Crise financière : Il faut sortir de cette approche de la richesse
Éric Martin – Doctorant en pensée politique à l’Université d’Ottawa et chercheur à l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS)
Julia Posca – Doctorante en sociologie à l’UQAM et chercheuse associée à l’IRIS
Simon Tremblay-Pepin – Doctorant en science politique à l’Université York et chercheur à l’IRIS
www.ledevoir.com/economie/actualites-economiques/329261/crise-financiere-il-faut-sortir-de-cette-approche-de-la-richesse
Qui mène le monde?
Lise Payette
www.ledevoir.com/economie/actualites-economiques/329144/qui-mene-le-monde
« L’Art d’ignorer les pauvres »
Livre de de John Kenneth Galbraith (Premier titre de la collection Prendre parti), Préface de Serge Halimi
http://boutique.monde-diplomatique.fr/boutique-2/livres/l-art-d-ignorer-les-pauvres.html
Jean-Luc Mélenchon : « Nous sommes le pays qui a le devoir de résister le premier »
Par Agnès Rousseaux, Nadia Djabali, Sophie Chapelle
www.bastamag.net/article1666.html (19 juillet 2011)
Ekonomiaren lerroarteak
Inma Errea
Argia 2011/09/04
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Crise financière : Il faut sortir de cette approche de la richesse
Éric Martin – Doctorant en pensée politique à l’Université d’Ottawa et chercheur à l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS)
Julia Posca – Doctorante en sociologie à l’UQAM et chercheuse associée à l’IRIS
Simon Tremblay-Pepin – Doctorant en science politique à l’Université York et chercheur à l’IRIS
www.ledevoir.com/economie/actualites-economiques/329261/crise-financiere-il-faut-sortir-de-cette-approche-de-la-richesse
Les problèmes qui minent l’économie mondiale sont plus profonds que l’action des seuls spéculateurs ou l’endettement des États.
Depuis septembre 2008, on a entendu les hypothèses les plus diverses concernant la situation économique mondiale: retour à la normale, crise en W, lente et difficile remontée, etc. Une hypothèse, pourtant la plus plausible, n’a pas reçu beaucoup d’échos. Et si la crise était là pour durer?
Bien sûr, les marchés reprendront de la vigueur ici et là, certains pays se porteront mieux que d’autres, mais il faut envisager que, dans l’ensemble, les pays occidentaux pourraient bien ne jamais retrouver la stabilité économique relative qu’ils avaient avant l’an 2000. Pourquoi?
Les problèmes qui minent l’économie mondiale sont bien plus profonds que l’action des seuls spéculateurs ou l’endettement des États. D’abord, l’organisation mondiale du travail a changé, cela saute aux yeux. Les avancées technologiques permettent de produire une quantité phénoménale de marchandises avec un apport en travail humain particulièrement modeste. Il y a donc des humains «en trop» sur la planète, et, comme notre appareil productif n’a pas d’usage pour leur force de travail dès lors superflue, ils vont grossir la masse des exclus.
Or, ce problème, qu’a radicalisé l’arrivée de la micro-informatique, ne nous inquiétait pas trop en Occident, puisque nous étions privilégiés. Les humains utiles pour l’économie, c’était nous, les gens du Nord; les inutiles, c’était ceux du Sud ou de l’Asie.
La donne a toutefois changé ces dernières décennies quand certains de ces pays ont décidé de maintenir leurs devises à un niveau très bas et de se doter des infrastructures nécessaires à la production de «haute technologie», Chine et Inde en tête. Il est alors devenu de plus en plus intéressant pour les multinationales d’exploiter le travail de ces gens-là plutôt que celui des gens d’ici, même pour des emplois exigeant des qualifications élevées.
La consommation à plein régime
Les pays occidentaux devenaient ainsi une mine de consommateurs pour les produits fabriqués ailleurs, alors que leurs emplois transitaient vers le secteur tertiaire, celui des services. Pour faire fonctionner cette économie de consommation à plein régime, les taux d’intérêt furent ramenés au plus bas, et l’utilisation du crédit, encouragée. L’endettement des ménages, lui, explosa puisque les revenus du travail étaient en relative stagnation depuis 30 ans, à cause des mêmes facteurs.
La stratégie économique de l’Occident s’est jouée sur deux thèmes: la finance et l’économie du savoir. Comme les entreprises occidentales ne faisaient pas d’investissements majeurs dans l’économie réelle, mieux valait miser son argent sur leur futur anticipé, sur leur capacité à générer des revenus dans les années à venir. Cette assurance était fondée sur le pari que c’était elles, et non les entreprises d’ailleurs, qui allaient concentrer le goodwill, soit la réputation de leur marque et les innovations créatives produites par les «cerveaux» issus des meilleures universités occidentales.
Pourtant, l’investissement dans le «futur» des grandes économies occidentales est largement à risque, car elles ne sont plus le siège de la production et du travail, et rien n’indique qu’elles le redeviendront. Comme pour les infrastructures technologiques, la formation technique est une exigence à laquelle les pays du Sud peuvent très bien s’adapter. Sur quoi tableront alors les économies occidentales si, en plus, leurs ménages surendettés ne peuvent plus consommer?
