Articles du Vendredi : Sélection du 23 novembre 2018


Changement climatique : une bombe à retardement
Editorial du « Monde ».
www.lemonde.fr/idees/article/2018/11/20/changement-climatique-une-bombe-a-retardement_5385985_3232.html

Arrêtons de croire que le climatosceptique, c’est toujours l’autre, et réalisons enfin que, comme pour la menace nucléaire, l’humanité est à l’origine de ce qui peut la détruire.

Le 6 août 1945, avec le largage de la bombe atomique sur Hiroshima, l’humanité réalisait qu’elle disposait désormais de la capacité de s’autodétruire. Le fait que cette menace soit clairement identifiée nous a permis d’apprendre à la domestiquer en faisant émerger une conscience mondiale qui, depuis trois quarts de siècle, a réussi à éviter l’apocalypse.

Aujourd’hui, un péril tout aussi grand met en danger l’avenir de la planète : le changement climatique. Contrairement à la destruction nucléaire, il s’agit d’une bombe à retardement, dont les effets, plus diffus dans le temps, donnent le sentiment à certains que le danger est imaginaire et à d’autres que l’on a tout le temps pour s’atteler au sujet. L’immense majorité de l’humanité est ainsi plongée dans une sorte de déni, plus ou moins assumé, pour mieux différer la mise en œuvre de solutions qui heurtent frontalement nos modes de vie.

Pourtant, ceux-ci sont d’ores et déjà affectés. Une étude, publiée lundi 19 novembre dans la revue Nature Climate Change, apporte de nouveaux éléments sur l’inéluctabilité et l’ampleur du désastre. Une vingtaine de chercheurs internationaux démontrent le degré de vulnérabilité de l’humanité face au risque climatique en répertoriant 467 formes d’impacts sur nos vies quotidiennes, qu’il s’agisse de santé, d’alimentation, d’accès à l’eau, d’économie, d’infrastructures ou de sécurité.

Son originalité consiste à mettre en perspective l’aspect cumulatif des fléaux entraînés par le dérèglement climatique à partir de milliers de données sociales, économiques ou géographiques publiées depuis les années 1980. Jusqu’à présent, beaucoup de travaux se sont contentés d’examiner séparément les conséquences de chaque aléa. Cette étude a le mérite de mettre en exergue la concomitance et la combinaison des risques auxquels nous sommes confrontés à travers une approche pluridisciplinaire.

De notre capacité à réduire les émissions de gaz à effet de serre dépend notre avenir. Malheureusement, la prise de conscience se heurte à un climatoscepticisme entretenu pendant de nombreuses années par les industries liées aux énergies fossiles. Le phénomène a fini par se diffuser dans l’opinion au travers de courants politiques qui ont fait de la contestation de la réalité scientifique un marqueur idéologique.

Un déni permanent

Mais croire que le climatosceptique, c’est toujours l’autre, est une facilité qui empêche d’appréhender pleinement la difficulté de la tâche qui nous attend. Comme le dit le philosophe australien Clive Hamilton, nous sommes tous climatosceptiques à des degrés divers, dans la mesure où nous n’acceptons ni « la vérité sur ce que nous avons fait subir à la Terre » ni le changement de vie radical qu’impose le réchauffement climatique, et encore moins la remise en cause du principe de modernité et d’un progrès linéaire qui tend vers le toujours plus.

C’est ce déni permanent qui a conduit Nicolas Hulot à annoncer sa démission le 28 août de son poste de ministre de l’écologie, estimant que la stratégie « des petits pas », pour préserver coûte que coûte « un modèle économique cause de tous les désordres climatiques », conduit à une impasse mortifère.

Combien faudra-t-il d’études comme celle publiée dans Nature Climate Change et de catastrophes aux effets dévastateurs pour se rendre compte que le coût de l’inaction reste très supérieur à celui de la lutte contre les changements climatiques ? Il est pourtant urgent qu’émerge enfin une prise de conscience identique à celle qui s’est forgée autour de la menace nucléaire : l’humanité est à l’origine de ce qui peut la détruire. La Conférence des Nations unies (COP24), qui débute le 2 décembre à Katowice, en Pologne, constituera une nouvelle occasion pour tenter de reprendre en main notre destin et éviter l’irrémédiable. Une de plus.

Décès, famines, pénuries d’eau, migrations : tous les secteurs touchés par le changement climatique
Audrey Garric
www.lemonde.fr/climat/article/2018/11/19/deces-famines

Les aléas climatiques affectent irrémédiablement six aspects cruciaux de la vie humaine : santé, alimentation, eau, économie, infrastructures et sécurité.

Ceux qui croient que les effets du changement climatique se résument aux incendies en Californie ou aux inondations dans l’Aude, aussi meurtriers soient-ils, n’ont qu’une mince idée de la gravité de la situation. Selon la vaste étude publiée dans Nature Climate Change lundi 19 novembre, l’humanité fait les frais du dérèglement climatique de 467 façons différentes.

