L’objectif de limiter le réchauffement à 2°C s’éloigne
Laurence Caramel
Le Monde 23.11.2011
Le sourire de Cassandre 2/2
Matthieu Auzanneau, journaliste indépendant
http://petrole.blog.lemonde.fr/2011/11/17/le-sourire-de-cassandre/2/
Patrick Viveret : «La paix et la démocratie sont menacées» 2/3
Joseph Confavreux
www.mediapart.fr/article/offert/5b6375d742059e9360092609906ceee4 – le 14.11.2011
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L’objectif de limiter le réchauffement à 2°C s’éloigne
Laurence Caramel
Le Monde 23.11.2011
«Pour bien comprendre l’importance de l’extrême gravité des chiffres énumérés dans cet article, il faut tout d’abord rappeler une fois de plus que l’on parle ici de la température moyenne du globe, qui est de 15°C, et non des températures à nos portes. Quelques degrés suffisent à un changement radical de régime climatique.
Ainsi, le réchauffement que la planète a connu en passant de la dernière ère glaciaire à «aujourd’hui», c’est juste 5°C en plus ! Et cela s’est passé sur 10 000 ans et non pas sur 100 ans comme c’est le cas des prévisions du GIEC aujourd’hui. C’est un réchauffement de seulement 2° il y a environ 15 000 ans qui a causé la disparition des mamouths tellement il a modifié le climat et les éco-systèmes de l’époque, sur une période non pas d’un siècle mais de 1000 ans ! L’augmentation de 2 degrés dans le siècle à venir est considéré par les climatologues comme le seuil de l’emballement climatique, à partir duquel les dérèglements climatiques s’emballent et s’auto-alimentent avec un effet boule de neige.
Bref, les augmentations de température dont il est ici question, c’est énorme pour la planète, et ces augmentations en un siècle seront une élévation d’une brutalité inouïe qui ne s’est jamais produite depuis que les hommes existent, et peut-être même depuis que la vie existe.»
Le monde peut-il échapper à un réchauffement supérieur à 2 °C d’ici à la fin du siècle ? A Copenhague, en décembre 2009, conformément aux recommandations du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), la nécessité de contenir « l’élévation de la température moyenne en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels » a été actée. Ce fut l’une des rares avancées de cette tristement célèbre conférence mondiale sur le climat. Pour les climatologues, en effet, franchir le seuil des 2°C accroît fortement les risques d’être confronté à un emballement climatique irréversible et dangereux.
Deux ans plus tard, alors que les négociateurs du climat vont se retrouver à Durban, en Afrique du Sud, du 28 novembre au 9 décembre, une série de statistiques et de rapports rappelle que ce scénario, en l’état actuel des efforts engagés par les grands pays pollueurs pour infléchir leurs émissions de gaz à effet de serre, demeure illusoire. Pis, à en croire les conclusions du travail publié, mercredi 23 novembre, par le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), un examen minutieux de la feuille de route des 86 pays qui ont déposé leurs engagements climatiques auprès de l’ONU montre que le niveau d’ambition est encore plus faible que ce qu’on imaginait jusqu’à présent.
Ce n’est donc pas dans une atmosphère plus chaude de 2°C qu’il faut se projeter mais dans des courbes où la hausse moyenne des températures pourrait davantage flirter avec les 2,5°, 5° voire 6 °C, si l’on suit la mise en garde publiée le 9 novembre par l’Agence internationale de l’énergie (AIE).
Lundi, l’Organisation météorologique mondiale (OMM) a conforté ces sombres augures en annonçant un niveau record des gaz à effet de serre présents dans l’atmosphère. La concentration de dioxyde de carbone, le principal gaz responsable du réchauffement, a encore augmenté de 2,3 parties par million (ppm) en 2010 pour atteindre 389 ppm. Un scénario à 2 °C suppose de ne pas dépasser 450 ppm.