Une nouvelle approche de la richesse
Quand les investisseurs n’auront plus confiance dans les économies occidentales, ils se précipiteront vers les valeurs les plus sûres: les ressources de bases (pétrole, métaux, nourriture, eau, etc.). Nous voyons déjà poindre les conséquences sociales de la hausse du prix de ces ressources au nord de l’Afrique et même en Israël.
La crise se maintiendra donc: crise des pays occidentaux qui sont incapables de revenir au centre de l’économie mondiale, tout en voulant maintenir un niveau de vie élevé; crise des populations du Sud, pour lesquelles la vie coûtera trop cher; finalement, crise écologique, qui fera que l’appropriation des ressources restantes aura tôt fait de se transformer en guerre dans certaines régions, comme c’est déjà le cas en Irak ou au Congo.
Une des contradictions de notre système économique se révèle clairement. Grâce aux avancées technologiques, nous avons besoin de moins en moins de travail humain pour satisfaire nos besoins. Nous maintenons cependant une vision de la richesse fondée non pas sur la satisfaction des besoins, mais sur l’accumulation illimitée d’argent. Donc, au lieu de réduire le temps de travail pour tous, ce système contraint la majeure partie de la population à choisir entre travail et indigence.
Il est temps de sortir de cette approche de la richesse, et de nous demander ce dont nous avons besoin et comment nous voulons le produire en nous adaptant aux capacités limitées de la Terre. Cela ne sera pas simple, il faudra discuter, s’entendre et s’organiser, plutôt que de laisser les marchés se «réguler» d’eux-mêmes. C’est probablement notre seule voie de sortie — celle que nous empruntons actuellement nous mène à la faillite.
Qui mène le monde?
Lise Payette
www.ledevoir.com/economie/actualites-economiques/329144/qui-mene-le-monde
Tous les pays du monde vivent à crédit. «Jouissez maintenant, payez plus tard» était le slogan du capitalisme international. Chaque pays avait sa carte de crédit: schlack-schlack.
Nous sommes des citoyens si naïfs. Nous pensions vivre en démocratie, car nous votons tous les quatre ans afin de désigner les politiciens qui veilleront à la bonne administration de la chose publique. Mais qui mène le monde quand les dirigeants ont les mains liées par des déficits qu’ils n’arrivent plus à rembourser? Cette situation ne touche pas seulement les États-Unis. Plusieurs pays de la zone euro sont au bord de la faillite et nous-mêmes, nous sommes loin d’être au-dessus de la mêlée. Criblés de dettes. Tous.
Au-dessus des gouvernements, ce sont les dieux de la finance qui mènent le monde. Ils s’appellent Moody’s, ou Standard & Poor’s, ou Fitch Ratings. Ce sont ces agences qui mettent les pays à genoux. Vous avez intérêt, que vous soyez un grand ou un petit pays, à être dans les bonnes grâces des agences de notation. C’est essentiel. Elles jugent de la santé financière des États et, si son verdict est mauvais, vous n’êtes pas mieux que mort.
Les agences qui évaluent la performance financière des gouvernements à travers le monde se situent au-dessus de tout. Elles contrôlent l’accès au crédit dans le monde entier et il suffit qu’elles regardent un gouvernement de travers, n’importe où sur la planète, pour que les taux d’intérêt se mettent à grimper ou à s’effondrer, que les banques se mettent à paniquer et que les ministres des Finances fassent de l’urticaire, qu’ils soient grecs, irlandais, espagnols, italiens, canadiens ou québécois. Tous dans le même panier. Un fameux panier de crabes.
Nous n’avons jamais réalisé que, en élisant nos représentants, notre vote ne servait qu’à élire les «concierges de l’immeuble», ces grands immeubles qu’on appelle des pays. Le grand patron, celui qui déterminera ce que votre concierge peut faire ou ne pas faire, c’est l’agence Moody’s, Standard & Poor’s ou Fitch Ratings. En quelques semaines, on vient de voir ces agences menacer du pire l’Europe tout entière et faire blanchir les cheveux de Barack Obama, qui était déterminé à garder sa cote AAA comme si sa vie en dépendait.
Quand l’agence, qui est Dieu, qui voit tout et qui sait tout, menace de décréter la décote, ce mot horrible qu’on ne prononce que les yeux baissés, la sueur au front et les mains moites, c’est la déprime. On annonce qu’on va devoir couper dans les services ou augmenter les impôts afin de diminuer LA dette, car se voir décoter, ça empêche tous les ministres des Finances de dormir la nuit.
Le capitalisme est ainsi fait. C’est le système qui carbure au crédit et les pays, comme les individus, n’y échappent pas. Nous avons chacun notre cote de crédit. Il suffit de se présenter à la banque ou à la caisse pour emprunter et on vous jugera sur votre comportement financier. L’agitation politique qu’a connue la zone euro au cours des derniers mois a obligé ses dirigeants à «inventer» des moyens d’intervention jamais vus pour sauver les pays qui étaient au bord du précipice.
Les agences d’évaluation mesurent la capacité de payer ses dettes dans les temps promis. Ces temps-ci, disons que ça va plutôt mal. Plusieurs pays européens sont aux soins intensifs et des peuples entiers se révoltent parce qu’ils perdent ce qu’ils avaient mis des siècles à obtenir, comme des retraites décentes ou des soins de santé accessibles. Ces acquis de leurs vies collectives ont tendance à fondre au soleil.
