Articles du Vendredi : Sélection du 24 novembre 2017

Sécheresse historique en Espagne et au Portugal

AFP
www.ouest-france.fr/economie/l-espagne-et-le-portugal-frappes-par-une-secheresse-historique-5392929

Face à l’urgence climatique et l’inertie des Etats, place au sursaut citoyen?

Maxime Combes, économiste et membre d’Attac France.
https://blogs.mediapart.fr/maxime-combes/blog/201117/face-lurgence-climatique-et-linertie-des-etats-place-au-sursaut-citoyen

Bruno Latour : « Défendre la nature : on bâille. Défendre les territoires : on se bouge »

Hervé KEMPF, Entretien avec Bruno Latour
https://reporterre.net/Bruno-Latour-Defendre-la-nature-on-baille-Defendre-les-territoires-on-se-bouge

COP23 klimaren goi-bilera: nagiaren gailurra

Unai BREA
www.argia.eus/blogak/unai-brea/2017/11/20/cop23-klimaren-goi-bilera-gailur-nagia/

Sécheresse historique en Espagne et au Portugal

AFP
www.ouest-france.fr/economie/l-espagne-et-le-portugal-frappes-par-une-secheresse-historique-5392929

La sécheresse frappe le Portugal depuis six mois, l’Espagne aussi est touchée. Dans ce pays, les assurances ont déjà dû indemniser les agriculteurs pour plus de 200 millions d’euros à cause de ce phénomène. Fleuves quasi à sec, incendies mortels à répétition, agriculteurs désespérés… L’Espagne et le Portugal affrontent une sécheresse prolongée qui menace de devenir plus fréquente avec le changement climatique. Depuis trois ans, il pleut moins que prévu sur les deux tiers de l’Espagne. Au Portugal, presque tout le territoire est frappé par la sécheresse depuis six mois consécutifs, ce qui n’était plus arrivé depuis 2005. Les agriculteurs sont touchés de plein fouet.

En Espace, une sécheresse aux coûts importants

«Cest une situation ruineuse», se désole José Ramon Gonzalez, petit éleveur de bovins de Galice, région du nord-ouest de l’Espagne.

Faute de pâture, il a dû acheter du fourrage dès juillet, quatre mois plus tôt que d’habitude, ce qui va lui coûter plusieurs milliers d’euros.

«Il y a des rivières, des sources qui sont asséchées et que ni moi qui ai 45 ans, ni mes parents, ni mes grands-parents, navions jamais vu sassécher» dans cette région habituellement pluvieuse, raconte-t-il.

Au 31 octobre, l’entité gérant les assurances agricoles espagnoles, Agroseguro, recensait 1,38 million d’hectares de céréales, de tournesols ou d’oliviers touchés par la sécheresse ou le gel en Espagne, ayant occasionné un coût de plus de 200 millions d’euros en indemnisations.

«Cest comme quand vous êtes malade: vous vous sentez impuissant, vous ne pouvez rien faire. Ici, la maladie sappelle sécheresse», confie Vicente Ortiz, agriculteur et éleveur en Castille-La Manche, au sud de Madrid.

Il affirme que sa récolte de céréales a dégringolé de 70 % par rapport à l’année dernière, et prévoit de récolter deux fois moins d’olives.

Au Portugal, le niveau de l’eau extrêmement bas

«De la culture des oliviers aux céréales, en passant par la vigne, toute lagriculture souffre de ce manque d’eau dans notre région», constate Fremelinda Carvalho, présidente de l’Association des agriculteurs de Portalegre, au centre du Portugal.

Et l’assèchement des cultures et des forêts favorise les incendies, qui ont fait 109 morts cette année au Portugal et cinq en Galice.

Les retenues d’eau affichent des niveaux anormalement bas. Au Portugal, 28 sur 60 étaient en octobre à moins de 40 % de leur capacité totale. Ce week-end, une centaine de camions de pompiers ont commencé à transvaser l’eau d’un barrage vers un autre, 60 kilomètres plus loin, qui alimente la ville de Viseu.

En Espagne, les retenues d’eau du Tage, qui se jette dans l’Atlantique à Lisbonne, étaient le 13 novembre à moins de 40 % de leur capacité moyenne. Celles du Douro, qui a son embouchure à Porto, étaient encore plus basses, et celles du Segura, qui irrigue d’immenses serres dans le sud-est de la péninsule, étaient tombées à 13 % de leurs capacités.

Le groupe énergétique Iberdrola a aussi vu sa production d’hydroélectricité en Espagne chuter de 58 % sur un an entre janvier et septembre et les prix de l’électricité sont repartis à la hausse.

Cela alimente des conflits entre agriculteurs et entre régions pour l’usage de l’eau.

Par exemple, l’aqueduc qui transvase l’eau du Tage vers le Segura, construit dans les années 1960 sous le dictateur Francisco Franco, est critiqué de toutes parts.

Antonio Luengo, directeur de l’agence de l’eau de Castille-La Manche, affirme que le Tage «ne peut pas le supporter». Les eaux du Tage ont servi à développer dans le sud-est des cultures de fruits et légumes si intensives «que maintenant, il leur faut dessaler leau de la Méditerranée», dénonce-t-il.

Le changement climatique comme acteur du phénomène?

Et de telles sécheresses risquent de s’accentuer à l’avenir.