Le PNUE et l’AIE ont adopté des approches différentes pour dessiner les trajectoires à venir mais ils parviennent à la même conclusion : il ne reste que quelques années – l’AIE avance 2017 – pour réorienter la machine climatique. Le travail du PNUE, centré sur les engagements des Etats, a évalué le fossé entre le niveau des émissions actuelles et le niveau auquel il faudrait les ramener pour conserver une forte probabilité de stabiliser le réchauffement. Il conclut, dans son scénario le plus optimiste – celui où les 86 pays tiennent rigoureusement leurs engagements -, que ce « gap » atteindra 6 gigatonnes en 2020, soit 1 gigatonne de plus que ce que concluaient ses travaux de décembre 2010. La hausse des températures est alors contenue à 2,5 °C. Dans ses scénarios plus pessimistes – les Etats tiennent partiellement ou pas du tout leurs promesses -, le fossé peut atteindre 12 gigatonnes, et le thermomètre s’envoler de 5 °C. Les scientifiques – au milieu des montagnes d’incertitudes qu’ils admettent volontiers – ont néanmoins une vision assez claire des étapes à franchir pour contenir le réchauffement à 2 °C. L’une des plus sensibles se situe précisément aux alentours de 2020, puisqu’elle doit marquer le pic des émissions mondiales avant une réduction drastique au cours des décennies suivantes. A cette date, leur niveau ne devrait pas dépasser 44 gigatonnes. C’est en fonction de cette limite que les experts réunis par le PNUE – au total 28 équipes de recherche ont été mobilisées – ont examiné les engagements pris depuis Copenhague par 42 pays industrialisés et 44 pays en développement. Ils ont sondé la sincérité de ces promesses en essayant, par exemple, d’identifier tout ce qui pourrait artificiellement « bonifier » les objectifs affichés. La façon de comptabiliser le carbone stocké par les forêts en fait partie.
L’AIE a raisonné en passant au crible les infrastructures existantes qui contribuent au réchauffement – les centrales à énergies fossiles, bien sûr, mais aussi les bâtiments non isolés, les usines… – et elle conclut que, compte tenu de leur durée de vie, elles absorbent d’ores et déjà 80 % du « budget carbone » dont nous disposons pour plafonner la hausse des températures à 2 °C. Sans un changement de cap radical, cet objectif n’a donc aucune chance d’être atteint.
Faut-il cependant l’enterrer dès maintenant ? L’AIE comme le PNUE s’y refusent. Réserve obligée ou sincère conviction ? A la veille de Durban, le PNUE s’efforce encore de fournir une feuille de route pour « combler le fossé ».
Le sourire de Cassandre 2/2
Matthieu Auzanneau, journaliste indépendant
http://petrole.blog.lemonde.fr/2011/11/17/le-sourire-de-cassandre/2/
«Les gens ne peuvent supporter trop de réalité»(sentence terrible attribuée à Carl Jung).
Le lourd silence des médias sur la question du climat, depuis la niaise et pathétique grand-messe du sommet de Copenhague, s’explique facilement : chacun perçoit, ne serait-ce qu’intuitivement, qu’avec la crise climatique se joue le plus vaste défi jamais lancé ouvertement à l’humanité, le premier défi total qui n’ait rien d’un mystère.
Ce qu’il y a de magnifique et de troublant dans la stase qui nous garde, c’est que l’énergie qui a fait les sociétés riches, qui a libéré comme jamais notre désir de puissance, nous coince maintenant de toutes parts, comme la double-pince du homard : crise climatique & pic pétrolier.
Continuer comme ça ? L’AIE dit que rien que pour compenser le déclin de la production de pétrole des gisements existants, il faudrait développer d’ici une génération (2035) le double de la production de brut actuelle au Moyen-Orient.
De nombreux indices, discutés et parfois révélés sur ce blog, indiquent qu’un tel tour de force est probablement irréalisable (sans demander s’il est souhaitable). L’AIE elle-même, dont les pronostics ont longtemps été édulcorés sous la pression de ‘Big Oil’, ne masque plus guère l’impasse :
«Le monde est en train de s’enfermer dans un futur énergétique non-soutenable, qui aura des conséquences radicales. Sans un changement de direction profond, le monde va s’enfermer dans un système énergétique dangereux, inefficace et hautement carboné.»
Mise en garde historique, très proche de celle lancée en 2007 dans un rapport crucial du département recherche et développement d’EDF.
