Articles du Vendredi : Sélection du 27 mai 2016

Energies fossiles: la Terre gagnera près de 10° si les réserves sont consommées (étude)

AFP
http://actu.orange.fr/societe/high-tech/energies-fossiles-la-terre-gagnera-pres-de-10-si-les-reserves-sont-consommees-etude-CNT000000p380r.html

ExxonMobil, première firme pétrolière au monde, assiégée de toutes parts sur le climat

Olivier Petitjean
http://multinationales.org/ExxonMobil-premiere-firme-petroliere-au-monde-assiegee-de-toutes-parts-sur-le

Se chauffer et s’éclairer moins cher : comment sortir de la précarité énergétique

Rachel Knaebel
www.bastamag.net/Aux-Mureaux-une-association-acompagne-les-habitants-pour-lutter-contre-la

« Evasion fiscale : BNP Paribas va t-elle enfin fermer ses filiales aux Iles Caïmans ?

Sophie Chapelle
www.bastamag.net/Evasion-fiscale-BNP-Paribas-va-t-elle-enfin-fermer-ses-filiales-aux-Iles

Le Sénat blanchit Oudéa : le procès de l’évasion fiscale doit avoir lieu

Attac France
https://france.attac.org/actus-et-medias/salle-de-presse/article/le-senat-blanchit-oudea-le-proces-de-l-evasion-fiscale-doit-avoir-lieu

« Sans la grève et les blocages, nous en serions encore au monde de Zola, de Dickens et du travail des enfants »

Christophe Bonneuil, historien des sciences, chargé de recherche au CNRS et membre du Centre Alexandre-Koyré.
www.bastamag.net/On-bloque-tout-force-des-sans-pouvoir

Energies fossiles: la Terre gagnera près de 10° si les réserves sont consommées (étude)

AFP
http://actu.orange.fr/societe/high-tech/energies-fossiles-la-terre-gagnera-pres-de-10-si-les-reserves-sont-consommees-etude-CNT000000p380r.html

Si l’homme utilise toutes les réserves connues de gaz, pétrole et charbon, la température sur Terre risque de gagner près de 10°C, un scénario qui pourrait se concrétiser dès la fin du 22e siècle au rythme actuel de consommation des hydrocarbures, pointe une étude parue lundi.

Le mercure pourrait gagner jusqu’à 9,5° en moyenne par rapport au niveau pré-industriel, dépassant de cinq fois la limite que la communauté internationale s’est fixée dans l’accord contre le réchauffement conclu sous l’égide de l’ONU en décembre à Paris, et rendant la planète plus invivable encore que les scientifiques ne l’anticipent déjà.

Dans la région Arctique – qui se réchauffe déjà deux fois plus vite qu’ailleurs – le thermomètre grimperait de 15 à 20°C, précise l’étude parue dans la revue Nature Climate Change.

Car la combustion de toutes les réserves d’énergies fossiles connues ajouterait dans l’atmosphère quelque 5.000 milliards de tonnes de gaz à effet de serre (GES), notamment de CO2.

Si notre consommation se poursuivait au rythme actuel, nous arriverions à cette situation (qui équivaut à dix fois les GES déjà émis par l’homme depuis les débuts de l’industrialisation) vers la fin du 22e siècle, avancent les chercheurs.

Les experts du climat du Giec, dans leur dernier rapport de 2014, avaient jusqu’ici retenu une hypothèse haute allant jusqu’à 2.000 milliards de tonnes de GES supplémentaires dans l’atmosphère. Un taux déjà synonyme d’impacts importants (hausse du niveau de la mer, sécheresses, canicules etc).

Pour rester sous 2°, il faut de fait s’en tenir à environ 1.000 milliards de tonnes de GES au total, selon l’ONU.

Mais pour les auteurs de l’étude, il ne faut pas écarter le scénario du pire.

« Il est pertinent de savoir ce que se passera si nous n’agissons pas pour freiner le changement climatique », explique à l’AFP l’auteure principale, Kasia Tokarska, de l’université de Victoria, au Canada.