Côté santé, les aléas climatiques sèment la mort, en raison d’hyperthermies (plus de 780 événements de surmortalité ont été recensés dans le monde entre 1980 et 2014 sous l’effet de vagues de chaleur), de noyades (3 000 personnes sont mortes dans des inondations en Chine en 1998), de famines (800 000 décès après les sécheresses qui ont frappé l’Ethiopie dans les années 1980), de traumatismes contondants durant des tempêtes ou d’asphyxies lors d’incendies. La morbidité est également en augmentation, par exemple lorsque des troubles cardiaques ou respiratoires surviennent lors de pics de chaleur. Les blessures sont légion sous l’effet d’incendies, d’inondations ou de tempêtes. Ces deux derniers aléas, de même que les changements de températures et de précipitations, favorisent la recrudescence d’épidémies, telles que le paludisme, la dengue, le choléra ou des diarrhées. Les risques climatiques touchent également la santé mentale : des dépressions et des stress post-traumatiques ont été recensés après des tempêtes aux Etats-Unis, comme l’ouragan Katrina en 2005, des inondations au Royaume-Uni en 2007 et ou la canicule en France en 2003. En Australie, dépression et suicides guettent les fermiers, alors que le pays connaît la pire sécheresse de son histoire.

Faramineuses pertes économiques

Le dérèglement climatique affecte par ailleurs la production agroalimentaire de manière directe (un tiers de la production de céréales russe a été perdue en raison des incendies et de la sécheresse de 2010 ; les trois quarts du bétail ont succombé à la sécheresse au Kenya en 2000) ou indirecte (chaque journée où la température dépasse 38 0C réduit les rendements annuels de 5 % aux Etats-Unis ; l’acidification des océans augmente le blanchissement des coraux, limitant ainsi l’habitat des poissons). La quantité et la qualité de l’eau potable sont un autre enjeu crucial, avec des pénuries, des pollutions et des maladies entraînées par les vagues de chaleur, des inondations, des feux et des sécheresses.

Dans les autres secteurs, l’approvisionnement en électricité, les transports, les infrastructures et les constructions sont les plus sévèrement touchés. Les inondations et les tempêtes ont ainsi détruit 13 millions de maisons au Bangladesh, 9 millions en Chine ou 2 millions au Pakistan depuis 1980. On ne compte plus les routes ou voies ferrées inondées, les ponts, ports ou digues En découlent de faramineuses pertes économiques, de productivité, de revenus et d’emplois. Pour ne citer qu’un exemple, l’ouragan Katrina, qui avait fait 1 800 morts aux Etats-Unis en 2005, avait entraîné 130 milliards de dollars (113 milliards d’euros) de dégâts. De manière indirecte, les aléas climatiques augmentent aussi le prix des marchandises. La chute de la production de céréales russes, en 2010, avait provoqué un doublement du cours mondial du blé. Le tourisme est également très sensible au climat : des hivers plus chauds signifient en général moins de neige, et donc de touristes, dans les Alpes ; le blanchissement des coraux a limité le nombre de plongées de loisir en Thaïlande et en Australie. Les effets des aléas climatiques sur la sécurité mondiale, enfin, sont plus discutés mais les scientifiques jugent qu’ils contribuent à exacerber les conflits et les violences, notamment autour de l’accès aux ressources. Les événements climatiques extrêmes ont en outre déjà poussé à l’exode des centaines de millions de personnes.

L’humanité soumise à des catastrophes climatiques en cascade
Audrey Garric
www.lemonde.fr/climat/article/2018/11/19/malnutrition-maladies-guerres-les-467-facons-dont-l-humanite-est-deja-affectee-par-le-changement-climatique_5385653_1652612.html

Une étude inédite, originale et très inquiétante, publiée dans « Nature Climate Change » lundi aborde les risques cumulés entraînés par le dérèglement climatique.

Dans la Bible, Dieu a puni l’Egypte en lui infligeant dix plaies. L’humanité actuelle, elle, a subi les foudres du changement climatique d’au moins 467 façons différentes. Surtout, ces châtiments vont redoubler, puisqu’en 2100, la moitié de la population pourrait être menacée par trois à six catastrophes climatiques (sécheresses, vagues de chaleur, inondations, etc.) d’intensité maximale de manière simultanée si les émissions de gaz à effet de serre ne sont pas réduites drastiquement. Voilà les deux conclusions d’une étude inédite, originale et très inquiétante, publiée dans Nature Climate Change lundi 19 novembre, qui aborde pour la première fois les risques cumulés entraînés par le dérèglement climatique. Pour estimer le danger qui pèse sur la population, les auteurs – une vingtaine de chercheurs internationaux, essentiellement issus de l’université d’Hawaï – ont commencé par étudier le passé en passant au peigne fin près de 3 300 études scientifiques publiées depuis 1980 relatives au changement climatique, qu’il soit dû à l’action des hommes ou à la variabilité naturelle du climat – sachant que les émissions de gaz à effet de serre sont déjà responsables de l’augmentation de la température de la planète de près d’un degré.

Ils ont retenu dix aléas climatiques (réchauffement, inondations, sécheresses, vagues de chaleur, incendies, montée du niveau des eaux…) qui touchent six aspects cruciaux de la vie humaine : la santé, l’alimentation, l’eau, l’économie, les infrastructures et la sécurité, ces thèmes étant déclinés en 89 sous-rubriques. En croisant ces données, ils ont découvert que l’humanité avait déjà été affectée par le climat sous 467 formes différentes, exemples détaillés à l’appui. Ainsi des décès ou des maladies provoquées par les inondations, les incendies ou les vagues de chaleur ; des dégâts sur l’agriculture, l’élevage ou les pêcheries après des précipitations ou des sécheresses ; des effets néfastes sur la qualité et la quantité d’eau douce ; des destructions d’infrastructures à la suite de tempêtes et de la montée des eaux ; des pertes économiques et d’emplois, de la diminution de la productivité et de la crise du tourisme causées par l’acidification des océans et la déforestation. Tout cela sur fond de violences accrues et de migrations multipliées.