«Depuis 1980, lEspagne montre des signes de changement climatique, qui se sont accentués depuis lan 2000», souligne Jorge Olcina, géographe à l’université d’Alicante.

«Le climat de l’Espagne […] tend à avoir des caractéristiques plus subtropicales: températures plus élevées et pluies plus rares et plus intenses. Donc les risques climatiques liés aux températures (vagues de chaleur) et à la pluie (sécheresse et inondations) vont augmenter dans les prochaines décennies», prévient-il.

Julio Barea, porte-parole de Greenpeace, dénonce, lui, «une très mauvaise gestion» de l’eau par le gouvernement espagnol. «Les sécheresses doivent se gérer quand nous avons de leau», dit-il.

Il pointe les cultures et élevages intensifs trop gourmands en eau pour le climat méditerranéen, et l’irrigation d’arbres qui n’en ont pas nécessairement besoin, comme les oliviers ou les amandiers.

«Il faudrait construire davantage de barrages pour retenir l’eau quand il y en a», a estimé pour sa part Mme Carvalho, la représentante des agriculteurs portugais de la région de Portalegre.

Les gouvernements ont débloqué des fonds pour dédommager les agriculteurs, mais pour ces derniers, la seule solution viendra d’un retour de la pluie.  «On regarde constamment le ciel», lâche Vicente Ortiz.

Face à l’urgence climatique et l’inertie des Etats, place au sursaut citoyen?

Maxime Combes, économiste et membre d’Attac France.
https://blogs.mediapart.fr/maxime-combes/blog/201117/face-lurgence-climatique-et-linertie-des-etats-place-au-sursaut-citoyen

La COP23 vient de s’achever. Aucun sursaut politique n’est venu répondre à l’alerte des scientifiques et à la multiplication des catastrophes climatiques. A cette forme de déni climatique qui conduit à repousser à plus tard ce qui ne devrait pas l’être, doit répondre une mobilisation citoyenne d’une ampleur sans précédent : à nous de faire l’impossible pour que l’impensable ne se produise pas.

Un mois avant la COP21, en octobre 2015, nous publions sur ce même blog un texte appelant à un « ouragan citoyen pour éviter le chaos climatique que préparent, en toute connaissance de cause, les Etats ». Deux ans plus tard, les circonstances sont bien-entendu différentes. Entre temps l’Accord de Paris a été signé et ratifié par suffisamment de pays pour qu’il entre en vigueur. Néanmoins, à l’issue de la COP23, l’enjeu reste le même : résorber le fossé entre les engagements de réduction d’émissions de gaz à effet de serre (GES) annoncés en 2015, et le niveau qu’ils devraient atteindre pour contenir le réchauffement climatique mondial en deçà des 2 °C.

Ce fossé entre le réel, les 3°C ou plus, et le souhaitable, les 2°C ou moins, n’est pas nouveau. Nous en avions connaissance dès avant la COP21 (voir ici). Il n’est pas conjoncturel puisqu’il est alimenté par une globalisation économique et financière gloutonne en ressources naturelles. Il n’est pas involontaire puisque les Etats et les décideurs disposent, depuis de nombreuses années, de toutes les données nécessaires. Ce fossé entre le réel et le souhaitable est le fruit de choix délibérés de décideurs politiques et économiques qui, jusqu’ici, ont reporté à plus tard la mise en œuvre de politiques climatiques plus ambitieuses.

Déni climatique

Face à ce déni climatique, les Etats ont daigné accepter l’organisation d’« un dialogue facilitateur » en 2018 pour remettre ce sujet sur la table. Lors de la COP 23, ils n’ont malheureusement donné aucune garantie sérieuse pour que ce dialogue de Talanoa, ainsi renommé par la présidence fidjienne, s’acquitte de cette tâche urgente. Le texte final de la COP23 ne fait « qu’accueillir avec reconnaissance » la tenue de ce dialogue tout au long de l’année 2018, mais il ne lui fixe aucun objectif précis et contraignant si ce n’est d’être « constructif et tourné vers les solutions ».

Mesurons-en précisément les conséquences. L’alerte des scientifiques est claire : les émissions mondiales de GES doivent commencer à décroître d’ici à 2020. Or, compte tenu de la faiblesse des politiques climatiques actuelles, les émissions de CO2 sont reparties à la hausse en 2017 et rien ne permet d’affirmer désormais que la COP24 et ce fameux dialogue de Talanoa puissent contribuer à inverser durablement, et dans des proportions suffisantes, cette tendance. Selon les propres calculs de l’ONU basés sur les engagements pris par les Etats en 2015, un record d’émissions mondiales pourrait être battu chaque année d’ici à 2030 pour atteindre 56,2 Gt éq. CO2 en 2030 (voir ici). Deux ans après la COP21, les Etats n’ont pris aucun engagement et n’ont donné aucune garantie pour que ce scénario catastrophe ne se produise pas.

Procrastination climatique généralisée

Il est aisé de se tourner vers Donald Trump et sa décision de retirer son pays de l’Accord de Paris ou vers le refus de la Chine de réduire ses émissions bien avant 2030. Mais cela ne saurait masquer la responsabilité de l’UE qui, sous couvert de leadership climatique, mène en fait une contre-révolution énergétique en Europe : objectifs climat pour 2030 peu ambitieux, refus de remettre à plat le marché carbone européen qui dysfonctionne, financement et constructions d’infrastructures gazières inutiles, etc.