De fait, il n’est pas encore garanti que les 195 pays ayant adopté l’accord de Paris parviennent à garder le réchauffement sous les 2°C.

Les négociateurs des Etats sont réunis depuis le 16 mai à Bonn, siège de la convention de l’ONU sur le climat, pour de premières discussions sur la manière de faire avancer l’application de l’accord, encore loin d’être opérationnel.

Jusqu’ici, les recherches faisaient état d’un réchauffement plus modéré une fois franchie la barre des 2.000 mds de tonnes de GES supplémentaires.

Mais selon cette dernière étude, qui a eu recours à des modèles climatiques récents, ces rapports surestimaient la capacité des océans à absorber les GES à partir d’un certain niveau de températures.

Ces modèles prévoyaient un réchauffement de 4,3 à 8,4°C, si toutes les réserves étaient consommées. Cette nouvelle étude annonce une fourchette de 6,4 à 9,5°C.

Or, outre les émissions d’origine humaine, il faudra aussi compter avec celles d’origine naturelle, préviennent les scientifiques: par exemple les gaz à effet de serre, surtout le méthane, issus du dégel des sols des zones arctiques. Dégel qui, au-delà d’un certain seuil de réchauffement, pourrait être impossible à stopper.

ExxonMobil, première firme pétrolière au monde, assiégée de toutes parts sur le climat

Olivier Petitjean
http://multinationales.org/ExxonMobil-premiere-firme-petroliere-au-monde-assiegee-de-toutes-parts-sur-le

Les documents d’archive montrent qu’ExxonMobil était consciente dès les années 1960 des risques liés à la combustion d’énergie fossile et à l’effet de serre. La major américaine, qui dispute à Shell le rang de première firme pétrolière au monde, non seulement n’a rien fait pour donner suite à ces alertes, mais elle a au contraire délibérément minimisé la menace, et continue aujourd’hui à faire obstacle à toute action ambitieuse pour réduire les émissions globales de gaz à effet de serre. Une attitude qui pourrait finir par rattraper ses dirigeants, du côté de ses actionnaires, mais aussi, et surtout, devant les tribunaux.

 

Les résolutions présentées par les militants du climat à l’Assemblée générale d’ExxonMobil ont toutes été rejetées, celle sur le « risque carbone » obtenant tout de même 38% des voix. Le PDG du groupe Rex Tillerson, a notamment déclaré que l’objectif de limiter le réchauffement des températures globales à 2ºC n’avait pas de base scientifique et que le monde continuerait à consommer des énergies fossiles que cela plaise ou non.

Ce 25 mai se tient l’Assemblée générale annuelle d’ExxonMobil, le géant américain du pétrole. Plusieurs résolutions à l’ordre du jour visent à mettre ExxonMobil face à ses responsabilités en matière de climat. Certaines, qui proposent la nomination d’un nouveau membre du conseil d’administration chargé de « représenter » la cause du climat, ou encore de cesser toute opération de fracturation hydraulique, n’ont virtuellement aucune chance d’être adoptée. Une autre résolution, en revanche – plus consensuelle car ne remettant pas en cause le cadre de gouvernance financier qui prévaut désormais dans les entreprises -, appelle ExxonMobil à mettre en place un reporting sur le « risque carbone » que feraient peser à long terme pour les actionnaires ses investissements dans le pétrole et le gaz.

Cette résolution a obtenu le soutien d’un millier d’investisseurs institutionnels, « dont les sociétés de gestion françaises Amundi, AXA IM, BNP IP, Natixis AM », comme le rappelle Novethic. Même s’ils admettent désormais les « risques du changement climatique », les dirigeants du groupe n’en ont pas moins tenté – en vain – d’empêcher le dépôt de cette résolution en arguant qu’elle n’avait rien à voir avec la gestion de l’entreprise et le rôle de ses actionnaires. Ils s’opposent aujourd’hui à son adoption, mais pourraient se voir désavoués.

