Articles du Vendredi : Sélection du 02 juin 2023

Combien devraient payer les pétroliers pour compenser leurs dégâts climatiques ?
Nabil Wakim
www.lemonde.fr/chaleur-humaine/article/2023/05/29/combien-devraient-payer-les-petroliers-pour-compenser-leurs-degats-climatiques_6175279_6125299.html

Une étude parue en mai 2023 tente de comptabiliser le montant des réparations que devraient payer les plus gros producteurs d’énergie fossile : plus de 200 milliards de dollars par an pendant 25 ans.

Ce billet est extrait de l’infolettre « Chaleur humaine », envoyée tous les mardis à 12 heures. Chaque semaine, le journaliste Nabil Wakim, qui anime le podcast Chaleur Humaine, répond aux questions des internautes sur le défi climatique.

« Bonjour. Je suis avec beaucoup d’attention vos podcasts Chaleur humaine, et je remarque qu’on parle beaucoup de taxer les citoyens mais peu les responsables de la catastrophe, par exemple les compagnies pétrolières ? D’ailleurs est-ce qu’on sait calculer le montant de leur impact sur le réchauffement climatique ? » (Question posée par Victor à l’adresse chaleurhumaine@lemonde.fr.)

Ma réponse : Merci de cette question très intéressante. Il se trouve que depuis votre message des scientifiques ont cherché à mesurer (dans cette étude) précisément combien les 21 plus gros groupes du secteur pétrolier et gazier devraient payer pour compenser les émissions de gaz à effet de serre générées par leur activité : 209 milliards de dollars par an (193 milliards d’euros) entre 2025 et 2050.

Même si c’est un peu différent, nous avions abordé plus globalement la question de « comment faire payer les pollueurs » avec l’économiste Christian Gollier dans cet épisode de Chaleur humaine.

1/Pourquoi faire payer les compagnies d’énergies fossiles ?

Cette étude parue en mai 2023 part d’une interrogation : « Qui doit prendre en charge le coût des catastrophes climatiques causées par l’activité humaine ? », s’interrogent les deux auteurs de l’étude publiée dans la revue scientifique One Earth, qui cible 21 entreprises pétrolières, gazières et charbonnières. Les Etats, les citoyens, les assureurs ? Pour les chercheurs italien et américain Marc Grasso et Richard Heede, les responsables des émissions de gaz à effet de serre doivent assumer leur responsabilité morale, en vertu du droit international de l’environnement et du principe du « pollueur-payeur ».

« Les progrès scientifiques récents ont mis en évidence le fait que ces compagnies ont joué un rôle majeur dans l’augmentation des coûts [du changement climatique] en pourvoyant des gigatonnes de carburants fossiles, tout en ignorant volontairement les risques climatiques associés », écrivent-ils. Ils rappellent également que, dans le même temps, ces compagnies ont, pour beaucoup d’entre elles diffusé dans l’opinion publique de fausses informations, et financé un lobbying actif contre les politiques climatiques.

2/Comment cette somme est-elle calculée ?

Les auteurs proposent une méthodologie pour calculer l’impact de ces entreprises sur le climat et les montants qu’elles devraient rembourser. Ils font commencer la comptabilité à l’année 1988, début des travaux du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) des Nations unies (ONU). Ils défendent l’idée que les compagnies des pays les plus fortunés devraient contribuer plus fortement que celles des pays les plus pauvres.

Compte tenu de la longue durée de leurs émissions, 11 entreprises privées et publiques devraient apporter la contribution la plus importante. Au premier rang, se trouve la compagnie saoudienne publique Aramco (42 milliards de dollars par an), puis l’américaine ExxonMobil (18 milliards), suivie de Shell (16 milliards de dollars) et BP (14,5 milliards). Le groupe français TotalEnergies pointe à la huitième position (9 milliards de dollars par an jusqu’en 2050). Ce calcul inclut les émissions de gaz à effet de serre directes des entreprises (par exemple celles associées à une plate-forme pétrolière), mais aussi leurs émissions indirectes (par exemple celles des utilisateurs de produits pétroliers ou gaziers).

