Les enjeux climatiques envahissent les tribunaux
Justine Guitton-Boussion
https://reporterre.net/Les-enjeux-climatiques-envahissent-les-tribunaux
Article
La justice climatique gagne du terrain. Un nouveau rapport, publié le 30 juin, révèle que le nombre d’actions en justice dans le domaine de l’environnement ne cesse d’augmenter partout dans le monde : plus de 1 200 cas ont été recensés depuis 2015, alors que « seulement » 800 cas avaient été déposés entre 1986 et 2014. C’est la période 2020-2022 qui a été la plus remplie : 475 cas ont déjà été recensés par l’Institut Grantham sur le changement climatique et l’environnement, de la London School of Economics [1].
Ces actions en justice prennent différentes formes : des ONG qui poursuivent des entreprises car elles émettent trop de gaz à effet de serre, des citoyens qui attaquent des États parce que leurs politiques environnementales ne sont pas assez ambitieuses… « Les litiges climatiques sont devenus un instrument utilisé pour appliquer ou améliorer les engagements pris par les gouvernements », écrivent les autrices du rapport, Joana Setzer et Catherine Higham.
« Les États ont produit des cadres législatifs, des plans climat qui proposent des stratégies nationales de réduction des gaz à effet de serre, rappelle à Reporterre Christel Cournil, professeure de droit public à l’Institut d’études politiques de Toulouse. Il y a donc forcément des citoyens ou des associations qui vont attaquer ces outils, pour discuter soit de l’objectif de réduction – est-ce assez ambitieux ? – soit de la mise en œuvre de la réduction – est-ce appliqué ? », continue cette membre du conseil d’administration de Notre affaire à tous, une association qui utilise le droit comme levier pour la lutte contre le changement climatique. [2]
Une majorité d’actions aux États-Unis
Selon la juriste, c’est la « décision Urgenda » qui a ouvert la voie à cette multiplication d’actions en justice : en 2015, le tribunal de la Haye, saisi par la fondation de protection de l’environnement Urgenda et 900 citoyens néerlandais, a condamné les Pays-Bas à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. De fait, depuis cette date, les actions en justice se sont multipliées partout dans le monde.
En France, le Conseil d’État (saisi par le maire de Grande-Synthe, Damien Carême) a estimé l’année dernière que les mesures climatiques prises jusqu’ici par le gouvernement n’étaient pas suffisantes pour réduire les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030. Il a enjoint le Premier ministre à prendre « toutes mesures utiles pour atteindre l’objectif issu de l’Accord de Paris ». Avec une échéance : le 31 mars 2022. Une nouvelle audience devrait bientôt permettre de faire le point.
Autre action en France : à la suite de « l’Affaire du siècle », le tribunal administratif de Paris a ordonné à l’État de prendre des mesures de réduction des émissions de gaz à effet de serre, d’ici à la fin de l’année 2022.
Mais c’est aux États-Unis que revient la palme du pays le plus fourni en actions en justice. Sur les 475 cas déposés entre 2020 et 2022, 321 l’ont été aux USA. « Ce n’est pas surprenant, cela est dû à leur société extrêmement procédurière, indique Christel Cournil. Les habitants saisissent les juges pour des tas de raisons. Les premiers contentieux climatiques ont démarré là-bas, il y en a eu ensuite en Australie, puis progressivement en Europe. »
Depuis deux ans, même si l’écrasante majorité des actions ont été déposées dans les « pays du Nord », les autrices du rapport de l’Institut Grantham ont également identifié 88 cas dans les « pays du Sud » moins riches : 47 en Amérique latine et dans les Caraïbes, 28 dans l’Asie du Pacifique, et 13 en Afrique.
Bataille contre les entreprises des énergies fossiles
« D’autres poursuites ont été intentées, cette fois contre les majors du carbone et des entreprises des énergies fossiles, en particulier en dehors des États-Unis au cours des douze derniers mois », remarquent les chercheuses. On peut par exemple citer les procédures lancées en Australie contre la compagnie gazière Santos. Les groupes Exxon, Eni ou encore Sasol sont également impliqués dans des contestations des décisions gouvernementales concernant l’exploration pétrolière et gazière en Guyane et en Afrique du Sud.