Vers un procès du déni climatique ?

Au moins aussi inquiétantes pour ExxonMobil sont les procédures engagées par plusieurs juridictions américaines mettant directement en cause le rôle de l’entreprise dans le déni du changement climatique. Une série de révélations au cours des derniers mois a démontré que les dirigeants d’ExxonMobil étaient informés depuis des décennies des risques liés à la concentration de dioxyde de carbone dans l’atmosphère, mais qu’ils ont tout fait pour les taire. Pire encore : ils ont délibérément entravé toute volonté de régulation dans ce domaine, que ce soit au niveau national ou international.

Pourtant, dès le début des années 1960, Esso, ancêtre d’ExxonMobil avait déposé des brevets pour des moteurs électriques et des systèmes de réduction des émissions de CO2 des véhicules automobiles. Des documents datant des années 1970 montrent qu’Esso et Mobil étaient non seulement conscientes des implications potentielles de l’accumulation de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, mais qu’elles ont lancé des programmes de recherche sur le sujet, pour protéger leur avenir [1] Ces efforts ont été abandonnés au cours des années 1980, car risquant de remettre en cause la source même de la prospérité de l’entreprise : la consommation massive d’énergies fossiles. Ses dirigeants ont alors opté – aux côtés de toute l’industrie pétrolière – pour une stratégie concertée et systématique de déni de la crise climatique et de ses implications.

Obstructionnisme

Ce n’est qu’en 2008 que les dirigeants d’ExxonMobil se sont publiquement distanciés du climato-scepticisme, mais ils continuent, comme beaucoup de leurs pairs, à financer massivement des lobbys et associations professionnels qui entravent toute action ambitieuse en matière de climat (lire notre article Le double discours des grandes entreprises européennes sur le climat). L’ONG InfluenceMap a tenté l’exercice de cartographier l’action obstructive – généralement indirecte – des majors comme ExxonMobil en matière climatique. Selon ses calculs, le groupe pétrolier américain dépense directement 27 millions de dollars annuels pour nuire aux velléités de régulation dans ce domaine ; l’ONG lui donne une note globale de E-, sur une échelle allant de A à F [2].

Si la dénégation pure et simple de la crise climatique paraît de moins en moins tenable, même pour Exxon, il y a encore donc du chemin à faire pour transformer cette reconnaissance en action.

Se chauffer et s’éclairer moins cher : comment sortir de la précarité énergétique

Rachel Knaebel
www.bastamag.net/Aux-Mureaux-une-association-acompagne-les-habitants-pour-lutter-contre-la

Aujourd’hui en France, onze millions de personnes ont froid dans leur logement pendant l’hiver. Ne pas pouvoir se chauffer faute de moyens, c’est souffrir de précarité énergétique. Le phénomène est devenu massif. Dans les Yvelines, l’association Énergies solidaires aide les ménages à remédier à cette situation. Aux Mureaux et dans les alentours, elle repère les personnes en précarité énergétique, établit des diagnostics à domicile, transmet des gestes simples d’économie d’énergie et d’eau, équipe les logements, et oriente vers des aides diverses. Reportage sur une initiative qui cherche à concilier souci écologique et accompagnement social.

« J’ai monté le chauffage pour vous. Parce que c’était sur 12 degrés, j’avais froid ». Nin, 34 ans, vit seule dans un appartement de 39 m2 aux Mureaux, en région parisienne. Le logement se situe dans un immeuble de cinq étages, en bordure de forêt. À l’extérieur, la façade est défraichie. À l’intérieur, un salon et une chambre séparés par un simple rideau, une cuisine, une salle de bains. À peine entrée, Sakina, jeune « ambassadrice de précarité énergétique », ouvre son ordinateur portable. Et commence rapidement les questions. Une cinquantaine en tout, pour établir le diagnostic énergétique de l’appartement habité par Nin.