« Immense vulnérabilité de l’humanité »

« Cette revue de littérature montre l’immense vulnérabilité de l’humanité au risque climatique, constate Camilo Mora, professeur associé au département de géographie de l’université d’Hawaï et premier auteur de l’étude. La situation va encore empirer car les émissions de gaz à effet de serre intensifient simultanément de nombreux dangers. » C’est là une deuxième originalité de ces travaux, qui étudient dans quelle mesure nous sommes menacés par la survenue concomitante et combinée de multiples risques climatiques. Jusqu’à présent, les conséquences de chaque aléa étaient examinées séparément. L’an dernier, Camilo Mora avait par exemple mené une étude sur les vagues de chaleur, qui concluait qu’une personne sur trois risque de mourir de chaud dans le monde. « Nos émissions de gaz à effet de serre déclenchent un effet domino, dans lequel nous ne changeons pas seulement la température. L’augmentation de la chaleur favorise l’évaporation de l’eau du sol, ce qui entraîne des sécheresses, des feux de forêt et des vagues de chaleur dans des endroits normalement secs ou des pluies massives et des inondations dans des zones généralement humides », décrit Camilo Mora. Et de rappeler que nous sommes déjà confrontés à ces risques climatiques concomitants : « La Californie connaît actuellement des feux de forêt féroces et l’une de ses plus longues sécheresses, en plus des vagues de chaleur extrêmes de l’été dernier. »

Trois à six risques climatiques cumulés

A quoi ressemblera notre futur sous l’effet d’une crise climatique généralisée ? Selon les modélisations de l’équipe de chercheurs, si les émissions de gaz à effet de serre continuent sur leur trajectoire actuelle, la moitié de la population sera soumise à trois dangers climatiques simultanés à la fin du siècle (et jusqu’à six pour certaines régions côtières tropicales), d’une intensité maximale, qui produiront de nouveau des centaines d’effets sur les vies humaines. Si, en revanche, des actions significatives sont déployées pour limiter l’envolée des températures à + 2 °C, comme le prévoit l’accord de Paris, les citoyens ne subiraient qu’un seul aléa.

Toutes les nations sont concernées, quel que soit leur niveau de revenus, mais la nature des effets devrait varier en fonction des différentes capacités d’adaptation : comme aujourd’hui, les pays en développement devraient enregistrer la majorité des pertes humaines tandis que les Etats développés pâtiront davantage de dégâts économiques.

Tous ces résultats sont consignés sur une carte interactive qui permet d’identifier pour n’importe quel endroit du monde les risques cumulés jusqu’à la fin du siècle en fonction de trois scénarios d’émissions (réduction forte, moyenne ou nulle). En 2100, en cas de poursuite des émissions de CO2 à leur rythme actuel, Marseille devrait par exemple faire face à une augmentation du réchauffement, des sécheresses, des vagues de chaleur et des incendies, une hausse du niveau de la mer, une réduction de l’eau potable et des changements océaniques (de température, d’acidité et de quantité d’oxygène), dont la force cumulée équivaudra à trois des dangers les plus extrêmes jamais enregistrés n’importe où sur terre. Ailleurs dans le monde, Sydney et Los Angeles seront confrontés à la même situation, Mexico à quatre aléas cumulés d’intensité maximale, et la côte atlantique du Brésil à cinq.

« Travail considérable et inédit »

« La force de cette revue de littérature réside dans son ampleur, son côté systématique et le fait qu’elle se base sur des faits réels plutôt que des modèles, qui ont forcément des incertitudes. Ses résultats sont donc incontestables. Il s’agit d’un travail considérable et inédit, dont nous nous inspirerons », s’enthousiasme Robert Vautard, directeur de recherches au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement, qui travaille sur le sixième rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), prévu pour 2021.

« Cette nouvelle méthode des risques croisés va prendre de l’ampleur dans les années à venir, prédit quant à elle la climatologue Valérie Masson-Delmotte, également membre du GIEC. Il est intéressant d’adopter une démarche interdisciplinaire, en tenant compte de données sociales, économiques ou géographiques. » Reste maintenant à aller plus loin, juge-t-elle, et « à affiner les projections » pour connaître les domaines d’activité qui seront affectés à l’avenir, « les expositions et vulnérabilités précises », qu’il s’agisse de santé, de nourriture, d’économie ou de sécurité.

Robert Vautard relève toutefois deux limites liées aux biais de la littérature scientifique examinée : les études couvrent davantage les pays occidentaux que le reste du monde, et les chercheurs sont plus prompts à décrire les effets négatifs liés aux risques climatiques que l’inverse. « Pourtant, il est important de publier des études lorsqu’il n’y a pas d’impact du changement climatique, mais dans ce cas, on est moins cités et repris », constate Robert Vautard. A la suite de la série de tempêtes qui ont balayé la France cet hiver (Ana, Bruno, Carmen, Eleanor), le chercheur a par exemple montré que le changement climatique n’entraîne pas de hausse significative de leur nombre ni de leur intensité en Europe de l’Ouest.

