Rénovation énergétique : les lobbys du BTP ont eu la peau de la réforme
Lucie Delaporte
www.mediapart.fr/journal/ecologie/180324/renovation-energetique-les-lobbys-du-btp-ont-eu-la-peau-de-la-reforme
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Le « choc de simplification » dans la politique de rénovation énergétique, pour lequel ont œuvré les acteurs du BTP, est en réalité un immense recul. Retour sur les derniers mois d’un lobbying qui a vidé de sa substance une réforme ambitieuse.
C’est ce qui s’appelle une erreur de diagnostic. Fin décembre 2023, persuadé que la politique de rénovation énergétique des logements était enfin lancée sur de bons rails, le collectif Dernière Rénovation, connu pour ses actions coup de poing dans l’espace public, annonçait qu’il cessait d’exister. « On a fait d’un sujet plutôt technique, la rénovation, un thème de société et une priorité des politiques publiques », déclarait Pierre Taïeb, l’un de ses porte-parole.
L’annonce d’une hausse de 1,6 milliard de ce budget 2024 – pour atteindre plus de 4 milliards d’euros dédiés à cette politique – et une réorientation des aides vers de la rénovation efficace avaient donné au collectif de jeunes militants le sentiment d’avoir gagné la bataille.
Trois mois plus tard, c’est pourtant tout l’édifice de cette réforme de la politique de rénovation énergétique – que certains désignent comme « le chantier du siècle » – qui a vacillé, en raison d’une série de décisions qui ramènent cette politique plusieurs années en arrière, au temps de ses balbutiements.
Avec 12 millions de Français·es qui vivent en situation de précarité énergétique, un secteur du bâtiment qui pèse 20 % des émissions de gaz à effet de serre et 40 % de la consommation d’énergie, l’urgence d’adopter une politique ambitieuse est pourtant autant sociale qu’écologique.
Le lobbying des représentants du BTP, avec celui des fabricants de pompes à chaleur, a lourdement pesé dans le recul du gouvernement. En quittant le bureau de Christophe Béchu, le 15 février dernier, le ministre de la transition écologique, ils comprennent qu’ils ont eu la peau de la réforme.
« Quand on est sortis, on dansait sur les tables », raconte une proche d’Olivier Salleron, le puissant patron de la Fédération française du bâtiment.
Comment en est-on arrivés là ? Retour sur les mois de pression qui ont conduit le gouvernement à battre en retraite.
Des aides versées pour des travaux inefficaces
Le 5 juin dernier, Élisabeth Borne avait présenté son « plan logement » après les travaux du Conseil national de la refondation (CNR) qui a conclu à la nécessité de passer la vitesse supérieure. La première ministre d’alors avait affirmé : « La rénovation énergétique des bâtiments est l’un des piliers de notre planification écologique. »
Dans la foulée, Christophe Béchu, ministre de la transition écologique, avait donné les nouvelles orientations d’une politique qui s’est contentée ces dernières années de beaucoup de saupoudrage d’aides pour des travaux de très faible efficacité. En effet, malgré le succès apparent de MaPrimeRenov’, lancée en 2020 et qui a affiché 700 000 « rénovations » en 2023, très peu de travaux se sont révélés efficaces. Selon le dernier rapport de la Cour des comptes, ces rénovations globales ne représentent qu’« environ 3 % des surfaces rénovées ».
MaPrimeRenov’ finance en effet pour l’essentiel des « monogestes » – un changement de chaudière, de fenêtres – qui isolément ne permettent pas de faire de réelles économies d’énergie. L’absurdité du dispositif étant que ces « gestes » inefficaces sont beaucoup plus aidés qu’un parcours de rénovation complet et cohérent. Et que, même accumulés dans le temps, ils n’arrivent jamais à la même efficacité. Un énorme gâchis pour les finances publiques.
Après des années de tâtonnement, le gouvernement a opté pour une réorientation profonde de sa politique, qui devait prendre effet début janvier 2024.
Construite avec les acteurs du secteur, les spécialistes de la rénovation énergétique notamment, elle favorisait enfin les travaux performants (sur plusieurs postes coordonnés : murs-fenêtres, toiture, système de chauffage…) et mettait un coup de frein aux « monogestes ». Elle proposait aussi des aides financières substantielles pour les ménages les plus modestes – jusqu’à 70 000 euros – et imposait aussi un suivi des chantiers par un « accompagnateur Rénov’ » indépendant, financé là encore en fonction du niveau de revenus des ménages.
Surtout, elle portait à plus de 4 milliards d’euros le budget alloué à cette politique en ajoutant 1,6 milliard à l’enveloppe précédente.