La trentenaire est locataire d’un bailleur social des Yvelines. Elle travaille. Mais ses factures de chauffage sont trop élevées pour son budget. Alors, pour économiser, elle chauffe moins. Elle a froid, et passe ses week-ends chez ses parents. Selon la loi du 12 juillet 2010 — dite « Grenelle 2 » — une personne est en situation de précarité énergétique si elle éprouve des difficultés à satisfaire ses besoins énergétiques élémentaires, en raison de ses faibles moyens financiers ou de ses conditions de logement. Près de cinq millions de ménages, soit plus de 11 millions de personnes, se sont plaints d’avoir eu froid dans leur logement en 2013 [1].

Un réseau de « donneurs d’alerte »

Le phénomène est massif. Bien-sûr, il touche en premier lieu les ménages les plus modestes. « Un ménage est en précarité énergétique si son taux d’effort pour payer ses dépenses en énergie est supérieure à 10 % de ses revenus, ou s’il y a une situation d’inconfort ou d’incapacité à chauffer », explique Rachel Dubreuil, conseillère à l’association Énergies solidaires, qui a lancé l’an dernier les diagnostics de précarité énergétique aux Mureaux. Le pari de l’association ? Faire des économies d’énergies à la fois pour faire baisser les émissions de gaz à effet de serre et pour améliorer les conditions de vie des habitants en difficulté [2]. En 2015, Énergies solidaires a établi des diagnostics de précarité énergétique pour 92 ménages.

Pour cela, l’association fait appel à deux ambassadeurs de précarité énergétique, par le biais d’une agence de réinsertion. Ils ont suivi une formation spécifique pour mener les diagnostics. « Nous apprenons beaucoup de choses en matière relationnelle : comment aborder les gens dans le cadre d’un porte-à-porte, comment montrer que nous ne sommes pas intrusif… Et on est aussi évidemment formés aux éco-gestes », précise Sakina.

Pour repérer les ménages en situation de précarité énergétique, les deux ambassadeurs distribuent à travers la ville des réducteurs de débit d’eau à poser sur les robinets. Et interrogent en même temps les personnes concernant leur utilisation du chauffage et leurs dépenses énergétiques. « Nous faisons aussi du repérage grâce à un réseau de donneurs d’alerte, ajoute Rachel Dubrueil. Cela peut être des assistants sociaux, des maisons de quartiers, les bailleurs, des associations, des clubs de sport. Quand ils connaissent un ménage en situation de précarité énergétique, ils nous le signalent et on contacte ces personnes. » Si elles le souhaitent, l’association réalise une visite de deux heures pour le diagnostic, puis une deuxième visite pendant laquelle les ambassadeurs installent du matériel qui permet de réduire les consommations, comme des ampoules, des joints… « Il y a aussi des personnes qui nous contactent directement », poursuit Rachel Dubrueil. C’est le cas de Nin. Face à ses problèmes de chauffage, elle a fait appel à Énergies solidaires de son propre chef.

Chauffage, eau, appareils électriques… les économies à faire sont partout

Son ordinateur sur les genoux, l’ambassadrice énergétique poursuit les questions : Combien d’occupants occupent le logement ? Quand le bâtiment a-t-il été construit ? Des rénovations sont-elles prévues ? « Des travaux sont prévus, répond la locataire. Mais seulement pour les appartements à partir de trois pièces, et sur les parties communes. Donc pas dans le mien ». Puis Sakina sort un premier outil : son thermomètre électrique. Elle le pointe sur le mur extérieur, sur les murs entre les pièces, dans la salle de bains… La température varie entre 18 et 24 degrés, selon les pièces de l’appartement. Vient ensuite la mesure de l’humidité. « Entre 40 et 60 % d’humidité, ça va », explique l’ambassadrice. Avant de demander : « Il y a des peintures écaillées ? »« Dans la salle de bains, dans la cuisine, oui » Dans le salon, une partie des fils électriques sont à nu.

L’ambassadrice mesure la température à l’intérieur du réfrigérateur, le débit d’eau des robinets, celui de la douche, l’électricité consommée par les veilleuses des appareils électriques. Un chargeur branché sans téléphone au bout, par exemple, ça consomme.