Certains diront que les fameuses agences de notation sont des garde-fous. Que ce sont les gouvernements qui dépensent comme des fous. Ce qui démontrerait bien que ce sont les agences que nous devrions élire en démocratie puisque ce sont elles qui ont le dernier mot. Elles détiennent, en tous les cas, un immense pouvoir et nous devrions savoir à qui nous avons affaire.
Quand la nouvelle arrive au Conseil des ministres, à Québec, que l’agence de notation pourrait envisager de baisser la cote du Québec parce qu’on a un programme social trop généreux, parce que les droits de scolarité sont trop bas ou qu’on envisage de baisser le coût des médicaments, le frisson est perceptible. Au fond, c’est l’agence qui décide, au bout du compte, ce qu’un gouvernement élu démocratiquement peut faire ou ne pas faire.
L’agence, c’est comme un gouvernement international qui n’en a pas le nom mais qui en a les moyens, qui peut choisir de laisser aller une dette nationale sans intervenir parce que ça sert des intérêts particuliers qu’il favorise ou parce que ça lui permet de modeler un gouvernement comme il le souhaite. C’est surtout comme un gouvernement international qui n’aurait de comptes à rendre à personne. Assez inquiétant.
« L’Art d’ignorer les pauvres »
Livre de de John Kenneth Galbraith (Premier titre de la collection Prendre parti), Préface de Serge Halimi
http://boutique.monde-diplomatique.fr/boutique-2/livres/l-art-d-ignorer-les-pauvres.html
« Il y a deux manières de favoriser le retour au travail des chômeurs, expliquait en 2010 l’hebdomadaire libéral The Economist. L’une est de rendre inconfortable ou précaire la vie de ceux qui reçoivent une allocation chômage ; l’autre consiste à faire que la perspective d’un emploi devienne viable et attirante. » La question de la « viabilité » d’une recherche d’emploi est cependant posée quand le taux de chômage atteint ou dépasse les 10 %. Et l’« attrait » du travail salarié décline quand les rémunérations se tassent, quand le stress et les pressions se multiplient. Reste alors à rendre encore plus « inconfortable ou précaire » le sort des chômeurs.
Telle est la stratégie que les libéraux au pouvoir et les organisations économiques internationales poursuivent depuis une trentaine d’années. Les articles de John Galbraith et de Laurent Cordonnier le rappellent avec une ironie ajustée au cynisme qu’ils exposent. Avec le texte bien antérieur de Jonathan Swift (1729) qui conseillait aux pauvres d’échapper à la misère en saignant leurs enfants afin de les commercialiser sous forme de « nourrisson de boucherie », plutôt que de se saigner eux-mêmes à élever leur progéniture au risque de la voir ensuite déraper dans le crime et servir de gibier de potence, on passe de l’ironie à l’humour sardonique.
L’intérêt d’un tel registre tient à ce qu’il nous éclaire en nous épargnant l’emphase indignée, les émollientes pleurnicheries. Car qu’il s’agisse des propriétaires fonciers irlandais, des économistes de l’école de Chicago entourant Ronald Reagan, ou de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), leur opposer une protestation morale, faire appel à leurs sentiments n’aurait guère de sens. Riches, instruits, intelligents (le plus souvent…), c’est en effet en connaissance de cause qu’ils défendent une philosophie sociale conçue à leur avantage et qui, sans qu’on la caricature trop, se résume presque toujours ainsi : les riches seraient plus entreprenants s’ils payaient moins d’impôts ; les pauvres seraient plus travailleurs s’ils recevaient moins de subsides.
Des parrains aussi anciens que prestigieux fondent cette doctrine. Emissaire de la révolution américaine à Paris et rédacteur de la Déclaration d’indépendance, Benjamin Franklin estimait dès 1766 que, « plus on organise des secours publics pour prendre soin des pauvres, moins ils prennent soin d’eux-mêmes et, naturellement, plus ils deviennent misérables. Au contraire, moins on fait pour eux, plus ils font pour eux-mêmes, et mieux ils se tirent d’affaire. » En somme, abandonner les indigents à leur sort serait un moyen de leur rendre service. L’avarice devient ainsi une forme intellectuellement avancée de générosité humaine voire, osons le mot, d’aide sociale.
En temps ordinaires, une théorisation aussi aboutie de l’égoïsme serait déjà presque irrésistible. Que dire alors des temps de crise, des moments où la plupart des gouvernants nous serinent que « les caisses sont vides », qu’un endettement croissant menacerait « l’avenir de nos enfants » ? Instruit du danger collectif, de l’urgence de « faire des sacrifices », chacun imagine alors assez volontiers que, même en période d’austérité, il serait, lui, mieux remboursé de ses soins (lorsqu’il tombe malade), mieux compensé au cours de ses périodes d’inactivité (quand il devient chômeur), si d’autres, forcément moins méritants, ne l’étaient pas autant.
On le sait assez : sitôt que la confiance en l’avenir se lasse, que les murs se referment sur eux, les gens se dressent les uns contre les autres – surtout s’ils se côtoient et se concurrencent pour un même type d’emploi, de logement, d’école. Le soupçon que son niveau de vie médiocre ou le montant excessif de ses impôts s’expliqueraient par les avantages innombrables dont bénéficieraient les « assistés » alimente un baril de ressentiments que la moindre étincelle peut faire exploser. Les pyromanes ne manquent pas. En un sens, les rationalisations distinguées du Fonds monétaire international (FMI), de l’OCDE, des « boîtes à idées » ou de la Banque centrale européenne ont pour vocation d’encourager les gouvernants et les journalistes à frotter l’allumette.
