation des ressources ailleurs. Le problème est qu’il n’y a « aucune preuve d’un découplage absolu et continu des ressources au niveau mondial ».

La situation est assez grave. Les scientifiques ont tenté de déterminer à quoi doit ressembler un véritable découplage, puis de découvrir s’il existe des données concrètes à ce sujet. Malheureusement, il n’y en a pas.

« Pour que le découplage absolu des ressources ait un sens en tant qu’objectif mondial, il faudrait que, dans environ 30 ans, l’économie produise 2,6 fois plus de PIB pour chaque tonne de matériaux utilisés, et ce à condition que l’utilisation des matériaux diminue d’environ 40 % au niveau mondial. Actuellement, aucune tendance correspondant à ce scénario n’est observable et, à notre connaissance, aucune proposition concrète avec un tel niveau de découplage n’a été présentée », ont-ils écrit.

30 ans de données scientifiques et aucune preuve de découplage

Le deuxième article de l’équipe du BIOS publié dans Environmental Science & Policy est encore plus accablant. L’équipe est allée plus loin en passant en revue l’ensemble de la littérature scientifique des dernières décennies pour voir si l’on pouvait trouver des preuves empiriques d’un découplage réel et absolu.

L’étude a passé en revue 179 études scientifiques sur le découplage publiées entre 1990 et 2019 et a constaté, en bref, que : « Les faits ne suggèrent pas qu’un découplage vers la durabilité écologique est en train de se faire à une échelle mondiale (ou même régionale). »

Le découplage n’est donc pas un concept véritablement scientifique, affirment-ils. Il s’agit plutôt d’une simple « possibilité abstraite qu’aucune preuve empirique ne peut réfuter, mais qui, en l’absence de preuves empiriques solides ou de plans détaillés et concrets, repose en partie sur la foi ».

Cela ne signifie pas pour autant que nous devons renoncer à l’idée même de prospérité, mais plutôt que nous devons trouver d’autres moyens de créer la prospérité qui ne nécessitent pas une croissance sans fin.

Comme l’a montré Hickel : « Les données empiriques montrent qu’il est possible d’atteindre des niveaux élevés de bien-être humain sans atteindre des niveaux élevés de PIB, avec une pression nettement moindre sur la planète. Comment ? En partageant les revenus de manière plus équitable et en investissant dans les soins de santé universels, l’éducation et d’autres biens publics. Les preuves sont claires : ce qui compte, c’est d’assurer à tous une vie longue, saine et épanouie – c’est à cela que ressemble le progrès. »

Si ces nouvelles études sont exactes, alors le maintien du statu quo et la sauvegarde de la planète s’excluent mutuellement. L’idée que nous pouvons concilier les deux est un mythe persistant, une question de « foi » qui doit être écartée.

À la place, nous devons trouver des moyens de restructurer nos économies et nos rapports à la production pour passer à de nouvelles formes de prospérité qui ne passent pas par une croissance sans fin.

Selon l’équipe du BIOS, cela signifie que « davantage d’attention devrait être accordée aux conceptualisations de l’économie qui ne reposent pas sur la croissance économique comme voie principale vers la durabilité écologique et le bien-être humain ».

Le tournant écopolitique de la pensée française
Nicolas Truong
www.lemonde.fr/idees/article/2020/08/02/le-tournant-ecopolitique-de-la-pensee-francaise_6047969_3232.html

LES PENSEURS DU NOUVEAU MONDE 1|6 La crise sanitaire a révélé une génération d’intellectuels qui, au croisement de la philosophie et de l’anthropologie, repensent notre rapport au vivant. « Le Monde » réalise une série de portraits et d’entretiens avec ces écrivains de terrain qui élaborent la « French Theory » d’aujourd’hui

Le désastre écologique a provoqué un bouleversement idéologique. Peut-être même une révolution intellectuelle. Au cœur d’une vie des idées qui a parfois tendance à ronronner, le souci planétaire crée en tout cas un salutaire appel d’air. De la catastrophe nucléaire de Fukushima à la fonte du permafrost de l’Alaska, des espoirs déçus de la COP21 à la crise inattendue liée au Covid19, la pensée s’est décentrée, renouvelée, régénérée afin de relever le défi de penser dans un monde abîmé. Une nouvelle génération d’auteurs est en train d’éclore sur la crise du capitalisme, les décombres du soviétisme et les impasses du productivisme. Des intellectuels de terrain, souvent, qui se sont frottés à l’ethnologie et formés à l’anthropologie. Ancrés dans des territoires – ou reliés à ceuxci – qu’ils défendent à l’aide de nouveaux concepts.

