La leçon d’optimisme d’Al Gore à Sciences Po
Pauline Pouzankov
www.goodplanet.info/actualite/2015/05/22/la-lecon-doptimisme-dal-gore-a-sciences-po/
Les gros pollueurs tiennent la COP 21 par les cordons de la bourse
Emilie Massemin
http://reporterre.net/Les-gros-pollueurs-tiennent-la-COP
Le climat, c’est cuit : pourquoi la conférence climatique de Paris sera un succès
Matthieu Auzanneau
http://petrole.blog.lemonde.fr/2015/05/25/le-climat-cest-cuit-pourquoi-la-conference-climatique-de-paris-sera-un-succes/
La leçon d’optimisme d’Al Gore à Sciences Po
Pauline Pouzankov
www.goodplanet.info/actualite/2015/05/22/la-lecon-doptimisme-dal-gore-a-sciences-po/
Reçu par François Hollande à l’Elysée le 18 mai dans le cadre des négociations de la COP21, l’ancien vice-président américain Al Gore a donné le jour même une conférence sur le climat à Sciences Po Paris. Confiant à l’idée de parvenir à un accord mondial pour contenir le réchauffement en décembre, le Prix Nobel reste certain « que la vérité est du côté de ceux qui revendiquent le changement ».
C’est sous un tonnerre d’applaudissements qu’Albert Arnold Gore prend son micro. Avec une aisance très caractéristique d’un habitué des « talks » à l’américaine, mêlant sérieux et désinvolture : une blague, quelques rires, puis la salle fait silence. Force est d’admettre que le personnage en impose. À 200 jours de la COP21 qui réunira les États autour d’un accord mondial sur le climat, il reste optimiste : « après un dernier non viendra le oui », en référence au poète américain Wallace Stevens. Et ce malgré les précédents échecs des négociations.
« Nous n’avons tout simplement plus le choix. Nous devons parvenir à un accord mondial et contraignant sur le climat », affirme Al Gore. Si l’origine anthropique du réchauffement fait encore débat chez les climato-sceptiques, le Prix Nobel 2007 estime que « le mythe » est devenu une réalité depuis longtemps. « 2014 a été la 38ème année consécutive avec la température la plus élevée de l’Histoire », explique-t-il, en comparant le réchauffement actuel avec plusieurs centaines de milliers de bombes Hiroshima lâchées chaque jour de l’année. Bilan : 0,85 degrés d’augmentation de la température mondiale entre 1880 et 2012, 19cm d’élévation du niveau des mers entre 1901 et 2010, avec bien d’autres conséquences sur la faune, l’économie ou encore les cultures agricoles.
Al Gore en est certain : la Terre atteint ses limites. « 90% du surplus de chaleur produite par les humains est absorbée par les océans. » Un phénomène qui engendre des dérèglements climatiques dans les deux sens, intensifiant les précipitations comme les sécheresses, désormais plus longues et sévères. Quelques exemples : le 29 septembre 2014, 25 cm de pluie sont tombés en seulement 3 heures à Montpellier, tandis que 140 villes ont dû rationner leur consommation d’eau l’année dernière au Brésil. Al Gore rajoute : « la Californie est désormais à 98% en état de sécheresse, avec 47% du territoire en état de sécheresse exceptionnelle. Il ne lui reste qu’une seule année de réserves en eau. » Des conséquences qui s’étendent à de nombreuses régions du monde, comme en Syrie, où 60% des terres fertiles se sont transformées en désert entre 2006 et 2010, ce qui pourrait avoir contribué au déclenchement de la guerre civile.
Comme issue de secours, l’ancien vice-président revendique la voie de l’économie verte, qui connaît une vague d’investissements sans précédent depuis 2013, dans le solaire et l’éolien notamment. « Déjà 6,5 millions de personnes travaillent dans les énergies renouvelables. » Si la tendance s’affirme progressivement à mesure que les États s’engagent à réduire leurs émissions de CO2 (que ce soit volontairement ou par contrainte), tous ne se fixent pas les mêmes objectifs que l’Union européenne, à savoir une diminution de 40% d’ici à 2030.
