Sprint final pour soutenir le tour Alternatiba : le coup de pouce, c’est maintenant !
Collectif
www.bastamag.net/Sprint-final-pour-soutenir-le-tour
La COP de Paris : une étape charnière dans l’affrontement entre le paradigme du contrôle et celui de la démocratie
Entretien avec Vandana Shiva par Nicolas Haeringer
https://france.attac.org/nos-publications/lignes-d-attac/janvier-2015/article/la-cop-de-paris-une-etape
Réparation citoyenne : la parade à l’obsolescence programmée
Lorène Lavocat
www.reporterre.net/Reparation-citoyenne-la-parade-a-l
Catastrophes climatiques cotées en Bourse – Quand la finance se branche sur la nature
Razmig Keucheyan
Le Monde Diplomatique
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Sprint final pour soutenir le tour Alternatiba : le coup de pouce, c’est maintenant !
Collectif
www.bastamag.net/Sprint-final-pour-soutenir-le-tour
Le Tour Alternatiba, c’est le “road-movie climatique” de l’été 2015. L’idée, cheminer sur 5000 kilomètres pour rendre visible les alternatives permettant de limiter le changement climatique. Un vélo quatre places partira de Bayonne le 5 juin, journée mondiale de l’environnement, et arrivera à Paris le 26 septembre pour l’ouverture du village des alternatives de Paris. Des milliers de dossards Alternatiba suivront ce vélo insolite dans son périple, ponctué d’étapes, de vélorutions, d’animations, de rencontres, de réunions publiques. Il ne reste que quelques jours pour participer au financement de l’opération. Basta ! relaie l’appel.
Le Tour Alternatiba, qui parcourra cet été 5000 kilomètres pour le climat sur une quadruplette (un vélo 4 places), a entamé le sprint final de sa campagne de financement participatif.
À la suite des dizaines de villages des alternatives au dérèglement climatique qui se sont lancés en quelques mois après celui de Bayonne, le mouvement Alternatiba prépare à travers ce Tour une mobilisation populaire de grande envergure, dans la perspective de la COP21, le sommet historique de l’Onu sur le climat qui se tiendra à Paris à la fin de l’année 2015. Pourquoi une mobilisation populaire ? Parce que le dérèglement climatique nous concerne directement, et que de nombreuses alternatives existent déjà sur nos territoires, dans tous les domaines de notre vie quotidienne.
Le vélo 4 places d’Alternatiba, symbole de la transition écologique et de la justice sociale, sera le fil conducteur de 188 événements-étapes qui consisteront à montrer toutes ces alternatives, et à montrer en quoi elles construisent un monde meilleur. L’objectif est de sortir du cercle des écologistes convaincus et de toucher le plus largement possible les publics les plus divers.
Ce travail de sensibilisation a déjà commencé, au travers d’une campagne de financement participatif et populaire qui vise à rassembler d’ici le 1er février les 61 340 euros nécessaires aux frais logistiques du Tour Alternatiba. Les deux tiers de la somme ont déjà été récoltés, et d’ici quelques jours, bientôt un millier de personnes auront contribué à rendre possible ce Tour insolite, qui vise à rassembler des dizaines de milliers de personnes cet été. Signe de cet esprit d’ouverture et de cette volonté de toucher au-delà des cercles habituels, Moustic, le célèbre présentateur de Groland, a donné un coup de pouce au mouvement climatique en présentant lui-même le projet du Tour Alternatiba !
La COP de Paris : une étape charnière dans l’affrontement entre le paradigme du contrôle et celui de la démocratie
Entretien avec Vandana Shiva par Nicolas Haeringer
https://france.attac.org/nos-publications/lignes-d-attac/janvier-2015/article/la-cop-de-paris-une-etape
La conférence des Nations unies sur le climat s’est achevée sans qu’aucun pas en avant n’ait été fait vers la résolution de la crise climatique. Il est probable qu’il en aille de même avec la conférence qui se tiendra à la fin de l’année à Paris : elle s’annonce comme la COP (conférence des parties) des « fausses » solutions – des solutions de très haute technologie (« high-tech »), mais éminemment dangereuses. Vous défendez des alternatives de « basse technologie ». Pouvez-vous nous en dire plus sur les deux options ?