Dans son sévère bilan de la politique du logement, la Fondation Abbé Pierre accordait en février son seul bon point à ce changement de cap. « MaPrimeRénov’ en 2024 prend la bonne direction : une aide accrue aux ménages modestes, pour des rénovations performantes et accompagnées », se félicitait Christophe Robert.
Les perspectives d’emploi dans le secteur pour les années à venir étaient prometteuses. Pour le BTP, confronté à une très grave crise, la rénovation énergétique des logements, largement subventionnée, aurait pu être une aubaine. Avec la hausse des taux d’intérêt, conjuguée à l’envol du coût des matériaux, la construction neuve est à l’arrêt depuis un an. La rénovation aurait pu prendre le relais.
Opération détricotage de la réforme
Tous les éléments semblaient ainsi réunis pour que le BTP soutienne la montée en charge d’une rénovation énergétique enfin efficace. C’est pourtant tout le contraire qui se passe. Les représentants du bâtiment, la Fédération française du bâtiment (FFB) – 50 000 entreprises adhérentes – et la Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb) craignent que la réforme, par les nouvelles contraintes qu’elle impose aux chantiers, ne plombe cette activité « de secours ». Ils vont donc se démener pour la plomber. Quitte à scier leur planche de salut. La fin des aides faciles sonne en effet comme une menace pour ces acteurs assez peu engagés sur les enjeux écologiques.
« Cela fait des années qu’ils se sont habitués à simplement changer des fenêtres ou des chaudières avec des fortes subventions. La filière n’a toujours pas fait sa mue vers la rénovation énergétique efficace », résume un expert de la rénovation énergétique.
En fixant des objectifs ambitieux mais sans s’en donner les moyens, le gouvernement a aussi, soulignent les acteurs du BTP, fragilisé leur écosystème. « Imposer un “accompagnateur Rénov’” alors qu’il n’y en a pas sur le terrain, cela bloque tout. C’est un goulot d’étranglement », assure Jean-Christophe Repon, président de la Capeb. Idem pour la nécessité de réaliser un diagnostic de performance énergétique (DPE) préalablement à la réalisation de travaux : complexe lorsque les diagnostiqueurs, qui croulent sous les demandes, imposent des mois de délais.
Pour détricoter la réforme qui doit entrer en vigueur au 1er janvier, les représentants du BTP ont ainsi fait le siège des différents ministères concernés par cette politique (Bercy, la transition écologique, le logement) durant l’automne. Les chiffres avancés donnent des sueurs froides à Bercy. La crise du bâtiment est une bombe à retardement pour l’économie française. La FFB prévoit 150 000 suppressions d’emplois dans les deux années à venir, et 300 000 sur l’ensemble de la « filière du bâtiment » (promoteurs, notaires, etc.).
Alors qu’Élisabeth Borne, qui a marqué un certain volontarisme sur la rénovation énergétique, est sur la sellette, et que le remaniement se prépare, le lobbying du BTP s’intensifie. Les victoires politiques des agriculteurs, en tout cas de la FNSEA, après leurs actions de blocage, donnent même des idées aux représentant du BTP, qui font savoir qu’ils ont le moyen de paralyser le pays. « On n’a pas de tracteurs mais on a des grues qui font 36 tonnes », menace Olivier Salleron, patron de la fédération, sur BFM, le 8 février dernier. « Peut-être qu’elles vont se poser au printemps sur quelques périphériques ou sur quelques ronds-points. » Puis il s’emporte : « Il va falloir simplifier, je vous dis pas… à coups de hache ! »
Après moult échanges avec les cabinets ministériels, une réunion est donc organisée le 15 février avec la FFB et la Capeb chez Christophe Béchu, en présence du nouveau ministre du logement, Guillaume Kasbarian. Nommé par un Gabriel Attal qui a promis un « choc de simplification », celui-ci est bien connu pour n’avoir aucune appétence pour les questions écologiques et être résolument « pro-business ». Il vient d’ailleurs de céder au lobby immobilier en remettant artificiellement sur le marché 140 000 passoires thermiques. Un nouvel allié dans la place.
Ce jour là, le très libéral nouveau ministre du logement Guillaume Kasbarian ne tarde pas à donner un contenu précis à la « simplification » du secteur en reprenant la liste de courses des représentants du BTP. Leur victoire est totale.
Derrière cette souplesse à tous les étages, un gaspillage massif d’argent public et une inefficacité garantie quant aux objectifs de décarbonation.
Au menu, le retour à tout ce qui ne marche pas : des monogestes (changer juste ses fenêtres ou sa chaudière), un allègement de toutes les contraintes en termes d’accompagnement (et donc de contrôle qualité). Un DPE n’est même plus nécessaire pour réaliser des travaux simples.