Ce rapport, auquel on ne saurait trop faire écho tant que les éléments qu’il contient n’auront pas leur place dans le débat public, décrivait la stase de façon limpide :
le monde se dirige vraisemblablement vers un déclin de la production TOTALE d’énergie d’ici une génération, induit par un déclin probable de la production de pétrole aux alentours de 2020, et ceci en dépit d’une éventuelle accélération frénétique du développement du charbon, du gaz et des renouvelables et du nucléaire. Extrait :
«Vers un monde régi par les plans d’urgence énergétiques ?
Nos simulations montrent que la situation énergétique mondiale est porteuse de risques considérables, même si sont développées dans les prochaines années les politiques énergétiques tendanciellement vertueuses actuellement préconisées. Ces politiques ne permettront pas d’anticiper à temps les tensions. »
Les auteurs de ce rapport, le regretté Bernard Rogeaux et Yves Bamberger (alors directeur d’EDF R&D), proposaient un aperçu saisissant du futur, d’autant plus convaincant que depuis nous paraissons(,) incapables de faire quoi que ce soit de rationnel à la mesure du danger qui est en train, mécaniquement, de se déployer :
«Lorsque les tensions mondiales se concrétiseront, chaque région du monde sera dans l’obligation d’élaborer des plans d’urgence, en s’appuyant sur ses ressources propres : l’Amérique du Nord utilisera son charbon et ses pétroles non conventionnels, l’Asie son charbon qui sera toutefois rapidement insuffisant pour des besoins énergétiques en forte croissance. L’Amérique du Sud et l’Afrique pourront s’appuyer sur leurs ressources renouvelables (biomasse, hydraulique, solaire) et sur leurs énergies fossiles. La Russie – CIS et le Moyen-Orient seront en position de force car durablement excédentaires en énergie fossile. Par contre, l’Europe, qui ne dispose ni de réserves fossiles et fissiles, ni de l’espace nécessaire à un développement massif des énergies renouvelables, sera dans une situation particulièrement fragile.»
D’après EDF R&D, et contrairement à ce que prêche désormais Michel Rocard, l’énergie nucléaire n’est guère capable d’offrir une issue pour sortir du pétrole (à cause de nombreux freins, notamment techniques, le nucléaire est même l’énergie qui se développera le moins, d’après les chercheurs d’EDF.)
***
Ligne de fuite ? Le président Obama vient d’accepter d’ajourner le projet Keystone XL, un oléoduc titanesque qui devait transporter jusqu’au Texas le pétrole que les pétroliers, notamment Total, extraient (moyennant des dommages éco-logiques colossaux) des sables bitumineux du Canada, dont l’éco-nomie américaine a désormais un besoin vital.
Cette décision de la Maison Blanche, Naomi Klein l’a revendiquée [44′] comme la première victoire politique du mouvement Occupy Wall Street.
C’est tout sauf anodin. Naomi Klein écrit dans The Nation :
«Les vraies solutions à la crise climatique sont également notre meilleure chance de bâtir un système économique bien plus éclairé, qui réduise les profondes inégalités, qui renforce et transforme la sphère publique, qui génère de nombreux emplois décents, et qui restreigne de manière radicale le pouvoir des grandes entreprises.»
Il y a maintenant plus d’une dizaine générateurs électriques alimentés par des bicyclettes sur Liberty Square, là où campent les manifestants d’Occupy Wall Street ; on a bien sûr le droit de juger ça ridicule.
Une configuration idéologique nouvelle semble prête à éclore : aujourd’hui aux Etats-Unis, le plus pur affrontement politique (Tea Parties contre Occupy Wall Street) se joue sur le pétrole, comme vecteur de la puissance humaine ; écologie et économie convergent effectivement.
Du côté clair de la force, rien n’est vraiment très mûr encore : la moche réalité a précédé l’intuition éthique, qui devance je crois une évolution idéologique inouïe. Mais l’empire contre-attaque : Mitt Romney, probable adversaire de Barack Obama lors des prochaines élections présidentielles aux Etats-Unis, est déjà entouré par les principaux conseillers en énergie de l’ex-président George W. Bush.