Parfois, ses conséquences sont même positives. Au Sahel, les sévères sécheresses ont réduit la propagation des moustiques et donc la prévalence du paludisme entre la fin des années 1960 et le milieu des années 1990. L’augmentation des précipitations a régulièrement favorisé les rendements de maïs ou de riz en Afrique, en Asie ou en Amérique du Sud. « Il reste toutefois peu probable qu’un effet positif réussisse à contrebalancer la longue liste d’effets négatifs », juge Camilo Mora.

« Cette recherche confirme que le coût de l’inaction l’emporte largement sur celui de la lutte contre les changements climatiques », affirme dans un communiqué Michael Mann, climatologue à l’université de Pennsylvanie (Etats-Unis). Nous pouvons encore limiter les dommages et les souffrances à venir si nous agissons rapidement et de manière spectaculaire pour réduire les émissions de carbone. » Mais face à des gouvernements qui « risquent à tout moment de faire marche arrière », la solution pourrait venir de la base, considère Camilo Mora : « Les normes sociales nous rendront tous plus conscients de nos émissions et de la nécessité de les limiter ensemble, tandis que les hommes politiques devront s’aligner pour trouver des solutions sans quoi ils ne seront pas élus. »

Environnement : j’y pense et puis j’oublie
Stéphane Foucart
www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2018/10/20/environnement-j-y-pense-et-puis-j-oublie_5372399_4500055.html

Depuis près de soixante ans, un scandale environnemental chasse l’autre. A chaque fois, on se dit « plus jamais ça ». Petite histoire de l’apathie.

Vous avez le sentiment que l’environnement est désormais, enfin et pour de bon, au centre de l’attention médiatique et politique ? Vous pensez que les choses vont peut-être changer ? Que l’opinion n’a jamais été aussi sensibilisée aux problèmes fait impossible que vous ayez tort. Et que dans deux, cinq ou dix ans, nous soyons passés à autre chose… avant que les mêmes problèmes ne se reposent à nous.

Lassitude des médias et de leurs publics, conjuration plus ou moins involontaire des questions incommodantes, désintérêt des pouvoirs publics pour les problèmes qui ne peuvent être résolus que par des contraintes économiques… Les raisons de cette alternance entre amnésie et redécouverte collectives sont difficilement solubles. Mais la réalité de ces cycles ne fait aucun doute. L’historien des sciences américain Robert Proctor (université Stanford) le dit dans Golden Holocaust (Des Equateurs, 2014), son grand Livre sur le tabac : « Certains composants de la cigarette sont étonnamment méconnus, ou plutôt ils sont connus, médiatisés un temps, puis oubliés au gré du cycle de l’attention et de l’oubli des médias », écrit-il à propos du polonium 210, un radionucléide fixé par la feuille de tabac et donc présent dans les cigarettes que nous fumons. Qui sait, aujourd’hui, que nos clopes contiennent ce métal lourd ? Et que la consommation d’un paquet et demi par jour équivaut à s’exposer annuellement à une dose de rayonnement équivalente à 300 radiographies du thorax ?

« Béances idéologiques » et « puits de désintérêt »

Pourtant, rappelle Robert Proctor, dans les années 1970, puis 1980, cette histoire de polonium s’est largement diffusée dans les médias de masse et la littérature scientifique. « Il semble qu’à chaque décennie, on redécouvre le polonium, qu’on médiatise de nouveau l’affaire avant de l’oublier une fois encore, écrit-il. Pourquoi cette alternance cyclique de redécouvertes et d’oublis ? » L’historien formule l’hypothèse suivante : certains sujets tombent dans ce qu’il nomme des « béances idéologiques » ou des « puits de désintérêt ». Lorsque des questions ne s’insèrent régulièrement l’objet de révélations mais retombent rapidement dans le silence du sommeil, dit Proctor. Le savoir s’évapore ; l’ignorance reprend le dessus. » Ce schéma de cycles de l’attention et de l’oubli s’applique remarquablement bien aux sujets d’environnement et de santé. Vous pensez que le pataquès du glyphosate révèle une prise de conscience de la nocivité des pesticides ? Lisez la couverture du New York Times sur la controverse de l’époque autour du célèbre insecticide DDT, dans les années 1960 : elle ressemble à s’y méprendre à ce que les journaux écrivent aujourd’hui sur le glyphosate. L’opinion est-elle aujourd’hui bien plus mobilisée qu’alors ? Détrompez-vous : à cette époque, l’opus magnum de la biologiste américaine Rachel Carson, Printemps silencieux (1962, réédité chez Wildproject Editions en 2014), dont le sujet était précisément les dégâts des pesticides agricoles sur l’environnement, se vendit à plusieurs millions d’exemplaires aux Etats-Unis et fut traduit en plus de quinze langues. C’était en 1963. Il y a cinquante-cinq ans. Depuis, le DDT a été interdit dans ses usages agricoles mais il a été remplacé, dans une apathie générale, par une myriade de substances bien plus puissantes.