« Ces contentieux font avancer les lignes, notamment parce qu’ils sont très médiatisés », avance Christel Cournil.
En mai 2021, un jugement avait fait grand bruit : le tribunal de La Haye, saisi par Les Amis de la Terre Pays-Bas, a condamné le groupe pétrolier Shell à réduire ses émissions de CO2 de 45 % dans les dix prochaines années. « Cette décision a été regardée par les autres majors du carbone, comme Total en France, poursuit Christel Cournil. Désormais, quand elles rédigent un nouveau plan vigilance ou plan climat, elles gardent en tête l’idée qu’on peut discuter la qualité de ces plans. Il y a cinq ans seulement, ce n’était même pas envisageable. »
En 2020, un collectif d’associations et de collectivités territoriales ont justement lancé une action en justice contre le groupe français Total. L’objectif : qu’il réduise drastiquement ses émissions de gaz à effet de serre. Depuis quelques mois, les contentieux climatiques visent aussi les secteurs de l’alimentation, de l’agriculture, du transport et de la finance.
Une efficacité difficile à mesurer
Pour quelle efficacité ? D’après les autrices du rapport, en étudiant les affaires déposées en dehors des États-Unis, 54 % des résultats des affaires (245) peuvent être interprétés comme « favorables à l’action contre le changement climatique ».
D’après Christel Cournil, il est encore tôt pour se rendre compte des effets, positifs ou négatifs, de ces nouvelles actions en justice. « Ce qu’on constate aujourd’hui, sur les premières décisions rendues il y a deux ou trois ans, c’est que la discussion des juges au sein de l’espace politique a permis de faire progresser les objectifs de certains plans climat », précise-t-elle. En Allemagne par exemple, la Cour constitutionnelle a invalidé partiellement la loi sur le climat, estimant que certaines dispositions n’étaient pas conformes aux droits fondamentaux. Quelques semaines plus tard, le gouvernement allemand a produit un texte législatif plus ambitieux. « L’impact concret d’effectivité est encore difficile à mesurer aujourd’hui », nuance la juriste.
Tout porte à croire que le nombre de procès climatiques va continuer à augmenter dans les prochaines années. D’après les autrices du rapport, des nouvelles tendances sont à prévoir : des litiges axés sur la responsabilité personnelle, mais aussi des litiges internationaux portant sur la prévention et la réparation (dommages et intérêts) des conséquences du changement climatique.
10 idées reçues sur la sobriété des modes de vie (1/2)
Texte de Mathieu Saujot, chercheur à l’IDDRI, Sarah Thiriot, sociologue à l’Ademe
https://bonpote.com/10-idees-recues-sur-la-sobriete-des-modes-de-vie
Article
En 2020, Bon Pote présentait les 12 excuses de l’inaction climatique et les manières d’y répondre, sur la base d’un article scientifique qui a depuis touché une forte audience. Dans ce travail, 12 discours de délai, qui « acceptent la réalité du changement climatique mais justifient l’inaction ou des actions inadéquates », étaient identifiés et analysés.
Parmi les différents types d’actions à mener pour faire face au changement climatique, la question des modes de vie plus durables nous semble être particulièrement sujette à ce type de discours. Les réactions au concept de sobriété en sont un bon exemple. Celui-ci apparaît souvent comme un tabou qui peut être soit écarté soit dilué en jouant sur la confusion avec l’efficacité ou encore neutralisé en renvoyant vers la décroissance. On se trouve donc dans une situation où de plus en plus de déclarations politiques reconnaissent la nécessité de faire évoluer nos modes de vie, mais où des obstacles se présentent dès que l’on aborde concrètement les changements à mettre en œuvre.
Prendre en compte ces préoccupations et savoir y répondre
Faire ce travail d’identification des arguments de résistance au changement et des réponses possibles à apporter n’est pas seulement un enjeu de communication politique : il révèle des éléments sur ce que représente changer les modes de vie et ce qu’il faut mettre en œuvre collectivement pour que cela devienne possible, acceptable, souhaitable.