Dans le guide des aides de l’Agence nationale de l’habitat (Anah), qui distribue MaPrimeRénov’, on trouve même cette curieuse disposition : il suffit désormais de rénover 25 % de l’ensemble de ses fenêtres et 25 % de ses combles, en plus de son système de chauffage, pour pouvoir être comptabilisé en rénovation « performante/d’ampleur » et toucher près de 40 000 euros. Un schéma qui fait tousser tous les spécialistes tant il est absurde.
Les fabricants de pompes à chaleur ont aussi beaucoup manœuvré ces dernières semaines pour faire sauter les verrous qui les empêchent d’écouler leurs stocks. Il devient à nouveau possible d’installer des pompes à chaleur dans des passoires thermiques, une aberration dénoncée de longue date puisqu’elles sont techniquement inaptes à chauffer ces surfaces.
Derrière cette souplesse à tous les étages, un gaspillage massif d’argent public et une inefficacité garantie quant aux objectifs de décarbonation.
Le coup de grâce vient de Bruno Le Maire, quelques jours après l’accord sur la « simplification » de cette politique. Il annonce retirer 1 milliard au budget de MaPrimeRénov’, arguant que ces crédits ne seraient pas dépensés. Dans l’attente de la réforme, beaucoup de ménages se sont dit qu’ils attendraient six mois pour bénéficier de plus d’aides, et Bercy peut aisément arguer d’un recul du nombre des dossiers déposés en 2023 pour justifier sa décision.
« Si on veut casser toute dynamique, rien de mieux que ce stop-and-go », se désole la députée écologiste Julie Laernoes, autrice d’un rapport sur la rénovation énergétique à l’automne avec la députée Renaissance Marjolaine Meynier-Millefert. « Lorsqu’on supprime et le bâton et la carotte, on peut dire qu’il n’y a plus de politique publique sur la rénovation énergétique », lance celle qui n’a jamais été reçue, malgré ses demandes, par aucun des ministres chargés de cette politique pour parler de son rapport.
La FFB a voulu flatter les bas instincts de sa base en tenant un discours primaire antinormes.
Un expert de la rénovation énergétique
« Il faut de la stabilité durant au moins deux ou trois ans pour que la filière s’adapte. En réformant la réforme au bout de six semaines, on peut se demander si on arrivera jamais à faire de la rénovation performante », avance, dépité, Vincent Legrand, président de Dorémi, entreprise sociale et solidaire spécialiste des rénovations globales.
Dans une tribune au Monde, un collectif d’associations – Fondation Abbé Pierre, négaWatt, CLER-Réseau Effinergie… – a fait part la semaine dernière de ses « graves inquiétudes » quant aux récents reculs gouvernementaux. Tous les regards se tournent donc vers les acteurs du BTP, pour leur lobbying aux effets pour le moins paradoxaux.
« La FFB et la Capeb n’ont pas arrêté de dire qu’elles n’étaient pas prêtes pour des rénovations globales, que les objectifs du gouvernement n’étaient pas tenables. À la fin, on en arrive à moins 1 milliard, c’est vraiment de leur faute ! », peste un expert de la rénovation.
Pour lui, le patron de la FFB s’est comporté « comme un homme politique qui a voulu flatter les bas instincts de sa base en tenant un discours primaire antinormes ».
Selon Danyel Dubreuil, coordinateur du CLER-Réseau pour la transition énergétique, les atermoiements du BTP sont difficiles à comprendre. « C’est pourtant leur marché principal dans les années à venir. Quand est-ce qu’on prend le virage ? »
Le Livret A va-t-il financer la relance du nucléaire ?
Aurélie Blondel
www.lemonde.fr/argent/article/2024/03/27/le-livret-a-va-t-il-financer-la-relance-du-nucleaire_6224397_1657007.html
Article
Alors que le Livret A et son petit frère le LDDS enchaînent les bonnes et les très bonnes collectes depuis plusieurs années, la question d’élargir les activités que cette épargne réglementée pourrait financer se pose.
Plébiscité sans relâche ou presque par les épargnants depuis plusieurs années, le Livret A est face à un « problème de riche » : que faire de tout cet argent ?
La cagnotte se monte à 420 milliards d’euros. Elle frôle même les 650 milliards avec les encours du Livret de développement durable et solidaire (LDDS) et du Livret d’épargne populaire (LEP), selon les chiffres publiés le 20 mars par la Caisse des dépôts et consignations (CDC). A la faveur de la surépargne des années Covid, puis de la hausse des taux de rémunération de ces trois livrets réglementés en 2022 et 2023, le montant des sommes qui y sont placées a crû de plus de 40 % depuis début 2020.
Elles ne dorment pas. Pour chaque euro déposé, une part est conservée par la banque (40 % pour le Livret A et le LDDS, 50 % pour le LEP), qui doit notamment l’utiliser (hors argent du LEP) pour prêter à des PME, financer la transition énergétique et la réduction de l’empreinte climatique, ainsi que l’économie sociale et solidaire. Le reste est « centralisé » à la CDC, dans le fonds d’épargne.