A vrai dire, je considère que ce sont les solutions qui se basent sur la fertilité des processus écologiques de notre planète qui sont des solutions high-tech. Elles sont caractérisées comme étant des solutions de « basse technologie » dans le paradigme dans lequel la technologie est mesurée par sa capacité à détruire ces processus écologiques. Je pense donc qu’il faut que nous inversions les termes.
Ce qui est communément appelé « high-tech », c’est le pouvoir de conquête, de manipulation et de destruction. Or ces solutions ne fonctionnent pas – sinon nous ne serions pas dans la crise à laquelle nous faisons face. Ces soi-disant « hautes technologies » sont en réalité des technologies primitives, dès lors qu’on les évalue à partir des processus de la planète. J’insiste donc sur ce point : ce que les gouvernements et les entreprises considèrent être high-tech est en réalité primitif, ce qu’ils appellent low-tech est en réalité sophistiqué – une sophistication liée aux processus écologiques.
Nous devons donc tourner le dos aux solutions que vous jugez primitives ?
Les solutions comme la géo-ingénierie s’accompagnent d’une arrogance indissociable de l’ignorance. Je débats fréquemment avec des gens qui promeuvent la géo-ingénierie et les solutions équivalentes. Je leur pose systématiquement la question suivante : « Vous souhaitez bloquer les rayons du soleil dans l’atmosphère, en ayant recours à de gigantesques aérosols, à des volcans artificiels, etc. Mais si le soleil ne brille plus, comment pouvons-nous garantir notre sécurité alimentaire ? ». Ils me répondent à chaque fois la même chose : « Nous ne nous intéressons pas à cela, nous cherchons simplement à faire baisser la température ». Mais l’époque où nous pouvions nous permettre d’avoir une conception mécaniste de la manière dont le monde fonctionne (et donc une approche mécaniste des solutions) est désormais révolue. Nous devons adopter une autre approche, écologique, des solutions à la crise.
Les multinationales jouent un rôle clef dans cet aveuglement…
C’est l’autre raison pour laquelle je suis très inquiète quand on me parle de ces solutions dites high-tech. Les multinationales, responsables de la crise et des problèmes auxquels nous faisons face, sont celles-là mêmes qui nous offrent ces solutions, dont l’unique but est le profit. Je travaille depuis longtemps sur les questions agricoles. Monsanto a racheté les plus grandes entreprises qui travaillent sur ces questions, pour contrôler l’ensemble des données liées à la planète et au sol. Ils entendent contrôler les sols, les semences et l’atmosphère… et ainsi nous imposer leur modèle agricole.
Quelles sont les alternatives ?
40 % des émissions de gaz à effet de serre proviennent de l’agriculture industrielle. C’est donc notre défi majeur. Nous devons entreprendre une véritable transition vers une agriculture écologique. De fait, cette transition nous permettrait également de produire plus de nourriture, et une nourriture plus riche ; les revenus des paysans augmenteraient, permettant ainsi de lutter contre la pauvreté ; les sols pourraient se régénérer, permettant de faire reculer la désertification ; tout cela en mettant un terme à l’accumulation de gaz à effet de serre dans l’atmosphère.
Après deux décennies de négociations, les États sont incapables de parvenir à un accord réellement ambitieux de lutte contre le dérèglement climatique. Ne serait-il pas nécessaire de changer de cibles ?
Toutes les solutions qui sont sur la table nécessitent l’action des États, des institutions – et des multinationales. Les États sont désormais soumis au pouvoir des multinationales : celles-ci, via TAFTA et la promotion des « fausses » solutions, cherchent à étendre toujours plus leur pouvoir et leur contrôle. Elles voudraient ainsi transformer les accords sur le climat en accords commerciaux. La conférence de Paris doit être celle d’un changement de perspectives et de vision du monde, afin de définir ce que peuvent être les solutions réelles, fonctionnant au Nord comme au Sud. Il y a là deux paradigmes qui s’affrontent : le paradigme du contrôle contre celui de la démocratie. Les multinationales se préparent pour la COP de Paris, pour tenter d’augmenter leur pouvoir de contrôle. Nous devons donc nous préparer, en regard, à faire de cette COP une étape majeure dans la construction d’une démocratie planétaire.