Les auteurs de l’article sur les 12 discours d’inaction climatique soulignent que ces derniers « s’appuient sur les préoccupations et les craintes légitimes (…) Nous soutenons qu’ils deviennent des arguments dilatoires lorsqu’ils déforment plutôt que de clarifier, soulèvent l’adversité plutôt que le consensus ou laissent entendre que prendre des mesures est un défi impossible. ».
Nous cherchons donc à répondre à ces arguments afin de progresser dans notre capacité à rendre possibles ces changements de modes de vie. Pour cela il nous paraît essentiel d’éclairer et orienter le débat avec les acquis et connaissances des sciences humaines et sociales.
1. Ces changements ne sont pas acceptables
Cet argument décrédibilise une action climatique qui passerait par des changements de modes de vie en considérant qu’ils ne seraient pas acceptables par la population. On pense généralement ici à changer sa mobilité, son chauffage, ses pratiques de consommation et alimentaire, sa manière de faire du tourisme, d’utiliser le numérique…
– Réponses possibles –
Inverser la charge de la preuve
Cet argument comme d’autres fonctionne car il évacue la situation actuelle et reporte totalement la charge de la preuve sur le projet de transition. Dire que ces changements ne sont pas acceptables fait passer implicitement l’idée que nos modes de vie actuels ne posent pas de question, et que seule la transition pose problème.
Or c’est bien évidemment faux. Nos modes de vie sont déjà associés à des choses qui, lorsqu’elles sont identifiées et dénoncées notamment par des ONG, suscitent des débats dans la société. Pensons par exemple à l’impact de ce que révèlent des associations comme L214 sur ce qu’impliquent concrètement pour le bien-être des animaux nos pratiques alimentaires actuelles, reposant sur la large disponibilité de produits animaux peu coûteux. Pensons également aux manquements de l’industrie textile en termes de droit social, par exemple avec l’effondrement d’une usine en 2013 à Dacca, causant plus de 1000 morts parmi les ouvriers et ouvrières. Cet événement a été associé à la pression qu’exerce sur la main d’œuvre le besoin de produire à faible coût dans une logique de fast fashion, ce qui renvoie in fine à nos pratiques vestimentaires. Et au quotidien, nos manières de nous déplacer, fortement dépendantes de la voiture thermique, impliquent un haut niveau de pollution de l’air dans les métropoles, au détriment de la santé de leurs habitants.
Évidemment, déplorer les impacts négatifs de nos modes de vie actuels n’équivaut pas à rendre acceptable tout changement futur. Mais cela doit permettre d’ouvrir la discussion sur une base équitable : nos modes de vie actuels ont leurs qualités comme leurs défauts, ils posent également des enjeux moraux et éthiques qu’il convient de mettre à jour. Cet examen rééquilibré incite à penser le changement. Les débats qu’il peut susciter au sein de la société sont certainement une voie de progrès.
Nos préférences sont malléables
Qu’est ce qui est inacceptable ? Le résultat ou les moyens ? Nous faisons souvent face à cette question : est-ce que la sobriété est acceptable ? Comme si on pouvait répondre de but en blanc face à un concept qui n’a rien d’évident.
Prenons un exemple : si par un bon matin pluvieux, tout d’un coup, vous tendez un vélo à votre voisin automobiliste invétéré pour réaliser les 5 kilomètres qui le séparent de son travail, il y a effectivement de fortes chances qu’il trouve cela inacceptable. Si ce même moment arrive après 6 mois où se sont succédés l’inauguration d’une nouvelle voie verte dans son village périurbain, le test d’un vélo électrique à son travail, un rendez-vous avec son médecin l’alertant sur sa trop grande sédentarité, une discussion avec ses enfants qui utilisent leur vélo sur leur lieu d’étude… (et l’achat d’un bon imperméable !) ; alors la réponse sera certainement différente.
Pourquoi cette variation ? Tout simplement car nos préférences, nos représentations de ce qui est possible, positif, désirable sont malléables, comme cela a été rappelé dans le récent rapport du GIEC[1]. Ces évolutions peuvent être stimulées par un ensemble de leviers dans les mains des décideurs politiques, des décideurs privés et des citoyens. Pour le vélo par exemple, le schéma ci-dessous et le dossier complet sur Bon Pote permettent d’identifier l’ensemble de ces leviers.
