Articles du Vendredi : Sélection du 02 février 2024

La sécheresse persistante contraint la Catalogne à limiter la consommation d’eau
Sandrine Morel
www.lemonde.fr/planete/article/2024/02/01/la-secheresse-persistante-contraint-la-catalogne-a-limiter-la-consommation-d-eau_6214291_3244.html

Les réservoirs sont descendus à 16 % de leurs capacités, un seuil critique. Particuliers, entreprises, agriculteurs : six millions de personnes subissent les restrictions imposées par le gouvernement régional dans la province de Barcelone et une partie de celle de Gérone.

Début janvier, les agences météorologiques catalane et espagnole avaient annoncé, enfin, l’arrivée de trombes d’eau sur Barcelone : au moins 150 litres de pluie par mètre carré, assuraient-elles. Il n’est finalement tombé que 15 litres. Suffisamment pour que cela soit célébré sur les réseaux sociaux comme la promesse de la fin d’une sécheresse interminable. Ce qui n’a pas été le cas. Pis, le mois de janvier 2024 a été le plus chaud jamais enregistré.

Jeudi 1er février, le niveau des immenses réservoirs et lacs de barrage, construits dans les années 1960 pour emmagasiner l’eau de pluie, dont dépend notamment l’agglomération de Barcelone, est descendu sous la barre des 100 hectomètres cubes d’eau, soit 16 % de leur capacité, un seuil considéré comme critique par le gouvernement catalan. Il a donc pris la décision de décréter l’état d’urgence pour sécheresse et de renforcer les mesures de restriction de consommation d’eau déjà mises en place très progressivement ces deux dernières années. « Cette crise nous met à l’épreuve, a déclaré le président du gouvernement régional catalan, de la gauche indépendantiste, Pere Aragonès. Nous devons nous préparer à une nouvelle réalité climatique. »

Par sa durée, son intensité et la superficie concernée, la sécheresse qui frappe la Catalogne depuis plus de trois ans est « la plus grave jamais enregistrée par les services pluviométriques ». Quarante mois de manque de pluie et de nouveaux records de température ont réduit drastiquement le débit des fleuves et des rivières et épuisé les réservoirs. « La courbe de croissance des températures que nous observons n’était pas prévue avant la deuxième moitié du siècle », souligne la directrice du service météorologique de Catalogne, Sarai Sarroca.

Six millions de personnes concernées

Plus de 6 millions de personnes, soit 92 % de la population et 52 % du territoire, sont concernées par les nouvelles restrictions d’eau approuvées jeudi. Durant cette première phase de l’état d’urgence, les municipalités devront se charger de limiter la consommation d’eau à 200 litres par habitant et par jour, sous peine de sanctions économiques, notamment en limitant la pression dans les robinets. La ville de Barcelone, dont la consommation moyenne est de 177 litres par habitant et par jour, ne devrait pas être concernée dans un premier temps. Si les réservoirs descendent sous les 66 hectomètres cubes d’eau, la phase 2 sera appliquée et la dotation sera réduite à 180 litres. A moins de 33 hectomètres cubes, la phase 3 limitera l’eau à 160 litres par personne et par jour. Les particuliers qui font un mauvais usage de l’eau pourront être sanctionnés par des amendes allant jusqu’à 3 000 euros.

Cependant ce sont les agriculteurs, dont les puits sont à sec, qui sont les plus mis à contribution : ils devront réduire l’irrigation de 80 %. « Beaucoup ont déjà préféré ne pas semer plutôt que perdre leur récolte », explique le porte-parole de l’Union des paysans de Catalogne, Josep Carles Vicente. Lui-même a perdu 95 % de sa production d’olives l’an dernier. « Avec les aides et en nous endettant, nous pouvons tenir encore cette année, mais si la sécheresse se prolonge, l’activité agraire ne sera plus viable », ajoute-t-il. Les éleveurs de vaches ou de cochons, contraints de réduire de 50 % leur consommation en eau, se préparent à vendre prématurément leurs bêtes et à réduire leur cheptel, mais ils exigent les moyens de préserver au moins les truies porteuses.

Les industries devront pour leur part réduire de 25 % leur consommation d’eau, tout comme les « activités récréatives ». L’arrosage des jardins a été interdit, sauf pour la survie des arbres. Les clubs de sport doivent fermer les douches des vestiaires. Et, contrairement à l’an dernier, lorsqu’ils avaient été rangés dans la catégorie des refuges climatiques, nécessaires pour affronter les canicules, les hôtels n’ont plus le droit de remplir leur piscine.