Alors, sus aux parasites ! Le « devoir d’informer » va se charger de nous détailler la vie de château qu’ils mènent. « Quand on est RMiste, relevait ingénument Le Point du 28 septembre 2006, on a aussi droit à : l’allocation-logement à temps plein ; la suspension de ses dettes fiscales ; l’exonération de sa taxe d’habitation, de sa redevance, de sa cotisation à la couverture-maladie universelle ; l’accès gratuit à la complémentaire santé de la CMU ; la prime de Noël ; le tarif téléphonique social ; la réduction dans les transports, la gratuité des musées, diverses allocations supplémentaires (en fonction de son lieu d’habitation). »
Le 4 juin 2011, Le Figaro Magazine réservait à son tour sa une à une périlleuse « Enquête sur la France des assistés : ces ‘allocs’ qui découragent le travail ». La couverture représentait un jeune homme vigoureux qui, sans doute bercé par la sollicitude de l’Etat-providence, somnolait dans un hamac tricolore. De fait, si ce fainéant touchait le revenu de solidarité active (RSA), il empochait alors d’un coup la somme rondelette de 467 € par mois (700 € pour un couple sans enfant dans la même situation). RSA, « un boulet dont le coût dépasse 10 milliards d’euros », relevait donc Le Figaro Magazine, toujours précis. « Le ras-le bol monte dans les départements », mais les Alpes-Maritimes « se dotent d’une brigade antifraude au RSA, une première en France » se réjouissait-il ensuite dans un encadré nous signalant que « seize contrôleurs sont chargés de vérifier les factures d’eau, de téléphone et d’électricité. Ils travaillent avec la Caisse d’allocations familiales et peuvent croiser divers fichiers administratifs. »
Ni M. François Pinault, propriétaire du Point, ni M. Serge Dassault, propriétaire du Figaro, n’ont habitué les lecteurs de leurs publications à entourer d’autant de faveurs les contrôles de l’Etat, qu’en général ils jugent tatillons, bureaucratiques, inquisitoriaux, surtout quand ceux-ci concernent les grosses entreprises et les riches. Mais il est vrai que MM. Pinault et Dassault comptent au nombre des cent plus grosses fortunes du monde… Avec 11,5 milliards de dollars pour le premier, 9,3 milliards de dollars pour le second, l’un et l’autre disposent d’un montant presque équivalent à ce que coûte chaque année le RSA pour la totalité des Français.
Dès juillet 1984, lors de la convention du parti démocrate de San Francisco, le gouverneur de New York, Mario Cuomo, dressait l’acte d’accusation d’un individualisme libéral qui, Ronald Reagan aidant, avait déjà le vent dans les voiles : « La différence entre démocrates et républicains a toujours été mesurée en termes de courage et de confi ance. Les républicains pensent que le convoi n’atteindra jamais son objectif à moins que certains vieux, certains jeunes, certains faibles ne soient abandonnés sur les bas-côtés de la route. Nous, démocrates, croyons qu’il est possible d’arriver à bon port avec toute la famille intacte. Et nous y sommes parvenus à plusieurs reprises. Nous avons commencé lorsque Roosevelt se dressa de sa chaise roulante pour relever une nation à genoux. Wagon après wagon, frontière après frontière, toute la famille à bord. Chaque fois tendant la main à ceux qui voulaient monter dans notre convoi. Pendant cinquante ans, nous les avons tous menés à bon port, vers plus de sécurité, de dignité et de richesse. N’oublions pas que nous y sommes parvenus parce que notre nation avait confiance en elle. »
Un mois plus tard à Dallas, Phil Gramm lui répondait lors de la convention du parti républicain. Pour cet économiste, qui jouerait plus tard un rôle clé dans la (désastreuse) déréglementation financière américaine, la « famille d’Amérique » de Cuomo ne constituait qu’une ruse sémantique permettant de ne pas parler de l’Etat prédateur. Quant au convoi solidaire qu’avait évoqué le gouverneur de New York, il n’atteindrait jamais sa destination, car la locomotive n’avançait plus tant le train qu’elle tirait était bondé : « Il y a, résuma Phil Gramm, deux catégories d’Américains : ceux qui tirent les wagons et ceux qui s’y installent sans rien débourser, ceux qui travaillent et paient des impôts, et ceux qui attendent que l’Etat les prenne à sa charge. » Conclusion : il fallait débarquer les oisifs et les parasites dans une prairie ou dans le désert si on escomptait encore que la locomotive américaine retrouve sa vitesse de croisière et reprenne son périple vers la nouvelle frontière. Question discours, celui de Mario Cuomo marqua les mémoires ; nul ou presque ne se souvient des propos de Phil Gramm. Soit, mais cette année-là, Ronald Reagan remporta l’élection dans quarante-neuf des cinquante Etats…
La crise financière a porté à son acmé la consternation qu’occasionnent chez les riches les prodigalités déversées sur les pauvres. Dorénavant c’est la majorité de la population qui figure dans la ligne de mire des possédants. Car, ainsi que l’explique Laurent Cordonnier dans cet ouvrage, il s’agit pour eux de diviser le salariat afin de le vaincre tranche après tranche. Ils commencent donc par sa fraction la moins organisée, les chômeurs et les travailleurs immigrés, se réservant pour la fin l’aile la plus coriace, la plus syndicalisée. Isolée, jalousée, dépourvue d’alliés, comment parviendrait elle à défendre très longtemps ce qu’elle a autrefois conquis, et que l’OCDE, les patronats, les gouvernements et les médias ont décrété « privilèges » ?