Celui-ci disposait fin 2023 d’un encours d’épargne réglementée de 370 milliards d’euros, auxquels s’ajoutent 16 milliards de fonds propres. L’argent était utilisé à hauteur de 202 milliards « seulement » sous forme de prêts, surtout pour le logement social et la politique de la ville, le reste était pour l’essentiel placé en obligations et actions.
Réflexions en cours
De quoi contribuer à financer, via des prêts du fonds d’épargne à EDF, la relance du nucléaire voulue par Emmanuel Macron ? Eric Lombard, le directeur général de la Caisse des dépôts, y est clairement favorable, il l’a expliqué à plusieurs reprises. « Nous participons aux réflexions sur les modes de financement (…). Il faudra des prêts à quatre-vingts ans, ce qui pour les fonds d’épargne ne pose pas de souci », a-t-il confirmé le 21 mars lors de la présentation des résultats annuels du groupe, interrogé par Le Monde.
« Nous n’avons aucun souci sur notre capacité à financer de nouvelles activités, les disponibilités du fonds sont très abondantes. » Autrement dit, les nouveaux crédits ne déshabilleraient pas le logement social.
Il n’empêche, la présidente de l’Union sociale pour l’habitat (qui représente les bailleurs sociaux), Emmanuelle Cosse, invite à la prudence : « Je ne formulerai pas d’inquiétude sur le niveau de la ressource. Mais il faudrait qu’EDF accepte les conditions des prêts du fonds d’épargne, des règles différentes des nôtres ne seraient pas acceptables. Or, il se dit qu’elle souhaiterait des taux moindres et fixes. »
« Surtout, le Livret A, c’est deux cents ans de construction de la confiance avec les particuliers, on ne peut risquer de détourner une partie des Français. Moi, j’ai un Livret A, si demain il sert à financer le nucléaire, je le ferme », poursuit l’ancienne secrétaire nationale d’Europe Ecologie-Les Verts, admettant être « peut-être un cas à part ».
Le Livret A vaut désormais près de 420 milliards d’euros
- Lombard, lui, ne doute pas de l’acceptabilité de la mesure par les ménages, « nos concitoyens ont compris » que la nécessaire décarbonation de l’économie rendait la relance du nucléaire indispensable, pense-t-il. « J’avais évoqué cette possibilité lors de mon audition au Parlement [début 2023] et il n’y a pas eu d’opposition à ma nomination », souligne-t-il en outre.
Le baromètre annuel publié par l’Autorité de sûreté nucléaire suggère une évolution du rapport au nucléaire des Français, avec 46 % de sondés se déclarant favorables fin 2022 – un niveau record selon l’ASN. « Certes, les Français sont divisés sur le nucléaire, mais on peut être pro nucléaire sans souhaiter que le financement passe par le Livret A », nuance la députée écologiste-Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Haute-Garonne) Christine Arrighi, autrice d’une proposition de loi visant à interdire le financement du nucléaire par ce biais.
Outil de base de l’épargne
Le texte, déposé en septembre, n’a pas encore été inscrit à l’ordre du jour à l’Assemblée, mais elle juge qu’il pourrait faire l’objet d’une certaine adhésion : « Les Français ont une relation ancienne avec le Livret A, ce serait une rupture de confiance de l’engager sur le terrain du nucléaire. »
« Armement ou nucléaire, je note qu’on ne donne jamais la parole aux épargnants », déplore de son côté Loïc Daguzan, président de l’association de consommateurs Indecosa CGT Paris. Allusion aux tentatives en cours de parlementaires de flécher une part de l’argent du Livret A vers le financement des entreprises françaises de la défense.
L’économiste Philippe Crevel, fondateur du Cercle de l’épargne, ne croit pas que la façon dont les fonds du Livret A sont utilisés puisse affecter la collecte : « C’est l’outil de base de l’épargne, les Français regardent surtout son taux. Ils ne choisissent pas de placer sur le Livret A parce qu’il finance le logement social, d’autant que ce mécanisme reste peu connu. » Selon un baromètre récent de l’Autorité des marchés financiers, les ménages sont en effet rares à citer des critères non financiers parmi leurs objectifs de placements.