Et la France ? Derrière le slogan #MakeThePlanetGreatAgain s’entasse déjà une longue liste de décisions contradictoires avec l’impératif climatique et, tout aussi important, le refus, jusqu’ici, de mener bataille à Bruxelles, laissant les lobbys de l’énergie français peser de tout leurs poids.

Emmanuel Macron et Nicolas Hulot vont-ils enfin se décider à mener bataille à Bruxelles pour que l’UE se donne des objectifs bien plus ambitieux que les 40% de réduction d’émissions de GES et les 27% d’efficacité énergétique et d’énergies renouvelables pour 2030 ? Rien n’est moins sûr quand on voit qu’Emmanuel Macron s’est empressé de saluer le mauvais compromis sur le marché carbone européen lors de son discours lors de la COP23 à Bonn, tout en restreignant les défis de la transition énergétique en Europe à la construction de nouvelles infrastructures d’interconnexion et de stockage de l’énergie. Sans minimiser ces enjeux, on est bien loin d’une ambition européenne digne de ce nom. Dans le même temps, Nicolas Hulot ne semble pas décider à faire de Bruxelles un axe stratégique de sa politique énergétique : l’axe 20 de son plan climat ne porte aucun objectif en la matière.

Malgré les limites de l’Accord de Paris…

Nous payons aujourd’hui le prix des limites intrinsèques de l’Accord de Paris qui n’a pas été doté de dispositifs suffisants pour imposer aux États de revenir sur une trajectoire inférieure à 2 °C. Ce refus de toute contrainte internationale conduit à des engagements volontaires (bottom up) déconnectés des objectifs globaux de réduction d’émissions, qu’un traité basé sur un droit non contraignant, qui incite plutôt qu’il ne régule ou sanctionne (soft law), ne permet pas de rendre plus ambitieux. Malheureusement, l’Accord de Paris ne permet pas d’imposer aux Etats qu’ils lèvent les sérieuses menaces qui pèsent sur l’avenir et le contenu des politiques climatiques. L’Accord de Paris ne suffit pas pour qu’enfin, après 25 ans de négociations, les émissions mondiales de GES commencent à diminuer. Ce n’est pas nouveau. Mais il faut en être conscient.

Conserver une chance raisonnable de contenir le réchauffement climatique en dessous des 2°C implique d’arrêter de perdre du temps. A commencer par laisser croire à la population que l’Accord de Paris nous met sur la bonne voie et qu’il suffit d’attendre encore pour qu’enfin le réchauffement climatique puisse être maîtrisé. Les 3°C entérinés par les engagements des Etats lors de la COP21 n’étaient pas « un bon point de départ pour aller plus loin », comme l’affirmaient alors les architectes de l’accord de Paris, mais au contraire étaient « le point de départ pour de nouveaux et plus nombreux crimes climatiques dans le futur ». Il est plus que temps d’inverser cette tendance.

ne cédons pas au climato-fatalisme !

Il ne faut pas pour autant céder au climato-fatalisme : ce n’est pas l’objectif des 2°C (ou celui des 1,5°C) qu’il faut enterrer, pas plus que le processus onusien, mais bien les décisions politiques et économiques qui nous en éloignent de manière irréversible. Puisons le souffle éthique et politique nécessaire pour mettre fin à l’inertie climatique des États là où il se trouve : des mobilisations contre le charbon en Allemagne (Ende Gelaende) à celles des populations indigènes pour la préservation de leurs terres, en passant par toutes les expériences citoyennes en matière de transition énergétique, la société est bien souvent en avance sur les États et les gouvernements. Ces derniers n’ont donc plus aucune excuse : Emmanuel Macron et Nicolas Hulot n’ont plus aucune excuse quand ils prennent des décisions contraires à l’impératif climatique. Entre MakethePlanetGreatAgain et BusinessAsUsual, ils doivent arrêter de tergiverser et mettre fin à toutes les mesures qui ne sont pas climato-compatibles.

Il s’agit donc de trouver les voies juridiques, politiques, sociales pour empêcher des régressions aux effets irréversibles et mener à bien une transition énergétique qu’Emmanuel Macron ne cesse de repousser à plus tard. Le sommet “One Planet Summit” qu’il organise le 12 décembre à Paris doit-être l’occasion de faire en sorte qu’il n’y ait plus un seul euro d’argent public qui transite par la CDC, la BPI, la BEI ou la Banque mondiale pour financer des infrastructures liées aux énergies fossiles. Alors que les Paradise papers ont montré que les pratiques d’évasion fiscale sont au cœur du système économique et des pratiques des multinationales liées aux hydrocarbures fossiles, il nous faut exiger du gouvernement une réponse appropriée et qu’il revienne notamment sur sa décision de saborder la taxe européenne sur les transactions financières et de réduire à portion congrue la taxe française.

A nous de faire l’impossible pour que l’impensable ne se produise pas.

Bien sûr que les États, les villes, les communautés, les mouvements sociaux qui avaient entamé la transition, vont poursuivre leurs alternatives et leurs résistances. Et les amplifier si possible. Mais nous savons aussi que des réglementations politiques sont nécessaires et urgentes pour assurer la pérennité de ces transitions et transformer profondément les soubassements énergétiques de cette machine à réchauffer la planète qu’est l’économie mondiale. La main invisible des marchés n’est pas plus verte qu’elle n’est naturellement sociale ou juste.