Déjà, ils s’inquiètent de voir fuir les touristes, s’il ne pleut pas au printemps. Le gouvernement catalan a quant à lui pris contact avec des compagnies maritimes capables de transporter de l’eau potable par cargo à Barcelone.

« Changer de modèle »

Selon M. Aragonès, l’activation du plan de lutte contre la sécheresse dès l’automne 2021 a permis de « retarder de quinze mois » la déclaration d’état d’urgence. Durant ce laps de temps, les deux usines de dessalement, qui utilisent d’ordinaire entre 10 % et 20 % de leur capacité, se sont mises à fonctionner à plein régime, tout comme les vingt-quatre stations de régénération et réutilisation de l’eau. L’eau ainsi produite couvre à présent plus de 55 % de la demande. Pour réduire davantage la dépendance à l’eau de pluie, plus de 2,4 milliards d’euros seront consacrés jusqu’en 2027 à la construction d’une nouvelle usine de dessalement, à l’agrandissement d’une autre, à la mise en marche de nouvelles stations de régénération et réutilisation de l’eau, ou encore à la potabilisation du fleuve du Besos. D’ici là, les Catalans continueront de scruter le ciel.

« Il faut changer ce modèle », fondé sur « l’importation de touristes et l’exportation de l’eau sous forme de fruits, de cochons et de fourrage », a demandé la porte-parole du Groupe de défense du Ter (fleuve), Dolors Catalan, le 21 janvier, lors d’une réunion organisée par une trentaine d’associations écologistes et sociales pour dénoncer la « mauvaise gestion » de l’eau, qui, « associée au changement climatique », est selon elles à l’origine de la sécheresse. Et de rappeler que selon l’indice d’exploitation de l’eau, 31 % de l’eau douce disponible de Catalogne est surexploitée, que 57 % des eaux souterraines sont contaminées aux nitrates à cause de l’agriculture et de l’élevage intensif (principalement de porcs), que le modèle économique basé sur le tourisme a supposé la venue de 16,9 millions de visiteurs internationaux en 2023 (+ 21 %), et que les usines de dessalement, qui devraient servir de béquilles en cas de sécheresse, sont devenues des sources structurelles d’approvisionnement en eau.

La Catalogne n’est pas la seule région en Espagne frappée par une sécheresse historique. Tout le territoire situé à l’est d’une diagonale reliant Figueras (Catalogne) à Cadix (Andalousie) se trouve dans une situation grave.

 

Pourquoi le climatoscepticisme séduit-il encore ?
The conversation , WAGENER Albin
www.ritimo.org/Pourquoi-le-climatoscepticisme-seduit-il-encore

C’est un paradoxe de notre époque : alors que les effets du changement climatique sont de plus en plus couverts par les médias et n’ont jamais été aussi saillants pour les populations, le climatoscepticisme reprend lui des forces au gré de l’actualité climatique. D’après un sondage mené par Ipsos et le Cevipof en 2023, ce sont 43 % de Français qui refusent de « croire » au réchauffement du climat.

Plusieurs fois annoncé comme dépassé ou cantonné à des sphères complotistes, le climatoscepticisme n’en finit pas de se régénérer. Si les origines de ce courant remontent aux États-Unis, il prospère chez nous aujourd’hui via des incarnations bien françaises, comme l’a montré le récent documentaire La Fabrique du mensonge sur le sujet. Tâchons-donc de revenir un peu en arrière pour comprendre le succès actuel de ces discours niant le dérèglement climatique.

L’éternel retour du climatoscepticisme

Dans les années 1980, aux États-Unis, l’émergence et la propagation d’une « contre-science » du climat ont résulté de la mobilisation de think tanks liés au parti républicain et au lobbying de grandes entreprises, principalement dans le secteur de la production pétrolière, en s’inspirant par ailleurs des pratiques de l’industrie du tabac.

Le terme de « climatoscepticisme » est, à cet égard, lui-même aussi trompeur que révélateur : en liant « climat » et « scepticisme », le terme donne l’impression d’une posture philosophique vertueuse (notamment la remise en question critique et informée), et induit en erreur. Car il s’agit ici bien moins de scepticisme que de déni, voire de cécité absolue vis-à-vis de faits scientifiques et de leurs conséquences, comme le rappelle le philosophe Gilles Barroux.