Indignation générale

Printemps silencieux. Le titre du livre disait la crainte de voir disparaître les oiseaux des champs aspergés de produits phytosanitaires. Souvenez-vous de la « une » du Monde du 21 mars : « Les oiseaux disparaissent des campagnes françaises à une vitesse vertigineuse ». En France, selon le Muséum national d’histoire naturelle et le CNRS, environ 30 % des oiseaux des champs ont disparu au cours des quinze dernières années. Avec, au nombre des causes mises en avant par les chercheurs, l’utilisation des agrotoxiques… Nous nous inquiétons, nous oublions puis redécouvrons les problèmes ; nous n’échappons pas à leurs effets. Souvenez-vous du film-enquête de « Cash investigation », diffusé le 13 septembre 2016 sur France 2, sur l’ajout dans les charcuteries de sels nitrés (à base de nitrates ou de nitrites), ces conservateurs-colorants d’usage superflu et néanmoins cancérogènes : l’indignation fut générale. Comme la stupéfaction devant cette archive télévisuelle des années 1970, un entretien avec le cancérologue Léon Schwartzenberg, diffusé dans le documentaire, dans lequel on apprend que la cancérogénicité de ces substances dans la viande transformée est connue de longue date… Le médecin parle de ces substances avec la tranquillité et l’aplomb de celui qui parle d’un fait bien connu de tous, et non controversé… Las ! Nous l’avions tous oublié. Dans son livre Cochonneries (La Découverte, 2017), Guillaume Coudray remonte le fil de la connaissance de la nocivité de ces produits et montre que, dès 1908, dans la revue médicale britannique The Lancet, chercheurs et médecins s’inquiétaient de l’ajout de ces produits dans la charcuterie industrielle… Le livre raconte aussi comment, dans les années 1970, la presse américaine fourmille d’articles s’indignant de ces additifs cancérogènes. Et puis plus rien, ou pas grand chose… jusqu’à la classification de nos chers saucissons, chorizos et autres saucisses de Francfort comme « cancérogènes certains » par le Centre international de recherche sur le cancer, en 2015, qui a remis cette controverse sur le devant de la scène. Tout cela n’est peut-être que des détails… Les grandes questions d’environnement, elles, ne s’imposeraient-elles pas à nous ? Le changement climatique, par exemple… Encore raté ! En 1979, le premier grand rapport scientifique sur le sujet était rendu par l’Académie des sciences américaine et disait simplement que le réchauffement se produirait si nous poursuivions nos émissions de gaz à effet de serre. Il n’y avait aucun doute. Le 12 juillet 1979, dans son éditorial, le New York Times écrivait que les conséquences des émissions de gaz à effet de serre pourraient être « désastreuses ». Suivait une énumération d’effets catastrophiques en tous points semblables à ceux que vous pouvez lire aujourd’hui dans la presse. « Il n’est pas difficile, écrivait l’éditorialiste du Times, de voir comment l’intensification de l’effet de serre pourrait produire un désastre bien pire que tout accident nucléaire imaginable. » Il était bien plus difficile de ne pas l’oublier.

 

En France, les très riches émettent 40 fois plus de carbone que les pauvres, mais les pauvres paient plus de 4 fois plus de taxe carbone en % de leurs revenus !
Jean Gadrey
https://blogs.alternatives-economiques.fr/gadrey/2018/11/20/en-france-les-tres-riches-emettent-40-fois-plus-de-carbone-que-les-pauvres-mais-les-pauvres-paient-plus-de-4-fois-plus-de-taxe-carbone-en-de-leurs-revenus


Ce titre repose sur des évaluations imparfaites, mais les ordres de grandeur sont réalistes.

On a très peu de données fiables sur les émissions de CO2 en fonction des revenus. Les meilleures à ma connaissance sont celles de Chancel et Piketty à l’échelle mondiale, dans leur étude (en anglais) «Carbon and inequality : from Tokyo to Paris», publiée en 2015, ainsi que les estimations d’une étude d’Oxfam de la même année (celle de la COP21), dont les résultats sont voisins. Mais dans les deux cas, on manque de chiffres nationaux, lacune que je vais essayer de combler en partie avec les moyens du bord.

Dans le monde, selon Chancel et Piketty, les 10 % des individus les plus émetteurs (qui sont en gros les 10 % les plus riches, vu la corrélation assez forte entre revenu et émissions) sont responsables de 45 % des émissions mondiales, pendant que les 50 % les moins émetteurs ne produisent que 13 % de ces émissions mondiales. Dit autrement, une personne appartenant au groupe des 10 % du haut émet en moyenne 17 fois plus qu’une personne faisant partie de la moitié « du bas ». Ces résultats tiennent compte des émissions « importées » dans les produits et services consommés par les individus (« empreinte carbone »), avec quelques complications sur lesquelles je passe.

Autre résultat majeur, concernant les inégalités extrêmes : les 1 % les plus riches (en revenu) de pays très riches tels que les États-Unis ou Singapour ont des niveaux d’émissions par personne dépassant 250 tonnes de CO2 par an (on parle de « CO2 équivalent ») pour Singapour, 320 pour les États-Unis, 200 pour le Canada, etc., chiffres pour l’année 2013. À l’autre extrémité, les 10 % les plus pauvres des pays les plus pauvres (par exemple le Honduras ou le Rwanda) sont à environ 0,1 tonne par an, soit 2000 ou 3000 fois moins que les très riches des pays très riches.

Je le dis autrement, car c’est énorme : il y a dans le monde, par millions, des très riches qui émettent 2000 à 3000 fois plus que les plus pauvres.

Le cas de la France n’est pas traité spécifiquement dans cette étude mondiale. Je vais donc me livrer à un exercice approximatif faute de mieux. J’appelle « très riches » les 1 % du haut de l’échelle des revenus et je souhaite comparer leur empreinte carbone moyenne à celle des 10 % les moins riches (le « premier décile » des revenus).