Le travail mené par l’Ademe autour de la prospective “Transition(s)2050” pour mettre en discussion ces choix de société auprès d’une trentaine de Français et Françaises est également riche d’enseignements. D’abord, il montre que l’on ne peut poser cette question de l’acceptabilité sans rendre concrets et préhensibles plusieurs futurs possibles. Il montre également que les scénarios activant davantage la sobriété ne sont pas moins acceptables que les scénarios qui parient sur d’importants déploiements technologiques pour préserver nos modes de consommation individuels.
Certes changer nos modes de vie, de consommation, de déplacement n’est pas sans poser de question, mais les faire perdurer au prix de technologies lourdes soulève également tout un ensemble d’incertitudes aux yeux des citoyens. Cela rejoint l’idée d’aller au-delà du terme d’acceptabilité pour mieux comprendre ce qui se joue derrière ce terme : la désirabilité des scénarios, leur faisabilité et enfin les conditions de réalisation nécessaires à leur mise en place.
2. Ces changements sont socialement injustes
Cet argument s’inscrit dans la logique des critiques contre une écologie dite “punitive”. Elle s’appuie sur une forme de simplification : la transition se ferait par principe au détriment des plus vulnérables, et notamment quand on cherche à réorienter les comportements et les modes de vie. L’exemple de la taxe carbone, réel (voir ces travaux qui montrent l’impact inégalitaire et notre article sur la question), permet alors de disqualifier l’ensemble du projet de transition.
– Réponses possibles –
Des inégalités bien réelles… mais le plus souvent indépendantes de la transition
Encore une fois, cet argument a tendance implicitement à rejeter sur les porteurs de la transition les inégalités et problèmes sociaux actuels. La crise des Gilets jaunes, qui a notamment mis en exergue la dépendance à la voiture et la vulnérabilité aux prix du carburant (problème identifié par la recherche dès les années 2000-2010, avant que la taxe carbone ne soit mise en place), le mal-logement et la lutte contre les passoires énergétiques (voir le collectif Rénovons), et l’alimentation avec les enjeux de précarité et d’insécurité alimentaire qui touchent des millions de Français.e.s (voir le récent rapport de 7 chercheur.e.s sur la question) montrent que nos sociétés sont déjà tiraillées par des inégalités et des souffrances sociales. Le premier vecteur d’inégalités n’est pas la transition, mais bien les politiques actuelles et ce que les politiques passées ont créé.
Dans ce contexte, s’il est important de s’interroger sur les potentiels impacts négatifs de la transition, celle-ci peut aussi être vue comme une source de solutions. De fait, , les travaux de recherche sur les modes de vie durables et les propositions associées adoptent de plus en plus une approche mettant au cœur de leur réflexion les enjeux de justice sociale, d’équité et d’égalité. Ils partent du principe qu’il faut s’assurer des besoins de base pour tous avec les concepts de « social floor », de « basic needs », de « social threshold », qui dessineraient un cadre vecteur de progrès pour les plus modestes. Ces travaux pointent également que les efforts les plus importants seront certainement du côté de ceux qui aujourd’hui ont les revenus les plus élevés et de facto consomment plus et émettent plus. Le cas de l’avion est emblématique car une minorité de la population représente la majorité des vols, ce qui fait qu’une mesure comme une taxe qui croît avec la fréquence de vol impacterait avant tout les plus aisés. Pour un bon résumé de ce que dit la recherche sur la question de l’équité dans la transition des modes de vie, voir cet article.
De nouveaux cadres d’actions publiques à construire
Penser la transition de manière à ce qu’elle n’impacte pas les plus vulnérables et qu’elle soit au contraire un progrès social est évidemment essentiel et peut aussi être exploré au niveau sectoriel. Concernant l’agriculture et l’alimentation, il faut à la fois penser les évolutions des filières, le revenu des agriculteurs et les ménages les plus contraints, ce qui implique d’anticiper les politiques publiques nécessaires. Sur cet exemple, des solutions existent et peuvent être mises en place. Ce n’est donc pas un défi impossible.