D’où l’impératif de parvenir à un accord global pour limiter l’élévation de la température à deux degrés, avec une juste répartition des efforts en fonction des niveaux de développement et de responsabilité des 196 pays. Malgré tout l’optimisme d’Al Gore, le scénario catastrophe de Copenhague, en 2009, peut encore se reproduire. Une chose reste sûre, d’après lui : « Notre vision de la croissance est profondément malsaine. Il faut trouver d’autres indicateurs, le PIB à lui seul ne correspond plus aux réalités écologiques et sociales. » Avant d’ajouter : « si le coût environnemental du charbon était inclus dans son prix, il ne brûlerait plus depuis longtemps ! ».
Comme pour insuffler son propre enthousiasme au jeune public, c’est sur une note de défi que le Prix Nobel finit son discours : « Aurons-nous le courage de surpasser nos propres limitations ? » Avant de quitter l’amphithéâtre comme il y est rentré : sous les acclamations et dans l’espoir que la COP21 donne raison à son optimisme. Convaincu que « le monde dépend de ce oui ».
Les gros pollueurs tiennent la COP 21 par les cordons de la bourse
Emilie Massemin
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EDF, BNP Paribas, Air France, GDF Suez… Ces grandes entreprises, aux activités et aux investissements fortement émetteurs de gaz à effet de serre, vont financer 20 % de la COP 21, a déclaré Laurent Fabius. Les ONG climatiques dénoncent ce qu’elles jugent une mascarade.
Le ministre des Affaires Étrangères Laurent Fabius a présenté à la presse les vingt premières entreprises mécènes de l’organisation de la COP 21, mercredi 27 mai au Quai d’Orsay. Parmi elles figurent la compagnie aérienne Air France, le groupe d’assurances Axa, le groupe bancaire BNP Paribas, l’opérateur de services aux entreprises et aux collectivités Derichebourg, le fournisseur d’électricité EDF, le groupe industriel énergétique Engie (ex-GDF Suez), le groupe automobile Renault-Nissan, le fournisseur d’énergie ERDF, Ikea, Michelin ou encore Suez Environnement.
Leur participation sera essentiellement financière, mais prendra aussi la forme de services rendus pendant la COP 21, la Conférence des Nations unies sur le changement climatique qui se tiendra au Bourget (Seine-Saint-Denis) à la fin de l’année. Ainsi, Derichebourg sera chargé du nettoyage du site et de la collecte et de la valorisation des déchets. L’alliance Renault-Nissan mettra à disposition du gouvernement une flotte de 200 véhicules électriques pour le transport des délégués. Les bornes de recharge de ces voitures seront installées par EDF. Un moyen de transport écologique dans le discours officiel, une arnaque dispendieuse dans la réalité.
Une COP 21 à 165 millions d’euros
Conformément à la loi de Finances 2015, le gouvernement dispose d’un budget de 165 millions d’euros pour organiser la COP 21. Le coût total de l’organisation devrait s’élever à 187 millions d’euros. « Par jour et par personne, cela coûte dix fois moins cher que le G8 ou le G20 », a dit le ministre des Affaires Étrangères.
Laurent Fabius parle sous l’écran de Renault Nissan
20 % du coût d’organisation de la COP 21 devra être financé par les entreprises, a-t-il encore annoncé. « Cette COP accueillera quelque 40 000 délégués. Cela a un coût, nous essayons de le réduire mais cela reste un budget important. Or, la France a des contraintes budgétaires. » Les contributions des premiers mécènes représentent déjà, à ce jour, 10 % du budget prévisionnel de la conférence.
Des entreprises « responsables du changement climatique », jugent les ONG
La liste des entreprises partenaires, dont les premiers noms sont connus depuis la mi-avril, suscite la colère de militants écologistes. « La majorité des entreprises choisies émettent massivement des gaz à effet de serre, responsables du changement climatique, comme EDF ou Engie dont les émissions provoquées par leurs centrales à charbon équivalent à elles seules près de la moitié des émissions de la France », condamne Malika Peyraut, des Amis de la Terre dans un communiqué, rédigé avec Attac France, le Corporate Europe Observatory, WECF et 350.org.
BNP Paribas finance le charbon, EDF abandonne le solaire
De fait, les entreprises partenaires sont loin d’être aussi exemplaires en matière de lutte contre le changement climatique que le prétend le gouvernement.