Pour examiner les consommations électriques, Sakina demande à voir les factures de Nin. La locataire ne les trouve pas. « Tout passe par Internet maintenant, soupire-t-elle en fouillant dans ses dossiers. Sur le gaz, je crois que j’en suis à 41 euros par mois. » Pour ses factures de gaz, Nin bénéficie du tarif social [3]. « En principe, vous pourriez aussi en bénéficier pour l’électricité », indique Sakina.

L’importance de l’accès aux droits

C’est aussi à cela que servent ces visites dites « socio-thermiques » : renvoyer vers des dispositifs d’accompagnement social pour remédier aux problèmes de précarité énergétique. « Vous pourriez changer de réfrigérateur. Il y a des aides pour ça, conseille par exemple l’ambassadrice. Plus il est ancien, plus il consomme. La caisse d’allocation familiale propose des aides pour acheter un réfrigérateur neuf, soit directement, soit sous forme de prêt. Un appareil qui consomme moins représente plus de 200 kWh d’économies par an. »

Pour finir, Sakina fait le point sur les installations à effectuer lors de sa prochaine visite, afin de faire baisser les consommations d’énergie et d’eau de Niv : des joints pour les fenêtres, des ampoules plus économes, des mitigeurs pour les robinets, un nouvelle pomme de douche pour remplacer celle qui fuit… « C’est la mairie qui finance le matériel installé chez les ménages, précise Rachel Dubreuil. En fin de diagnostic, nous orientons sur les numéros à appeler pour recevoir une aide. En cas d’impayés, nous renvoyons vers le médiateur, vers les services sociaux pour demander des soutiens financiers, vers l’inspecteur d’insalubrité pour les logements dégradés. »

La démarche peut provoquer des conflits avec les bailleurs sociaux. « Surtout si nous faisons trois ou quatre diagnostics sur le bâtiment d’un même bailleur social, qui concluent tous qu’il faut faire des travaux », dit Rachel Dubreuil. À quand des diagnostics de précarité énergétique à destination des bailleurs ?

Notes

[1] Voir le rapport 2016 de la Fondation Abbé-Pierre sur le mal-logement.

[2] L’habitat représente environ 40 % des consommations énergétiques françaises et plus de 20 % des émissions de gaz à effet de serre.

[3] Le « tarif spécial de solidarité ».

« Evasion fiscale : BNP Paribas va t-elle enfin fermer ses filiales aux Iles Caïmans ?

Sophie Chapelle
www.bastamag.net/Evasion-fiscale-BNP-Paribas-va-t-elle-enfin-fermer-ses-filiales-aux-Iles

La banque BNP Paribas possède toujours 171 filiales dans les paradis fiscaux, dont 6 dans les Îles Caïmans. Ces derniers mois, des réquisitions citoyennes de chaises dans les agences bancaires se sont multipliées pour dénoncer l’évasion fiscale, qui coûte 1000 milliards d’euros par an aux budgets publics en Europe (lire nos précédents articles). Cette pression a-t-elle eu un impact ? Selon l’association Attac, les responsables de BNP viennent d’annoncer leur intention de fermer leurs « dernières branches encore actives dans les Îles Caïmans ». L’information est consignée dans un compte-rendu de la commission financière du Comité central d’entreprise de la banque, daté du 3 mai 2016 [1].

Dans son rapport financier 2015, BNP Paribas déclare posséder 6 filiales aux Îles Caïmans, avec un résultat net de 134 millions d’euros, sans aucun salarié sur place [2]. « Le retrait des îles Caïmans de BNP Paribas, champion français de l’évasion fiscale, est une victoire importante car ce paradis fiscal est le numéro un mondial en matière de dépôts par des non résidents », se réjouit Dominique Plihon, porte-parole d’Attac. 1310 milliards de dollars sont déposés dans les banques des Iles Caïmans, selon la Banque des règlements internationaux. L’équivalent de deux tiers du PIB de la France… dans un pays qui compte moins de 60 000 habitants.