Réparation citoyenne : la parade à l’obsolescence programmée
Lorène Lavocat
www.reporterre.net/Reparation-citoyenne-la-parade-a-l
Le lave-linge qui tombe en panne quelques semaines après la fin de la garantie, les chaussures trouées au bout d’une saison… Que faire face à l’obsolescence programmée des produits ? Faire appel à l’expertise citoyenne ! Damien Ravé a créé Commentréparer.com, un site web participatif pour apprendre à restaurer, dépanner, ou raccommoder nos objets.
Pas bricoleur pour un clou. Damien Ravé n’a ni le bleu de travail, ni les mains calleuses du bidouilleur passionné. Sorti d’une école de marketing, il est plutôt du genre geek. Et il est à l’origine de Comment réparer, un site web participatif pour apprendre à restaurer, dépanner, ou raccommoder nos objets.
« Mon grand-père était un bricoleur de génie, et tout le monde savait trafiquer dans ma famille… sauf moi ! », se rappelle Damien Ravé. Un vilain petit canard qui préfère le clavier au fer à souder. En 2011, il tombe sur un documentaire d’Arte « Prêt à jeter ou l’obsolescence programmée ». Le film montre comment les industriels cherchent à réduire la durée de vie d’un produit ou de ses composants pour accélérer la consommation. Pour notre web-designer, c’est le déclic. Et l’éternelle question : qu’est-ce que je peux faire ?
« J’avais des appareils en panne, et je me suis demandé ce que je ferais si mon grand-père n’était pas là. » Direction la toile. Il surfe sur les forums, épluche le web. À chaque fois, c’est le même constat : « Rien n’est fait pour les débutants, les sites ne sont pas accueillants, trop techniques. Ils prennent un peu de haut ceux qui ne savent pas. »
Lui par contre sait faire des sites internet. Ni une ni deux, il décide de créer un espace pour « répondre aux questions des novices ».
Solidarité et expertise citoyenne
Lancé en 2011, le site Commentreparer.com marche comme un forum. Chacun peut venir poser sa question. Que faire avec un lave-linge qui essore tout le temps ? Pourquoi un tabouret de bar grince-t-il ? Comment rattraper des griffures de chat sur un canapé en cuir ? D’autres particuliers proposent astuces, conseils ou pistes de solutions. Peu de réparateurs professionnels, le forum fonctionne grâce à l’expertise citoyenne.
Chaque mois, près de 300 000 personnes visitent le site. « Il y a un petit noyau dur de contributeurs réguliers, des passionnés du bricolage, mais 99 % viennent juste chercher une réponse », indique Damien Ravé.
Xavier Renard fait partie de ces férus de la réparation. Homme au foyer, il répond tous les jours aux questions des internautes. Bénévolement. « En fonction des demandes, je fais parfois plusieurs heures de recherche, pour des inconnus », dit-il. Vivant en Alsace, il lui arrive de se déplacer dans toute la région pour résoudre un problème ardu.
Cuisiner, ferronnier d’art… Xavier Renard a eu plusieurs vies, avec une constante : il s’est toujours formé sur le tas, en autodidacte. Depuis qu’il a quitté le monde professionnel, animer le forum lui permet « de se créer un réseau, de faire des rencontres ». Surtout, bidouiller est une seconde nature, « une addiction », avoue-t-il.
« Les gens en ont marre d’être pris pour des pigeons »
Des Repair’cafés aux Fab Lab, la réparation a le vent en poupe. Un regain d’intérêt constaté sur le site. Damien Ravé y voit « un effet de la crise et une sensibilisation écologique croissante ». Autre facteur d’après lui, « les gens en ont marre d’être pris pour des pigeons ». Le lave-linge qui tombe en panne quelques semaines après la fin de la garantie, les chaussures trouées au bout d’une saison.