Les auteurs notent que ces « réparations climatiques » sont à la portée de certains de ces groupes certaines années, notamment en 2022, puisque la hausse des prix de l’énergie leur a permis d’atteindre des profits sans précédent. Ainsi, TotalEnergies a engrangé cette année 19 milliards de profits – tout comme ExxonMobil d’ailleurs. L’étude propose également de réduire fortement le coût de ces compensations financières pour les entreprises qui changeraient rapidement de modèle économique et cesseraient d’émettre des gaz à effet de serre.

3/Est-ce réaliste à court terme ?

Pas vraiment. Il s’agit ici d’un exercice théorique qui vise à ouvrir le débat sur les responsabilités souvent peu débattues des grandes compagnies énergétiques dans le réchauffement climatique. Mais il n’existe à ce jour aucun cadre permettant de mettre en place ce type de réparations. Comme le rappelle Marc Grasso, cette étude a pour intérêt de « fournir un point de départ pour une discussion sur la responsabilité financière de l’industrie des énergies fossiles aux victimes du changement climatique ».

Cela dit, dans plusieurs pays, des associations ont attaqué en justice les compagnies pétrolières (notamment en France et aux Pays-Bas) pour leur demander de prendre leur part de responsabilité. Voir, par exemple, cet article de ma collègue Audrey Garric sur les actions en justice contre TotalEnergies en France.

Climat : les riches vont-ils devoir passer à la caisse ?
Antoine de Ravignan
www.alternatives-economiques.fr/climat-riches-devoir-passer-a-caisse/00107132

Le gouvernement a présenté ses nouveaux objectifs climatiques d’ici 2030 pour se conformer au « – 55 % européen ». Mais comment y parvenir ? Le rapport Pisani-Mahfouz qu’il a commandé préconise des moyens orthogonaux à sa ligne : mettre les classes aisées à contribution et emprunter.

Hasard de calendrier ou contre-feu organisé ? Le très attendu rapport de France Stratégie commandé par le gouvernement sur les coûts et les impacts macroéconomiques de la transition écologique a été rendu public le 22 mai, jour où Elisabeth Borne, accompagnée par pas moins d’une dizaine de ministres, a présenté devant le Conseil national de la transition écologique (CNTE) les nouveaux objectifs chiffrés de la France sur ses émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2030.

La lumière médiatique, dès lors, a davantage éclairé les annonces de l’hôte de Matignon que le rapport dérangeant sur les conditions de leur mise en œuvre remis par l’économiste Jean-Pisani Ferry et Selma Mahfouz, inspectrice générale des finances.

La loi européenne sur le climat de juin 2021 n’a pas seulement inscrit l’objectif de neutralité1en 2050, déjà voté par la France en 2019, en application de l’Accord international de Paris de 2015. Elle a également durci la cible de baisse d’émissions de gaz à effet de serre à atteindre en 2030, de – 40 % à au moins – 55 % par rapport à 1990, ce nouveau seuil intermédiaire étant une condition nécessaire pour tenir la bonne trajectoire.

La France n’a toujours pas acté ce relèvement de l’ambition européenne pour les prochaines années et c’est l’enjeu principal de la future loi de programmation énergie-climat (LPEC). Celle-ci aurait dû être votée cet été, mais le débat sur les retraites a retardé ce chantier pourtant plus urgent.

C’est dans ce contexte qu’Elisabeth Borne a présenté lundi 22 mai les nouveaux objectifs d’émissions que la France pourrait adopter pour 2030, en attendant la remise d’un projet de loi.

Par rapport aux 544 millions de tonnes de CO2 et CO2 équivalent2 émises en 1990, l’objectif de 270 millions de tonnes en 2030 annoncé cette semaine par la Première ministre représente une baisse de 50 %. Soit nettement en-deçà des « au-moins 55 % » inscrits dans la loi européenne.

Même si Paris n’a jamais fait mystère de ses intentions et se justifie au motif que son électricité est déjà largement décarbonée, c’est un message décevant envoyé aux autres Etats membres de la part du seul pays qui, par ailleurs n’a pas respecté ses obligations au titre de la précédente directive sur les énergies renouvelables3. Avec le risque d’affaiblir l’ambition globale si chacun tente de se comporter en passager clandestin.