Interrogée sur le sujet ce 24 mai, BNP Paribas n’a pas encore commenté l’information. Plusieurs autres banques françaises sont implantées aux Îles Caïmans, comme le groupe BPCE, le Crédit agricole, le Crédit mutuel et la Société générale [3]. « Après cette première victoire, nous appelons à poursuivre et amplifier les actions visant les agences des principales banques impliquées dans les paradis fiscaux », poursuit Thomas Coutrot, porte-parole d’Attac. « Elles doivent non seulement y fermer leurs filiales mais également y stopper toute activité, directe ou indirecte ». L’évasion fiscale coûte chaque année entre 60 et 80 milliards d’euros à l’État Français. Soit l’équivalent de l’impôt sur le revenu collecté dans le pays.

Notes

[1Télécharger l’extrait du compte-rendu dévoilé par l’association Attac France.

[2] Le produit net bancaire des filiales de BNP aux Iles Caïmans est de 39 millions d’euros. La banque déclare que « le résultat des entités implantées aux îles Cayman est taxé aux États-Unis et leurs effectifs sont situés également aux États-Unis. » Voir le rapport financier 2015

[3] Voir les données du dernier rapport de la Plateforme paradis fiscaux et judiciaires

Le Sénat blanchit Oudéa : le procès de l’évasion fiscale doit avoir lieu

Attac France
https://france.attac.org/actus-et-medias/salle-de-presse/article/le-senat-blanchit-oudea-le-proces-de-l-evasion-fiscale-doit-avoir-lieu

Ce matin, le Bureau du Sénat a décidé de ne pas saisir le procureur pour faux témoignage malgré les mensonges de Frédéric Oudéa devant la commission d’enquête sur l’évasion fiscale en 2012. La majorité sénatoriale empêche ainsi qu’un banquier se retrouve pour la première fois devant la justice pour s’expliquer sur son rôle dans l’évasion fiscale. Contre cette collusion indécente entre les privilégiés de la caste politique et financière, la désobéissance civile est désormais le seul recours.

En mai 2012, Frédéric Oudéa a menti devant la commission d’enquête sur l’évasion fiscale en affirmant que la Société générale n’avait aucune activité au Panama. Or, les «  Panama Papers  » ont démontré qu’en mai 2012, 415 sociétés écran créées par la Société générale étaient encore en activité dans ce paradis fiscal ainsi que deux fondations, Valvert et Rousseau, également créées par le cabinet Mossack Fonseca pour la Société générale et ses clients. Malgré la demande pressante de la société civile [1], le Bureau du Sénat vient de refuser de saisir la justice pour ce parjure manifeste. C’est une véritable insulte aux citoyens, justiciables et contribuables ordinaires.

Alors que les scandales liés à l’évasion fiscale se sont multipliés ces dernières années grâce au courage de lanceurs d’alerte, les fraudeurs et ceux qui les aident continuent d’échapper à la justice. Car le fisc préfère négocier discrètement et récupérer avec majoration les sommes dues par les évadés fiscaux plutôt que de porter plainte. Quant aux banquiers, avocats et autres intermédiaires, ils sont encore moins inquiétés.

Notre association qui lutte depuis des années contre l’industrie de la fraude et de l’évasion fiscale ne peut pas tolérer cette nouvelle injustice alors que des lanceurs d’alerte comme Antoine Deltour, Raphaël Halet et Edouard Perrin [2], se retrouvent devant des tribunaux. Nous nous engageons à mener dans le mois qui vient des actions de désobéissance civile d’ampleur au risque assumé de nous retrouver devant un juge à la place de Frédéric Oudéa pour faire le procès de l’évasion fiscale et de ceux qui la couvrent.