Patrick Viveret : «La paix et la démocratie sont menacées» 2/3
Joseph Confavreux
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Une économie «avec marché» plutôt qu’une économie «de» marché
Mais l’envolée des dettes est tout de même une préoccupation légitime…
La menace qui pèse aujourd’hui, en Europe, sur les valeurs cardinales de la paix et de démocratie me semble nettement plus importante que la dette financière. D’autant que celle-ci doit être replacée dans la compréhension des «trois dettes» : la dette écologique, la dette sociale et la dette financière, qui ne vient qu’en troisième position.
La dette écologique, qui se mesure par l’empreinte écologique, permet aux pays riches, et à leurs classes possédantes, de se permettre un mode de vie écologiquement insoutenable, parce qu’il continue à y avoir trois milliards d’êtres humains qui vivent, eux, en dessous de l’empreinte écologique possible pour la planète. Mais quand les Indiens ou les Chinois se mettent à dépasser les seuils et à rattraper l’Occident, cela devient insoutenable. La dette la plus urgente est, pour le monde issu du modèle industriel occidental grand consommateur de gaz à effet de serre, de se reconvertir et d’aider à la réorientation du Sud vers des modes de développement écologiques.
La dette sociale désigne, elle, le transfert d’une part considérable de la rémunération du travail vers la rémunération du capital, depuis les années 1980. Pierre Larrouturou a avancé le chiffre de 35 000 milliards de dollars en 30 ans. Ce transfert n’a pas de légitimité démocratique, et la dette financière est, en réalité, très fortement constituée par cette dette sociale.
Même si les chiffres généraux sont délicats à manier, ce qui est sûr, c’est que, quand j’étais à la Cour des comptes, le travail qu’on avait effectué sur la séquence 2000-2010 mettait en évidence 100 milliards d’euros d’exonérations fiscales de toute nature. Or, ils constituent une double peine pour les uns et un double bénéfice pour les autres.
Les bénéficiaires de ces 100 milliards payent moins d’impôts et de cotisations sociales, et, avec ce surplus, ils peuvent se permettre de prêter, notamment aux Etats, et de recevoir donc, en plus, les intérêts de leurs prêts. Du côté des gens modestes, c’est une double peine. Ils reçoivent moins en services publics ou en prestations sociales, et, de l’autre côté, on leur demande aussi de payer l’austérité, au titre de citoyens contributeurs. On a donc transformé une dette sociale due aux gens modestes en une dette financière due, d’abord, aux plus riches.
Il faut donc certes penser et résoudre la dette financière, mais en rapport avec la dette sociale et écologique. On peut alors prétendre commencer à rembourser la dette, mais sur la base de critères de justice sociale. Une mesure d’un gouvernement de gauche élu en 2012 pourrait être de faire passer d’abord une loi sur un plafond maximal d’inégalités de revenus, en définissant un seuil maximal d’inégalités acceptables dans une république dont la devise est, après tout, «Liberté, Egalité, Fraternité».
Par exemple de 1 à 10… Cela aurait pour effet de déterminer une élévation des minima sociaux, mais aussi de créer l’équivalent d’un revenu maximal.
Si on a ce plafond de revenus, lorsqu’on rembourse la dette, comme ce sont, mécaniquement, les plus riches qui ont eu les moyens de prêter, cela va rapidement dépasser leur plafond de revenus… Il sera donc légitime que cet excès de revenus soit repris au titre de la fiscalité liée au plafonnement des revenus. Pour la dette de la France, même si une partie est détenue par des fonds étrangers, cela concerne déjà le tiers de la dette, qui est détenu par des résidents français. Et ce serait déjà une transformation majeure, puisque cette première tranche de remboursement limiterait d’autant le coût colossal des intérêts.
On peut aussi envisager une façon plus libérale d’utiliser ce remboursement en réinvestissant cet excès d’argent dans des formes collectives d’investissement écologique et social, à travers des fondations dont la collectivité publique serait partie prenante et par le biais de l’instauration d’une monnaie écologique et sociale. Pour cela, il faut aussi repenser la monnaie, dont on voit qu’elle est au cœur de nos dysfonctionnements actuels.