Les mobilisations des semaines à venir, à commencer par la journée du 2 décembre contre l’évasion fiscale qui grève la capacité des pouvoirs publics à financer des politiques climatiques ambitieuses, celle du 12 décembre contre le financement des énergies fossiles et fissiles, et le Tour Alternatiba de 2018, devront être entendues : « il n’est pas trop tard pour enterrer les politiques climaticides et accélérer la transition énergétique en France et en Europe ».

L’Accord de Paris ne suffit pas. 

Le BusinessAsUsual des Etats ne faiblit pas.

Le cynisme des lobbys industriels est toujours là.

A nous de faire l’impossible pour que l’impensable ne se produise pas.

Bruno Latour : « Défendre la nature : on bâille. Défendre les territoires : on se bouge »

Hervé KEMPF, Entretien avec Bruno Latour
https://reporterre.net/Bruno-Latour-Defendre-la-nature-on-baille-Defendre-les-territoires-on-se-bouge

Quel monde commun voulons-nous habiter ? Dans son dernier livre, « Où atterrir ? », le penseur Bruno Latour pose la question, en mettant au premier plan les questions politique et écologique. Reporterre s’est entretenu avec lui.

Bruno Latour est sociologue, anthropologue et philosophe des sciences.


Reporterre — Comment décrire la situation politique d’aujourd’hui ?

Bruno Latour — En termes de mythologie politique et en fait, de « cosmologie », dans le sens où ce terme est utilisé par les anthropologues. On n’est pas simplement en désaccord politique, on est en désaccord sur ce qu’est la politique. Cela m’a été révélé par le moment où Trump s’est retiré de l’Accord de Paris sur le climat. Il a explicitement posé ce retrait dans des termes géopolitiques : les États-Unis ne se sentent plus liés par ces questions qui pourtant entraînent tous les autres pays vers une « catastrophe » pour laquelle ils avaient à peu près collectivement construit une institution commune.

Un objet collectif commun ?

S’ils se sont assemblés à Paris et dans toutes les COP, c’est qu’ils étaient poussés par une autorité — ni étatique ni légale — mais une autorité quand même, puisque c’est le climat. Tel que les scientifiques l’ont modélisé, le climat pesait sur ces États, sans quoi ils ne se seraient pas réunis. Cette politisation du climat s’est faite assez vite finalement. Arriver à mettre un sujet aussi bizarre au cœur de l’activité politique en 23 ans, c’est extraordinaire !

N’est-ce pas le changement climatique qui s’est imposé ?

Il pourrait s’imposer sans que personne ne fasse rien ! La question sociale a mis presque cent ans, entre le début du XIXe siècle et la fin du XIXe siècle, à devenir le sujet principal des États européens.

Il y a eu pas mal de révolutions avant : 1848, la Commune, pour ne parler que de la France…

Même avec tout cela, cela fait un siècle. Tandis qu’en 20 ans, le climat est devenu un élément essentiel de la géopolitique. On est donc désorienté parce que c’est un débat non seulement sur des positions politiques, mais sur la nature du combat politique et sur la nature du terrain où le combat politique se déroule. Avant, on avait un échiquier à peu près plat sur lequel les gens se déplaçaient. On était sur Terre avec des ressources qu’on se disputait. C’était stable.

C’était la politique issue du traité de Westphalie en 1648. Fondée sur les nations, les États…

Oui, des États et des ressources. Ce qui est nouveau, c’est qu’il y a une dispute sur l’échiquier lui-même : quelle est sa forme ? Les États-Unis sont dans un monde où il n’y a pas de problèmes écologiques. Évidemment il y en a un, mais il est considéré comme n’appartenant pas au territoire sur lequel les États-Unis prennent leurs décisions. Donc, entre eux et les gens qui prennent leurs décisions en fonction de ce que j’appelle le nouveau régime climatique — qui est plus vaste que le climat, il intègre aussi les animaux et la biodiversité —, il n’y a pas de monde commun, de métrique commune.

Est-ce seulement entre les États-Unis de Trump et le reste du monde ? Ou n’est-ce pas une fracture au sein de chaque société ?

Oui, cela partage toutes les sociétés et tous les individus. Les questions écologiques sont des sujets bouleversants. Il y a un problème émotionnel : quand on a lu trois numéros de Reporterre ou qu’on a vu trois reportages à la télévision, sur les scandales des OGM, sur le blanchiment des coraux et sur M. Trump, on se demande : « Mais que faire de tout cela ? » Il n’y a pas une politique qui absorbe la déréliction dans laquelle on se trouve. Si on ne met pas cette affaire de déréliction au centre de la discussion, on ne comprend pas à quel point on est désorienté.

Que voulez-vous dire par « déréliction » ?

La version dramatisée de cette idée est le « catastrophisme », qui est à la fois exact — si on suit les scientifiques — et exagéré. Il y a une souffrance de la question écologique. Si on n’en comprend pas la profondeur, on ne comprend pas la réaction de ceux qui nient. C’est le sens de la « dénégation » : on sait, mais on dit « je ne peux pas vivre avec cela ». Si on ne comprend pas que ceux qui refusent d’agir sont aussi troublés que ceux qui agissent, on perd l’occasion d’établir des alliances possibles.

L’argument de votre dernier livre, Où atterrir ?, est que la politique doit se réorienter selon un autre axe que celui qui s’est imposé depuis un demi-siècle — entre le passé et le progrès.