Mais qu’importe : au moment de l’accord de Paris et du consensus de plus en plus large sur le climat, le climatoscepticisme semblait réduit à portion congrue : en France, en 2019, la Convention citoyenne pour le climat montrait que le sujet pouvait être pris au sérieux tout en donnant lieu à des expérimentations démocratiques. Puis en août 2021, la loi « Climat et résilience » semblait ancrer un acte politique symbolique important, bien qu’insuffisant.

Pourtant, malgré ces évolutions politiques, le climatoscepticisme prospère aujourd’hui en s’éloignant de son incarnation et champ originel, puisqu’il constitue désormais une forme de discours, avec ses codes, ses représentations et ses récits. C’est précisément en cela qu’il est si dangereux : du point de vue linguistique, narratif et sémantique, il utilise des ressorts hélas efficaces, qui ont pour objectif d’instiller le doute (a minima) ou l’inaction (a maxima).

Plus clairement, les sphères climatosceptiques vont par exemple utiliser des termes aux charges sémantiques équivoques (climatorassurisme, climatoréalisme…), remettre en question la véracité des travaux du GIEC, mettre en exergue les variations du climat à l’échelle du temps géologique (la Terre ayant toujours connu des périodes plus ou moins chaudes ou froides), ou bien encore expliquer que toute action mise en œuvre pour lutter contre le changement climatique relèverait en fait de l’autoritarisme liberticide. En d’autres termes, le doute est jeté sur tous les domaines, sans distinction.

De ce point de vue, il est important de noter que le climatoscepticisme peut prendre plusieurs formes : déni de l’origine anthropique du réchauffement, mise en exergue de prétendus cycles climatiques, remise en cause du rôle du CO2 ou technosolutionnisme chevronné sont autant de variables qui donnent sa redoutable vitalité au climatoscepticisme.

Mais que cachent les discours climatosceptiques ? Outre les intérêts économiques, on retrouve également la préservation d’un ordre social et de systèmes de domination spécifiques : domination de l’Homme sur ce que l’on appelle abusivement la « Nature » (incluant les autres espèces, l’intégralité de la biodiversité et les ressources), exploitation des ressources nécessaires à l’activité industrielle et économique, mais aussi domination de certaines communautés sur d’autres – notamment parce que les femmes ou les populations indigènes sont plus vulnérables au changement climatique, tout en représentant également les populations les plus promptes à proposer des innovations pour contrer ses impacts.

L’efficacité du climatoscepticisme : le secret de sa longévité ?

Au-delà de sa pérennité, les recherches ont montré à quel point le climatoscepticisme restait efficace pour retarder l’action politique. Il ne s’agit pas ici de dire que la classe politique est climatosceptique, mais qu’un certain nombre d’acteurs climatosceptiques finissent par diffuser des discours qui font hésiter les décideurs, retardent leurs actions ou font douter quant aux solutions ou alternatives à mettre en place. La France n’échappe pas à cette tendance : entre les coups médiatiques de Claude Allègre, l’accueil de Greta Thunberg à l’Assemblée nationale ou encore les incursions de divers acteurs climatosceptiques (se désignant eux-mêmes comme climatoréalistes ou climatorassuristes), le paysage médiatique, politique et citoyen se retrouve régulièrement pollué par ce type de discours.

Doté de solides ressources financières, ce mouvement a pu contester les résultats scientifiques dans la sphère publique, afin de maintenir ses objectifs économiques et financiers. Le GIEC en a, par ailleurs, fait les frais de manière assez importante – et encore aujourd’hui ; régulièrement en effet, des scientifiques du GIEC comme Jean Jouzel ou Valérie Masson-Delmotte, qui se sont engagés pour porter de manière pédagogique les travaux collectifs dans l’espace médiatique, se sont retrouvés la cible de critiques, notamment sur la véracité des données traitées, ou la raison d’être financière du groupement scientifique mondial. Cela est notamment régulièrement le cas sur les réseaux sociaux, comme le montrent les travaux de David Chavalarias.

Climatoscepticisme : les raisons d’un succès

Au-delà de ces constats informatifs, une question émerge : pourquoi sommes-nous si prompts à embrasser, de près ou de loin, certaines thèses climatosceptiques ? Pourquoi cette forme de déni, souvent mâtinée de relents complotistes, parvient-elle à se frayer un chemin dans les sphères médiatiques et politiques ?

Pour mieux comprendre cet impact, il faut prendre en considération les enjeux sociaux liés au réchauffement climatique.

En effet, cette dimension sociale, voire anthropologique est capitale pour comprendre les freins de résistance au changement ; si la réaction au changement climatique n’était qu’affaire de chiffres et de solutions techniques, il y a longtemps que certaines décisions auraient été prises.