Pour autant, le Do it yourself (fais-le toi-même) reste un phénomène plus que marginal. « Les recherches sur Google concernant le mot réparation ne cessent de diminuer », observe Damien Ravé. Les consommateurs préfèrent acheter que bricoler.
« Avec l’électronique, les appareils se sont complexifiés, personne ne sait plus rien faire aujourd’hui » , estime quant à lui Xavier Renard. « Tout est fait pour nuire à la réparation. »
Informer et former les citoyens contre l’obsolescence programmée
Mais Damien Ravé refuse d’accabler le système de production : « Les entreprises ne sont pas seules responsables de l’obsolescence rapide des produits. » Il souligne que les consommateurs acceptent… et même encouragent « la stratégie commerciale de course aux prix les plus bas ». Autrement dit, en plébiscitant des objets moins chers, en guettant les nouveautés, nous favorisons l’essor de produits peu durables.
L’expert en marketing numérique est devenu un ardent défenseur de la récup’. Dans la lignée de Commentreparer.com, il vient de lancer deux petits frères : J’en fais quoi.net et Produits durables.fr. Le premier pour donner des idées de réemploi : transformer un vieux tambour de lave-linge en abat-jour. Le second vise à constituer une base de données collaboratives des produits les plus durables. Car pour Damien Ravé, « la lutte contre l’obsolescence passe d’abord par l’information et la formation des citoyens ». NB : Xavier Renard lance un Repair Café dans le secteur de Marckolsheim (Bas-Rhin). Si vous êtes intéressé, vous pouvez le contacter par courriel : reparerpourmoinsjeter@hotmail.fr
Catastrophes climatiques cotées en Bourse – Quand la finance se branche sur la nature
Razmig Keucheyan
Le Monde Diplomatique
Sécheresses, ouragans, inondations : aux quatre coins du monde, les catastrophes climatiques charrient leur lot de drames humains et d’images spectaculaires. Et posent une question prosaïque : qui paiera les dégâts ? Quand ils ont trop à perdre, les assureurs se défaussent sur les Etats. Mais ces derniers, étranglés par la dette, peinent à assumer. Ils se tournent alors vers les marchés financiers, leurs calculs glacials et leurs produits spéculatifs.
En novembre 2013, le « supertyphon » Haiyan s’abattait sur l’archipel des Philippines : plus de six mille morts, un million et demi de logements détruits ou endommagés, 13 milliards de dollars de dégâts matériels. Trois mois plus tard, deux courtiers appartenant aux compagnies d’assurances privées Munich Re et Willis Re, accompagnés de représentants du Bureau des Nations unies pour la réduction des risques de catastrophe (UNISDR), présentaient aux sénateurs philippins un nouveau produit financier destiné à pallier les déficiences supposées de l’Etat en matière de gestion des désastres climatiques : le Philippines Risk and Insurance Scheme for Municipalities (PRISM). Une sorte d’emprunt catastrophe à haut rendement que les municipalités proposeraient à des investisseurs privés (1). Ces derniers percevraient des taux d’intérêt plantureux subventionnés par l’Etat, mais, en cas de sinistre d’une force et d’une gravité prédéfinies, ils perdraient leur mise.
« Dérivés climatiques » (weather derivatives), « obligations catastrophe » (catastrophe bonds ou cat bonds) et autres produits d’assurance climatique connaissent un succès retentissant. En plus de pays asiatiques, le Mexique, la Turquie, le Chili ou encore l’Etat américain de l’Alabama, durement affecté par l’ouragan Katrina en 2005, y ont recouru sous une forme ou une autre. Pour les promoteurs de ces instruments, il s’agit de confier l’assurance des risques naturels et tout ce qui l’entoure − primes, évaluation des menaces, dédommagement des victimes − aux marchés financiers. Mais pourquoi la finance s’imbrique-t-elle à la nature précisément au moment où celle-ci manifeste des signes d’épuisement toujours plus distincts ?