Au-delà des idées reçues
Il est également crucial d’aller au-delà des idées reçues entourant ces questions d’inégalités. Par exemple, contrairement à une vision où l’alimentation durable serait l’apanage de publics aisés et diplômés, on observe que les publics modestes expriment un intérêt pour une alimentation saine, de qualité et durable et ne sont pas absents des tendances de consommation, comme celle du bio. L’enjeu crucial se situe donc davantage dans le besoin d’inclusion et de cohésion dans la façon de concevoir, présenter et mener le projet de transition, ce qui peut prendre des formes très concrètes notamment au niveau local (voir par exemple le projet « Territoires à vivres » ).
Enfin, encore une fois, il faut faire attention au « deux poids, deux mesures » : personne, par exemple, ne s’est alarmé du potentiel surcoût impliqué pour les ménages modestes par le développement rapide de la 5G, alors que la téléphonie mobile est aujourd’hui un prérequis pour être inclus dans la vie sociale, économique, professionnelle pour tout un chacun, y compris pour les plus contraints financièrement. C’est parce que nous sommes habitués à cette course à l’innovation, parce que les changements de nos modes de vie liés au numérique ont été incités et déployés par une multitude d’actions des acteurs publics et privés (voir La numérisation du monde, F. Flipo, 2021) que cette dynamique du numérique ne pose pas de question.
Les problèmes d’inégalités sont cruciaux et de nombreux travaux cherchent à les résoudre dans le cadre de la transition, cette question ne peut se résumer à l’idée d’une “écologie punitive”, clivage que les français sont prêts à dépasser.
3. Cela menace nos libertés
Les mesures écologistes vont restreindre nos capacités à consommer, à nous déplacer. Ce sont des intrusions inacceptables dans notre vie privée. On retrouve ici les termes de Khmer verts, de dictature écologique…
– Réponses possibles –
Libres… dans un cadre très contraint
Commençons par un paradoxe : « tout le monde est libre mais tout le monde fait la même chose ! ». Dit autrement, nos vies sont largement régies par des cadres qui organisent et structurent fortement nos vies : infrastructures, offres de produits et de services, organisation du temps, normes sociales et imaginaires, réglementations… C’est d’ailleurs ce qui explique qu’il y a une importante régularité de nos modes de vie : on parle ainsi de mode de vie occidental, français ou périurbain par exemple. Cela ne veut pas dire que chacun ne trouve pas un peu de marge de manœuvre pour développer son propre style de vie, mais cela se traduit dans un cadre partagé prépondérant, qui relativise l’idée d’une totale liberté de nos modes de vie.
De plus, la liberté considérée dans ces discours est avant tout celle de consommer, or ce n’est qu’une de nos libertés. Évidemment les débats soulevés par la crise sanitaire et les mesures impactant nos libertés, comme ceux concernant la liberté de la presse dans un contexte de concentration économique (ce qui a motivé une commission d’enquête du Sénat), plaident pour avoir une vue d’ensemble sur la préservation de nos libertés. Pensons notamment au travail de François Sureau sur nos libertés publiques.
Par ailleurs, notre liberté de consommer elle-même est bridée par l’offre existante : aujourd’hui personne n’est libre d’acheter une voiture low cost sans électronique, elle n’est tout simplement pas produite ; on ne peut pas non plus se passer des outils numériques ; et faire réparer les objets de son quotidien n’est pas toujours possible. Elle est aussi orientée par la publicité, qui nous enferme dans des stéréotypes et des représentations datées et nous dépeint un imaginaire que nous ne sommes en moyenne pas en capacité d’acheter. Qu’il s’agisse du marronnier des “sports d’hiver”, largement couverts par les journaux télévisés alors même que seuls 10% de la population les pratiquent, de l’idéal de la maison individuelle ou de l’achat d’une voiture neuve… Quelles sont les marges de manœuvre et les libertés des Françaises et Français, et notamment ceux ayant des revenus modestes, pour se conformer aux représentations véhiculées dans la publicité et les médias ?