En réalité, nous avons ici affaire à une difficulté d’ordre culturel, puisque c’est toute notre vie qui doit être réorganisée : habitudes de consommation ou pratiques quotidiennes sont concernées dans leur grande diversité, qu’il s’agisse de l’utilisation du plastique, de la production de gaz à effet de serre, du transport, du logement ou de l’alimentation, pour ne citer que ces exemples.

Le changement est immense, et nous n’avons pas toujours les ressources collectives pour pouvoir y répondre. De plus, comme le rappelle le philosophe Paul B. Preciado, nous sommes dans une situation d’addiction vis-à-vis du système économique et industriel qui alimente le changement climatique ; et pour faire une analogie avec l’addiction au tabac, ce ne sont jamais la conscience des chiffres qui mettent fin à une addiction, mais des expériences ou des récits qui font prendre conscience de la nécessité d’arrêter, pour aller vite. Cela étant, le problème est ici beaucoup plus structurel : s’il est aisé de se passer du tabac à titre individuel, il est beaucoup plus compliqué de faire une croix sur le pétrole, à tous les niveaux.

La peur de changement systémique, notamment mis en avant par les militants écologiques, raison d’être du climatosceptisme ?

Paradoxalement, c’est au moment où les effets du changement climatique sont de plus en plus couverts par les médias que le climatoscepticisme reprend des forces, avec une population de plus en plus dubitative. Ce qui paraît paradoxal pourrait en réalité être assez compréhensible : c’est peut-être précisément parce que les effets sont de plus en plus visibles, et que l’ensemble paraît de plus en plus insurmontable, que le déni devient une valeur refuge de plus en plus commode. Il s’agirait alors d’une forme d’instinct de protection, qui permettrait d’éviter de regarder les choses en face et de préserver un mode de vie que l’on refuse de perdre. Si le climatoscepticisme nous informe sur nos propres peurs et fragilités, il est aussi symptomatique du manque de récits alternatifs qui permettraient d’envisager l’avenir d’une toute autre manière. En effet, pour le moment, nous semblons penser la question du changement climatique avec le logiciel politique et économique du XXè siècle. Résultat : des récits comme le climatoscepticisme, le greenwashing, le technosolutionnisme (le fait de croire que le progrès technique règlera le problème climatique), la collapsologie ou encore le colibrisme (le fait de tout faire reposer sur l’individu) nous piègent dans un archipel narratif confus, qui repose plus sur nos croyances et notre besoin d’être rassurés, que sur un avenir à bâtir.

De fait, le climatoscepticisme prospère encore car il est le symptôme d’autodéfense d’un vieux monde qui refuse de mourir. Sans alternative désirable ou réaliste, alors que nos sociétés et nos économies sont pieds et poings liés par la dépendance aux énergies fossiles, nos récits sont condamnés à tourner en rond entre déni, faux espoirs et évidences trompeuses.

C’est bien là tout le problème : si les chiffres sont importants pour se rendre compte de l’importance du changement et de ses conséquences (y compris pour mesurer les fameux franchissements des limites planétaires), ce n’est pas avec des chiffres seuls que l’on met en mouvement les sociétés et les politiques. Les tenants du climatoscepticisme ont parfaitement compris cette limite, en nous proposant les certitudes confortables d’un vieux monde inadapté, face aux incertitudes paralysantes d’un avenir qui sera radicalement différent du monde que nous connaissons, mais que nous avons le choix de pouvoir écrire.

Voir l’article original sur le site de The Conversation

Commentaires : Albin Wagener est chercheur associé l’INALCO (PLIDAM) et au laboratoire PREFICS, Université Rennes 2. Cet article a été publié le 10 janvier 2024 sur le site The Conversation sous licence (CC BY-ND 4.0)

 

Réparer un moteur, faire des semis, coudre un vêtement… l’écologie de la « débrouille rurale »
Sophie Chapelle
https://basta.media/reparer-un-moteur-faire-des-semis-coudre-un-vetement-eloge-debrouilles-rurales-bricoler-entraide

Récupérer, ne pas jeter, échanger, bricoler, réparer… Toutes ces pratiques courantes en milieu rural, fondées sur l’entraide et « viables dans le futur », sont invisibilisées par l’écologie dominante. Entretien avec Fanny Hugues, Doctorante en sociologie à l’EHESS, dont la thèse, en cours d’écriture, s’intéresse aux modes de vie sobres fondés sur la débrouille dans les milieux ruraux.

Basta! : Votre travail de thèse en sociologie met au jour « les débrouilles rurales ». Qu’entendez-vous par là ?