Ainsi, alors qu’elle étudie la façon dont certaines populations indigènes subarctiques résistent à l’économie extractiviste de part et d’autre du détroit de Béring – les Gwich’in en Alaska et les Even au Kamtchatka –, l’anthropologue Nastassja Martin s’est elle investie dans un collectif citoyen, dans le canton alpin de La Grave, au cœur du massif des Ecrins, afin de proposer une alternative au projet de « Disneyland de la glisse » en cours et de revivifier l’écosystème montagnard.

Alors qu’il nourrit sa réflexion politique de sa pratique de naturaliste et sa métaphysique de son art de pister le loup du Var, la panthère des neiges du Kirghizistan ou les lombrics des composts d’appartement, le philosophe Baptiste Morizot se mobilise au sein du projet « Vercors vie sauvage », un écrin de 490 hectares de forêt acheté par plus de 10 000 donateurs, afin de le soustraire à l’exploitation et de le laisser en libre évolution.

Ces manières d’agir de façon accordée ne sont pas le signe de la fin de l’universalité, mais celui d’un ancrage territorial de la pensée. En France, le terrain avait été défriché par quelques pionniers. Michel Serres avait chahuté la philosophie du droit avec Le Contrat naturel (Flammarion, 1990). Le botaniste Jean-Marie Pelt avait popularisé la « vie sociale » des plantes, et Françis Hallé en avait fait « l’éloge ». Elisabeth de Fontenay avait mis au jour l’énigme de l’animalité au sein du corpus philosophique occidental dans Le Silence des bêtes (Seuil, 1998) ; Jean Christophe Bailly avait reconverti la poésie à la parole muette de l’animal dans Le Parti pris des animaux (Christian Bourgois, 2013), et Catherine Larrère développé une « philosophie de l’environnement ». Sans oublier le psychanalyste Félix Guattari qui, dans Les Trois Ecologies (Galilée, 1989), théorisa l’« écosophie », une écologie globale, à la fois sociale, mentale et environnementale. Mais la greffe n’avait pas complètement pris. D’autant que l’essai de Luc Ferry Le Nouvel Ordre écologique (Grasset, 1992) avait largement contribué à déconsidérer cette critique de l’anthropocentrisme, assimilée à un « antihumanisme » et, dans sa forme la plus radicale, à du néo-conservatisme, du gauchisme voire du totalitarisme et du néofascisme. Mais les temps ont changé. La banquise a fondu et les digues ont sauté. Un changement de perspective s’est donc opéré. Un renversement métaphysique, tout d’abord. Avec de nouvelles ontologies élaborées par l’anthropologue Philippe Descola et le sociologue Bruno Latour.

Afin de dépasser le dualisme entre nature et culture, dont il observa l’inadéquation sur son terrain amazonien auprès d’une tribu jivaro, les Achuar, qui considéraient les plantes qu’ils mangeaient et les animaux qu’ils chassaient comme ontologiquement semblables à eux, Philippe Descola a distingué quatre façons de percevoir les continuités et les discontinuités entre les humains et les non humains : le totémisme (qui repose sur l’idée qu’il y a une homologie, une appartenance commune, entre certains humains et non humains) ; l’animisme (qui suppose que la plupart des non humains qui nous entourent ont une âme ou une intériorité) ; le naturalisme (fondé sur l’idée que les humains vivent dans un monde séparé de celui des non humains) ; et l’analogisme (où humains et non humains mènent des vies séparées mais analogues).