Je fais l’hypothèse que si on n’arrive pas à s’orienter, c’est que l’on continue à constamment revivre l’opposition d’une époque où l’on n’avait le choix qu’entre le développement vers l’avenir et la régression. Les écologistes y sont accusés d’être toujours ceux qui nous demandent de revenir en arrière, de régresser. Alors qu’en fait, ils ont toujours désigné autre chose. Cette autre chose n’a jamais eu de représentation crédible pour ceux qui sont dans cet état de « déréliction », d’« embarrassement ».

J’étais récemment en avion au-dessus des glaces du Groenland. J’ai pris cette magnifique image dans laquelle on reconnaît sur la glace en mer de Baffin un visage qui crie. La glace criait. Quand on prend l’avion, on sait qu’on est responsable des problèmes de glace en bas. C’est cela que j’appelle l’« embarrassement » ou la « déréliction ». Vous ne pouvez plus vous balader sans vous dire : « Ce spectacle que je vois est magnifique, mais est aussi causé par ma connivence. » C’est un embarras moral et finalement un embarras politique, parce qu’on se demande quoi faire.

Mais si les écologistes ne veulent plus régresser, où veulent-ils aller ?

Si les écologistes ont disparu comme parti — c’est un événement important —, c’est parce qu’ils désignaient quelque chose qui ne se situait pas sur l’axe qui va de la vie archaïque à la modernisation sans discussion. Dès que vous disiez « je ne suis ni l’un ni l’autre », on vous ramenait à la question de la bougie. Pourtant, la société civile a déjà énormément changé. Elle sait qu’on ne se modernisera pas. Elle est déjà passée à autre chose. Il y a une multitude nouvelle de gens, de mouvements, d’attitudes, qui témoignent de changements de perspective. Mais les partis ne la représentent pas. Les gouvernements continuent à affirmer qu’il faut choisir entre le développement économique et l’écologie. Cela continue à organiser la politique.

Pour proposer une autre carte de la politique, un autre axe que celui qui va de la régression à la modernisation, les écologistes se sont appuyés sur la « nature ». Pourquoi cela a-t-il échoué ?

Ils n’ont pas vu que la nature était elle-même une notion politique. Ils disaient : « Il faut s’occuper de la nature. »

En fait, le concept cartésien de nature ?

Oui, un peu arrangé, dans une réinterprétation version XIXe siècle. En tous les cas, comme quelque chose qui n’est pas politique. Et, évidemment, c’est le contraire ! La notion de nature est une question politique. Ma position était de dire aux Verts : « Vous avez raison en pratique, mais votre métaphysique de la nature vous prive des moyens d’agir. » Les partis Verts ont disparu.

En même temps, des partis qui viennent de la tradition ouvrière du XIXe siècle intègrent maintenant la question écologique.

Oui, c’est cela qu’il faut faire.

Ce que fait la France insoumise, par exemple ?

Je ne sais pas. Ce que j’entends de Mélenchon, c’est Germinal à la télé ! C’est sympa, mais c’est un jeu avec des pièces en costumes. Le problème est de trouver le costume qui corresponde à maintenant.

Vous voulez dire qu’ils n’intègrent pas réellement la question écologique ?

C’est une variété de « greenwashing » des positions politiques traditionnelles. Mais ce n’est pas si facile de passer des classes sociales aux classes « géo-sociales ». On ne peut pas faire cela d’un seul coup. Ça reprend les questions de genre, de colonisation, d’inégalités, de mode de vie. On ne peut pas simplement y ajouter à la question sociale.

Qu’entendez-vous par ce terme de classes « géo-sociales » ?

Ce sont les différentes parties prenantes qui se trouvent sur un territoire. Cela peut être des humains. Mais aussi des humains avec les semences qu’ils préfèrent avoir, les loups avec lesquels ils sont prêts à cohabiter ou pas, les éoliennes avec lesquelles ils sont prêts à vivre ou pas, etc. Les classes géo-sociales sont des alliances entre des groupes sociaux qui ne sont plus définis par leur position dans le système de production, mais par leur cohabitation choisie sur un territoire.

Toutes ces questions ont un rapport avec la notion de ressources. Mais elles n’ont pas fait l’objet d’une mise en politique par la gauche. Dans les années 1950-1960, les partis de gauche ont continué à définir les classes sociales d’une façon qui ne correspondait plus aux changements en cours. Les partis écologistes et féministes se sont développés avec beaucoup de peine pour essayer de faire entrer les nouvelles questions dans les questions d’injustice sociale, mais cela n’a jamais pris dans le cas des écologistes. Pourquoi ? Parce que cela avait l’air de ressembler à la nature, donc leur demande restait radicalement extérieure au social. Et, tant que le social est défini par des relations entre les humains, la politique de défense des autres intérêts reste abstraite. On aura beau dire qu’il faut défendre les espèces, cela ne vous concerne pas directement, ce n’est pas vous. Alors que si l’on dit que nous sommes des territoires, les territoires cela se défend, on n’hésite pas. Défendre la nature : on bâille. Défendre les territoires : on se bouge. C’est cette variation-là qu’il faut capter. Quelle est la différence entre la nature et un territoire ? Et de quoi se compose le territoire ?

C’est pourquoi vous regardez les zadistes avec beaucoup d’intérêt.