BNP Paribas a financé depuis 2005, directement ou non, pour plus de 15 milliards d’euros de projets dans le secteur du charbon, l’énergie fossile la plus émettrice de CO2. Ce n’est que contrainte et forcée par les actions de militants climatiques qu’elle a accepté de se retirer, le 8 avril dernier, du projet de port charbonnier australien Alpha Coal.
EDF, de son côté, a décidé il y a quelques jours d’arrêter de financer sa filiale Nexcis, champion français de l’énergie solaire. En revanche, le producteur d’électricité continue allègrement à exploser les pronostics, en matière de coût de ses projets nucléaires…
Quant à GDF Suez, il a rejoint en février dernier le Centre de documentation sur les hydrocarbures non conventionnels (CHNC) pro-gaz de schiste, présidé par l’ex-président de l’Union française des industries pétrolières (Ufip) Jean-Louis Schilansky, alors que la production de gaz de schiste émet des quantités importantes de méthane, un puissant gaz à effet de serre.
« On ne peut pas négocier un accord sur le climat avec les responsables du changement climatique »
« Il n’y a pas a priori d’exclusion, les portes ne sont pas fermées, il y a un dialogue avec l’ensemble des entreprises qui souhaitent s’associer à une conférence qui a pour but de lutter contre le réchauffement climatique. Donc, par définition, nous avons affaire à des mécènes qui rentrent dans une démarche et une logique qui est celle-là. (…) Nous avons procédé à une analyse assez systématique des performances environnementales des partenaires qui sont ici et de ceux qui les rejoindront sur les principes du Global Compact et sur la conformité de leur activité avec la loi NRE dans le cadre de leur rapport RSE (Responsabilité sociale des entreprises). Par ailleurs la réputation en matière de développement durable de ces entreprises est tout à fait prise en compte », dit pourtant Pierre-Henri Guignard, secrétaire général de la COP 21. Qui précise : « La participation à la COP 21 est un gage de conduite exemplaire » – un gage acquis par les entreprises contre monnaie sonnante et trébuchante.
Les grands groupes semblent déterminés à peser sur les négociations climatiques, avec la complicité du gouvernement français. L’annonce de ces partenariats, moins d’une semaine après le Business & Climate Summit, en témoigne. Mais la manœuvre est risquée. « A Varsovie, les associations, mouvements sociaux et syndicats avaient quitté les négociations pour dénoncer la mainmise des négociations par les intérêts privés et les lobbies, rappelle Pascale Sabido, du Corporate Europe Observatory. On ne peut pas négocier un accord sur le climat avec ceux qui sont responsables du changement climatique. »
Le climat, c’est cuit : pourquoi la conférence climatique de Paris sera un succès
Matthieu Auzanneau
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+2°C, c’est trop ? « Impacts en hausse non-linéaire entre 1,5 °C et 2 °C », selon un rapport de l’UNFCCC produit par des membres du GIEC ! Synthèse / Doc [MàJ 26/5]
Entendons-nous bien : c’est cuit.
Si nous voulons rester en-deçà de 2°C de réchauffement, il FAUT que les émissions mondiales de gaz à effet de serre commencent à décroître très fortement avant 2025. L’Union européenne adopte ces jours-ci une réforme afin de sortir du coma son marché des quotas d’émissions de CO2, l’instrument de lutte contre le réchauffement le plus ambitieux sur Terre, moribond depuis plusieurs années. Or, d’après plusieurs analyses concordantes (dont celles fournies par Bruxelles), la réforme en cours ne pourra aboutir à l’émergence d’un prix d’émission de la tonne de CO2 assez élevé pour contraindre les industriels à se détourner massivement des énergies fossiles avant… 2023-2025. Au plus tôt. Et l’Europe fait figure de pionnière en matière de transition énergétique.
« Quoi ?! Un prix plancher du carbone, une taxe carbone aux frontières, mais mon vieux, c’est impossiiible !… », entends-je chanter sur tous les tons depuis quelques mois que je m’exerce au lobbying entre Paris et Bruxelles.
Chacun sait pourtant qu’il faut très vite baisser le feu sous le grand fait-tout de la thermo-industrie.