Fanny Hugues : Cela fait référence à des modes de vie économes, sobres, qui se passent à la campagne et qui permettent de s’en sortir au quotidien avec peu de ressources financières [1]. Il existe plusieurs manières de se débrouiller en milieu rural en fonction de la manière dont sont assemblées certaines pratiques, selon les groupes sociaux identifiés : le fait de faire un potager ou son propre bois de chauffe, récupérer des vêtements, meubles et outils, bricoler au sens de « transformer des choses », réparer, autoconstruire sa maison, faire de « bonnes affaires »… Il s’agit aussi d’échanger de manière non marchande avec les gens de l’entourage en se prêtant des choses, en donnant, en échangeant.

Ces pratiques ne se limitent pas au sein de l’espace domestique, à la maison, mais s’étendent à la nature environnante. À l’espace d’habitation se mêlent des espaces de stockage composés parfois de dépendances comme une grange, ou d’un jardin, voire d’un terrain où est construit un appentis permettant d’accumuler des objets et matériaux récupérés qui vont être réparés ou transformés. Cet espace s’étend aussi à des espaces qui ne sont pas légalement possédés – forêts, bords de route, fossés où sont cueillis des champignons et autres denrées alimentaires.

En quoi être inséré dans un réseau d’entraide est-il également fondamental dans ces pratiques de débrouilles rurales ?

Toutes les personnes rencontrées s’inscrivent dans un réseau de proximité et dans une économie d’entre-subsistance. J’ai identifié deux types de réseaux. Pour les femmes précarisées et les retraités agricoles qui vivent dans le coin dans lequel ils ont grandi, on peut parler de « maisonnée élargie » : c’est un réseau très réduit et très familial avec les parents ou les enfants. Une même personne va rendre plusieurs services.

Pour les autres personnes qui ne sont pas originaires du coin, on se rapproche plus du « réseau par cause d’entraide » dans lequel chaque personne est davantage identifiée à un savoir-faire. Ce réseau est beaucoup plus fondé sur les liens amicaux que sur les liens de parenté.

Dans les deux cas, cela se traduit par de l’entraide non marchande sous forme de dons de denrées alimentaires, de pratiques de covoiturage, de trocs d’objets ou de temps de travail, de prêts de véhicules et d’outils. Ces pratiques sont complètement orientées dans une logique de subsistance, à différents niveaux, et c’est ce qui lie les gens.

Dans quelle mesure la débrouille se fonde t-elle sur la transmission familiale ?

Une des questions est de savoir ce qui fait que ces modes de vie-là tiennent dans le temps, car ce sont souvent des histoires de vie entière. Les pratiques des gens que j’ai rencontrés et que j’appelle « les modestes économes » sont pour la plupart mises en œuvre depuis qu’ils sont enfants.

Réparer un moteur de bétonneuse, monter un mur, faire des semis ou (re)coudre un vêtement… À la question « comment est-ce que tu sais faire ça », le discours qui revient régulièrement est : « j’ai pas appris, j’étais là », « j’ai toujours vu faire et puis j’ai fait ».

En fait, ces apprentissages permanents ont pris corps dans les socialisations primaires. Ils ne sont pas du tout formalisés en termes scolaires, mais passent énormément par le corps. Les personnes interrogées ont ainsi beaucoup observé les membres de leur famille faire.

À un moment, ils se sont mis eux aussi à faire, avec leur famille derrière pour corriger leur geste. On apprend, on essaie, on recommence et à la fin on y arrive – ou alors on se résout à chercher une autre solution sans que cela ne soit considéré comme un échec.

Ces apprentissages se font sans trop de distinction de genre dans l’enfance. Ils et elles sont devenus débrouillards parce qu’ils ont été socialisés à ces pratiques, c’est une continuité dans leur mode de vie. Évidemment, certains et certaines ont moins appris et cela peut se ressentir dans les différentes manières de se débrouiller, ainsi que dans des inégalités de genre réactualisées au cours des trajectoires.

Est-ce que ce sont les préoccupations économiques qui conduisent à faire autant que possible par soi-même ?

Ce sont des modes de vie contraints économiquement, mais qui restent fondés sur une certaine abondance. Quand on rentre chez les gens, il y a des objets partout. Outre cette abondance matérielle, il y a aussi beaucoup de liens d’entraide. La notion de privation est faiblement présente.