Pendant plusieurs siècles, la Terre a procuré au système économique matières premières et ressources à bas prix. L’écosystème parvenait également à absorber les déchets de la production industrielle. Or ces deux fonctions ne s’opèrent plus aussi facilement.
Non seulement le prix des matières premières et de la gestion des déchets augmente, mais la multiplication et l’aggravation des désastres naturels font monter le coût global de l’assurance. Laquelle exerce une pression à la baisse sur le taux de profit des acteurs industriels. Ainsi la crise écologique n’est-elle pas seulement le reflet, mais aussi le possible déclencheur d’une crise du capitalisme. Dans ce contexte, la financiarisation paraît offrir une échappatoire : les compagnies d’assurances et de réassurances (lire « Noir palmarès »)mettent en œuvre de nouvelles façons de disperser le risque, dont la principale est la titrisation des dangers climatiques. Une transposition à l’échelon météorologique des mécanismes testés avec le succès qu’on sait dans l’immobilier américain…
Parmi les produits les plus fascinants de ce nouvel arsenal financier : l’« obligation catastrophe ». Une obligation est un titre de créance ou une fraction de dette échangeable sur un marché, et qui fait l’objet d’une cotation. La particularité des cat bonds tient à ce qu’ils procèdent non pas d’une dette contractée par un Etat pour renouveler ses infrastructures, ou par une entreprise pour financer l’innovation, mais de la nature et de ses aléas. Ils concernent un événement dont il est possible mais pas certain qu’il advienne, et dont on sait qu’il occasionnera des dégâts matériels et humains importants. Dès lors, il s’agit de disperser les risques dans l’espace et le temps, de manière à les rendre financièrement insensibles. Dans la mesure où les marchés se déploient à l’échelle mondiale, ces risques atteignent par la titrisation un « étalement » maximal.
Ce prodige de l’ingénierie financière a vu le jour en 1994, peu après qu’une série de fléaux au coût hors norme (l’ouragan Andrews en Floride en 1992, le tremblement de terre de Northridge en Californie en 1994) eurent obligé l’industrie de l’assurance à trouver des ressources nouvelles. Depuis, environ deux cents cat bonds ont été émis, dont vingt-sept au cours de la seule année 2007, pour un montant de 14 milliards de dollars.
Ouragan caribéen contre tsunami en Asie
Comme tout titre financier, les obligations climatiques passent sous les fourches Caudines des agences de notation — Standard & Poor’s, Fitch et Moody’s —, qui leur accordent généralement la note médiocre de BB, signe qu’elles ne sont pas sans risque. La valeur d’un cat bond fluctue sur le marché en fonction de la plus ou moins grande probabilité que la menace se réalise et en fonction de l’offre et de la demande du titre concerné. Il arrive que ces titres continuent de s’échanger à l’approche d’une catastrophe et même au cours de son déroulement, par exemple lors d’une canicule en Europe ou d’un ouragan en Floride. C’est ce que les traders spécialisés appellent, avec le sens de la formule qui les caractérise, live cat bond trading — le commerce de titres en direct (2).
Une bourse d’échange de titres intitulée Catex, pour Catastrophe Risk Exchange, localisée dans le New Jersey, est apparue en 1995. Un investisseur excessivement exposé aux tremblements de terre californiens pourra y diversifier son portefeuille en échangeant ses cat bonds contre d’autres portant sur des ouragans caribéens ou sur un tsunami dans l’océan Indien. Catex a également pour fonction de fournir à ses clients des bases de données leur permettant d’évaluer les risques.
Acteur crucial du dispositif, les agences de modélisation se livrent aucatastrophe modeling, soit la modélisation des catastrophes. Leur objectif est de calculer la nature et de réduire autant que faire se peut l’incertitude. Il existe un petit nombre d’agences de modélisation dans le monde, la plupart américaines : Applied Insurance Research (AIR), Eqecat et Risk Management Solutions (RMS). En fonction de variables telles que la vitesse des vents, la taille des cyclones, les températures, mais aussi des caractéristiques physiques de la zone concernée (matériaux employés dans la construction, type de terrain, population), elles évaluent le coût d’une catastrophe, ainsi que les indemnités versées par les assureurs. Et, par conséquent, déterminent le prix d’un cat bond.