Au rythme actuel, il ne nous reste plus que vingt ans (2035) avant d’épuiser notre « budget carbone« , autrement dit la quantité de CO2 que nous pouvons encore émettre dans l’atmosphère sans (trop) risquer d’aboutir à un réchauffement supérieur à 2°C d’ici à la fin du siècle. Et ce, à condition qu’après 2035, l’humanité n’émette plus du tout de gaz à effet de serre.
Sauf à rêver d’un sursaut radical, seuls une divine surprise et/ou un cataclysme économique semblent pouvoir encore nous empêcher d’altérer irréversiblement le climat. (Une butée contre les limites physiques à la croissance reste bien sûr tout sauf improbable.)
« Vous avez raison, je crois qu’il est certainement déjà trop tard pour empêcher un réchauffement de plus de 2°C », m’a concédé l’autre jour Martin Wolf, maître analyste au Financial Times, la pythie de la City. Pas vraiment un scoop, du reste. Assis aux côtés de Wolf sur l’estrade d’un amphithéâtre de Sciences Po, Alain Juppé pour sa part s’en est tiré par cette boutade : « Je vous recommande de voir le film Interstellar : on devrait peut-être se chercher une autre planète ! » Il a pouffé un peu.
La semaine dernière à Paris, au siège de l’Unesco, se tenait le Business & Climate Summit, où s’est rassemblé tout ce que compte le monde d’agents majeurs du réchauffement climatique : industriels, financiers, représentants de la Banque mondiale, de la Commission européenne et de la plupart des pays riches nouveaux et anciens.
Au chœur des alarmistes, les compagnies d’assurance se sont distinguées. D’après l’un des leaders du secteur, la firme Swiss Re, l’économie mondiale ne sera sans doute plus assurable dans un monde à +2°C.
« Il est temps d’agir », ont répété à qui mieux mieux les intervenants. Leitmotiv du moment, à sept mois de la conférence internationale (et forcément historique) qui doit se tenir en décembre à Paris : « Il nous faut un prix du carbone ! »
Indolente doléance indolore. Au sein du bataillon richement encravaté dans lequel on brandit ce nouvel étendard du « carbon price », se retrouvent bien souvent les représentants des mêmes firmes qui lobbyisent dur à Bruxelles depuis des années afin d’empêcher ce dont de toute façon personne ne veut (hormis des ONG écolos à peu près impotentes) : un durcissement réputé économiquement suicidaire des règles du marché européen des quotas d’émission. C’est-à-dire du prix du carbone.
Economie / Ecologie : comment deux mots si proches peuvent-ils se retrouver si diamétralement opposés ?
A l’Unesco, le contrôle de réalité s’est effectué par la bouche de l’heureux propriétaire du plus splendide costume aperçu lors de ce raout capitaliste bienveillant. Tony Hayward, ex-PDG de BP à l’époque de la marée noire du golfe du Mexique en 2010, et désormais patron de Glencore, leader mondial du négoce de matières premières (métaux, pétrole, charbon, gaz, denrées agricoles), a jeté un froid passager en lançant au cours d’une table-ronde : « Même avec la meilleure volonté du monde, l’énergie solaire n’est pas une solution pour l’industrialisation à grande échelle, que ce soit en Inde ou ailleurs. Vous ne pouvez pas faire de l’acier avec du solaire. (…) A moins de regarder cette réalité en face, ce débat n’ira nulle part. » Un peu plus tard, un autre maître du monde tel qu’il est, Ali Al-Naïmi, ministre du pétrole saoudien, questionne : « Où serait l’Ouest aujourd’hui sans le pétrole ? » Et d’affirmer que bien que l’Arabie Saoudite se soit décidée à développer rapidement sa production d’électricité solaire, « les carburants fossiles domineront encore le mix énergétique mondial jusqu’en 2040-2050 ».
En tout lieu et de tout temps, la puissance (économique, politique, militaire, biologique, chimique, etc.) demeure en premier ressort une affaire d’énergie : un watt égale un joule par seconde.