Changer ces représentations de manière cohérente avec les crises environnementales est un enjeu essentiel et cette évolution n’implique pas forcément une perte de liberté (voir par exemple le récent rapport EPE). Et rappelons que la publicité dispose de moyens très importants, bien supérieurs à ceux des politiques publiques dont on questionne pourtant l’aspect liberticide. En 2014 par exemple, le budget de communication publique sur la nutrition et la santé s’élevait à 4 millions d’euros quand l’investissement du secteur de l’alimentation dans les médias atteignait 2,4 milliards d’euros, qui plus est fortement orientés vers la publicité des aliments pauvres, nutritivement déconseillés par ce programme. Dans le secteur automobile, au niveau mondial, c’est plus de 35 Md$ qui sont dépensés en publicité, dont 5 Md$ au total pour la France, l’Allemagne et la Grande-Bretagne.
Pour le dire de manière directe : aujourd’hui personne n’est libre d’avoir une vie sobre car appartenir à la société nécessite la consommation de certains biens et services indispensables (communiquer, se déplacer…) et car l’organisation qui produit ces biens et services n’est pas sobre.
Réécrire nos histoires collectives
L’évolution de nos normes sociales relativise également en partie ce questionnement sur notre liberté de désirer et de choisir. Les normes sociales actuelles, fruits de l’histoire et de conventions, sont autant un ciment de notre vie collective que des contraintes sur nos pratiques quotidiennes (ex. “un bon repas de famille doit inclure de la viande” ; “une personne respectable ne se déplace pas en vélo”). On peut de ce fait voir la transition vers de nouveaux modes de vie comme une redéfinition collective de ce qui est désirable et positif[2], chose que l’humanité fait en permanence, de manière plus ou moins explicite. Comme Y. N. Harari l’explique, le propre de l’humanité est de croire collectivement dans les histoires qu’elle se raconte, et ces histoires changent.
Enfin, le fait de concéder, à l’Etat et à nos concitoyens, une part de nos libertés dans le cadre d’un contrat social est le ciment de nos vies collectives. C’est d’ailleurs un des résultats de l’enquête ADEME sur les modes de vie menée dans la prospective “Transition(s) 2050” : les citoyens interrogés perçoivent bien l’enjeu de la réduction de la liberté de consommer. Mais, pour eux, la consommation n’est pas la pratique cardinale derrière l’idée de liberté. In fine, ce qui compte le plus à leurs yeux relève de l’organisation de la vie sociale, tout particulièrement de la prise en charge des inégalités et de la capacité à influer sur son futur ou celui de son territoire. La transition écologique réactualise le besoin de se poser ces questions : que sommes-nous prêts à donner et à recevoir, en termes de droits et de devoirs, dans le cadre d’un nouveau contrat social nous permettant de rester dans les limites de la planète ? Et que deviendraient nos libertés dans un monde frappé par un lourd changement climatique ?
4. La puissance publique n’est pas légitime pour agir sur nos modes de vie
Selon cet argument, la puissance publique sortirait de son rôle en cherchant à transformer nos modes de vie pour la transition. Cela irait à l’encontre de l’idée d’un individu libre et responsable. Dans un contexte économique mondialisé, marqué par des discours sur la régulation par le marché lui-même, l’action de la puissance publique étatique serait également inadaptée.
– Réponses possibles –
Un rôle légitime de chef d’orchestre de la vie collective
Cet argument peut constituer un obstacle (ou une excuse à l’inaction) pour les décideurs politiques. Prenons l’exemple de l’agriculture : étant donné que la puissance publique n’est pas légitime pour agir sur la demande de viande ou n’en est pas capable, une politique de réduction de la production de viande ne serait pas souhaitable car elle conduirait à renforcer des importations moins disantes sur le plan environnemental (la demande restant fixe). Cet argument, qui délégitime l’action sur la demande, devient bloquant pour mettre en œuvre l’évolution de l’offre.