Un bon exemple, donné par Bernard Lietaer, un des anciens responsables de la Banque centrale de Belgique, est celui de la construction des cathédrales. Cela n’a été possible que si la valeur du bien que l’on construit à long terme paraît plus intéressante que la valeur de la monnaie qu’on utilise à court terme. Chartres bénéficie encore de cet investissement à long terme de la collectivité, parce qu’on a considéré que cet investissement de long terme avait plus de valeur que celle de son équivalent monétaire immédiat, parce que la détention de monnaie liquide n’était pas aussi importante et intéressante à court terme qu’elle ne l’est aujourd’hui. Si, à l’époque, la ville de Chartres avait pu avoir des placements financiers qui lui rapportaient 15% en un an, elle aurait joué la carte des placements financiers plutôt que des cathédrales.
Si on se pose les questions en termes de développement soutenable, ou de grands investissements sociaux, il s’agit d’investissements lourds, de long terme, sans rentabilité immédiate. Ou, plutôt, leur seule rentabilité immédiate est que ça commence à éviter le pire… Mais il faut d’abord sortir du court-termisme, donc faire en sorte que le placement strictement financier n’ait pas d’intérêt, voire qu’il suscite du désintérêt… Pour cela, on peut transformer la nature de la monnaie ou instaurer une taxe sur les transactions financières, mais qui soit costaud, de l’ordre de 2% plus que de 0,05 %.
Les contraintes monétaires sont effectivement au cœur de la crise actuelle. Mais peut-on créer une monnaie mondiale qui interdise la spéculation, sur le modèle de ce qui existe dans les systèmes d’échange locaux ? Est-ce que, plus généralement, la solution à la crise actuelle peut vraiment se trouver dans l’élargissement des principes de l’économie sociale et solidaire ?
Les monnaies sociales, face à la crise des monnaies officielles, que ce soit l’euro ou le dollar, offrent une perspective transformatrice ambitieuse de réappropriation démocratique de la monnaie, qui valorise les circuits citoyens, écologiques, sociaux. Elles proposent des modes d’échanges alternatifs, soucieux du développement humain collectif, et non de l’enrichissement spéculatif de quelques-uns. On a des exemples qui fonctionnent très bien, par exemple, dans une ville comme Toulouse, le Sol violet, qui a le soutien d’institutions comme la Macif ou le Crédit coopératif. Ces monnaies sociales sont anti-spéculatives. Si elles ne sont pas utilisées, elles perdent de la valeur au fil du temps, car elles sont pensées comme des «monnaies fondantes», qui ne peuvent donc pas servir à la spéculation ou à la thésaurisation.
Bernard Lietaer a démissionné de la Banque centrale de Belgique sur le constat que les banques centrales accéléraient la crise financière au lieu de la contrer. Il a, alors, proposé une monnaie mondiale, la «Terra», en partant du principe que le dollar ne pourra pas rester dans ce double jeu d’être à la fois la monnaie des Etats-Unis et la monnaie mondiale : une ambiguïté qui est au cœur du système monétaire mondial défini après guerre, à Breton Woods. La crise du dollar cet été a rouvert le débat sur la création d’une monnaie mondiale, et, tant qu’à en faire une, il faut faire en sorte qu’elle soit une monnaie mondiale, au service d’un développement soutenable. Il propose donc que la «Terra» perde de la valeur si on ne l’utilise pas, pour empêcher la spéculation.
Il est temps que les pouvoirs publics reprennent le contrôle de la création monétaire, qu’on a laissé filer, et la monnaie sociale me paraît être un bon outil pour ça. Il est donc possible d’utiliser à l’échelle mondiale des approches aujourd’hui locales ou expérimentales et de réincorporer, dans le cadre d’une crise de l’euro et du dollar, des expériences de la finance solidaire ou des monnaies sociales dans une perspective macro. Il ne s’agit pas seulement d’une extension du champ de l’économie sociale et solidaire.
Cela s’inscrit dans une économie plurielle, où le marché a toute sa place, mais rien que sa place. L’économie publique y a aussi sa place, comme l’économie solidaire. On serait alors dans une économie «avec marché», et non dans une économie «de» marché. Une économie seulement publique engendre, à l’inverse, le risque d’une économie bureaucratique et administrée. Il faut donc pluraliser l’économie.