On sait grâce à Chancel et Piketty que pour les 1 % les plus riches des Canadiens les émissions annuelles par personne sont de 200 tonnes de CO2. Or le Canada est un pays où le revenu moyen est supérieur de peu à celui de la France (environ + 14 % en 2017 en « parités de pouvoir d’achat » selon la Banque mondiale) et où les inégalités mesurées par le coefficient de Gini sont presque identiques. On peut donc parier raisonnablement que les 1 % les plus riches du Canada ont une empreinte carbone sans doute un peu supérieure à celle des Français, mais d’assez peu, et pour être très prudent j’affecterai aux très riches Français une empreinte moyenne de 20 % inférieure à celle de leurs homologues canadiens, soit 160 tonnes par an et par personne.

Quel chiffre retenir pour l’empreinte carbone moyenne par personne du premier décile en France, donnée que je n’ai pas trouvée mais qui existe peut-être dans les fichiers en ligne de Chancel et Piketty que je ne suis pas parvenu à ouvrir… ? En étant une nouvelle fois prudent, je vais retenir comme ordre de grandeur le chiffre de 4 tonnes de CO2 par an, sachant que selon Chancel et Piketty les personnes du troisième décile (dont le niveau de vie est 1,8 fois celui du premier décile) émettaient en moyenne 6,5 tonnes par personne en 2013 (leur étude ne fournit malheureusement aucun autre chiffre pour la France).

Résumons : au moins 160 tonnes en moyenne pour les 1 % les plus riches, au plus 4 tonnes pour les 10 % les plus pauvres, cela fait 40 fois plus pour les premiers, estimation basse.

La taxe carbone pèse plus de 4 fois plus sur le budget des plus pauvres

On a sur ce point des données par déciles, dont celles trouvées dans un document sur « les effets distributifs de la fiscalité carbone en France », par Audrey Berry. La fiscalité carbone représenterait 0,68 % du revenu disponible des 10 % les moins riches et 0,23 % pour les 10 % les plus riches, soit 3 fois moins. De son côté, Lucas Chancel avance le chiffre de 5 fois moins dans sa tribune de Libé du 12 novembre (« Taxe carbone : peut-on concilier écologie et justice sociale ? »), mais c’est peut-être parce que les bases de comparaison diffèrent. Peu importe pour ce qui suit, je couperai la poire en deux en estimant que les 10 % les plus riches paient environ 4 fois moins de taxe carbone que les 10 % les plus pauvres en proportion de leurs revenus.

Qu’en est-il des 1 % les plus riches ? Aucune source ne le dit à ma connaissance, mais on sait au moins que le poste « avion » pèse de plus en plus lourd dans les émissions lorsque le revenu grimpe (voir cette enquête IPSOS pour l’observatoire du bilan carbone des ménages), et comme il n’y a aucune fiscalité carbone pour le transport aérien, cela va nécessairement alléger beaucoup le poids de cette fiscalité dans le budget des très riches. On peut donc affirmer sans trop de risque que la taxe carbone pèse « plus de 4 fois plus » sur le budget des 10 % les plus pauvres que sur celui des très riches.

Dernière remarque « pour la route » (ou autre mode de déplacement moins polluant…)

Il serait risqué de prendre ces constats, si ahurissants soient-ils, comme une incitation à ne faire aucun effort de sobriété énergétique et de réduction de notre empreinte carbone, au motif que les très riches polluent beaucoup plus que l’immense majorité. Qu’il faille prendre des mesures contre la démesure d’une petite minorité est évident, mais il est non moins évident que l’empreinte carbone de l’immense majorité des gens dans les pays riches est insoutenable. Il nous faut aller collectivement vers une empreinte carbone nette devenant nulle vers 2050 (la « neutralité carbone »). C’est possible (voir le scénario négaWatt), mais en menant des politiques ambitieuses de transition juste dont on connait les grandes lignes, plus encore que par des actes individuels au demeurant nécessaires.

Il reste toutefois à retenir de ces constats d’inégalités énormes, aussi bien pour les émissions que pour les efforts fiscaux, que l’acceptation par le plus grand nombre des mesures de sauvegarde du climat (dont la fiscalité carbone fait partie mais dont elle ne peut pas être le principal outil) passe par une nette réduction des inégalités sociales et des injustices fiscales. C’est la grande condition pour que ces mesures soient considérées comme justes. Si elle n’est pas remplie, la transition nécessaire se heurtera à des oppositions compréhensibles, alors qu’elle aurait besoin d’un soutien très large.

 

Doakotasunaren laudorioa
Paul Ariès, Doakotasunaren Nazioarteko Behatokiaren zuzendaria (artikulu hau 2018ko azaroko Le Monde diplomatique-n argitaratu da)
www.mrafundazioa.eus/eu/artikuluak/doakotasunaren-laudorioa


Oinarrizko errenta unibertsalaren proiektuak zeharo liluratzen ditu pertsona batzuk, ekitate eta eskuzabaltasun sentipenek mugituta. Baina beren asmoak oinarri sendoak al ditu, kontutan izanik proiektu horren abiapuntua dela “lanaren krisia”, zeinaren arabera biztanle gero eta gutxiagok aurkituko duen lana? Produktitibatearen hazkundeari erreparatuz gero, eta hau II. Mundu Gerratik hona oso urria dela ikusirik, kontrako ondorioa atera liteke, alegia, humanitateak ez duela lana amaiarazi. Ez ote litzateke hobea gogoeta beste krisi bati buruz egitea, merkantilizazioari buruz?