Gros effort à fournir

Mais plus décevant est le fait que le gouvernement s’en soit tenu à énoncer des objectifs de baisse d’émissions. Il est resté évasif sur les moyens à mobiliser pour les réaliser. Or comme le fait comprendre clairement le rapport de Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz à la Première ministre publié le même jour, si on ne veut ni augmenter les impôts ni augmenter la dette – la ligne qu’entendent restaurer Emmanuel Macron et Bercy après la période du « quoi qu’il en coûte » – alors l’objectif 2030 n’a aucune chance d’être atteint.

Ce qui était déjà vrai quand la France visait – 40 % l’est encore plus avec une cible de – 50 %. Il s’agit désormais de faire chuter les émissions françaises de 410 millions de tonnes en 2022 à 270 millions en 2030. Soit réaliser en moins de dix ans une diminution de 140 millions de tonnes, ce que la France a à peine réussi à faire au cours des trente années passées.

La mission Pisani-Mahfouz a évalué à près de 65 milliards d’euros, un peu plus de deux points de PIB, le niveau d’investissement supplémentaire et annuel nécessaire pour arriver à cet objectif. A quoi il faudrait ajouter environ 4 milliards de dépenses pour l’adaptation.

Certes, le levier de la sobriété doit y contribuer, mais les auteurs considèrent que sur un horizon aussi court, l’indispensable évolution des comportements individuels et collectifs contribuera de façon encore limitée – de l’ordre de 15 % – à la réduction des émissions visée.

Pour les prochaines années, le mécanisme principal pouvant être actionné sera l’investissement dans les équipements permettant de réduire très fortement les émissions : isolation des logements et des bâtiments tertiaires, achats de véhicules électriques par les ménages et les entreprises, investissements industriels et énergétiques.

Pour arriver à ce résultat, la méthode a consisté en un travail long et fastidieux de « comptage de haricots » : identifier une à une les mesures pouvant être mises en œuvre et en chiffrer le coût. Par exemple, le remplacement des trois quarts des trois millions de chaudières à fioul dans le résidentiel par des pompes à chaleur d’ici à 2030 éliminerait environ 13 millions de tonnes de CO2 émises annuellement.

Cela représente un investissement de 5 milliards d’euros, mais un coût supplémentaire estimé à 3 milliards seulement si l’on tient compte du fait qu’une partie de ces chaudières auraient été remplacées dans tous les cas.

Ces données sont un ordre de grandeur et doivent être traitées avec prudence soulignent les auteurs. Les besoins d’investissement supplémentaires dans le secteur agricole et alimentaire, à l’origine d’un cinquième des émissions territoriales, sont très difficiles à évaluer.

Idem dans le secteur industriel. Par ailleurs, des champs n’ont pas été couverts, comme les investissements à réaliser pour accroître la production de biens « verts » comme les pompes à chaleur ou les véhicules électriques, ou encore le secteur du transport aérien.

Enfin, ces chiffres sont sensibles aux hypothèses sous-jacentes. L’étude pose que les véhicules électriques, qui resteront demain plus chers que les véhicules thermiques, représenteront 66 % des immatriculations en 2030, contre 12 % aujourd’hui, mais que la croissance des immatriculations s’infléchira par rapport à la tendance actuelle, du fait du report sur d’autres modes de transport (vélo, marche, train…). D’où un coût d’équipement des Français en voitures particulières inférieur à ce qu’il serait dans un scénario sans mesures nouvelles pour la transition. Mais dans le cas contraire d’un maintien du rythme des immatriculations, ce niveau de pénétration de la voiture électrique ferait fortement augmenter, d’une quinzaine de milliards d’euros, la facture annuelle de la transition pour l’ensemble des Français.

Qui va payer ?

Comment financer un tel niveau d’investissement ? Pas par la croissance qu’il va générer, car les fruits ne pourront pas en être cueillis immédiatement. Bien entendu, expliquent les auteurs, un tel supplément d’investissement aura, via la demande, un effet positif sur la croissance. Mais parce qu’il sera orienté vers la sortie des combustibles fossiles plutôt que vers l’augmentation des biens et services produits, cela réduira le potentiel de croissance.

L’analyse keynésienne consistant à dire qu’une dépense supplémentaire génère automatiquement de la croissance trouve ainsi sa limite s’agissant d’investissements qui consistent à substituer du « vert » à du « brun ».