Notes

[1] «  Messieurs les sénateurs, ne couvrez pas le parjure de Frédéric Oudéa   » et «  Audition de Frédéric Oudéa au Sénat : les organisations de la Plateforme Paradis Fiscaux et Judiciaires demandent au Bureau du Sénat de saisir le Parquet pour faux témoignage  »

[2] La justice luxembourgeoise rendra son verdict le 29 juin 2016 dans le procès des Luxleaks. Les deux anciens employés de PricewaterhouseCoopers (PwC), Antoine Deltour et Raphaël Halet, à l’origine des fuites, risquent 18 mois de prison. Edouard Perrin, journaliste qui a révélé l’affaire risque une amende.

« Sans la grève et les blocages, nous en serions encore au monde de Zola, de Dickens et du travail des enfants »

Christophe Bonneuil, historien des sciences, chargé de recherche au CNRS et membre du Centre Alexandre-Koyré.
www.bastamag.net/On-bloque-tout-force-des-sans-pouvoir

Haro sur les blocages, les grévistes et les syndicats qui y participent ! « Inacceptable », clame le gouvernement, « irresponsable », hurlent en cœur les éditorialistes des médias appartenant aux grandes fortunes françaises. C’est vite oublier que sans grèves ni blocages, nos démocraties n’auraient pas connu un tel progrès social, depuis plus d’un siècle. « Depuis l’invention de la grève générale en 1842, le blocage des approvisionnements énergétiques s’est maintes fois révélé une force des faibles, une arme du mouvement social et une fête émancipatrice… », rappelle l’historien Christophe Bonneuil dans cette tribune.

Angleterre, été 1842. Devant le refus des capitalistes d’augmenter les salaires alors que le coût de la vie s’envole, de réduire la durée du travail, et devant le refus du gouvernement de donner suite à une pétition de 15 000 signataires en faveur du suffrage universel – pétition qui dépassera ensuite les trois millions –, un immense mouvement social naît en mai de cette année-là : la première grève générale du monde. « Bloquer … c’est inacceptable », s’indignent le Premier ministre, les patrons et la presse des privilégiés.

France, mai 2016. Sourd à une pétition de plus d’un million de signataires, aux syndicats et au parlement qu’il balaye d’un coup de 49-3, autiste à la colère d’une jeunesse qui se remet « debout », Manuel Valls déclare que « bloquer … c’est inacceptable et on ne peut pas bloquer un pays… s’en prendre ainsi aux intérêts économiques de la France ». Il oublie que sans la grève, le sabotage, le blocage, et les luttes sociales depuis le XIXe siècle, nous en serions encore aujourd’hui au monde de Dickens et Zola, du travail des enfants et du suffrage censitaire.

Loi travail : « un retour au capitalisme sauvage du XIXe siècle ? »

Quel était en effet le mode d’action des inventeurs de la grève générale en 1842 (et de bien d’autres depuis, en 1905, 1936, 1947 ou 1968) ? Aller de mines en mines pour y casser les machines à vapeurs ou en voler les rondelles fusibles (« plug ») de sécurité. D’où l’appellation de « Plug Riots », les « émeutes des rondelles », donnée à cette mobilisation phare du mouvement chartiste. Comme le note un journal de l’époque, les mineurs avaient compris « le pouvoir qui était entre leurs mains de stopper tous les moulins, les usines et les trains ». En bloquant l’extraction et le transport de charbon pendant plusieurs semaines, les travailleurs réussissent en effet à mettre à l’arrêt les usines qui ne sont pas en grève, avant d’être suivis peu après par une grande grève des ouvriers textiles. Certains affirment : « mieux vaut mourir face à l’armée que de mourir… sous la machine du capitaliste » [1].