Les zadistes ont fait une opération de grande importance en philosophie politique, c’est de dire que les zones sont à défendre. Ils ont parfaitement raison de dire que les questions politiques sont des questions territoriales. Ces questions territoriales définissent des intérêts et des mondes. Quels avions veut-on ? Quels batraciens veut-on garder ? Quelle agriculture ? Quelles zones humides ? C’est cela que j’appelle « cosmologie ». On discute « cosmologie » et pas d’intérêts sur un fond matériel qui serait commun. Les zadistes et les gens qui veulent construire un aéroport ne sont pas sur le même sol.

Vous citez une phrase très belle qu’on retrouve sur plusieurs zones en lutte : « Nous ne défendons pas la nature, nous sommes la nature qui se défend. » Est-ce la nouvelle politique ?

Si des gens commencent à parler au nom de la nature, cela peut très vite devenir une tyrannie. On croit s’être débarrassé de Dieu et on se retrouverait avec la nature ! Mais il y a une question fondamentale : il faut bien que des voix, qui sont forcément des voix humaines, disent quels éléments de la nature on veut ! À ce moment, on fait alliance entre la résistance de la société à l’exploitation et la résistance des êtres cohabitant à l’exploitation. Et, là les choses deviennent politiquement plus fortes parce que la nature, ce sont des bataillons importants.

Vous continuez à employer le terme de « nature » ?

Je le fais pour être entendu. Mais ce n’est pas la nature dont il s’agit, c’est de Gaïa.

Mais alors, c’est quoi la « nature » ?

Il ne faut pas utiliser le mot parce que « nature » oriente aussitôt vers une vision apolitique. Elle a été inventée pour dépolitiser les rapports entre les humains et les objets à utiliser comme ressources. Mais, si je dis « Gaïa », on rencontre une autre difficulté. Tous ces sujets sont difficiles et nous restons dans un énorme retard intellectuel sur ces questions. C’est pour cela que le terme de « zones critiques » me va très bien, « zones critiques » comme zones à défendre. Cela signifie qu’on reterritorialise les questions politiques. La notion de territoire, que la gauche française a toujours associée à des positions réactionnaires, redevient le centre de l’attention. Évidemment avec les dangers que cela pose : « se reterritorialiser », « se réenraciner » sont des termes toxiques. Mais en même temps, c’est bien de cela dont il s’agit dans l’écologie.

Quand à Notre-Dame-des-Landes, on dit « on défend cette zone humide », c’est en fait : « On défend toutes les zones humides ! » Il y a un autre mot : « Nous sommes contre l’aéroport et son monde. » Ce n’est pas une défense purement territoriale.

C’est une guerre de mondes.

Peut-on dire que votre sociologie intégrerait dans la société les humains et les « non humains » ?

Cela dépend ce qu’on entend par « intégrer » et par « non humain ». Le problème de l’« intégration » est un autre des sujets qui a tué l’écologie politique. Parce qu’on n’a jamais compris qui on devait intégrer et avec qui. Si on dit quels sont vos ennemis et vos amis, cela redevient politique. On ne sera pas tous intégrés ensemble. Il y a des bons virus et des virus néfastes, des bonnes industries et des mauvaises, des produits utiles et d’autres qui ne le sont pas. Ce travail de description et de désignation de l’ennemi et de l’ami définit l’action politique. Ce qu’il faut que les écologistes fassent, c’est une espèce d’examen de conscience de tous les éléments conceptuels. On a l’impression que cela peut se faire très vite. Au contraire ! Il faut faire un travail qui est l’équivalent du travail considérable fait par les socialistes au XIXe siècle sur les questions d’échanges, de développement, d’histoire…

Ce travail n’a jamais eu lieu avec les écologistes. On s’est simplifié la vie avec deux ou trois références, Arne Naess, et un peu politiquement avec évidemment André Gorz et tous ces précurseurs. Mais le travail métaphysique de compréhension anthropologique, on a pensé qu’on pouvait s’en dispenser. La question de la « régression ou de la progression », celle de l’« intégration », sont des questions qui posent des problèmes anthropologiques énormes. Il faut se donner des outils qui ne commencent pas par dépolitiser. L’écologie, c’est parler de tous les sujets ! Et pour cela, il faut reprendre toutes les questions classiques. Qu’est-ce que l’économie ? Qu’est-ce que l’histoire ? Qu’est-ce que les sciences ? Il faut aussi reprendre la question écoféministe. Et puis, l’histoire matérielle, l’histoire environnementale. Ce travail ne peut pas être négligé sous prétexte que les causes sont urgentes.

Vous disiez que pour faire une intégration, il faut exclure quelque part. Mais ne sont-ce pas les riches qui se coupent de la société ?

Oui, c’est assez clair. Tout le monde est d’accord sur le constat de l’extension des inégalités et de l’excès de déréglementation. Mais j’ajoute une hypothèse — et je pense que Reporterre sera le dernier à me dire que ce n’est pas une bonne hypothèse — qui est de dire : les gens qui savent que la situation décrite par les scientifiques est exacte et qui se désignent eux-mêmes comme « climatosceptiques » ont en fait décidé de ne pas en tenir compte. Ces élites sont d’accord pour s’en aller, pour se couper. Mais la question importante à se poser, c’est de se demander où, nous, les autres, nous allons atterrir ? La description de ce lieu d’atterrissage est le travail commun des scientifiques, des activistes, des artistes, des politiques.