Lorsque Liu Zhenya, président de la compagnie d’Etat en charge du réseau électrique chinois, s’est avancé sur l’estrade pour asséner l’étourdissante présentation d’un futur réseau à ultra haute-tension constellant autour de l’Empire du Milieu, « un réseau omniprésent pour un village global harmonieux avec ciel bleu et mer verte » (sic), capable d’acheminer l’énergie solaire à travers les fuseaux horaires et les continents d’ici à 2050, j’ai songé à ces ingénieurs soviétiques qui prétendaient renverser le cours des fleuves de Sibérie « pour les faire remonter vers leurs sources fécondes », et aux fantasmes des premiers rois d’Arabie Saoudite qui espéraient voir verdir leur désert grâce à l’or noir. Hochant la tête en direction du mandarin, un haut responsable d’EDF m’a glissé, dubitatif : « Il rêve. » Qui saurait dire si un tel rêve, porté par l’une des compagnies industrielles les plus puissantes du monde (la Chine produit aujourd’hui davantage d’électricité que les Etats-Unis) est un programme industriel solide, une utopie ou bien encore une dystopie appâtant ?
En dépit de récents soubresauts sauvages à la bourse de Hongkong, la croissance de l’industrie chinoise des énergies renouvelables hypnotise au point qu’on en oublierait que la Chine est devenue, au cours de ses quinze dernières années de croissance explosive, le premier importateur mondial de brut, le premier consumateur mondial de charbon, le premier émetteur mondial de gaz à effet de serre (au moins…), et qu’elle a su avancer ses pions tout autour de la planète pétrole, s’imposant en particulier comme premier opérateur du pétrole irakien.
Oui, l’économie politique est affaire de puissance, qui elle-même est affaire d’énergie. En France ces temps-ci, la gauche, comme souvent, se montre prête à avancer plus loin que la droite au fond de cette logique. Pendant que la Libye s’abîme dans le néant politique et le terrorisme (la Libye, vous savez : notre petit Irak à nous, où Alain Juppé, lorsqu’il était le ministre des affaires étrangères de Nicolas Sarkozy, se croyait en mesure d’ouvrir la voie à de juteux profits pour les pétroliers français), Laurent Fabius et François Hollande savent tirer habillement du feu de la guerre qui embrase le Moyen-Orient la vente, Cocorico !, de quelques avions de guerre, profitant sans crainte du vide laissé par l’intenable position américaine héritée du chaos engendré par le pétrolissime George Bush. Nous (vous et moi) acceptons donc de vendre les armes françaises « dernier cri » – le Canard Enchaîné nous apprend cette semaine que ces ventes se font pour la première fois sans la moindre restriction – à des pétro-potentats dont l’exercice du pouvoir politique, au Qatar, au Koweït, aux Emirats arabes unis et bien sûr en Arabie Saoudite, consiste à ne pas trop chercher à entraver les flots de pétro-dollars de « donateurs privés » (selon l’expression reprise dans une récente enquête du Congrès américain) qui alimentent depuis bientôt quarante ans les formes sans cesse plus périlleuses et monstrueuses du fanatisme islamiste. (Tandis que contre toute attente et malgré des mois de bombardements, les finances de Daesh demeurent solides, indique le New York Times.)
A sept mois de la conférence sur le climat, la diplomatie française ne redoute pas de contribuer à asseoir un peu plus la puissance des monarchies pétrolières du Golfe, dont l’Ouest ne semble décidément plus avoir d’autre choix que de laisser s’épancher aujourd’hui au Yemen, et demain où ?, un aventurisme militaire qui paraît rechigner à respecter les cessez-le-feu et qui, selon Human Rights Watch, larguerait des bombes à fragmentations made in the USA. Va comprendre, Charles : la bonne vieille politique arabe de la France prend un sacré drôle de tour. Et ce, comme de juste, dans l’indifférence à peu près générale ici.
La politique est toujours et partout affaire de puissance, et la lutte contre le réchauffement climatique menace d’entraver l’effectuation de bien trop de puissances : voilà pourquoi la « COP21 », la vingt-et-unième Conférence des parties de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (voyez l’émouvant site de présentation mis en ligne par le gouvernement français) sera un succès.
Ambassadrice de la France chargée des négociations sur le changement climatique, Laurence Tubiana n’en faisait pas mystère la semaine dernière dans le grand amphithéâtre de Sciences Po :
« Tout le monde veut un accord, mais un accord a minima. »
On est tenté de remplacer ce « mais » par un « donc ».