La plupart des obligations de ce type émises jusqu’à présent l’ont été par des assureurs et des réassureurs. Mais, depuis le milieu des années 2000, les Etats eux-mêmes mettent sur le marché des cat bonds« souverains », comme on parle de dette souveraine. Cette tendance, lancée par des théoriciens de l’assurance issus de la Wharton School de l’université de Pennsylvanie, l’une des écoles de commerce les plus prestigieuses du monde, est activement encouragée par la Banque mondiale et par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
Ce déplacement illustre le lien étroit qui se noue entre la crise budgétaire des Etats (endettement et baisse de leurs recettes) et la crise environnementale. Du fait des difficultés qu’ils traversent, les Etats s’avèrent de moins en moins capables d’assumer le coût assurantiel des désastres climatiques par des moyens conventionnels, c’est-à-dire principalement par l’impôt. Ils le seront d’autant moins que le nombre et la puissance de ces cataclysmes augmentent à cause du changement climatique. Pour des gouvernements aux abois, la financiarisation de l’assurance des risques climatiques représente une bouffée d’oxygène : la titrisation comme substitut à l’impôt et à la solidarité nationale. C’est là un point de fusion de la crise écologique et de la crise financière, comme le montre l’exemple du Mexique.
Ouragans dans le golfe du Mexique, séismes, glissements de terrain ou éruption du Popocatépetl, qui surplombe Mexico : le pays semble cerné par les menaces. Assureur en dernier ressort en cas de catastrophe, l’Etat indemnise les victimes sur le budget fédéral, c’est-à-dire grâce à l’impôt, selon le principe de solidarité nationale consubstantiel à l’Etat-nation moderne. En 1996, le gouvernement mettait en place un Fonds pour les désastres naturels (Fondo de desastres naturales, dit « Fonden ») destiné à la fois à fournir une aide d’urgence aux sinistrés et à permettre la reconstruction des infrastructures. Ce dispositif a fonctionné jusqu’à ce qu’une série de catastrophes au coût exorbitant s’abattent sur le pays. En 2005, le gouvernement fédéral a dépensé 800 millions de dollars pour pallier leurs conséquences, alors qu’il n’avait prévu d’y consacrer que… 50 millions (3).
Des critères très contraignants
L’idée de titriser l’assurance des risques de tremblement de terre se concrétise l’année suivante, sur l’impulsion de la Banque mondiale. En 2009, le pays décide d’inclure dans le dispositif les ouragans, ce qui donne lieu à un programme dit « multicat », couvrant une multiplicité de risques. Autour de la table des négociations, rien que des gens sérieux : le ministre des finances du Mexique, ainsi que des représentants de la banque Goldman Sachs et du réassureur Swiss Re Capital Markets, chargés de vendre le programme aux investisseurs. Munich Re est également partie prenante, de même que deux grands cabinets d’avocats américains, Cadwalader, Wickersham & Taft et White & Case. AIR, l’agence de modélisation chargée de mettre en place les paramètres de déclenchement de l’obligation — le seuil de gravité au-delà duquel les investisseurs perdent leur mise —, a élaboré deux modèles : l’un pour les séismes, l’autre pour les ouragans. Une fois lecat bond enregistré aux îles Caïmans par Goldman Sachs et Swiss Re, il est vendu aux investisseurs au cours de tournées de promotion organisées par les banques.
Chaque fois qu’une catastrophe frappe le Mexique, l’agence AIR détermine donc si l’événement correspond aux paramètres établis par les contractants. Si c’est le cas, les investisseurs doivent mettre l’argent à disposition de l’Etat mexicain. Dans le cas contraire, ils ne déboursent rien, mais continuent de toucher une généreuse prime d’assurance.