Afin de prendre la mesure du nouveau régime climatique au sein duquel les activités humaines sont devenues des forces telluriques, Bruno Latour réactive « l’hypothèse Gaïa », personnification antique de la Terre reprise par le scientifique britannique James Lovelock dans les années 1970, dont il revendique la puissance d’incarnation, car « ceux qui affirment que la Terre n’a pas seulement un mouvement mais aussi un comportement, qui la fait réagir à ce que nous lui faisons, ne sont pas tous des foldingues qui auraient versé dans l’étrange idée d’ajouter une âme à ce qui n’en a pas », explique-t-il. Une Terre qui pourrait même être défendue au sein d’un « parlement des choses », une sorte de Sénat mondial où siégeraient des porte-parole d’entités non représentées : forêts, insectes pollinisateurs, oiseaux migrateurs, mais également aéroports ou OGM. En résumé, Philippe Descola a montré qu’il n’y a pas d’universalité de la distinction entre nature et culture, et Bruno Latour qu’il y avait d’autres modes d’existence. Le premier invite désormais à une « politique de la Terre », alors que le second a théorisé une « politique de la nature ». Tous deux sont des références incontestées de la galaxie éco-politique. Le premier est le maître et le professeur, le second l’ami et l’animateur. Philippe Descola a dirigé la thèse de l’anthropologue Nastassja Martin, coécrit un livre d’entretiens avec Pierre Charbonnier et inspiré les bandes dessinées d’Alessandro Pignocchi ; Bruno Latour correspond avec Emanuele Coccia ou Vinciane Despret, suit les travaux de la philosophe écoféministe Emilie Hache et mène des projets théâtraux avec Frédérique AïtTouati, chercheuse au CNRS. Bruno Latour relit les travaux des uns et des autres. Il relie les uns aux autres, aussi.

Ainsi, c’est au cours d’une soirée dans son appartement parisien que la romancière Maylis de Kerangal a rencontré Nastassja Martin et l’a encouragée à écrire Croire aux fauves (Gallimard, 2019), récit de sa confrontation avec un ours au Kamtchatka qui devint un surprenant succès de librairie. Car toute la petite bande écosophique se connaît, s’écrit, s’encourage, s’apprécie, se critique, et se chamaille de temps à autre aussi. Elle se retrouve parfois dans des régions où la galaxie se densifie. Notamment dans la Drôme, devenue un véritable « cluster » écopolitique, un écosystème intellectuel : Baptiste Morizot s’est installé près de Chabeuil, à quelques encablures de Saint-Jean-en-Royans où réside l’historien de l’anthropocène Christophe Bonneuil ; Emilie Hache habite désormais à Die, tout comme le collapsologue Pablo Servigne, une ville ouverte sur la pluralité des formes de vie. Profitant de la proximité avec Lyon, les nouveaux écosophes peuvent donner leur cours à l’université, vivre pleinement leur urbanité et habiter dans un isolement peuplé (d’arbres, de plantes, d’insectes, de mammifères sauvages ou d’oiseaux et de tous les liens sociaux qui se tissent avec les éleveurs, maraîchers, agriculteurs, mais aussi les intellectuels et activistes écrivains de ces régions en transition). Armée de ces nouvelles ontologies, toute la génération écosophique plaide pour l’élargissement du politique « aux bêtes, aux fleuves, aux landes, aux océans, qui peuvent eux aussi porter plainte, se faire entendre, donner leurs idées », comme l’affirme l’écrivaine Marielle Macé, autrice de Nos cabanes (Verdier, 2019), avec « ce sentiment que nous vivons dans un âge où toutes les entités qui peuplent le monde réclament attention et patience ». Car le tournant écopolitique de la pensée contemporaine repose sur une conversion de l’attention. Puisque la crise écologique est « une crise de la sensibilité », assure Baptiste Morizot, c’est à dire un appauvrissement, voire « une extinction de l’expérience de la nature », comme le déplore l’écrivain et lépidoptériste américain Robert Pyle, il importe de retrouver les voies de l’attention aux êtres vivants, qu’ils soient humains ou non. Dans un monde où les enfants connaissent davantage les marques et les logos que le nom des arbres ou celui des oiseaux, une reconnexion s’impose. Non, la nature n’est pas de la verdure et le paysage n’est pas un décor, répètent-ils. Le sentiment est communément partagé avec Nietszche que « le désert croît » et, avec Segalen, que « le divers décroît ». On déplore l’érosion de la biodiversité, mais sans que soit altérée la joie de penser. On reconnaît à la collapsologie d’avoir radicalisé les alertes sans tomber dans les écueils de l’effondrisme. Il y a une volonté de s’affranchir d’une certaine modernité afin d’échapper aux routes balisées d’un monde usé, mais sans aucun passéisme. « Avant, les naturalistes étaient souvent réacs, remarque l’historien Christophe Bonneuil, mais il y a un renouveau à gauche de ces pratiques, au sein de cette mouvance qui se trouve à la croisée de la radicalisation des alertes. » Ici, on lit et on loue « l’écologie sociale » de Murray Bookchin plus que la critique anti-technicienne de Jacques Ellul. Même si, comme l’affirme Philippe Descola, « la gauche démiurgique et prométhéenne n’est plus d’actualité ».  Une nouvelle ontologie, une conversion de l’attention, une fréquente inscription territoriale de la pensée et une envie d’élargir la démocratie réunissent cette galaxie. Mais gare aux mauvaises lectures comme au simplisme des exégètes. Comme le risque de tomber dans un catéchisme écologique, avec son « culte de la Nature », mené par des « animistes illuminés », s’agace Régis Debray dans Le Siècle vert (Gallimard, 56 p., 4,90 euros). Comme la tentation de céder au « règne de l’indistinction » entre les animaux et les plantes qui, selon la philosophe Florence Burgat, ne résiste pas à une véritable phénoménologie de la vie végétale (Qu’est-ce qu’une plante ?, Seuil, 208 p., 20 euros). Ou bien encore de verser dans un zoo-centrisme à l’égalitarisme déplacé, explique le philosophe Etienne Bimbenet dans Le Complexe des trois singes (Seuil, 2017). Mais rien n’y fait. La nouvelle vague écopolitique est en train de déplacer les lignes idéologiques et de s’imposer dans l’espace politique et médiatique. L’entrée des humanités ou des réflexivités environnementales à l’université, l’importance de la collection « Anthropocène » aux éditions du Seuil (dirigée par Christophe Bonneuil et Jean-Baptiste Fressoz), ou « Monde sauvage » chez Actes Sud (dirigée par Stéphane Durand), tout comme l’essor des éditions Wildproject, lancées en 2009 par Baptiste Lanaspeze, afin d’« acclimater en France les idées révolutionnaires de la philosophie de l’écologie », témoignent de ce succès. Car, c’est un fait, « nous ne sommes plus marginaux », remarque Christophe Bonneuil. D’où la volonté d’aller voir de plus près ce que ces penseurs du nouveau monde ont à dire de notre monde.