Délais de construction
« Aujourd’hui ce sont les centrales, demain ce sera quoi ? », s’interroge néanmoins Jean-Philippe Gasparotto, secrétaire général de la CGT du groupe CDC, refusant qu’une brèche s’ouvre. « Les besoins sont du côté du logement social. Le fonds d’épargne n’a pas assez de projets à financer ? La Caisse doit favoriser les conditions d’émergence des projets, être plus proactive. »
Il craint en sus « un aléa lié au temps pouvant s’écouler entre le financement et la livraison du projet : c’est cinq ans pour un logement social, mais bien plus pour un EPR. Faire peser ces délais sur le Livret A n’est pas raisonnable. »
Dans une étude sur l’épargne réglementée, la Cour des comptes elle-même avait taclé l’idée fin 2022 : « Si la durée et le niveau de risque de [tels prêts] peuvent correspondre aux caractéristiques de stabilité des ressources de l’épargne réglementée, la CDC n’a aucune connaissance de ce secteur très technique (…), fortement capitalistique et éloigné de son savoir-faire. »
La balle est dans le camp du ministre de l’économie, Bruno Le Maire. Car le code monétaire veut que les emplois du fonds d’épargne, hors logement social, soient fixés par Bercy. « Nul besoin de loi », note M. Gasparotto. Or, si le ministre, par crainte notamment de créer un « problème de lisibilité sur le rôle du Livret A et du LDDS », n’est pas favorable au financement de la défense par ces livrets, les réflexions sur le financement du nucléaire par ces derniers sont « toujours en cours » à Bercy.
Livret A et financement de la défense
Deux fois en 2023, le Conseil constitutionnel a retoqué des articles fléchant une part de l’épargne du Livret A et du Livret de développement durable et solidaire (LDDS) « non centralisée » − les fonds gérés par les banques, cette fois − vers le financement des entreprises françaises de la défense, notamment les PME. La mesure n’avait pas sa place dans les textes législatifs dans lesquels elle figurait. Ne déposant pas les armes, des parlementaires ont donc déposé des propositions de loi spécifiquement consacrées au sujet.
Celle du sénateur du Calvados Pascal Allizard (Les Républicains) a été votée en première lecture au Sénat le 5 mars. Celle du député de la Charente-Maritime Christophe Plassard (Horizons) n’a pas encore été examinée en séance publique à l’Assemblée nationale. Le ministre de l’économie n’est pas favorable à cette approche, il prône plutôt des solutions visant à soutenir l’investissement en fonds propres dans ces entreprises. « Un travail est mené en ce sens, en associant les parlementaires intéressés », précise son cabinet
‘On nous traitait d’utopistes’ : l’expérience réussie d’une ferme bio en coopérative
Augustin Campos
https://basta.media/on-nous-traitait-d-utopistes-experience-reussie-ferme-bio-cooperative
Article
Arboriculture, brebis, épicerie, boulangerie, herboristeries… Dans la Drôme, la ferme bio des Volonteux a misé sur le collectif et la diversité des activités. En Scop, elle fait travailler 22 personnes sur une petite surface.
Au premier coup d’œil, elles semblent là pour le décor, les 80 brebis broutant entre les pêchers et les poiriers dégarnis, à proximité du jardin pédagogique. Mais en réalité, elles ont une mission dans l’écosystème de la ferme bio des Volonteux, installée dans un coin de plaine en périphérie de Valence, dans la Drôme. Une mission qui demande chaque semaine plusieurs heures de travail, afin de déplacer et nourrir cet élevage pourtant non « rentable ».
Aujourd’hui, à l’orée du printemps, elles iront débroussailler une nouvelle parcelle, non loin des rangées bleutées de poireaux, derrière les très angulaires serres arboricoles. Surtout, dans cette coopérative aux nombreuses activités, brebis, agneaux et vaches fournissent du fumier pour les cultures.
Rémy
Le fondateur de la coopérative des Volonteux, Remy Léger, est en charge de l’élevage et de l’arboriculture. L’homme qui a été éducateur, charpentier ou encore bûcheron a retrouvé en 2009 la terre de ses grands-parents, dont il aimerait désormais partager la gérance et la propriété avec ses collègues entrepreneurs-salariés.
« Cet élevage n’est pas un outil de production, mais il fait partie du cercle vertueux de la ferme et nous permet d’être quasi autonomes sur la partie fumure pour nos cultures », dit Rémy Léger, l’énergique fondateur de la coopérative agricole, qui exploite en fermage depuis 2009 la trentaine d’hectares de terres familiales. « On n’en tire aucun bénéfice en apparence, mais en réalité c’est du gasoil et du temps d’utilisation du tracteur en moins, et à la fin, ça se quantifie », complète David, pépiniériste installé sur la ferme depuis neuf ans.
Ici, l’élevage côtoie entre autres l’arboriculture, le maraîchage, la pépinière, les céréales et la boulangerie, l’épicerie ou encore la fripe. Dix entrepreneurs-salariés et douze salariés au régime des 35 heures – entre 15 et 20 postes équivalent temps plein selon les périodes – composent cet écosystème fragile mais pérenne, et garant d’une protection sociale pour tous ses membres.