En avril 2010, un séisme ravage l’Etat de Basse-Californie ; mais son épicentre se trouve au nord de la zone délimitée par le cat bond : l’argent de l’obligation n’est pas libéré, et le Mexique continue à payer des intérêts. De même, quand un ouragan frappe deux mois plus tard l’Etat de Tamaulipas, sa puissance est inférieure au seuil prédéterminé, et Mexico ne voit pas la couleur des dollars. Les critères sont si contraignants que seuls trois des deux cents cat bonds émis depuis quinze ans ont été déclenchés (The Economist, 5 octobre 2013).
En Asie du Sud-Est, région particulièrement exposée, la mise en place de cat bonds souverains s’opère selon des modalités particulières (4). En Indonésie, le plus important pays musulman du monde, les principes de l’assurance islamique, le takaful, s’appliquent. N’ignorant pas que ce secteur connaît depuis une décennie une croissance annuelle de 25 % (contre 10 % pour le marché de l’assurance traditionnelle), le réassureur Swiss Re fait beaucoup d’efforts pour renforcer sa sharia credibility, selon sa propre expression (5). Les pays en développement sont souvent les plus durement frappés par les catastrophes climatiques, à la fois pour des raisons géographiques et parce qu’ils ne disposent pas pour y faire face des mêmes moyens que les pays occidentaux. La montée du niveau des mers affecte les Pays-Bas aussi bien que le Bangladesh, mais il est préférable d’affronter les flots à Amsterdam plutôt qu’à Munshiganj (6).
Les obligations catastrophe — ou, dans un autre genre, les quotas carbone — ne sont pas les seuls produits financiers branchés sur des processus naturels. Les dérivés climatiques (weather derivatives), par exemple, proposent aux investisseurs des paris sur le temps qu’il va faire, c’est-à-dire sur des variations de la météo qui n’impliquent pas l’interruption du cours normal de la vie sociale. D’un événement sportif à une récolte en passant par un concert rock ou les fluctuations du prix du gaz, bien des aspects des sociétés modernes sont influencés par le temps. On estime qu’un quart de la richesse annuelle produite par les pays développés est susceptible d’en subir l’impact (7). Le principe du dérivé climatique est presque enfantin : un montant financier est libéré au profit de son acheteur au cas où les températures — ou un autre paramètre météo — dépassent, ou au contraire n’atteignent pas, un niveau prédéterminé ; par exemple, si le froid — et donc les dépenses énergétiques — excède un certain seuil, ou si la pluie limite la fréquentation d’un parc d’attractions en été.
Dans le domaine agricole, certains dérivés ont pour sous-jacent — l’actif réel sur lequel porte l’instrument financier — le temps de germination des plantes. Un index tel que les degrés-jours de croissance (growing degree days) mesure l’écart entre la température moyenne dont une récolte a besoin pour mûrir et la température réelle, déclenchant un versement en cas de dépassement du seuil fixé. Dans le cadre d’un swap(« échange »), deux entreprises que les variations du climat affectent de manière opposée peuvent décider de s’assurer mutuellement. Si une entreprise énergétique perd de l’argent en cas d’hiver trop doux et une société organisant des événements sportifs, en cas d’hiver trop rigoureux, elles se verseront un montant prédéterminé selon que le mercure monte ou descend (8).
Les ancêtres des dérivés climatiques sont apparus dans l’agriculture au XIXe siècle, notamment aux Etats-Unis, au Chicago Board of Trade. Ils portaient sur des matières premières telles que le coton et le blé (9). Au moment de la libéralisation et du décloisonnement des marchés financiers, dans les années 1970, et de la prolifération des produits dérivés, les sous-jacents potentiels se sont multipliés. Pionnières dans ce domaine, les multinationales de l’énergie, parmi lesquelles Enron, y trouvent un moyen de « lisser » leurs risques de pertes (10). Ainsi, après l’hiver 1998-1999, particulièrement doux aux Etats-Unis du fait du phénomène de la Niña, certains énergéticiens échaudés décident d’utiliser les dérivés pour se « couvrir ».En effet, pour ces entreprises, des fluctuations de quelques degrés impliquent des variations financières colossales. A partir de 1999, les dérivés climatiques s’échangent au Chicago Mercantile Exchange, historiquement spécialisé dans les produits agricoles. L’émergence de ces produits financiers va de pair avec le mouvement de privatisation des services météorologiques, notamment dans les pays anglo-saxons : ce sont eux qui, en dernière instance, déterminent le seuil au-delà duquel un dérivé se déclenche.