David Graeber antropologo eta ekonomialari anarkista hil da, nazioarteko erreferentzia antikapitalista
Lander Arbelaitz Mitxelena
www.argia.eus/albistea/david-graeber-antropologo-eta-ekonomialari-anarkista-hil-da-59-urterekin

Irailaren 2an hil da David Graeber azken urteetako pentsalari anarkista ezagunenetakoa, bere emazteak jakinarazi duenez. Veneziako ospitale batean hartu du asteazkenean azken hatsa.

« Atzo, munduko pertsonarik onenetako bat, nire senar eta lagun David Graeber hil zen Veneziako ospitalean », txiokatu du ostegun arratsaldean Nika Dubrovskyk. David Graeber (New York, 1961) antropologo eta militante anarkista amerikarra zen, joera libertarioko pentsalaria eta Occupy Wall Street mugimenduaren sorreran protagonismo berezia izan zuen herritarretako bat. Baieztatuta ez dagoen arren, berari egozten dio jende askok « %99a gara » leloaren sorrera. 2007an AEBetako Yale unibertsitatetik kanporatu zuten, eta berehala Londresko Ekonomia Eskolan hasi zen eskolak ematen. New York Times-en arabera, mundu anglo-saxoiko intelektualen artean eraginik handienetakoa izan duen intelektualetakoa izan da.

Berriki Bullshit Jobs: A theory liburua argitaratu zuen, lanari eta prekarietateari buruz. ARGIAk azken Gakoak liburuxkan hari egindako elkarrizketa eskaini du. Bertan defendatzen du, besteak beste, kapitalismoa « pitorik balio ez duten » lanpostuak sortzen ari dela, aitortza sozial handia eragiten dutenak, bizitzari eusteko ezinbesteko lanak inolako aitortzarik gabe mantentzen dituen bitartean. Beste obra ezagun batzuk ere baditu: Debt: The First 5000 Years (2011) [Zorra: Lehen 5.000 urteak] eta The Utopia of Rules (2015) [Arauen Utopia].