Pour les auteurs, du fait des investissements requis pour décarboner notre économie, il va au contraire être temporairement plus coûteux de produire la même chose, même si in fine la sortie des fossiles est une équation gagnante.

Les Français vont devoir engager beaucoup plus de dépenses vertes d’ici à 2030 pour réussir la transition, mais vont donc, en raison de cette perte de productivité temporaire estimée par la mission Pisani-Mahfouz à un quart de point par an, engranger moins de recettes que s’ils ne faisaient aucun effort supplémentaire dans ce sens. Alors qui va payer, alors que, comme le rappellent les auteurs, la transition est « spontanément inégalitaire » ?

Face à l’effort à consentir, les Français sont en effet très inégaux. L’étude donne l’exemple du coût moyen de la rénovation d’un logement, soit 24 000 euros. Cela représente 146 % du revenu annuel moyen des ménages très modestes, appartenant au premier et deuxième déciles de revenus, ou 6 % du revenu disponible par an durant 25 ans. Quand on appartient aux classes moyennes, ces chiffres sont respectivement de 82 % et 3 %.

La transition juste appelle donc un effort important de l’Etat, à la fois pour déclencher des décisions d’investissement privé là où l’intérêt à agir est faible et pour en compenser les effets anti-redistributifs.

Le rapport Pisani-Mahfouz estime ainsi que sur 65 milliards d’investissements annuels supplémentaires dans la décarbonation, la moitié (33 milliards) devraient provenir de fonds publics. C’est le triple de la promesse, non tenue, d’Emmanuel Macron pour son second mandat et c’est dix fois l’effort additionnel inscrit dans le précédent projet de loi de finances. Le futur projet de loi de finances sera un test de la crédibilité du gouvernement sur les objectifs qu’il vient d’annoncer.

Une telle hausse de la dépense publique en faveur du climat ne pourra pas être obtenue en se bornant à ponctionner les autres budgets. Les lettres de cadrage envoyées par Matignon le 19 avril dernier aux ministères, qui ont suscité beaucoup d’incompréhension, demandent une baisse de 5 % de leurs dépenses, soit une économie de 7 milliards, qui pourraient contribuer au financement de la transition, dans des proportions non déterminées.

Le relèvement des prélèvements obligatoires est un passage obligé. Mais son consentement exige qu’il soit affecté à la transition et qu’il corrige en même temps les inégalités au lieu de les aggraver et provoquer une nouvelle révolte des Gilets jaunes. Il faut, dans une France où l’empreinte carbone des 10 % les plus riches (45 tonnes de CO2 par an et par ménage) est trois fois plus élevée que celle des 10 % les plus pauvres (15 tonnes), que la contribution à l’effort soit proportionnée.

Taxe sur les plus riches

D’où la proposition des auteurs, dont l’un fut le rédacteur du programme économique du candidat Macron en 2017, d’un prélèvement dédié et temporaire assis sur le patrimoine financier des ménages les plus aisés. Leur rapport indique à titre d’exemple qu’un prélèvement forfaitaire exceptionnel de 5 % pour les 10 % les plus fortunés payé sur 30 ans rapporterait 150 milliards, soit 5 milliards par an.

Mais d’autres vont plus loin. L’économiste Lucas Chancel estime qu’un taux d’imposition progressif sur les patrimoines supérieurs à 1 million d’euros, s’échelonnant de 0,5 % à 3 %, pourrait lever 20 milliards d’euros chaque année en France.

Toutefois, jugent les auteurs, une hausse temporaire des prélèvements obligatoires, en plus du redéploiement des dépenses publiques, notamment pour diminuer les dépenses brunes (la défiscalisation du gazole routier par exemple) au profit des subventions vertes, ne suffira pas.

Il faudra aussi, autre préconisation orthogonale à la doxa actuelle, accroître l’endettement public, et ce d’autant plus que les gains économiques des investissements à consentir ne devraient pas être perceptibles sur cette décennie.

Au risque de froisser les marchés financiers et de faire exploser les taux d’intérêt ? « On peut convaincre les marchés. Cet endettement est légitime et il y a un rendement en face », répond Jean Pisani-Ferry. La principale difficulté est de faire tomber les barrières intellectuelles, et au niveau français, et au niveau européen.