Dans la section précédente “Cela menace nos libertés”, nous expliquions que les cadres collectifs sont prépondérants pour organiser nos modes de vie. La puissance publique, et en particulier l’État, n’est pas le seul acteur à agir sur ce cadre de référence, qui est mû par l’ensemble des acteurs de la vie sociale : entreprises, médias – sociaux ou non –, mouvements citoyens, artistes, acteurs financiers, etc. Mais elle y joue un rôle particulier, celui de chef d’orchestre, en tant que garante de l’intérêt général et du « vivre ensemble ». Ainsi, une politique publique par définition vient encadrer les pratiques ou les modes de vie afin de permettre à un groupe d’individus de vivre ensemble.
Si la puissance publique est légitime à agir sur les modes de vie, la question de son périmètre d’intervention est un objet constant de débat dans les sociétés démocratiques, et ne doit pas être interrogée de façon « hors sol », mais contextualisée : ce qu’on va considérer comme étant une action publique légitime dépend des convictions et des valeurs de chaque citoyen, mais aussi des principes au nom desquels l’État justifie son intervention dans tel ou tel champ et des modalités d’action (quelles politiques publiques sont mises en œuvre).
Débattre des façons d’agir
Ce sont donc autant les fins que les moyens qui peuvent être objets de discussion. Le tableau ci-dessous répertorie 8 philosophies pour agir sur les modes de vie, auxquelles sont associées une diversité de parti pris idéologiques, qui se traduiront ensuite dans les politiques mises en œuvre. Cela nous semble être une base utile pour débattre démocratiquement des moyens de mise en œuvre de la transition. Par exemple, pour un même enjeu (par ex. la mobilité), les citoyens pourraient considérer qu’agir par la taxe carbone est moins acceptable qu’agir par la réglementation.
Le débat démocratique, comme l’a illustré la Convention Citoyenne pour le Climat, est alors utile pour identifier les moyens d’actions qui paraissent légitimes et équitables.
Puiser dans les exemples historiques
Un retour historique est également utile pour battre en brèche cette idée : F. Trentmann dans sa magistrale histoire de la consommation montre que l’histoire regorge d’exemples d’intervention de l’Etat sur nos modes de consommation, que ce soit dans l’alimentation, nos pratiques d’épargne (ex. incitation très forte à l’épargne au Japon pendant le développement post 2ème guerre mondiale), notre mobilité… Aux États-Unis par exemple, après la Seconde Guerre mondiale, l’État doit écouler les surplus de son agriculture ; il développe alors l’idée d’un bon repas pour tous les enfants, en tant que service public délivré à l’école, et affecte ainsi directement des millions d’enfants.
L’arrivée de Nixon au pouvoir sonne la fin de ce dispositif : la mesure est transformée en une seule aide aux plus pauvres, puis privatisée ; on s’éloigne alors de l’idée d’un repas sain, et les fruits et légumes sont progressivement remplacés par produits plus gras, plus sucrés, préparant ainsi des générations de consommateurs à ces pratiques alimentaires. Pour l’historien, l’État ne peut tout simplement pas dire « je ne peux rien faire, le consommateur est souverain ».
5. Il faut sauvegarder nos modes de vie actuels
Ce discours renvoie à l’idée selon laquelle nos modes de vie actuels seraient les plus progressistes et développés qui soient. Il renvoie largement à une représentation qui perçoit le développement de notre société comme une trajectoire linéaire, évidente, où développement économique et social sont intimement liés au progrès technique. Ainsi on va retrouver dans certains scénarios l’idée que le fort développement des solutions technologiques pour atteindre la neutralité carbone permettra de sauvegarder les modes de vie du début du XXIème siècle. Cet argument repose implicitement sur l’idée que nous serions à une sorte d’âge d’or de nos modes de vie, et qu’ils mériteraient donc d’être préservés.
– Réponses possibles –
Serions-nous à un âge d’or des modes de vie ? Chacun, selon sa génération, a sa propre nostalgie d’une époque et d’un mode de vie en particulier, ce qui n’empêche pas que les modes de vie évoluent en permanence. L’évolution récente la plus marquante est évidemment la place que le numérique a pris dans notre vie quotidienne et dans l’organisation de la société. Communiquer, s’informer, se divertir, consommer, s’éduquer… ont évolué sur un laps de temps court. Aurions-nous dû sauvegarder nos modes de vie d’avant le numérique ?