Kapitalismoaren xedea da mundua salgai bihurtzea, eta ezin dio prozesu horri eutsi humanitatea hondamendira eramateko puntuan jarri gabe, finantza, jendarte, politika eta ekologiaren ikuspuntutik. Egoera honen kontzientzia hartzeak bestelako oinarrizko errenta bat lehenestera garamatza, desmonetarizatua bera; hau da, doakotasuna da giltzarria, eta hau hedatzea defenditu beharko litzateke, egundo ez baita erabat desagertu. Oinarrizko errenta edo doakotasuna; dilema, laburbilduz, honakoa da: zerk merezi du gehiago, herritarrei dirua ematea ala doako zerbitzuak eskaintzea?

Zerk merezi du gehiago, herritarrei dirua ematea ala doako zerbitzuak eskaintzea?

Galdera erantzuteko hiru faktore har ditzakegu aintzat. 2017an Londresko University Collegek konparatu egin zuen Erresuma Batuan zenbat kostako litzatekeen oinarrizko errenta unibertsala eta oinarrizko zerbitzu unibertsalak ezartzea (etxebizitza, elikadura, osasuna, hezkuntza, garraio zerbitzuak, zerbitzu informatikoak, etab.). Bigarrenak 42.000 milioi liberako kostua izango luke (48.000 milioi euro inguru), eta oinarrizko errentak 250.000 milioikoa (284.000 bat milioi euro). Batetik, BPGaren %2,2 adina; bestetik, %13. Antzeko emaitzak lortuko lirateke Frantzian. Honek lehen ondoriora garamatza: a priori doakotasuna “errealistagoa” da oinarrizko errenta unibertsala baino.

Kostuaz gainera, oinarrizko errenta unibertsalak eragozpen bat dauka: mantendu eta areago hedatu egiten dela bizitzako arlo guztiak diru kopuru batekin parekatzea. Saria emateak, gurasoei beren seme-alabak hezteko; estudianteei, irakur dezaten, edota nekazariei, ingurumenari egiten dioten zerbitzuagatik, ez ote du finean merkantilizazioaren logika indartzen? Honelako gogoeta baten ondorioz baztertu zuen André Gorz intelektualak asignazio unibertsalaren ideia (zeina inoiz uste izan zuen zela “tresnarik hoberena ahal den neurrian birbanatzeko hala lan ordaindua nola jarduera ez ordainduak”), doakotasuna lehenetsiz.

Oinarrizko errenta unibertsalaren inguruko proiekturik onenak ere erdibidean gelditzen dira: batetik, ez dago bermerik finkatutako kopuruak baliatuko direnik balio ekologiko, sozial eta demokratikoa duten produktuak eskuratzeko; bestetik, sistema honek jendartea mantentzen du beharrizanen banakako definizioaren logikan, hots, kontsumo-jendartearen logikan.

Larrialdi sozialari eta ekologikoari erantzutearekin batera, doakotasunak aukera ematen du gizateriaren eta planetaren arrisku nagusiak, Apokalipsiko lau zaldunak, menperatzeko: merkantilizazioa, monetarizazioa, utilitarismoa eta ekonomismoa. Beharrizanen eta eskasiaren logikarantz bultzatzen gaitu .

Larrialdi sozialari eta ekologikoari erantzutearekin batera, doakotasunak aukera ematen du gizateriaren eta planetaren arrisku nagusiak, Apokalipsiko lau zaldunak, menperatzeko: merkantilizazioa, monetarizazioa, utilitarismoa eta ekonomismoa

Defenditu beharreko doakotasuna eraikuntza bat da. Hasteko, ekonomikoa: eskola publikoa doakoa bada, izango da zerga bidez finantzatzen delako. Doakotasunak prezioaren loturatik askatzen du, ez kostuarenetik. Bigarrenik, kulturala: kontua ez da ondasun eta zerbitzuak eskuratzeko askatasun basatia agintzea, baizik hau arauen bidez bermatzea.

Lehen araua: doakotasuna ez da mugatzen bizirauteko behar diren ondasun eta zerbitzuetara, esaterako ura edo oinarrizko elikadura. Aitzitik, bizitzaren eremu guztietara hedatzen da: parke eta lorategi publikoak izateko eskubidea, haur-parkeak, hiriak edertzea, oinarrizko energia, osasuna, etxebizitza, kultura, parte hartze politikoa… Erronka da doakotasun irlak biderkatzea, bihar artxipelagoak eta etzi kontinenteak osatuko dituztelako itxaropenez.