L’UE, et principalement l’Allemagne, rechigne à assouplir les règles de déficit public pour favoriser l’effort climatique, comme elle l’a pourtant fait pour répondre à la crise du Covid.

Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz écrivent ainsi :

« En l’état actuel des discussions, les politiques budgétaires des Etats dont le déficit public est supérieur à 3 % du PIB ne bénéficieront d’aucune marge de manœuvre additionnelle par rapport à la situation présente. En particulier, aucun traitement de faveur n’est envisagé pour l’investissement vert. »

Il en va de même pour la politique monétaire. Cette période de transition vers la sortie des fossiles devrait être marquée par une inflation plus importante, en raison non seulement des investissements massifs, mais aussi de prix de l’énergie relativement plus élevés et instables.

Dans ce contexte, observe le rapport, caler l’intervention de la Banque centrale européenne sur une cible d’inflation de 2 % et resserrer le robinet du crédit au-delà risque d’être contreproductif.

Au final, questionnent les auteurs, l’Europe (et la France) peut-elle à la fois s’engager à être championne du climat, championne de l’orthodoxie budgétaire et championne du multilatéralisme ?

Avec l’Inflation Réduction Act de 2022, les Etats-Unis sont prêts à dépenser sans compter pour décarboner leur économie tout en protégeant leurs entreprises de la concurrence étrangère et en s’affranchissant des règles de l’OMC. Vouloir de ce côté-ci de l’Atlantique courir tous les lièvres à la fois, n’est-ce pas se tirer une balle dans le pied et se condamner à l’immobilisme ?

Le gouvernement a fait des annonces climatiques qui vont dans le bon sens. Le rapport Pisani-Mahfouz lui rappelle les conditions à remplir s’il veut être crédible.

+4 °C en France : « Soit on s’adapte, soit on lutte contre »
Gaspard d’Allens
https://reporterre.net/4-oC-en-France-Soit-on-s-adapte-soit-on-lutte-contre

Alors que le gouvernement veut préparer la France à une hausse de +4 °C, pour le chercheur Thierry Ribault, le pays devrait plutôt stopper dès à présent « les délires technophiles responsables de la catastrophe ».

Afin de préparer la France à une hausse de la température moyenne de 4 °C en 2100, le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu, lance le 23 mai une consultation ouverte au public. Différents scénarios d’adaptation au réchauffement climatique en seront issus. Pour Thierry Ribault, chercheur en sciences sociales au CNRS et auteur de Contre la résilience — À Fukushima et ailleurs (L’Échapée, 2021), le gouvernement devrait plutôt agir et remettre en cause le capitalisme.

Reporterre — Depuis plusieurs mois, le gouvernement répète qu’il faut s’adapter au réchauffement climatique et enjoint les citoyens à anticiper la catastrophe. Que traduit ce nouveau discours ?

Thierry Ribault — Son usage m’interpelle et pose diverses questions difficiles à résoudre. Au fond, il faut se demander si la notion d’adaptation est vraiment adaptée à la situation actuelle. J’en doute sincèrement. À quoi veut-on donc nous adapter ? Peut-on véritablement s’adapter à un monde invivable ? S’adapter au réchauffement climatique, qu’est-ce que cela veut dire concrètement ? Est-ce que cela ne s’oppose pas à l’action ? Est-ce que cela ne fait pas fi des causes réelles du réchauffement climatique ? Nous ne sommes pas prêts à nous adapter à tout.

Or, le gouvernement nous dit que « la réalité s’impose », que « nous devons préparer la France à une élévation de la température de 4 °C ». Mais qui est ce « nous » générique ? N’est-ce pas démagogique de traiter de la même manière les classes dominantes les plus polluantes avec les citoyens ordinaires et les personnes précaires ? Je ne suis pas certain que tout le monde doive s’adapter. Le gouvernement voudrait nous voir embarquer tous dans la même galère. Il nous dit « ramez et vous survivrez ». Mais qui va ramer pour l’adaptation ? N’y a-t-il pas des gens qui rament déjà suffisamment alors que d’autres ne font rien ?