Égalité salariale
Le principe de l’égalité salariale prime. Tous et toutes, associés ou salariés, commencent à la ferme au Smic, avec une prime de 20 euros mensuels en plus par année d’ancienneté pour les seuls associés. Les associés, qui ne sont pas aux 35 heures et font souvent des semaines de plus de 50 heures, ont aussi droit à l’équivalent de 300 euros de nourriture par mois sur tout ce qui est vendu dans l’épicerie. Les salariés bénéficient d’un panier par semaine de fruits et légumes de la ferme.
Diversité
Au sein de la coopérative, il arrive régulièrement que les salariés d’un pôle alternent avec un autre, selon les besoins du moment. « Je ne connais pas beaucoup de boulots agricoles avec une telle diversité d’activités », assure Charles, un trentenaire salarié du pôle arboriculture, ancien employé de l’Office français de l’immigration et de l’intégration en région parisienne.
Au sein de cette ferme établie sur 30 hectares de terres, la diversification et la complémentarité des activités sont aussi vitales. Occupé à rempoter du thym, David, entrepreneur-salarié, est un convaincu de la première heure de la nécessité de ce modèle égalitaire et pluriel. « Il n’y a pas si longtemps, on nous traitait encore d’utopistes, et aujourd’hui on se rend compte que même les plus gros éleveurs porcins de la Beauce, qui ont 1000 hectares, mais qui n’arrivent parfois pas à s’en sortir, commencent à regarder nos modèles en disant : comment vous faites pour fonctionner à plus de 20 salariés sur 30 hectares ? C’est la diversification qui permet ça ! »
Ségolène, Alex et Romain
Ségolène, Alex et Romain travaillent souvent ensemble. Les trois s’accordent à dire que « le fait d’être à plusieurs c’est important, car c’est quand même plus marrant d’être à trois à quatre pattes dans les carottes que tout seul ». Payé·es au salaire minimum, les trois bénéficient aussi des paniers de légumes à volonté, « un avantage non négligeable » pour Romain.
Établie dans la serre bi-tunnels voisine, équipée d’ouvrants qui s’activent au gré de la chaleur ou du vent, la pépinière en est un bel exemple. Lancée en 2017, elle n’est pas rentable, mais joue cependant un rôle primordial : elle permet d’essayer les nouvelles semences et de renforcer l’autonomie de la ferme. Aujourd’hui, l’activité, qui repose principalement sur la vente de plants aux particuliers et les visites pédagogiques, fournit un quart des plants de l’activité maraîchage. À terme, elle devrait en assurer 80 %. « C’est un maillage de différentes activités interdépendantes », précise David, qui parle avec enthousiasme « d’économie circulaire ».
Face aux nombreux aléas, notamment climatiques, auxquels est confronté un monde agricole ayant manifesté sa colère et son inquiétude comme rarement ces dernières semaines, Rémy, l’inépuisable gérant et responsable des pôles arboriculture et élevage, est convaincu de la nécessité de développer ce type de modèle, qui aspire à l’autonomie. « Cette organisation sociale et cette diversité de pratiques amènent une résilience économique, dans un monde hostile économiquement et qui va devenir de plus en plus dur écologiquement », explique l’agriculteur, qui s’appuie sur le modèle ancien des fermes polyculture élevage du début du 20e siècle. Une organisation économique et sociale inspirante pour cette âme motrice dans la coopérative. Lui qui, dans son large sweat à capuche gris, il y a encore 15 ans, ne connaissait l’agriculture qu’à travers l’expérience de ses grands-parents paysans.
Une épicerie, une boulangerie, un tiers-lieu
« Ce que je trouve intéressant dans la structure coopérative c’est de ne pas être centré uniquement sur l’agriculture. Mes grands-parents me racontaient que les vanniers italiens venaient faire les chaises, d’autres laver le gros linge, et les gens du coin chercher les légumes et le fromage. Cela créait une raison d’exister localement », explique Rémy. Il déplore « le manque de soutien économique à ce type de structures, et notamment de la Politique agricole commune européenne », dont la coopérative ne perçoit que « 3000 euros par an ».
« Une résilience économique dans un monde hostile économiquement »
L’esprit de ses grands-parents transparaît dans la coopérative avec l’herboristerie, lancée il y a moins de deux ans, la fripe, lieu d’échange de vêtements de seconde main ouvert en 2020, et le tiers-lieu, créé il y a quelques mois, qui accueille conférences, ateliers et concerts – et « qui n’aura que peu de charges ».
Alex
Alex, apprécie « la dimension politique de la ferme ». « Il y a encore des choses qui fonctionnent en rodage, qui sont encore en construction, les discussions à plusieurs qui prennent du temps, mais malgré tout j’aime bien cette idée d’efforts », assure-t-il.