Bigarren araua: dena doakoa izan badaiteke, prezioetan igoerak gertatuko dira. Paradoxa al da? Inola ere ez: doakotasuna neurritasunarekin lotuta dago. Adibidez, ura doakoa izatea ez da soilik kezka sozial baten ondorio, baizik emergentzia ekologikoak derrigortua, esaterako, galerak (herenetik gorakoak) murrizteko banaketa sare txikiagoak egitera behartuz, edota ura soilik behin erabiltzea dakarren sistema merkantilistaren printzipioa zalantzan jarriz. Etxeetan erabilitako ur grisen berrerabilpena Frantzian oraindik ere galarazita dago osasun arrazoiak medio. Haatik, garatzen ari da beste herrialde batzutan (AEB, Japonia, Australia), non jendea ez den Frantzian baino sarriago gaixotzen. Baina nola liteke berdin ordaintzea kontsumorako ura eta igerileku bat betetzeko erabiltzen dena? Ez dago definizio zientifikorik, are gutxiago moralistarik, “ondasun publiko”en erabilera egokia edo okerra zein izango litzatekeen erabakitzeko. Horrenbestez, herritarren esku izango da -hots, prozesu politikoen baitan- definitzea zer izan behar den doakoa, zer garestitu behar den, edo areago, zer debekatu. Garreth Hardinen fabulak kontatzen duen “komunen tragedia”tik oso urrun, doakotasunak arduratsu izatera bultzatzen du ingurumena ustiatzerakoan.

Hirugarren araua: doakotasuneranzko urratsak eskatuko du produktuak eta zerbitzuak eraldatzea. Esaterako, eskoletako jantokietan tokiko elikadura ezartzeko aukera eman beharko luke, sasoiko produktuekin, ur kontsumo txikiagoarekin eta haragi gutxiago zerbitzatuz; eskolan bertan prestatuko litzateke. Mediatekek irakurtzaile berriak erakarriko lituzkete, baina ohitura berriekin, karnet bakoitzeko mailegu askoz gutxiagorekin, kontsumoaren logika baztertuko bailitzateke, non edonork bere dirua baliatu eta ahalik gehien mailegatzen duen. Doako ehorztetxeak, legez baimenduak, abagune ona izango lirateke zeremonia errepublikarra sortzeko, edota humusazio zein ehorzte ekologikoa legeztatzeko; inondik ere, familiei laguntza sozial eta psikologiko emateko politikak ere ezar daitezke.

Hiriak, garraio publikoen doakotasuna testatzeko laborategiak, agerian uzten dute oker geundekeela neurri bakarra txartelak desagerraraztea balitz: areago, zerbitzua bera ere eraldatu egin behar da, teknologia eta azpiegitura alternatiboak ezarri. Halakoak ez dira soilik hiri txiki eta ertainetan gertatu; baita zenbait urbetan ere, esaterako Tallin Estoniako hiriburuan edota, ordu jakin batzutan, Txinako Chengdu hirian (14 milioi biztanle). Île-de-Francen Valérie Pécresse eskualdeko lehendakariak eskatutako txostenaren arabera doakotasunaren arazoa ez litzateke izango finantza arazoa, baizik sarearen saturazio arriskua. Honek erakusten du merkatu-sistemak ez duela hiriaren eskubidea asetzen, eta ez diola erantzunik ematen krisi ekologikoari. Horregatik, txosten horrek berak irtenbide gisa ustezko eta ezinezko kotxe “garbia” hautatzen du. Doakotasuna eta kalitatea kontrajartzen dituen ideia tematia gorabehera, doakotasunak ez du inongo eremutan zerbitzuaren kalitatea hondatzen. Esperientziak hau erakutsi du: Ez du ez egiteko edo hondamen handiagorik ekartzen, kontrara baizik.

Alabaina, batzuren ustez merkantilizazioa litzateke baliabide naturalak babesteko bide bakarra: petrolioa urritu ahala, esaterako, are garestiagoa izango da, eta horrek bere erabilpena mugatuko du. Beraz, doakotasuna energia xahutzeko operazio antolatu gisa aurkezten dute. Baina hori ez da inondik ere egia. Goazen energiaren kasura: kontua ez da energia guztia doakoa izatea, ezta gure produkzio gaitasunaren mugetara iristea ere. Gaur edonork daki gizateriaren biziraupenak eskatzen duela petrolio izakinen zati handi bat lurpean uztea, hauek baliatuz gero klimaren beroketa areagotu egingo bailitzateke. Xedea energiaren doakotasuna bada, trantsizio arin eta leuna egin behar da bizimodu energiborotik neurrizko ohituretara. Politika hau ezin hobeto egokitzen zaio negawatt eskenatokiari, zeinaren oinarria den jatorrian energia beharrizanak mugatzea, erabilera desberdinetatik abiatuta.

2018ko urriaren 1ean “Doako zibilizaziorantz” izeneko deialdia plazaratu zen, Frantzian argitaratutako Gratuité versus capitalisme liburu-manifestuaren inguruan, eta pertsona ospetsu zein erakunde politiko ezkertiar eta ekologista ugariren babesa jaso zuen. Bi doakotasun kontzeptu kontrajartzen ditu: sistemaren lagungarri dena (tarifa sozialena, “erori direnei” zuzenduak, betiere errukiz eta estatuaren jarraipenaz lagundua) eta emantzipazio-doakotasuna (eskola publikoarena, gizarte-segurantzaren printzipioarena, Erresistentziaren Kontseilu Nazionalaren programa jaso zen moduan). Eta erruan oinarritutako ekologia oro baztertzea proposatzen du.

Emantzipatzailea den aldetik, doakotasunak “areago gozatzea” goraipatzen du. Kontsumo-jendarteari hainbat motibogatik har diezaiokegu kargu; halere, finean beti lortzen du erakartzea, gehiago kontsumi dezagun. “Edukitzearen gozamena” utzi eta bestea hauta dezagun, “izatearen gozamena”.