Il en est pourtant de plus appréciables… Ainsi, depuis 2009, grâce à des injections plantureuses d’argent public, les banques ont retrouvé leurs couleurs. Elles émergent même de la crise financière plus puissantes qu’avant, plus susceptibles encore de prendre les Etats « en otage » lors d’une prochaine tempête. Et elles invoquent le poids de l’endettement, astucieusement mis entre parenthèses tant qu’il fallait débourser des montants dépassant l’entendement pour sauver Goldman Sachs, la Deutsche Bank ou BNP Paribas, comme prétexte… au démantèlement de la protection sociale et des services publics.
On ne sait pas trop si, vivant aujourd’hui, Swift aurait dû forcer son talent pour décrire la juxtaposition audacieuse d’une pratique laxiste amputant les recettes fiscales au profit des riches et d’un discours de « rigueur » visant à refouler les dépenses budgétaires de l’Etat-providence. En France, par exemple, depuis l’élection de M. Nicolas Sarkozy, la droite a successivement réduit les droits de succession, résolu d’éliminer la taxe professionnelle acquittée par les entreprises, et divisé par trois le taux d’imposition des fortunes supérieures à 3 millions d’euros. Le rapporteur général du budget, M. Gilles Carrez (UMP), a précisé par ailleurs que « les plus grandes entreprises, celles de plus de 2,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires, paient entre 15 et 20 % de l’impôt sur les sociétés, alors qu’elles réalisent entre 50 et 70 % du chiffre d’affaires ». Ainsi, Total, dont le résultat net atteignait 10,5 milliards d’euros en 2010, n’a pas payé d’impôt sur les sociétés cette année-là. On conçoit donc volontiers qu’un ministre français, M. Laurent Wauquiez, ait dénoncé le « cancer » de l’« assistanat ». Magnanime avec Total, son gouvernement a cependant su récupérer 150 millions d’euros ailleurs, en fiscalisant les indemnités journalières versées aux victimes d’accident du travail.
Swift suggérait qu’à défaut d’être dévorés à temps, les enfants de pauvres importuneraient les passants et dès l’âge de six ans s’emploieraient à les détrousser. En revanche, insistait-il, un « nourrisson de boucherie engraissé à point fournira quatre plats d’une viande excellente ». Devant une telle alternative, comment hésiter ? Le satiriste irlandais ne connaissait pas les textes de l’OCDE, mais déjà à son époque les libéraux proclamaient que la loi du marché celle qui, dans l’Irlande du XIXe siècle, occasionnerait une des plus meurtrières famines de l’histoire de l’humanité résoudrait tous les problèmes, y compris ceux de la surpopulation. Une seule condition : qu’on la laisse jouer à plein. Ceux qui proposaient autre chose ne pouvaient être que de doux rêveurs ou de dangereux agitateurs.
Invoquer l’évidence, l’absence de choix réel, constitue un procédé familier pour garantir que des réformes, parfois un peu bourrues, se déploieront sans résistance. Ainsi, plutôt que de se résoudre, très raisonnablement, à accommoder « un jeune enfant en bonne santé et bien nourri sous forme de fricassée ou en ragoût », des écervelés ne risquaient ils pas à l’époque de proposer de sortir de la misère irlandaise grâce à une fiscalité nouvelle, des droits de douane, une réforme agraire ? Face à des suggestions aussi démentes, hurluberlues, utopiques, le satiriste imaginait cette réplique qui sonne encore aujourd’hui comme un appel à l’action : « Qu’on ne vienne pas me parler de ces expédients ni d’autres mesures du même ordre, tant qu’il n’existe pas le moindre espoir qu’on puisse tenter un jour, avec vaillance et sincérité, de les mettre en pratique. »
Certains de ces expédients utopiques ont sans doute été mis en pratique puisque les repas irlandais n’incluent toujours pas dans leurs menus les mets « excellents et nourrissants » que Swift avait autrefois imaginés.
Jean-Luc Mélenchon : « Nous sommes le pays qui a le devoir de résister le premier »
Par Agnès Rousseaux, Nadia Djabali, Sophie Chapelle
www.bastamag.net/article1666.html (19 juillet 2011)
Pour Basta !, Jean-Luc Mélenchon, candidat du Front de gauche à l’élection présidentielle de 2012, explique sa vision de « la rupture » : rupture avec les marchés financiers, avec le productivisme ou avec la social-démocratie… À quoi il oppose une « révolution citoyenne » et une « planification écologique ». Entretien avec le leader du Parti de gauche reconverti à l’impératif écologique et admirateur de Jaurès.
Basta ! : Imaginez que la gauche, la vôtre, remporte les élections. Vous lancez des réformes fiscales, des politiques sociales, reconvertissez l’économie… Et là, les agences de notation dégradent la note de la France, la dette grimpe, les taux d’intérêt s’alourdissent. Comment réagissez-vous ?