Romain
Comme beaucoup ici, Romain, salarié, rappelle que les métiers agricoles « pourraient être plus valorisés ». Il se souvient quand il s’est rendu compte, pendant le Covid, que « son métier avait vraiment du sens », et « qu’on voyait les entrepreneurs ici qui faisaient des heures monstrueuses avec un salaire misérable par rapport à des chefs d’entreprise qui brassaient de la caillasse et qui se sont mis à télétravailler ».
Depuis 2011, l’épicerie est le gage de stabilité de la structure. Elle est comme le cœur de la ferme. Cet « outil autonome » destiné à « créer de la performance », selon Rémy, propose des prix accessibles tout en générant 60 % des 1,3 million d’euros de chiffre d’affaires de la ferme. « La vente sur place d’une grosse partie de notre production, ça n’a pas de prix », lâche Malcolm, comptable associé de la ferme.
Dans la continuité du magasin, un imposant hangar abrite les tracteurs, le moulin à farine, des caisses de carottes récemment cueillies et, au fond à droite, le discret fournil de la coopérative. Florent, 34 ans, paysan-boulanger, s’occupe des 15 hectares de céréales bio – dont de nombreuses variétés anciennes – et de la boulangerie. La journée, épaulé par une salariée, il moud le grain et pétrit le pain qui, après avoir reposé toute la nuit dans la chambre froide, sera cuit le lendemain matin et vendu à l’épicerie à partir de 9h.
Une Scop qui investit
La totalité des investissements dans le fournil depuis qu’il a été créé s’élève à une « centaine de milliers d’euros », d’après Rémy. Avant l’installation récente de la chambre froide et du four électrique, le pain arrivait en milieu d’après-midi. Un problème en zone périurbaine. Pour y remédier, la capacité d’investissement de la Scop a joué un rôle déterminant dans l’amélioration des conditions de travail et de commercialisation. La clé : la mutualisation des moyens matériels (tracteurs, outils, serres, pelleteuse, etc.), financiers, et des investissements, qui régit le fonctionnement de la coopérative.
Technologie
Avant, le week-end, une personne devait matin et soir ouvrir puis fermer les serres. Aujourd’hui, ce n’est plus nécessaire grâce aux cinq serres équipées d’ouvrants qui s’activent au gré de la chaleur ou du vent. Rémy Léger, le gérant, indique « qu’ici, on n’est pas hyper branchés tech, mais en même temps, s’il y a des outils qui existent pour nous faciliter notre travail, on doit les utiliser ».
« On baisse la charge individuelle de l’activité grâce à la mutualisation, et une fois que la coopérative tourne, on crée une capacité à investir qui est bien supérieure à une personne seule », détaille Rémy. Car les circuits de commercialisation, les terres, le bâti, les systèmes d’irrigation, les outils de production, etc., sont déjà là. Lancer une activité, ou la reprendre, est alors plus facile. « Si j’avais eu un projet de boulangerie comme celui-là, il aurait fallu que je mette 200 000 euros sur le tapis, que je fasse des emprunts, et que je passe un diplôme agricole, que je n’ai pas », raconte, lucide, Florent, les mains dans le pétrin. Avant de reprendre l’activité d’un ancien associé il y a trois ans, ce jeune père a vu « plusieurs boulangers seuls avoir du mal et devenir aigris ».
Vente directe
L’épicerie, cœur de la ferme, « fonctionne très bien, car on offre du légume, du fruit, du pain, du frais, et puis il y a le conseil en herboristerie et le conseil sur les plans, cela créé assez de choses variées qui permettent aux gens de s’y retrouver », indique Malcolm, le comptable associé de la coopérative.
Le nouveau bâtiment en bois consacré à l’autonomie énergétique, qui vient tout juste d’être construit pour un coût total de 400 000 euros, est un autre exemple de cette capacité de financement rendue possible par la mutualisation. Mais le cheminement vers la mutualisation de toutes les ressources de la ferme a été long et éprouvant. Avant 2019, chaque activité payait un loyer et une contribution, et les moyens de production et de commercialisation étaient communs.
« C’est une lutte au quotidien de dire : pensons différemment, n’allons pas au plus facile »
Pas le reste. Salaires, décisions d’embauche et d’investissements : chaque entrepreneur-salarié décidait seul.
« On ne mettait pas son nez chez les autres, et la réalité c’est que, s’il y avait un gros trou, ce qui est arrivé, c’est le collectif qui payait, raconte Rémy, marqué par les deux années précédant cette réforme de la coopérative. C’était un peu aberrant. » Une période qui a vu cinq associés quitter le navire, pour certains avec fracas.