Le fait de figer ainsi la société dans ses modes de vie actuels conduit à tout faire reposer sur les changements technologiques et la transformation de l’économie pour atteindre la neutralité carbone. Ce raisonnement ignore donc le fait, bien établi notamment par la sociologie des techniques, que l’évolution des technologies conduit inévitablement à des changements de mode de vie : la technique et le social étant interdépendants, ce sont des coévolutions. Pensons à la façon dont 70 ans de développement automobile ont façonné nos territoires, notre rapport à l’espace (ex. je vis dans un espace périurbain étendu connecté par les infrastructures automobiles) et au temps (ex. “c’est à combien de temps”, sous-entendu “en voiture”).
Cela est aussi vrai avec l’évolution de nos systèmes économiques (nouveaux emplois, organisation du travail, place de l’État et du marché…) : par exemple, la révolution industrielle a conduit à l’émergence d’une population ouvrière nombreuse dans les villes, la transformation progressive du monde agricole (chute du nombre de paysan, concentration des parcelles) et une évolution forte des paysages (remembrement).
Sur la période 1980-2000, la mondialisation et la numérisation de l’économie ont entraîné une tertiarisation de l’économie française et une polarisation du marché du travail (multiplication des formes d’emplois), une métropolisation du territoire français et des pratiques de déplacement accentuées dans les modes de vie valorisés (avion, tgv, voyage dans une capitale européenne sur le week-end…).
(…)
AZKEN KRISIA. GURE GARAIA!
Euskal Herriko Topaketa Ekologistak
www.itsulapikoa.eus/eu/proiektuak/azken-krisia-gure-garaia-euskal-herriko-topaketa-ekologistak
Article
Krisi sozio-ekologikoa erdigunean jarri eta horri aurre egiteko jauzi kualitatibo eta kuantitatibo bat eman nahi dugu. Topaketen helburua da hemendik aurrerako irtenbide dinamikak eta estrategiak planteatzea.
Portugalete, irailak 30 – urriak 1 eta 2 Euskal Herriko Topaketa Ekologistak antolatzeko dirubilketa.
Azken krisi energetiko-materialak, bioaniztasunaren seigarren suntsitze masiboak eta beroketa globalak bete-betean kolpatzen dute Euskal Herria ere. Krisi sakona eta luzea da, baina konponbide anitz daude mahai gainean. Konponbide horiek gauzatzeko elkartu beharra dugu.
Deialdi hau zabaldu dugunok Euskal Herriko jendarte zabala gara –herri mugimenduetako kideak, akademikoak, nekazariak…–, baina kezka eta premia bera partekatzen dugu: krisi sozio-ekologikoa erdigunean jarri, eta krisi horri aurre egiteko jauzi kualitatibo eta kuantitatibo bat eman beharra dugu.
Topaketa zabal batzuk antolatu nahi ditugu, gure jendartea goitik behera zeharkatuko dituen gai garrantzitsuenetako batzuez solasteko –faxismoaz eta krisi ekologikoarekin duen harremanaz, prezioen igoeraz, geopolitikaz, ekofeminismoaz, lanaz eta krisi orokorraz…–, eta baita hemendik aurrerako irtenbide dinamikak eta estrategiak planteatzeko ere, jauzi horren abiapuntua bilaka daitezen.
Orain zuen laguntza behar dugu topaketen antolaketak dakartzan gastuei aurre egiteko. Horregatik jo dugu finantzaketa kolektibo hau martxan jartzera.
Bestalde, ekarpena egingo duzuen guztiok ordainsari bat jasoko duzue trukean (kamiseta edo poltsa). Irailaren 30tik urriaren 2ra bitartean Portugaleteko topaketera joango zaretenoi eskertuko genizueke ordainsaria bertan jasotzea. Gainontzekoekin jarriko gara harremanetan.
Amaitzeko, garrantzia bera eman nahi diogu AZKEN KRISIA. GURE GARAIA Topaketa ekologistaren deialdi eta mezuari. Hauek zabaltzea ere, laguntzea da.
Hauxe delako garaia eta topaketok mugarri izan daitezen nahi dugulako, zure kolaborazio ekonomikoa ere behar dugu, eta hori da kanpaina honen asmoa.