Il faut noter que tout ce qui est fait n’est pas uniquement utilitaire. Il y a aussi de la créativité, de la fierté, de l’ingéniosité et de l’inventivité. Le terme de débrouille est venu des personnes interrogées elles-mêmes. La débrouille s’oppose à la galère. Il y a une connotation positive à ce terme. « Se satisfaire de ce qu’on a », « faire avec les savoir-faire et les ressources qu’on a », qu’elles soient ou non monétaires, est transversal à ces modes de vie.

Pour faire tenir son budget par exemple, il y a cette idée de ne pas trop consommer sous fond de morale économique (c’est « mal » de se reposer sur la sphère marchande quand on peut s’en passer), de savoir vivre avec peu d’argent, car leurs parents le faisaient déjà.

Les pratiques des modestes économes reposent aussi sur un sens moral. Objectivement, ces modes de vie sont « écolos » dans la mesure où ils émettent peu de CO2. Mais pour elles et eux, ce n’est pas être « écolo » c’est « du bon sens ». Ce « bon sens économe », on le retrouve dans toutes les pratiques : « c’est normal de ne pas gaspiller », « de faire durer », « de faire attention à son argent ». Et il serait « mal » de ne pas faire comme cela. Il y a des continuités et ce qui compte pour elles et eux, c’est que la vie continue ainsi, sans volonté d’ascension sociale particulière.

Les personnes interrogées ont des contraintes matérielles et économiques, mais considèrent plutôt bien s’en sortir et vivre bien. Certaines n’auront peut-être plus d’argent à la fin du mois pour mettre du carburant, mais elles relativisent car elles peuvent compter sur le réseau d’entraide et sur leur stock de nourriture. Plein de pratiques s’entrelacent qui permettent que ces modes de vie tiennent bien.

Le fait de se débrouiller influe-t-il sur le rapport au travail rémunéré ?

Complètement. Le temps accordé au travail rémunéré passe après le temps accordé au travail de subsistance. On inverse le paradigme : plutôt que de « travailler pour payer toutes les dépenses », on se dit qu’on a besoin de temps pour mener à bien toutes les activités qu’on a à faire : faire son bois, son potager, cuisiner… Ce temps est systématiquement jaugé. « Est-ce que ça vaut le coup de travailler de manière rémunérée pour acheter un stère de bois, ou est-ce qu’il vaut mieux que je le fasse moi-même au regard du temps que cela me prend et des compétences que je possède ? » Ce calcul-là est verbalisé par certains et certaines, chez d’autres c’est plus incorporé, mais il y a l’idée de prioriser le temps à soi et chez soi.

Les modestes économes vont aussi plutôt travailler pour répondre à des besoins particuliers. L’argent gagné est « marqué » : il va servir à des dépenses spécifiques. Certains et certaines vont jusqu’à calculer l’argent dont ils ont besoin par an pour vivre bien. Le nombre d’heures travaillées est calculé par rapport aux dépenses. On est loin de l’idée de travailler le plus possible pour gagner le plus d’argent possible.

Il y aussi cette impression, en travaillant dans des jardins en chèque emploi-service (Cesu) par exemple, d’avoir un travail indépendant et de s’extraire de la condition salariée précaire. Une partie des gens interrogés ont bossé à l’usine, étaient mal payés, ont subi des pollutions, se levaient très tôt… Grâce à cette économie domestique mise en place, ils peuvent vivre avec moins d’argent et mettent en place des formes de travail qui leur donnent une certaine liberté.

Bien que leurs pratiques soient fondamentalement sobres, vous pointez le rejet par ces mêmes personnes de « l’écologie dominante », notamment des « écogestes »…

L’écologie dominante, c’est principalement le discours qui incite à être écocitoyen et à faire des écogestes, comme couper l’eau quand on se brosse les dents ou éteindre la lumière derrière soi. Les modestes économes ne s’autodéfinissent pas comme « écolo » même si pour elles et eux, faire durer, ne pas jeter, faire son compost, récupérer l’eau pour la réutiliser, est quelque chose d’acquis depuis l’enfance.

Par exemple, les vêtements « abîmés » sont utilisés pour des travaux extérieurs et lorsqu’ils ne peuvent être plus portés, ils sont transformés en chiffons. Les emballages sont utilisés plusieurs fois, et compostés lorsqu’ils sont trop usés ou utilisés pour faire démarrer le feu.

Quand ils parlent d’écologie, ça va être pour certain·es une « écologie paysanne » tournée vers le respect de la terre : on ne met pas de pesticide dans la terre, car la terre nous nourrit et si on veut qu’elle nous nourrisse, il faut qu’on la respecte. Ils disent qu’ils ont toujours cultivé en « bio », mais sans l’appeler comme cela parce que c’est l’utilisation de pesticides qui n’est pas « normale ». Et ils se demandent pourquoi il faut apposer une nouvelle étiquette sur des pratiques qui existaient avant.