Il est paradoxal d’entendre le gouvernement dire qu’il faudrait s’adapter au réchauffement climatique à l’horizon 2100 tout en prônant une pause sur la réglementation environnementale

Tout à fait. Le gouvernement déclare que nous devons nous adapter à 4 °C supplémentaires en 2100, mais dans le même temps, il continue, voire accélère, l’industrialisation de l’agriculture, l’extractivisme et tous les délires technophiles responsables de la catastrophe. C’est assez incroyable, en fait. Je dirai même que c’est audacieux de sa part. Le gouvernement veut nous intéresser à ce qui va se passer dans un siècle, il nous dit de nous préparer au pire et à un futur catastrophique, mais il ne fait absolument rien ici et maintenant.

C’en est désespérant…

Oui, mais c’est voulu. C’est d’ailleurs le leitmotiv de tout régime que je qualifie de « résilio maniaques ». Ils jouent sur la peur et sont en permanence dans une sorte de dissonance cognitive, une forme de double pensée.

Dans son discours, Christophe Béchu dit que « nous devons agir comme si tout dépendait de nous », mais en même temps répète que « nous devons nous adapter en mesurant que tout ne dépend pas de nous ». Un moment, il faudrait savoir ! Soit on s’adapte, soit on lutte contre. On ne peut pas faire les deux à la fois, simultanément.

Pourtant, n’est-ce pas ce que préconisent de nombreux acteurs qui prônent à la fois l’atténuation et l’adaptation au changement climatique ?

Pour moi, c’est une tromperie totale ! Ce n’est pas du tout le même type d’action, le même registre politique. Les armes utilisées ne sont absolument pas les mêmes. C’est comme si pendant la guerre, on nous avait demandé de nous adapter à la présence de l’ennemi sur notre sol tout en lui résistant. Il ne s’agit pas d’avoir un jugement moral, mais de voir que cognitivement, s’adapter et résister ce n’est pas la même chose. Être dans la résilience ou la résistance cela n’a rien à voir. Les pouvoirs publics entretiennent une confusion totale entre ces deux champs sémantiques, parce qu’ils ne veulent pas résister ni remettre en cause le système capitalo-technologique et industriel qui est à l’origine de ces catastrophes.

Emmanuel Macron, aujourd’hui, nous dit qu’il faudrait anticiper le climat en 2100 alors qu’il affirmait, il y a à peine six mois, lors de ses vœux, que personne n’aurait pu prévoir les incendies qui ont ravagé l’été dernier les Landes…

Cela s’inscrit typiquement dans cette double pensée dont je parlais précédemment. Je pourrais citer un autre exemple éloquent : le rapport de la mission d’information parlementaire sur la résilience nationale, rendu en février 2022 — trois jours avant le début de la guerre en Ukraine. Les auteurs y écrivent l’inverse et son contraire. Ils disent que « nous avons le devoir de faire prendre conscience à nos concitoyens que le monde qui les entoure est un monde violent et qu’ils vont être rattrapés par ces violences très rapidement. Quoi qu’il arrive », et ajoutent juste après qu’« il faut éviter que s’immisce au sein de la population des jeunes une peur du futur. La propension à l’anxiété et à la frustration des générations actuelles tend à réduire notre capacité de résilience collective dans une situation de crise grave ».

On ne sait plus quoi penser…

Oui, cela crée une forme de sidération. On nous dit qu’il n’y a pas de quoi être anxieux, mais qu’il faut se préparer au pire… L’objectif des gouvernants est en réalité de nous faire intérioriser les menaces, sans que l’on s’intéresse à leurs causes. Pour eux, ce qui compte est moins la teneur des événements à affronter que la mentalité que la population devra adopter, son sentiment de responsabilité vis-à-vis d’une catastrophe qu’elle n’a pas, elle-même, causée. La prise de conscience souhaitée par le gouvernement n’est en rien une manière de modifier la situation actuelle, c’est une façon de nous y soumettre, de la conforter. Il s’agit de perpétuer l’existant, de nous l’imposer, en culpabilisant les victimes.