Dans un article sous-titré « Pourquoi l’environnement a besoin de la haute finance », trois théoriciens de l’assurance suggèrent à présent de mettre en place des species swaps, une forme de dérivé portant sur le risque de disparition des espèces (11). L’interpénétration de la finance et de la nature revêt ici une de ses formes les plus radicales : il s’agit de rendre la préservation des espèces profitable pour les entreprises, afin de les inciter à prendre soin de la biodiversité. En effet, cette mission coûteuse incombe pour le moment à l’Etat, dont les caisses sont de plus en plus fréquemment vides. Ici encore, l’argument de la crise fiscale justifie la financiarisation de la nature.
Imaginons que l’Etat de Floride signe avec une entreprise un contrat despecies swap ayant comme sous-jacent une variété de tortue menacée vivant dans les parages de la société contractante. Si le nombre de spécimens s’accroît du fait de l’attention prodiguée par l’entreprise, l’Etat verse à cette dernière des intérêts ; si, au contraire, les tortues se raréfient ou approchent du seuil d’extinction, c’est l’entreprise qui verse de l’argent à l’Etat, afin que celui-ci puisse engager une opération de sauvetage.
Les « hypothèques environnementales » (environmental mortgages) —sortes de subprime dont le sous-jacent n’est pas un bien immobilier mais une portion d’environnement —, les titres adossés aux forêts(forest backed securities) ou encore les mécanismes financiers liés aux zones humides (wetlands), libéralisés aux Etats-Unis par l’administration de M. George H. Bush dans les années 1990, offrent d’autres exemples de produits du même type.
Le capitalisme, explique le théoricien de l’écosocialisme James O’Connor, implique des « conditions de production (12) ». A mesure qu’il se développe, il affaiblit et même détruit ses conditions de production. Si le pétrole bon marché a permis pendant plus d’un siècle le fonctionnement de ce que Timothy Mitchell appelle la « démocratie carbone (13) », sa raréfaction renchérit considérablement les coûts de l’industrie. Le capital a besoin de ces conditions de production, mais ne peut faire autrement que de les épuiser. C’est ce que O’Connor appelle la « seconde contradiction » du système : celle entre le capital et la nature, la première opposant le capital et le travail.
Ces deux contradictions s’enchevêtrent : le travail humain génère de la valeur en transformant la nature. La première contradiction conduit à une baisse tendancielle du taux de profit, c’est-à-dire à l’apparition de crises profondes du système. La seconde induit quant à elle un renchérissement croissant de l’entretien des conditions de production, qui pèse également à la baisse sur le taux de profit, puisque des volumes croissants de capitaux employés à cet entretien — par exemple, pour la recherche de réserves de pétrole toujours plus difficiles d’accès — ne sont pas transformés en profits.
Dans cette configuration, l’Etat moderne joue le rôle d’interface entre le capital et la nature : il régule l’usage des conditions de production afin que celles-ci puissent être exploitées. L’objectif de l’écosocialisme consiste à défaire le triptyque que forment le capitalisme, la nature et l’Etat. Il s’agit d’empêcher ce dernier d’œuvrer en faveur des intérêts du capital et de réorienter son action en faveur du bien-être des populations et de la préservation des équilibres naturels. La conférence Paris Climat 2015 (COP 21), dans laquelle le gouvernement de M. François Hollande semble placer de grands espoirs, offrira au mouvement global pour la justice climatique l’occasion de faire entendre cette revendication.
Razmig Keucheyan, Sociologue. Ce texte s’inspire de son ouvrageLa nature est un champ de bataille. Essai d’écologie politique, Zones, Paris (parution le 6 mars).