D’autres sont aussi critiques de l’écologie consumériste : « On dit que les voitures électriques sont mieux que nos vieilles voitures, mais il faut construire ces voitures ce qui demande de l’énergie, des matériaux, et on ne sait pas recycler ces batteries… » Ils n’y voient qu’un engagement de façade, une écologie « hors sol », alors qu’eux font de l’écologie pratique.

N’est-ce pas au politique de s’interroger sur ce que serait une « écologie de bon sens », qui apparaisse peut-être moins comme un repoussoir et puisse être davantage appropriée par chacun·e ?

L’écologie dominante n’est pas juste une écologie qui impose quelles sont les bonnes pratiques, c’est aussi une écologie qui moralise les classes populaires, qui dit qu’elles font mal en termes environnementaux et notamment à la campagne, qu’elles prennent trop leur voiture, qu’elles isolent mal leur maison… C’est aussi une écologie qui invisibilise ces pratiques.

Mon travail vise à attirer justement l’attention sur ces personnes-là qui font déjà énormément de choses. Leurs modes de vie, sans les romantiser, sont complètement viables dans le futur. Ce qui leur est transversal, c’est le fait de prendre soin : prendre soin de l’environnement, des objets, des gens autour de soi. Il faut que les politiques regardent du côté de ces modes de vie sobres ruraux qui existent depuis très longtemps. Ils ont tendance à réinventer ces modes de vie, sans s’intéresser à celles et ceux qui les pratiquent déjà.

“Lurra, etxebizitza eta elikadura elkar lotuak dira, bai problematikan, bai alternatibetan”
Estitxu Eizagirre
www.argia.eus/albistea/lurra-etxebizitza-eta-elikadura-elkar-lotuak-dira-bai-problematikan-bai-alternatibetan

Lurraren aldeko mugimenduak pilpilean dira munduan: borroka moldez eta helburuz anitzak dira, eta Ipar Euskal Herrian indar handia hartu dute, besteak beste, laborantza lurren salerosketa espekulatiboak geldiarazteko laborariek zein hiritarrek batera burutu dituzten okupazioek. Borroka ekosozial horiez hitz egin dute Ostia kolektiboko Joana Detchart eta Hartzea Lopez Adanek Egonarria saioan, Eli Pagola aurkezlearen gidaritzapean.

Lurraren aldeko borrokak han eta hemen pizten ari dira. Horregatik da baikorra Joana Detchart, “sendotu egin baita gure jendarte guztiaren baitan eta ene ustez gaur egun kezka handia da guztiontzako, belaunaldi guztien artean eta arlo guztietan aipatzen dugu. Nahiz eta beti ez den erraza elkarrekin antolatzea, Lurraren aldeko borroka buruan dugun gauza bat da”. Aldiz, Hartzea Lopez Adanek ezkor ikusten du egoera: “Zer ikusten dugu egunero? Gobernuak eta enpresek segitzen dute etekinaren eta pribilegioaren aldeko gurpil zoro horretan, nahiz hainbat seinalek erakutsi mundua gainbehera doala.

Kontsumo ereduak ez dira aldatzen, jendartearen gehiengoak jarraitzen dugu egunero kapitalismoari behar den dirua ekartzen. Eta jende gutxi mobilizatzen da Lurraren alde. Ekimenak ez dira batere aski datorkiguna frenatzeko”.

Lurraren Altxamenduak afera: Gobernuaren indar osoa mugimendu ekologistaren aurka

Lopez Adanek azaldu du Frantzian “ekologia erasokorrago bat” berpiztu dela Lurraren Altxamenduarekin. “Bere helburua azpiegitura kaltegarriak geldiaraztea da, praktikan. Horrek eskatzen du lekuetara joatea, ‘armagabetzea’ deitzen duten praktika martxan ezartzea (sabotajea egitea, azkenean), hori publikoki asumitzea eta mezua horren inguruan ematea”.