Le gouvernement nous invite à mettre sous le boisseau des affects négatifs qui sont pourtant légitimes, il dit qu’il faut avoir peur, mais pas trop, car une fois en colère on peut se révolter. En bref, il mène une politique d’antirésistance et veut nous adapter à son capitalisme vert et à son cortège de fausses solutions : le nucléaire, les voitures électriques, l’agriculture de précision. Et ce faisant, il nous précipite dans des voies de non-retour qui aggravent encore la catastrophe.

Ozeanoak inoiz baino beroago ditugula, egoera ezezagunetara eraman gaitzake El Niño fenomenoak
Argia.eus
www.argia.eus/argia-astekaria/2825/ozeanoak-inoiz-baino-beroago-ditugula-egoera-ezezagunetara-eraman-gaitzake-el-nino-fenomenoak

Ozeano globalaren tenperaturak erregistraturiko markarik handiena jo du joan den hilabetean. Aurreko urteekin alderatuz, ezohiko bilakaera nabari da, Ozeano Barean El Niño fenomenoaren baldintzak jartzen ari diren honetan. Adituen arabera, 2024an muturreko tenperaturak ugaritu daitezke, klima beroketa 1,5 graduko mugara helduz. El Niñoren eta beroketa globalaren eraginak gogorrak izan daitezke hainbat herrialderentzat.

Urtero, martxoaren bukaeran izan ohi da ozeano globalaren azaleko tenperatura handiena (60° eta -60° latitudeen artean neurtua), hego hemisferioan aurkitzen baitira ur masa handienak –Indiako Ozeanoan eta Ozeano Barearen hegoaldean nagusiki– eta hango udaren amaieran metatu baitute berotasun gehiena bertako urek.

Aurten, halere, bi ezohiko elementu ikus ditzakegu: uren beroketak martxoan gelditu beharrean,  apirilaren 23a arte jarraitu dute tenperatura altuek;  eta orain arte erregistraturiko urterik beroenaren marka (2016koa) nabarmen gaindituta da.

Itsasoari dagokionez, aurtengoa urterik beroena izanen den jakiteko goizegi da, baina momentuz horretara bideratua da, batez ere El Niño deituriko fenomenoa berriz agertzen bada.

Ozeano Barearen azaleko tenperatura eta haize erregimenak aldatzen dira modu irregularrean, ”El Niño” hegoaldeko oszilazioa deituriko fenomenoan. Bi fase ditu fenomeno horrek. Batean, “La Niña” izendatua, zeinetan ekialdeko haize indartsuek azaleko urak Ozeano Barearen mendebaldera bultzatzen dituzten, Indonesia aldera. Azaleko ur beroak bertan metatu eta hondoratzen diren bitartean, ekialdean –Ekuador eta Peruko kostetan– sakoneko ur hotzak azalera datozte. Egoera horretan itsas azaleko urak batezbertzekoa baino hotzagoak dira, eta horrek mundu mailako atmosferaren tenperaturan eragina du ere. “El Niño” deituriko bertze fasean, ekialdeko haizeak ahulagoak dira, azaleko urak gutiago mugitzen dira eta ur beroak ekialdean zabaltzen dira. Bi fenomeno horien frekuentzia irregularra da, ez dira beraz aurreikusteko errazak. Azken hamarkadetan, La Niña episodioak urritu dira eta El Niño ugaritu.

El Niño fenomenoak eragin andana ukan dezake

El Niño hegoaldeko oszilazioak atmosfera osoan eragiten du, baina bere eragin gogorrenak Ozeano Bare eta Indiako Ozeanoaren inguruko lurraldeetan gertatzen dira. Ezagutu dugun azken El Niño gertakari indartsua 2014-2016 urteetan garatu zen, eta herrialde kaltetuenak Peru eta Ekuador izan ziren, 40.000 etxe suntsitu zituzten uholdeak tarteko. El Niño gertaeretan uholdeak gerta daitezke Kalifornia edo Uruguai aldean ere, eta eurite handiak Afrikako ekialdean eman daitezke (hori litzateke beharbada eragin positibo bakarra, bertan 2020ko urritik dirauen lehortea arintzeko, alegia). Bertze ondorio potentzialak ez dira onuragarriak: Asia hego-ekialdean –Indonesian bereziki– lehortea; 2022an ezohiko bero uhinak jotako Indian berriro lehortea 2024ko udan; gosez jotako Madagaskarren eta Lesothon ere lehortea eta beroa; Sahel eskualdean eta Australian lehortea ere bai; eta Brasilen bero uhinak hegoaldean eta lehortea iparrean. Australia, Brasil eta India zereal esportatzaileak direla eta, gaurko testuinguruan ondorio larriagoak ekar ditzake egoera horrek.