Jean-Luc Mélenchon : Ce triste sort ne sera pas réservé qu’à un gouvernement du Front de Gauche. Si c’est un gouvernement socialiste, les agences de notation lui tomberont dessus avec la même sauvagerie. Les fonds de pensions savent que les socialistes ne résistent pas. Ils n’ont pas résisté en Grèce. C’est un événement dont la portée dépasse la Grèce. C’est à peu près l’équivalent de ce qui s’est passé avec le vote des crédits de guerre en 1914. Les socialistes allemands avaient juré de faire la grève générale s’il y avait la guerre… Et ils ont voté les crédits de guerre ! La guerre commence avec les banques, et qui est le premier à se coucher et à faire passer son peuple à la caisse ? Le Premier ministre grec, président de l’Internationale socialiste. Et si c’est un gouvernement de droite, ce sera pareil. Les Français sont détestés par la finance anglo-saxonne. Pour eux s’il y a un pays dont il faut briser les reins, c’est bien la France. Parce que la France, ce sont les services publics, c’est « liberté-égalité-fraternité ». La méthode Sarkozy consiste à passer par-dessus bord, petit à petit, tout notre appareil égalitaire : les retraites, la santé, bientôt l’école. Et le monstre financier n’est jamais repu. Il est insatiable. La France est un fruit juteux. Elle sera attaquée.
Mais quelle alternative à un éventuel plan d’austérité ?
Le système est dans une impasse. M. Sarkozy ne tient pas tête. Les socialistes capitulent. Et nous ? On résistera sans concession ! Ceux qui viendraient nous prendre à la gorge seront servis, parce que l’emprunteur a toujours la capacité de ne rien rendre. Que tout le monde gagne sa vie, d’accord, mais pas sur le dos du peuple français, avec des taux d’intérêt à 10% ou 15% ! Pour cela il faut modifier la gestion de la monnaie unique. Il faut changer le statut de la Banque centrale européenne. Là est la clef de tout. Les libéraux ont pris la clef, l’ont jetée au fond de la mer et disent : « Il n’y a pas de clef, il n’y a pas de porte, on ne touche à rien ». L’ancien directeur de la BCE, Jean-Claude Trichet, nous dit : « Si vous rééchelonnez la dette, les compagnies d’assurance vont s’écrouler ». Madame Merkel nous dit : « Oui, mais si jamais ils ne payent pas la dette, les banques vont s’écrouler ». Et nous en sommes là. Tout ça va se casser la figure. Nous ne savons pas à quel rythme, mais c’est parti pour. Récupérons la clef ! Comment construire le rapport de force ? En mettant en place les mesures techniques qui permettront d’assainir la sphère financière. Nous les proposons à tout le monde, et nous les appliquerons dans notre pays. Ce n’est pas à nous d’avoir peur. C’est ceux qui comptent sur notre bêtise pour continuer à les engraisser, sans aucune justification. Il est normal que tous ceux qui apportent quelque chose à la production reçoivent un retour. Mais ceux qui ne sont pas raisonnables de bon gré, le seront donc par la force ! Celle de la loi.
Sur quelles forces pouvez-vous vous appuyer, en Europe ou ailleurs, pour que la France ne se retrouve pas isolée face aux marchés financiers ?
Le premier élément du rapport de force, c’est le peuple conscient, intervenant, impliqué. On ne peut pas gagner en étant enfermé à l’Élysée ou dans trois ministères. Et en Europe ? Nous allons convaincre. D’une frontière à l’autre, il n’y a que des êtres humains, semblables dans leurs aspirations, leurs besoins, leurs amours. Je suis certain que la parole de la France serait entendue. D’abord parce que nous sommes bientôt les plus nombreux : quand même déjà 64 millions ! Nous sommes la deuxième puissance économique de l’Union. Nous sommes un grand peuple, éduqué, formé. Celui de la grande révolution de 1789 ! Notre devoir est de résister les premiers. Quand un pays résistera, la peur changera de camp, plus personne ne voudra céder. Les Islandais l’ont fait, en disant par référendum « on ne paie plus ». Ils s’assoient sur leurs dettes. Leur première décision : élire une Constituante. Grande leçon ! Tel est notre temps : la situation se noue sur le plan social – les gens n’en peuvent plus, ne supportent plus – mais elle se traduit en revendiquant la démocratie. Ce que subissent aujourd’hui les Grecs, c’est la violence d’une Europe autoritaire. Je ne demande qu’à être démenti par les faits ! Vérifions par les urnes ! En Grèce, faites voter ! L’Union européenne préfère imposer ses pillages par la force. Sitôt qu’on entre dans le vif du sujet, les masques tombent : la liberté et la démocratie sont de notre côté, l’oppression, la tyrannie, les méthodes violentes sont du leur.
Votre programme d’action est fondé sur une « révolution citoyenne ». Qu’entendez-vous par là ?