Baina mugimenduek indarra hartu heinean hazi da haien kontra Gobernuak erabili duen errepresioa. Lopez Adanen hitzetan, “aurretik zetorren jokamoldea jarraitu du azken urteetan Macronen gobernuak ere: errepresioaren sistematizazioa mugimendu sozialen kontra. Ikusi dugu Jaka Horien sekuentziarekin, aldirietan bizi diren gazteekin, erretreten erreformarekin, ekologismoarekin… Mehatxu islamistaren kontra sortu zen antiterrorismoa, baina horrek ez die lan gehiegi eskatzen, beraz, mugimendu ekologistaren inguruan fokatu dira. Dituzten baliabideak jarri dituzte: espioitza, armen erabilera, judizializazioa, manifestaldietan Poliziaren bortizkeria azkarra…”.

Lopez Adanek gaineratu du arazoa dela “halako talkak estatu afera bilakatzen direla: kontua ez da ikustea azpiegitura horrek zer kalte edo zer onura ekartzen dion jendarteari eta naturari, kontua da ‘estatua ekologisten kontra’ gisa planteatzea eta ea nork irabaziko duen. Beraz, Frantziako Gobernuak hainbat aferatan ez die ekologistei irabazten utzi nahi, printzipio batengatik: bere irizpidea, bere eredua eta bere lagunak babestea. Bai baitaki ongi, afera bat galtzen badu, horrek ekar dezakeela beste borroken hanpatze edo indartzea. Beraz, gatazka polarizatu egiten da eta bada errepresioa, politikarien eskuhartzea… Horretan gara egun frantses estatuan zenbait gaiekin. Bi munduen arteko ikuspegi edo borroka islatzen dute hainbat azpiegitura proiektuk”.

Frantziako Gobernua saiatu zen epaitegietan Lurraren Altxamenduak mugimendua desegiten, eta Detchartek baikor izateko beste motibo bat ikusten du afera horrek izan duen amaieran: “Zartada handia izan da frantses gobernuarentzat ikustea desegite hori ez zela legala eta ez zela egiten ahal. Anartean, mugimendu ekologista berriz indartu da”.

Laborariak eta kaletarrak batuta lurra, elikadura eta etxebizitzaren gai lokaletan

Detchartek adierazi du Ostia sarearentzat (Okupazio Sare Tematsua Irabazi Arte) lorpen handia izan dela laborariak eta herritarrak borroka berean batu izana: “Egun Iparraldean borroka handienak dira etxebizitza eta laborantza lurrak babestea, hau da, nola elikatzen garen eta nola espekulazio hutsa egiten den laborantza lurren gainean: dirua egiteko ebasten dira, ez dira batere tokiko jendearentzat. Hori aski argi ulertzen da. Eta borroka horretan jendea biltzen da: bai laborariak, baita hiriko eta herriko jende andana bat ere, laborantza lur horiek okupatzeko bai sinbolikoki babesteko, baina baita ere luzera begira lur horietan laborantza egiteko”. Lopez Adanek intuizio hau jaulki du: “Lurra, etxebizitza eta elikadura elkar lotuak dira, bai problematikan, bai alternatibetan”.

Detcharten ustez, ekologismoaren barruan dauden borroka molde anitzek posible egiten dute jende ezberdin gehiago batzea: “Erasokorrago izan nahi baduzu aukera duzu hori egiteko edo zure aliatuak atzemateko; edo nahiago baduzu sentsibilizazioa egin, pedagogian eta komunikazioan gauza zehatzak egiteko aukera duzu. Sabotajeak, okupazioak… bada gauza anitz, gaizki ikusiak direnak baina aldi berean zilegitasun handi batekin ikusiak direnak gaur egun”.

Lopez Adanek balioan jarri ditu Ipar Euskal Herrian gelditu arazi dituzten proiektuak: “Donibane Lohitzuneko Surf Park egitasmoa, AHTa bera (beti esaten dute hamar urtera lanak hasiko dituztela), 5G antena Donamartirin, Larrun mendi gainean atrakzio parkea… Urrunago joanez 2×2 autobidea Garazi eta Iruñea artean, ur mehatzeak Itsasu aldean… proiektu horiek guztiak gelditu dira mobilizazioari esker. Horrek esan nahi du badugula gaitasuna gauza batzuk oztopatzeko, beraz, bide horrekin jarraitu behar dugu, argi eta garbi”.

Detchartek Egonarria saioa hasi duen baikortasunarekin amaitu du, eta konbentzimenduz: “Nik beti baikor egon nahi dut, ez baikor izate hutsagatik, baizik, ez dugulako amore ematerik ahal”.

Martxoaren 12ko data azpimarratu dute saioa ixteko: “Epaiketa izango da Baionan, Ostiako lau kideren kontra, Kanboko Marienea eraikuntza proiektua dela-eta. Hitzordu garrantzitsua izan behar du”.