Cette Loi travail que le gouvernement et le Medef prétendent imposer à coup de 49-3 et de répression du mouvement social, n’est-elle pas précisément un retour au capitalisme sauvage du XIXe siècle ? Celui que des socialistes authentiques combattirent par le passé. Celui qui fut rendu en France moins invivable au XXe siècle : retraite, médecine du travail (affaiblie par l’actuel projet de loi), interdiction du travail des enfants (la première version de la loi rétablissait des journées de 10h pour les apprentis mineurs !), démocratie sociale insérant les citoyens (via le parlement et le code du travail, que le socialisme patronal détricote à présent) et les syndicats dans la décision (via la primauté des accords de branche que l’article 2 du projet supprime, livrant les salariés au chantage patronal à l’emploi même quand l’entreprise dégage de juteux bénéfices !).

Comment la « pétrolisation » a préparé le terrain aux régressions néolibérales

Cette régulation relative du capitalisme qui s’institutionnalise en Europe au milieu du XXe siècle n’aurait pu advenir sans le pouvoir de blocage énergétique des travailleurs comme l’a démontré l’historien Timothy Mitchell dans Carbon Democracy [2]. Mais après 1945, la « pétrolisation » de l’Europe, d’ailleurs encouragée par le Plan Marshall, réduit le rapport de force des travailleurs (le pétrole vient du Moyen-Orient néo-colonial) et instaure une démocratie consumériste (des blocages, plus difficiles, restent possibles comme en 1968 et 2010). Selon Tim Mitchell, « pétrolisée », la qualité de la démocratie change et cela prépare progressivement le terrain aux régressions néolibérales à partir des années 1970 : défiscalisation des riches, chômage, précarité, hausse de la part de la plus-value allant à la rémunération du capital au détriment du travail.

Bloquer serait aujourd’hui illégitime ? Alors que des millions de travailleurs pauvres sont en galère, sous le chantage du chômage de masse, et que le poids du patrimoine privé par rapport à la richesse nationale après avoir diminué après 1945, est maintenant revenu en France au niveau du temps de Zola [3] ?

Non !

Jour debout et nuit debout, la grève, le blocage des sites de production et l’occupation des places sont la dernière arme des victimes d’un système économique injuste, d’un capitalisme ré-ensauvagé ; la contre-offensive des sans-voix d’un système politique à bout de légitimité (inégalités croissantes, démocratie représentative qui ne représente pas le pays réel, parlement godillot, état d’urgence permanent).

Convergences

Bloquer sera peut-être aussi un déclencheur de nouveaux liens. Dimanche dernier, la convergence des Zadistes et les étudiants allant soutenir à vélo le blocage syndical de la raffinerie de Donges (Loire-Atlantique) ; aujourd’hui les rencontres inattendues entre voisins qui ne se parlaient pas grâce au boom du covoiturage… Quels nouveaux surgissements demain ?

Le blocage rend sensible à chacun d’entre nous les flux (énergétiques, financiers…) qui trament nos vies. Qu’est-ce qui est bloqué ? Manuel Valls et Emmanuel Macron nous le disent sans ambages : ce qu’ils veulent débloquer, c’est une France-entreprise, en guerre économique et sociale permanente pour satisfaire les intérêts gourmands de flexibilité et de paradis fiscaux. Ce qui vacille aussi, ce sont aussi des flux d’énergies et des infrastructures technico-industrielles (le pétrole, les centrales nucléaires) qui structurent nos vies quotidiennes sans pourtant faire l’objet de réels choix collectifs alors qu’ils menacent l’habitabilité de notre Terre, sans pour autant avoir réalisé dans nos pays riches leur vieille promesse de bonheur par l’abondance matérielle, à laquelle plus personne ne croit. EDF s’indigne et le PDG de Total menace de fermer ses raffineries en France ? Mais syndicalistes et deboutistes imaginent déjà ensemble une société post-pétrole et post-nucléaire, partageant le travail, le pouvoir et les richesses !

Notes

[1] Les citations sont issues du livre tout récent d’histoire sociale et environnementale de la révolution industrielle d’Andreas Malm, Fossil Capital. The rise of steam power and the roots of global warming (Verso, 2016), p 228-229.

[2] Timothy Mitchell, Carbon Democracy (La Découverte, 2013).

[3] Thomas Piketty, Le Capital au XXIe siècle (Seuil, 2015)