D’abord il y a le mot « révolution », il ne faut pas le brader. « Révolution », cela touche des domaines bien précis. Premièrement, les institutions : fin de la monarchie présidentielle, bataille pour la 6ème République et Assemblée constituante. Ensuite, une modification du régime de la propriété. Dans la révolution citoyenne, certains secteurs d’activité sortent de la propriété capitaliste et du marché : l’éducation, l’énergie, les transports, la santé, l’argent lui-même qui doit redevenir un bien commun. Troisième élément, la modification de la hiérarchie des valeurs : ce ne sera pas la concurrence libre et non faussée ou la liberté du commerce, mais la coopération et la soumission de toute décision à l’impératif de conservation de l’écosystème qui rend la vie humaine possible. Cette révolution est « citoyenne ». L’adjectif n’est pas là pour adoucir ou faire passer la pilule. Il veut dire que le moyen de la révolution égale sa fin. Le moyen, c’est l’action consciente et délibérée – au sens de mise en délibération – du peuple qui exerce le pouvoir. Chaque personne devient citoyenne : elle n’exprime pas seulement ce qui est bon pour elle, ce qu’elle peut faire par exemple dans le cadre du syndicat ou dans le cadre de l’association, elle dit ce qui est bon pour tous. Chacun d’entre nous est investi d’une mission un peu « sacrée », magique : penser ce qui est bien pour tout le monde. L’objectif, c’est que l’humanité s’autodétermine. Qu’elle cesse non seulement d’être en proie à des vérités révélées – auxquelles nous sommes chacun libres de croire en notre for intérieur – mais qu’elle soit aussi libérée de l’injonction que représenterait la main invisible du marché. Une humanité rendue citoyenne c’est une humanité émancipée.
Comment faire en sorte que les citoyens soient en capacité de porter cette révolution, de « penser pour tout le monde » ?
On ne peut pas s’impliquer dans la vie de la Cité si la préoccupation numéro un, c’est de survivre jusqu’à demain et peut-être même jusqu’à tout à l’heure. La condition de base est donc une répartition des biens qui permettent de vivre. Et puis il y a l’éducation : il faut être capable. Il n’y a rien de plus humiliant et dégradant pour quelqu’un que de se savoir ignorant. Il faut un peuple éduqué, avec un rapport critique au savoir. D’où la place de l’école. Ensuite il y a les médias : des gens dont c’est le métier de nous procurer les informations dont nous avons besoin pour être des personnes responsables et capables d’agir en toute conscience. D’où la place centrale de l’information et du système des médias dans la citoyenneté. Les médias sont au service de la conscience civique et leur devoir est de la servir. Ils ne peuvent être irresponsables, ils appartiennent à l’esprit public. C’est très exigeant, c’est comme l’école, qui appartient à la Nation. Avec cela, on aurait déjà les bases. C’est le mécanisme idéal. Une école qui éduque correctement et qui éveille les enfants, des médias réellement respectueux de leur public et de la citoyenneté de ceux qui les lisent… Cela a l’air d’être de bon sens. Mais, dans la vie, rien ne se passe comme cela.
Votre idée de révolution serait-elle donc fondée sur un idéal inatteignable ?
Dans le monde réel, ces choses ne se réaliseront qu’à condition qu’on les aide à se réaliser. En Amérique du Sud, au Maghreb ou en Espagne avec les Indignés, les gens demandent tous la même chose : la liberté, la démocratie, le droit de gagner son pain. Le monde stable, en équilibre, n’existe pas. C’est la lutte qui est mère de toute chose ! Démocrite nous l’a enseigné au 5ème siècle avant notre ère. Commençons par avoir un comportement adulte, acceptons que telle est bien la réalité et tâchons d’y trouver notre place en donnant à cette lutte une forme civilisée : « la démocratie ». Et ensuite réglons les problèmes par le débat, le consentement, et quand nous ne sommes vraiment pas d’accord, l’arbitrage.
Pas par le consensus ?
Le consensus, c’est la violation de la démocratie. Assumons que nous sommes dans des contradictions qu’il faut dénouer, que ce n’est pas malsain que nous ne soyons pas d’accord, et, qu’à la fin, il faut trancher. Et que si l’on se trompe, il faudra peut-être y revenir une deuxième fois. Le réel n’attend pas pour avoir sa propre dynamique. Et la dynamique actuelle, c’est une crise de la civilisation humaine sous l’impact de deux chocs : la crise du modèle capitaliste d’accumulation qui aboutit à l’absurdité que l’on a sous les yeux. Et la crise écologique qui va mettre tout le monde d’accord plus vite que n’importe quelle autre contradiction du capitalisme. Nous sommes dans cette séquence-là, pas dans une séquence apaisée, où l’on discute tranquillement. C’est dans le bruit et la fureur que les choses se construisent à présent. Nous sommes à une période où les êtres humains ont intérêt à savoir ce qu’ils veulent, parce que s’ils ne « savent » pas, l’impact de leurs propres activités va s’imposer à eux. L’écosystème va être détruit. C’est un moment angoissant mais superbe aussi. Nous sommes en pleine responsabilité, comme lorsque on devient adulte. C’est un peu laborieux, nous ne sommes jamais sûrs d’y être arrivés, même à mon âge. Mais c’est quand même bon de se sentir maître de soi, « émancipé », autonome. La révolution citoyenne est une révolution humaniste qui commence, qui passe et qui finit par l’humain. Et ce mouvement-là englobe tout, l’écosystème et aussi les règles sociales.
Vous insistez sur « l’impératif de conservation de l’écosystème ». Que répondez-vous à ceux qui affirment que l’écologie est un problème secondaire par rapport aux problèmes sociaux ?