Face au minimalisme complaisant des politiques, la finance s’avance maintenant comme l’espoir ultime ! Au lendemain du Business & Climate Summit se tenait vendredi 22 mai 2015, toujours à l’Unesco, un Climate Finance Day au cours duquel de hauts cadres d’une forêt de banques et de fonds d’investissements (dont la sève est de pétrole, de gaz naturel et de charbon) ont fait mine de se cacher derrière l’arbre planté récemment par quelques avant-gardistes en costumes trois-pièces ayant entrepris de « décarboner » une portion pour l’heure infime du capitalisme global.
On appelle ça le désinvestissement, un mouvement comparé outre-Manche et outre-Atlantique au boycott du régime d’apartheid et à la campagne contre les géants du tabac. Certains désinvestissent, donc. Mais qui, du coup, rachète les actions moins cher…?
Faute de contraintes sérieuses imposées par les négociations internationales, cette voie faisant appel à la rationalité des marchés confrontés au risque climatique et à une encore hypothétique « bulle carbone », voie ouverte par des hérauts tels que Michael Bloomberg et Hank Paulson, apparaît maintenant la plus prometteuse parmi celles dans lesquelles la lutte contre le réchauffement s’est engagée. C’est dire comme on est bien… De destructions créatrices en quantative easings, la « main invisible » du marché n’a jamais été tellement verte. Et pour cause ?
Vendredi à l’Unesco, quoi qu’il en soit, des financiers ont trinqué au sauvetage de la planète. Tous ont insisté sur l’urgence de la situation.
L’urgence…
« Il y aura probablement de grandes migrations de populations en provenance des régions du monde menacées par les inondations et de celles […] qui vont se désertifier. Ces gens-là n’imploreront pas d’avoir des puits de pétrole, mais de l’eau. »
De qui ce vibrant cri d’alarme publié en première page d’un quotidien anglais sous le titre épique : « Course pour sauver le monde » ? De Maggie Thatcher, figure tutélaire du capitalisme néo-libéralisé et financiarisé. C’était lors de la remise du tout premier rapport des climatologues du Giec, en mai… 1990, il y a pile un quart de siècle [*].
« What is the sound of shit happening ? » : cette sorte de proverbe zen pourrait sous-titrer un récent reportage publié par la BBC autour de l’un des plus grands centres d’extractions de terres rares en Chine [cliquer sur l’image pour y accéder].
Résumons. Tout le monde désormais veut un prix du carbone. Mais pas trop cher, hein : les politiques attendent que l’économie bouge, laquelle attend que les politiques bougent. Farandole inerte. En France, tout ce monde se réjouit du « frémissement » actuel de la croissance économique, glissant sur le fait que la reprise est en large part due à l’effondrement des cours du brut.
Une dernière chose : les solutions qu’appelleraient un prix fort du carbone pour se passer un peu des énergies fossiles sont complexes (capture du CO2, stockage de l’énergie générée par les renouvelables intermittents, réseaux électriques intelligents, etc.). C’est bien parce qu’elles sont complexes, techniquement lourdes, que ces solutions sont chères.
Or, nul ne saurait affirmer que le « développement durable » ne risque pas de réclamer davantage de ressources matérielles, et non une consommation moindre de ces ressources. Il faut considérer en effet (air connu sur ce blog) qu’une voiture hybride a deux moteurs. Et même une politique de recyclage intense et draconienne serait incapable d’empêcher un épuisement des ressources, à moins de renoncer à la croissance de la consommation matérielle, concluait en 2010 un haut responsable de Veolia.
Pour illustrer l’enjeu, à mon sens crucial, je recommande la lecture de cet écœurant reportage publié par la BBC sur la ville de Baoutou. Située en Mongolie intérieure, cette citée obscure est l’un des plus importants centres mondiaux d’extraction de terres rares, minerais nécessaires à tous nos gadgets électroniques, ainsi qu’à l’efficacité de nos éoliennes, de nos panneaux solaires et des voitures électriques.
Et vive le mouvement des villes en transition !
[*] Voir « Or Noir », p. 535.