Le concert de louanges et d’applaudissements qui a accompagné le vote de l’Accord de Paris a été tellement fort qu’il a presque conduit à oublier l’essentiel. Le contenu de cet Accord trahit le mandat de la COP21, qui était de contenir le réchauffement climatique au dessous de +2°C. A l’inverse, l’Accord de Paris nous mène tout droit vers une augmentation de la température moyenne du globe de plus de +3°C. Cette différence d’un degré -et sans doute bien plus- serait une catastrophe pour l’humanité, puisqu’elle nous mènerait à franchir des seuils conduisant à un dérèglement incontrôlable et irréversible du climat. Cette différence d’au moins un degré aura des conséquences tragiques en terme de montée et d’acidification des océans, de multiplication des événements climatiques extrêmes telles que les cyclones, sécheresses, canicules, précipitations intenses, inondations, pénuries d’eau potable et d’aliments, centaines de millions de migrants etc.
L’Accord de Paris est le reflet cruel du manque de rapport de forces actuel du camp voulant empêcher la déstabilisation du climat et construire une transition sociale et écologique juste et ambitieuse. Il doit nous inciter à mettre les bouchées doubles en terme de mobilisations, de construction de réseaux et de mise en place de stratégies efficaces, dans les quelques années que nous avons encore pour gagner les batailles décisives (désinvestissement des énergies fossiles, fin des subventions publiques à ce type d’énergies, blocage de certaines infrastructures et projets climaticides etc.) permettant d’éviter de franchir les seuils d’emballement climatique.
Vers les +3°C et sans doute bien plus !
Cet Accord est construit sur la base des engagements volontaires des Etats à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. Le total de ces engagements et leur effet sur le climat sont connus : ils nous placent sur une trajectoire de +3°C, et ont toutes les chances du monde de la dépasser car ces engagements ne sont ni contraignants, ni assortis de sanctions s’ils n’étaient pas tenus. Dès lors, on se doute bien que nous irons bien au delà des +3°C, et cela rend difficilement compréhensible l’enthousiasme soulevé par le fait d’inscrire dans l’Accord la volonté de ne pas dépasser les +1,5°C. Le besoin de se réjouir et d’applaudir doit être tellement fort que les mots ont plus de poids que les actes, même quand ils sont en contradiction complète avec ces derniers. Il faut savoir qu’avec l’effet d’inertie des gaz à effet de serre déjà émis au cours des dernières décennies, nous sommes déjà certainement en route vers un réchauffement inéluctable de +1,3°C. Il faudrait donc une révolution énergétique et climatique pour rester en dessous des 1,5°C, alors même que le minimum du minimum (par exemple commencer à parler des énergies fossiles, et des règles à établir pour en limiter l’extraction aux quantités compatibles avec la stabilisation du climat) n’est même pas contenu dans cet Accord. Même les objectifs de réduction d’émissions de gaz à effet de serre datés (par rapport à 2020 ou 2050 par exemple), précis et fixés par les scientifiques du GIEC n’apparaissent pas dans le texte de l’Accord et sont remplacés par des notions aussi vagues que « dès que possible ». Si les +1,5°C était réellement un objectif pris au sérieux, il faudrait également prendre de telles mesures radicales immédiatement, alors même que l’Accord de Paris ne rentrera en application qu’à partir de 2020.
On aurait pu imaginer qu’au vu de la gravité et de l’urgence du problème climatique, on arrache au moins dans cette COP21 la mise en place de mécanismes de révision -obligatoires et à la hausse- du niveau totalement insuffisant des engagements de réduction de gaz à effet de serre des Etats dans les plus brefs délais. Il n’en est rien, et le mécanisme de révision n’interviendra qu’à partir de 2023-2025, bien trop tard pour éviter de franchir à terme les +3°C.
Injustice climatique :
Le remplacement de l’objectif de décarbonisation par celui beaucoup plus ambigu d’objectif Zéro émissions nettes est dangereux. Il est imposé par ceux qui veulent que rien ne change, qu’on maintienne les mêmes modèles de production, de consommation, de transports, de production et de transformation de l’énergie, etc. fortement émetteurs de gaz à effet de serre, en misant sur d’improbables et nocives technologies de stockage et de séquestration, méthodes de compensation injustes et souvent inefficaces. Cette logique est porteuse de futures fragilisations, exploitations et aliénations des populations les plus pauvres et les plus vulnérables. L’exclusion de l’Accord des émissions de gaz à effet de serre -pourtant en croissance exponentielle- du transport international aérien et maritime s’inscrit dans la même fuite en avant irresponsable.
La justice climatique a également essuyé de sérieux revers dans l’Accord de Paris. Il n’y aura pas de financements additionnels pour les 100 milliards de dollars destinés aux pays du Sud et pour leur permettre d’atténuer leurs émissions de gaz à effet de serre et de se protéger des impacts (montée des océans, inondations, sècheresse, cyclones). Ces 100 milliards annuels ne sont pas inscrits dans l’Accord lui-même mais dans les décisions de la COP21 et pourront donc être remis en cause lors des prochaines COP, ce qui rajouté à cette absence de source additionnelle fragilise fortement ces financements. De plus le manque de précision concernant la nature même de ces financements qui peuvent n’être en grande partie que des prêts -et pas des dons- et l’absence de quantification précise du volet adaptation compromet gravement les moyens nécessaires pour protéger les pays du sud des conséquences dramatiques d’un dérèglement climatique auquel ils n’ont quasiment pas contribué depuis la révolution industrielle. Enfin, la reconnaissance juridique de la responsabilité historique des États du nord de la crise climatique -qui aurait pu ouvrir la voie à des indemnités et compensations pour les dégâts climatiques subis par les pays les plus pauvres- n’a pas été retenue dans la partie Pertes et dommages de l’Accord. L’injustice climatique reste donc totale.
Pour Alternatiba, rien n’est donc réglé avec la COP21, au contraire. La mobilisation citoyenne, les résistances, la construction d’alternatives, leur généralisation restent plus d’actualité que jamais. L’action de la société civile revêt même un caractère d’urgence si nous voulons préserver des conditions de vie civilisées sur terre. Les mobilisations du 12 décembre – le lettrage humain géant « Climate Justice Peace » sur Paris, l’action des Lignes Rouges, et le rassemblement sur le Champ-de-Mars devant la Tour Eiffel – doivent être le point de bascule vers une mobilisation d’une ampleur nouvelle pour relever le défi climatique. C’est le sens de la déclaration de l’État d’urgence climatique qui a été lancé ce samedi lors du rassemblement final au Champ-de-Mars. Alternatiba assumera ses responsabilités et apportera sa contribution à la bataille mondiale pour stabiliser au plus vite le climat, et pour mettre en place une justice climatique indispensable pour garantir une paix durable et des sociétés soutenables. C’est l’enjeu de la réflexion et du débat interne que nous menons aujourd’hui au sujet l’évolution de notre action à partir de 2016. Les conclusions en seront tirées lors de la Coordination européenne des Alternatiba que nous tiendrons à Bordeaux les 20 et 21 février prochain.