2022an ezohiko bero uhinak jotako Indian berriro lehortea ager daiteke 2024ko udan, baita Sahel eskualdean, Afrika hegoaldean, Indonesian eta Australian

Klimaren beroketa dela eta, egoera ezezagunetarantz

Berotegi efektuaren ondorioz metatzen zaigun beroketaren gehiena –%90 inguru– ozeanoak harrapatzen du, CO2 isurketen %25 harrapatzen duen bezala. Azken urteotan La Niña nagusi zen, eta horren ondorioz berotasun horren zati handi bat Ozeano Barearen mendebaldeko ur sakonetan gorderik zegoen. Hala ere, klimaren beroketa tarteko, berotasun markak gainditu dira planeta osoan 2021ean eta 2022an zehar, La Niña ez zelako nahikoa atmosferaren beroketa arintzeko. Orain, El Niño baldintzak agertzen ari direlarik, muturreko tenperatura gehiago ere ikus dezakegu.

Columbia unibertsitateko James Hansen klimatologoaren arabera, 2024 izanen da ordurarteko urterik beroena, eta El Niño arrunta edo ahula izanik ere, tenperatura markak gaindituko dira. Erresuma Batuko Met Office erakundeko epe luzeko aurreikuspen zerbitzu arduraduna den Adam Scaifen arabera, litekeena da beroketa globalaren 1,5 graduko muga datorren El Niño indartsuan ikustea, eta hori datozen bortz urtetan ikusteko %50eko probabilitatearekin.

Oraindik ezin da jakin heldu zaigun El Niño hori zein mailakoa izanen den, baina 1,5 gradu da hain zuzen 2100erako gainditu behar ez genukeen beroketa muga, hainbat hondamendiren saihesteko (hala nola, koral arrezife gehienen desagerpena, maila handiagoko urakanen sortzea, edota Bangladesh eta Maldibak bezalako lurraldeen itsasperatzea). Mende bukaerako finkatu zen mugara mende laurdena betetzean iristea seinale txarra litzateke. Pennsylvania unibertsitateko Michael Mann klimatologoak dio El Niño eta La Niña fenomenoek lur azalean duten eragin laburrari ez geniokela arreta gehiegi jarri behar, gehiago kezkatu beharko gintuzkelako ozeanoaren beroketa jarraituak.

Klima larrialdiaz hobe ohartzeko baliagarriak izan lirateke El Niño baten ezohiko ondorioak? Europaren hego-mendebaldean 2022ko udak etorkizuneko klimaren ukitua izan zuen: tenperatura markak gaindituta Aturritik Ebroraino, suteak, ur eskasiak, neguan zehar iraun duen lehortea, lurpeko ur geruzak ezohiko mailatan utziz eta laborantza ekoizpena mehatxatuz. Panorama horrek arazoaren kontzientzia zorroztu du pertsona askorengan, dudarik gabe. Baina hori aski ote da? Funtsean, hori ote da arazoa?

Jean-Baptiste Fressoz energia eta ingurunearen historialariak oroitarazten digu “azken urte hori ingurunearen arazoaz jabetu garen urtea izan da” bezalako esaldiak historian zehar hainbat aldiz erranak izan direla eta ideia hori gehiegitan aldarrikatu dela benetan baliagarria izateko. Bere ustez, ingurunearen eta klimaren krisia ez dira ematen kontzientzia eskasarengatik, baizik eta eraldatu behar den eredu ekonomikoarengatik. COP27-ak klima kudeatzeko eredu falta eta legedia ekonomikoen indarra agerian utzi ditu erreportajearen bidez ARGIAk azaldu bezala, tokiko ekimenak horretarako funtsezkoak dira, beroketa efektuko gasen isurketak murrizteaz gain, klima aldaketari aurre egiteko tokian tokiko baldintzak eta erresilientzia sortzen dituztelako.