Comment est-ce qu’on absorbe un monde où il faudrait cinq Terres alors qu’il n’y en a qu’une ? Ces questions deviennent communes. Et l’alliance à faire pour y répondre inclut aussi bien des libéraux que des néolibéraux et que des populistes.

Sauf que les néolibéraux ne remettent pas en cause l’extension des inégalités.

On n’a pas le choix de ses alliés possibles. Ce sont eux qui ont les ressources.

Mais comment on fait avec des alliés qui n’ont pas les mêmes buts de guerre que vous ?

La politique, c’est des rapports de forces. Si on n’est pas nombreux, rien ne bouge ! Et puis l’autre côté de la question me paraît beaucoup plus troublant. Comment va-t-on dire aux gens qui veulent revenir au monde ancien et qu’on accuse de populisme qu’ils ont raison de vouloir un territoire, mais que ce n’est pas le bon territoire ?

Ils ont moins de moyens d’action que les néolibéraux.

Il faut trouver des alliés partout, parce que nous partageons une grande ignorance sur l’état du sol sur lequel on va arriver. Faire alliance suppose de renouveler aussi le ton dans lequel on parle de politique. Il ne faut pas oublier qu’une grande partie du ton le plus habituel de la gauche vient d’une histoire qui date d’un siècle, de la situation de guerre entre 1914 et 1917. Cette situation de guerre reste dans nos têtes comme une espèce d’idéal de la vie politique. Je pense qu’il faut innover sur ce genre de tonalité là. Il est beaucoup plus difficile de définir des fronts que de définir les amis et les ennemis. Il faut trouver d’autres affects, d’autres tons.

Aller dire aux électeurs du Front national qu’ils ont raison de vouloir la protection du territoire, mais que ce territoire et cette protection n’ont plus de rapport avec la France des frontières et l’illusion d’une pureté ethnique, avouez que c’est compliqué comme négociation ! Cela demande qu’on explore d’autres façons de parler.

Oui, comme d’aller discuter avec les patrons et les cadres supérieurs du CAC40 pour leur dire qu’il faut qu’ils arrêtent de chercher la croissance. Et qu’il faudrait qu’ils divisent leurs revenus par cinq !

Ni plus ni moins.

Derrière la politique, il y a aussi le pouvoir, l’institution. Vous employez les termes d’institution, de régime. Vous parlez de nouvelle Constitution.

Ce qui m’intéresse dans la phrase « C’est la nature qui se défend », c’est l’allusion à quelque chose qui est une forme de pouvoir souverain. La politique est maintenant sous la contrainte d’une forme de pouvoir que moi, j’appelle Gaïa, et qui donne une autre occasion de définir la politique. Ce n’est pas une politique d’êtres humains entre eux. C’est une autre politique.

L’autre énorme avantage de la situation est qu’elle ouvre la possibilité d’inventer une nouvelle Terre qui n’est pas le globe, notamment avec l’approche des « communs ». Je discutais avec un de mes voisins, qui est un activiste des « communs ». Dans un coin d’Allier où les gens ne s’en sortent pas, il crée cinq ou six jobs à plein temps, parce qu’il a changé le mode juridique de l’attribution des emplois. C’est sensationnel ! Je n’exagère pas quand je dis qu’il s’agit de la découverte d’une nouvelle Terre. C’est là qu’on est de nouveau dans la « cosmologie ». On est comme au XVIe siècle. Des aventuriers découvrent une Terre nouvelle et ça change tout. Elle a des plis, des propriétés, une complexité, des ressources et une hétérogénéité extraordinaires. Cela va tout changer. Dans la religion — on a déjà l’encyclique du pape —, dans les arts, on trouve un tout nouvel intérêt pour la question du sol, de la terre, de l’appartenance et de Gaïa.

En quoi l’encyclique Laudato Si est-elle importante ?

Elle est capitale. C’est LE grand texte qui fait une liaison entre la question de la pauvreté et la question écologique. C’est le texte qu’aurait dû écrire un ou une écologiste en position de pouvoir. C’est la première fois qu’on entend dans un langage simple que la question de la pauvreté et la question écologique sont la même question. C’est très important et cela a un peu bougé, malheureusement pas beaucoup, les chrétiens.

Vous-même, êtes-vous toujours chrétien ?

Oui. Je ne suis pas un bon catholique, mais je ne suis pas antireligieux.

Qu’est-ce que « Gaïa » pour vous en fait ?

Si on cherche un nom qui permette de sortir de la notion de « nature », qui a dépolitisé la question écologique, le mot de « Gaïa » est une bonne alternative. C’est un terme mythologique. Il faut un terme puissant mythologiquement. Et la thèse de Lovelock est une grande découverte scientifique. Elle a un énorme avantage sur le darwinisme.

Darwin ne mettait pas l’accent sur l’environnement, mais sur les organismes dans un environnement au sein duquel il leur fallait survivre. Du point de vue de la philosophie de la nature de Lovelock, l’environnement est produit par les organismes. Cela change tout parce du coup, il devient très difficile de définir un organisme ou même une population d’organismes isolés du reste. Par exemple, si on a plus de bactéries dans l’intestin que de cellules dans le corps, cela devient difficile de définir le soi et les autres. D’où la nouvelle question : qu’est-ce qui évolue maintenant ? Plus personne ne sait ce qui évolue.

Le social-darwinisme est en train de s’effilocher avec cette question des frontières impossibles à délimiter. Pas parce que c’est une idéologie réactionnaire, mais parce que la science a approfondi les relations terrestres de cet état.