Cela part d’un malentendu, d’une incompréhension. Il est absolument impossible de séparer quoi que ce soit de l’écologie. Quand on parle de l’écologie politique, on parle de la manière d’appréhender la vie en commun des êtres humains, en tenant compte de sa compatibilité avec l’écosystème. Pour beaucoup de gens, l’écologie est une sorte d’environnementalisme light doublé d’un peu de bonne conscience civique. Ce n’est pas de cela dont il s’agit. On parle de la préservation de l’écosystème qui rend la vie humaine possible. Si on l’épuise, il n’y a plus de vie humaine et donc plus de question sociale, plus de question politique. Sans l’impératif de protection de l’écosystème, on pourra inventer tout ce qu’on veut, si tout le monde est mort, il n’y aura plus personne pour en discuter. Ce constat refonde la totalité de l’idéal de gauche. Il y a un écosystème unique pour les êtres humains, tous dépendants de cet écosystème. Donc il y a un intérêt général qui n’est pas que le résultat des intérêts particuliers. L’écologie politique, ce n’est donc pas le énième chapitre du programme. C’est le cœur, qui nous aide à penser la totalité du programme. C’est la raison pour laquelle nous nous considérons comme un parti écologiste. Pas parce que c’est un des thèmes de la lutte – on aurait pu ajouter laïc, féministe, qui sont des thèmes de lutte centraux pour nous – mais parce que s’en est la condition initiale. Notre devise est « écologie, République, socialisme ». L’écologie est un thème encore trop récent, mais l’ampleur de la catastrophe qui menace va vite conduire tout le monde à réfléchir. Il n’y a pas de meilleure école que la lutte et la réalité.
Vous prônez une « planification écologique », c’est-à-dire ?
(…) SUITE LA SEMAINE PROCHAINE !
Ekonomiaren lerroarteak
Inma Errea
Argia 2011/09/04
Ez dugu ulertzen mehatxuaren zergatia: Zer egin dugu (gaizki) herritarrok –langileok, kontsumitzaileok…– egoera honetara iristeko? Komunikabideek helarazten dizkiguten mezu ilun eta kontrajarriak entzuten ditugu sor eta lor, eta erdi ezkutuan datozkigun abisuak
interpretatzen saiatzen gara. Argibideak bilatzen ditugu, baina maiz erantzunik eskuratzeko astirik gabe jotzen gaitu krisiak.
2011ko uda honetan Ekonomialari Harrituen Manifestua (Manifeste d’économistes atterrés) euskaratzen ibili naiz. Ez da izan itzulpen-lan arrunta: gaiak, krisiak, zuzenean eragiten du (gehienetan txarrerako) pertsona askoren bizimoduan, eta horregatik, testua ulertu eta itzultzeaz gain, edukia interpretatu behar da, eta gori-gorian dagoen errealitate ekonomikoarekin erkatu. Izenburutik hasita: frantsesezko atterrés hitza esanahi askotarikoa da, eta bere baitan biltzen ditu laztura, asaldura eta haserrea. Baina, nire ustez, ekonomialari frantsesek gehienbat harrimenaz jota idatzi zuten manifestua 2010eko irailean. Harriturik zeuden Europako botere ekonomiko eta politikoek krisialditik irteteko neurri gisara krisialdira bultzatu gintuzten politikak aplikatzen segitzen zutelako. Gutako asko ere harrituta gelditu gara 2011ko uda honetan, finantza-merkatuek sortutako krisialdi honi aurre egiteko XX. Mendeko 80ko hamarkadan krisialdi industrialetik ateratzeko proposatutako neurri berberak aipatzen dizkigutelako: beherakadak soldatetan, erraztasunak langileak kanporatzeko, murrizketak gizarte, hezkuntza eta osasun gastuetan… Manifestuan proposamen horiei aurre egiten dieten ekonomialarien iritziz, berriz, krisialditik irteteko jendearen ongizatea bultzatu beharra dago, krisialditik irteteko, botere ekonomikoek murriztu nahi duten gastu sozial publikoak suspertuko baitu ekonomia, ez jendearen bizi-baldintzak estutzeak. Ekonomialari horiek diote herritarrok hartu behar ditugula ekonomiaren inguruko erabakiak, irtenbideei buruz jendaurrean eztabaidatuta. Eztabaidatzeko, ordea, gaia zertan den ulertu behar dugu. Manifestuaren helburuetako bat herritarron zalantzak hitzez eta kontzeptuz hornitzea da, ohartu gaitezen bestelako irtenbideak badirela. Egokia dirudi ideiak: albistegiek lerroartean mozorroturik eta bestela bezala helarazten dizkiguten hitz eta kontzeptu trinko eta abstraktu horiek gizartea gero eta gehiago estutzen duen sistema ekonomikoak sortuak dira, eta, zientzia ekonomikoaren gerizpean, sistema hori sostengatzen dute. Sistemak eragindako desoreken zama pairatu behar izaten dugunok eskubidea dugu, eta beharra, sistemak nola funtzionatzen duen jakiteko, eta sistemaren euskarri diren hitzak ulertzeko. Baina kontziente izan behar dugu krisialdietan ere (eta batez ere krisialdiei esker) mozkinak bereganatzen trebeak direnen hitzak eta kontzeptuak direla, eta horregatik direla batzuetan ulertzeko hain zailak. Eta, hitz horiek ulertu edo ez, denok garela nor zerbait esan eta erabakitzeko, denok baitakigu bereizten jokabide zuzenak eta bidezkoak ez diren egoerak.