Mutualisation totale
Depuis, une charte a été signée, consacrant la mutualisation totale, y compris des embauches. « Cela demande énormément de confiance dans les autres, notre travail on le fait au plus juste pour nous tous », juge David, le pépiniériste. « C’est un risque que prend la ferme en intégrant une nouvelle activité. On doit savoir que tout ce qu’on fait pèse aussi sur toute la ferme, et donc avoir une vision plus globale de l’ensemble », complète Charlotte, 41 ans, associée en charge de l’herborister
Florent
Pour Florent, le boulanger, père d’un petit garçon, « c’est une chouette expérience ces salaires équitables, mais aimerait bien se payer plus en tant qu’entrepreneurs, car pendant la saison, les moissons, quand il y a les semis, la préparation des terres, et quand c’est Noël qu’il faut remplacer les copains on fait des grosses journées. Et alors, 10 heures, ça devient une petite journée ».
Aujourd’hui pour devenir associé, après une période de trois mois de découverte, il faut passer par un an de « contrat d’aide au projet d’entreprise ». Pendant cette période, le nouvel entrant ne perçoit pas de revenus et alterne entre les pôles d’activité, afin d’acquérir une vision globale de la coopérative, d’évaluer la compatibilité des projets, des visions et des valeurs. Mais les associés-entrepreneurs touchent 10 000 de la ferme à leur départ de la coopérative (s’ils partent après cinq dans dans la ferme, période minimum d’installation espérée), pour valoriser après-coup cette année de travail non rémunéré. Il faut également contribuer au capital à hauteur de 5000 euros, récupérables là aussi après cinq ans. Ces garanties sont nécessaires pour pérenniser l’harmonie de la coopérative, qui n’a rien d’une évidence.
« C’est une lutte au quotidien de dire : pensons différemment, n’allons pas au plus facile, résume Rémy, en perpétuelle quête d’amélioration, à propos des débats et remises en question régulières qui traversent la ferme. Ce modèle capitaliste dans lequel on a grandi ces 150 dernières années, il est tellement envahissant dans chacun de nos actes, qu’on en est fortement imprégnés. » Les mains fourrées dans la terre aux côtés de ses collègues Ségolène et Romain, tous trois salariés trentenaires, Alex loue cet idéal égalitaire : « Malgré des choses qui sont encore en construction, j’aime bien cette idée d’efforts, d’essayer de faire une mini société au sein d’une ferme et de la rendre la plus juste possible. »
Bestaldera begira
Ula Iruretagoiena
www.argia.eus/argia-astekaria/2865/lurraldea-eta-arkitektura
Article
Eta arkitektoen burbuilean, krisi klimatikoaren gaineko kezka igartzen al da? Galdetu dit agroekologoak.
Eraikuntzaren sektorea CO2 emisioen portzentaje altuaren eragilea izanik, galderak zentzua badu. Naomi Klein-ek Honek dena aldatzen du liburuan kontatzen du nola hegazkin batek aireportu-pistako bero tenperaturagatik aireratu ezinik, bidaiariek hegazkinez aldatu eta potentzia handiagoko hegazkin batekin bidaia hartu zutela, eta gure krisiarekiko harremana anekdota honek jasotzen omen du: hegaldiaren beharrezkotasunaz galdetu beharrean, hegaldiak bere bidea egiteko mugimenduak egiten ditugula, eta jarrera honek ez duela krisia onartzen eta beraz bestaldera begiratzea dela. Eraikuntzaren praktikan teorizazio asko ageri da klimaren fenomenoekin eraikitzeko eta naturalizazio bideak eraikin eta kaleetan barneratzeko. Aldaketak argiak dira arautegi teknikoetan energia aurrezpenerako teknikak eta teknologiak betearazteko beharragatik, edo eraikuntzen eta kaleen “krisialdirako egokitzapena” lan iturri bilakatu delako. Baina “eraikuntzaren hegaldiak” berdina izaten jarraitzen du. Eraikina merke eta azkar egiteko aldarrietan oinarritzen bada, bestaldera begira gauden seinale.
Gero eta arkitekto talde gehiago dago manifestu etikoen barne lan egiten duena; gutxi eraiki, berreraiki, ez-eraiki edo deseraiki estrategietan lerrokaturik, arkitekturaren kontrako lerrokatzea baino, arkitektura eta krisiaz arduratzeko topaleku oparoa dela sinistuta. Biomaterialetan eta eraikuntza hondakinen berreskurapenean lan handiak egiten ari dira, eraiki behar izatekotan, baliabideen kudeaketak testuinguruaren ezaugarri propioak jasotzeko sikiera.
Planteamendu erradikalagoak ere entzuten dira: bost urtean eraikin berri gehiagorik egingo ez bagenu? Edo hormigoia erabiltzeari utziko bagenio, nolako arkitektura egingo genuke? Agian horrela hegaldiko zenbait bidaiarik bidaiaren beharrezkotasunaz eta bidaia egiteko beste moduetan pentsatzeko geltokia egingo genuke.