La question de Gaïa implique que la Terre se régule elle-même. Elle constitue un système qui a une particularité unique dans l’univers connu. N’est-ce pas une métaphysique non déiste ?

À la fin, il s’agit toujours d’une « métaphysique ». Galilée aussi définissait une métaphysique, toute une cosmologie, commune aux arts, aux sciences, à la politique et à la religion. Nous recommençons, voilà tout.

Vous proposez la réintégration de Gaïa en politique. Philippe Descola nous a appris à sortir de l’opposition entre nature et culture et à reconnaître la possibilité d’imaginer un monde ou les non humains sont en dialogue total avec les humains. Est-ce que cela ne pose pas une question métaphysique ?

Oui. Quelle autre question voulez-vous poser ? On ne peut pas travailler la question écologique sans travailler la question métaphysique et par conséquent aussi la question religieuse. L’indifférence à l’écologie est d’origine religieuse — même dans ses versions les plus apparemment laïques. Nous sommes les seuls capables d’ignorer nos conditions matérielles à ce point-là. Aucune autre culture n’aurait été indifférente à la transformation massive de son environnement pendant si longtemps !

En quoi est-ce religieux ?

L’indifférence de la religion à l’environnement est une indifférence à la matière. Quand le libéralisme de Hobbes se crée au XVIIe siècle, c’est entièrement sur des questions religieuses. On met Dieu à côté — non pas dans un traité de paix avec les religions, mais dans un armistice —, mais le but reste religieux, c’est-à-dire de salut. On le voit encore très clairement avec les États-Unis. Ils se considèrent toujours comme un peuple sauvé. Donc la question écologique ne peut pas les toucher. Rien ne peut leur arriver. Ils ont le droit à la modernisation ! Quand Bush père dit « The American way of life is not negotiable », c’est un argument religieux.

Ma démonstration est au contraire que Gaïa est un personnage séculier et laïque par opposition à la notion de nature. Cette version n’est justement pas providentielle. Alors que la nature, les « lois de la nature » sont une figure providentielle.

Dans Reporterre, vous aviez expliqué que la question du climat est bien plus importante que le terrorisme de Daech.

La question du terrorisme doit être prise au sérieux mais c’est une question de police. Alors que la crise du climat est une question de guerre. Ce n’est pas pareil. Mais la hiérarchie établie par l’Etat est inverse, parce qu’une menace terroriste, c’est idéal pour l’État. Avec l’armée, on défend les gens en leur montrant qu’on fait quelque chose ! Le vide de la politique est matérialisé par le fait que l’État s’intéresse tellement à la question de sécurité.

On ressent une atmosphère d’effondrement, nombre de gens ont le sentiment d’une société qui ne peut plus durer ainsi. Ressentez-vous cette ambiance de l’époque ?

Non, parce que c’est une constante des Modernes depuis toujours. Par contre, ce qui est nouveau, c’est l’irruption d’une Terre qui a des définitions nouvelles. Ce n’est quand même pas arrivé très souvent. Il y a eu le XVIe siècle et il y a maintenant. La première Terre, au XVIe, arrivait en extension, avec des ressources nouvelles. La deuxième Terre, c’est celle qui est déjà occupée mais qu’on redécouvre non plus en extension, mais en intensité. C’est ce qui fait basculer la notion de ressource. La question est de savoir si l’on est capable de décrire cette nouvelle Terre, de se déplacer vers elle et de s’y adapter.

COP23 klimaren goi-bilera: nagiaren gailurra

Unai BREA
www.argia.eus/blogak/unai-brea/2017/11/20/cop23-klimaren-goi-bilera-gailur-nagia/

Fidji Uharteen presidentziapean, 25.000 lagun inguruk bi aste eman dituzte Bonnen, klima aldaketari aurre egiteko bideez jarduteko urteroko hitzorduan. Eta urtero bezala, edo ia, egin zitekeena baino gutxiago egin da, arazoaren larritasunari buruzko diagnostikoa kasik ahobatekoa izan arren. Gailurra hastear zela jakin zen, gainera, berotegi efektuko gasen emisioak gora egin duela, hiru urtez egonkortuta egon ostean.

COP23 goi-bileraren helburua zen 2015eko Parisko Hitzarmena betetzeko funtzionamendu arau bateratuak adostea. Ez zen oso handinahia, eta hala ere ez da guztiz lortu. Bonnen emaitza nagusia Talanoako Elkarrizketa izan da, alegia, 2018an burutu beharko den prozesua, herrialde bakoitzak 2020tik aurrerako emisio murrizketak zehaztu ditzan. Lau orrialdeko dokumentu xumea da abiapuntua, printzipio orokor batzuk eta bilera gehiagorako egutegia jasotzen duena.

Gauden-gaudenean, urtebete galtzeak garrantzia du klima aldaketaren aferan, jada ez baikara etorkizunaz ari. Parisko Hitzarmenak beroketa globala –industrializazioaren aurreko arotik– bi gradutik gorakoa izan ez dadila du helburu, eta ahal dela 1,5ekoa ere ez dadila gainditu. Une honetan 1,2 graduan gaude, eta premia dago neurriak hartzeko. Zientzialarien esanetan, munduko gobernuek gaurdaino aurkeztutako konpromisoek hiru graduko beroketara garamatzate, edo bestela esanda, ondorio ezezaguneko klima hondamendi larrira.