Articles du Vendredi : Sélection du 22 mai 2015

Claude Lorius, explorateur du climat

Stéphanie Senet et Valéry Laramée de Tannenberg
www.journaldelenvironnement.net/article/claude-lorius-explorateur-du-climat,58615

Pascal Canfin : “La conférence de Paris sur le climat sera aussi la bataille de Paris”

Anne-Charlotte Dusseaulx
www.lejdd.fr/Politique/Pascal-Canfin-La-conference-de-Paris-sur-le-climat-sera-aussi-la-bataille-de-Paris-733544

Les sols agricoles insuffisamment protégés par les pouvoirs publics

Stéphane Foucart
www.lemonde.fr/planete/article/2015/05/14/les-sols-agricoles-insuffisamment-proteges-par-les-pouvoirs-publics-selon-la-troisieme-chambre_4633483_3244.html

Oui, l’agriculture biologique peut nourrir la planète

Jacques Caplat, agronome
http://rue89.nouvelobs.com/2015/05/11/oui-lagriculture-biologique-peut-nourrir-planete-259131

Tafta ou climat : sept questions à François Hollande et au gouvernement

Maxime Combes, Economiste, membre d’Attac France et de l’Aitec
http://blogs.mediapart.fr/blog/maxime-combes/040515/tafta-ou-climat-sept-questions-francois-hollande-et-au-gouvernement

Claude Lorius, explorateur du climat

Stéphanie Senet et Valéry Laramée de Tannenberg
www.journaldelenvironnement.net/article/claude-lorius-explorateur-du-climat,58615

Le glaciologue Claude Lorius a mis en lumière la responsabilité de l’Homme dans le réchauffement climatique grâce à son analyse des carottes glaciaires prélevées en Antarctique. Entretien avec un explorateur du climat, sujet principal du nouveau film de Luc Jacquet, La Glace et le Ciel, qui sortira sur les écrans en octobre prochain.

 

Qu’est-ce qui vous a donné envie de faire ce film?

C’est très simple. Luc Jacquet est venu me rencontrer, il y a quatre ans, après la publication de mon Voyage dans l’Anthropocène[1] et il m’a parlé de son projet. Je connaissais la Marche de l’empereur, qu’il avait tourné en Antarctique. J’ai trouvé cette idée formidable. J’ai pensé que c’était une bonne façon de transmettre au public ce que j’ai vécu et peut-être aussi l’impact des découvertes que nous avons faites dans la glace.

Quel est le principal message du film?

L’Antarctique nous a laissé un message. C’est là-bas qu’on a appris que l’homme bouleversait le climat de la planète et les conditions de vie des humains. Il est toujours aussi urgent de diffuser ce message. Mais il ne faut pas se contenter de paroles. Le plus dur, c’est d’agir.

Comment s’est faite la découverte?

Les découvertes ont été de deux natures. La première s’est produite lors d’un carottage en zone côtière. On a compris qu’on pouvait lire l’histoire du climat dans la glace et remonter très loin dans le temps. C’était en 1963. La seconde s’est produite deux ans plus tard. On a compris que les bulles d’air enfermées dans la glace nous racontaient l’histoire de la composition de l’atmosphère, il y a 100 ans, 1.000 ans, ou 100.000 ans. Et c’est en mettant des échantillons prélevés dans un verre de whisky que j’ai compris leur message. Ces découvertes nous ont permis de prouver que les variations naturelles du climat, dues à la balade de la Terre autour du soleil, sont fortement influencées par les gaz à effet de serre dégagés par les activités humaines.

Comment ont-elles été perçues ? 

C’était inattendu. J’ai moi-même été très surpris de voir que la célèbre revue britannique Nature en fasse la couverture, en octobre 1987[2], et publie d’un coup trois articles que j’avais écrits. Cela a été un choc.

Comment ont réagi les politiques et la société à cette époque?

A mon retour d’une expédition, j’ai été invité par Michel Rocard (alors Premier ministre, ndlr)[3]. Un début de prise de conscience s’est amorcé à cette époque. Mais agir c’est autre chose, ça touche directement les individus, les sociétés. Certaines décisions vont dans le bon sens, comme la Russie et la Chine qui déclarent vouloir changer le monde de production de leur énergie, mais les élections ont tendance à figer toute capacité de changement.

Quelles sont selon vous les actions prioritaires à mener ?

Il faut surtout changer de mode de production d’énergie et se tourner vers les énergies renouvelables pour émettre moins de gaz à effet de serre. Le problème, c’est que l’homme en veut toujours davantage, de confort, d’énergie… Il n’en reste pas moins qu’une prise de conscience est sensible.

[1] Publié aux ed. Actes Sud en octobre 2013

[2] Etude Nature

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[3] Michel Rocard a été nommé en 2009 ambassadeur de la France pour les pôles

 

Claude Lorius en 9 dates
1932 Naissance à Besançon
1957 Premier hivernage à la station Charcot en Antarctique
1961 Entrée comme chercheur au CNRS
1975 Il pilote le forage du Dôme C en Antarctique qui retrace 400.000 ans d’histoire climatique
1983 Directeur du laboratoire de glaciologie et de géophysique de l’environnement de Grenoble
2008 Lauréat du prix Blue Planet
2011 Publication du Voyage dans l’Anthropocène, ed Actes Sud
2012 Début de l’aventure de la Glace et le Ciel avec Luc Jacquet
2015 Projection du film, le 24 mai, en clôture du festival de Cannes et sortie du film à l’automne

Pascal Canfin : “La conférence de Paris sur le climat sera aussi la bataille de Paris”

Anne-Charlotte Dusseaulx
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INTERVIEW – L’ancien ministre délégué au Développement, Pascal Canfin, revient pour leJDD.fr sur les négociations en vue de la conférence internationale sur le climat (Cop21) qui se tiendra à Paris en décembre prochain. Il est également le co-auteur du livre Climat, 30 questions pour comprendre la conférence de Paris*.  

 

François Hollande et Angela Merkel ont affirmé leur volonté de parvenir à un accord “ambitieux, global et contraignant”. Que pensez-vous de cette déclaration conjointe?

C’est très important que la France et l’Allemagne soient unies pour le succès de la Cop21.L’Allemagne a la présidence du G7 et la France celle de la Cop21. Ce sont deux pays qui ont un rôle clef pour la réussite de l’accord climat. François Hollande et Angela Merkel ont rappelé l’importance des 100 milliards de dollars promis à Copenhague (en 2009, Ndlr) aux pays du Sud. Il faut absolument honorer cette promesse. Il est très important que dans dix jours, au G7, les pays les plus riches disent concrètement comment ils vont donner corps à cet engagement d’ici 2020. Le fait que la chancelière et le Président se mettent également dans cette perspective est une bonne nouvelle. Maintenant, il faut passer des intentions aux engagements.

Ce volet financier est primordial en vue de la conférence climat de décembre?

C’est le sujet qui peut faire dérailler la Cop21. Aujourd’hui, il n’y a aucun accord sur la partie financière. Autant on peut voir des compromis s’esquisser dans d’autres domaines, autant sur la partie financière, nous n’en sommes pas là. Je ne vois pas comment les pays du Sud pourront signer un accord à Paris sans dimension financière. Comment pourraient-ils s’engager sur la période de l’après 2020 (date d’entrée en vigueur du futur accord de Paris, Ndlr), si la promesse faite à Copenhague n’est pas honorée? Le World Resources Institute (WRI, un puissant think tank américain dont Pascal Canfin est conseiller spécial pour le climat, Ndlr) va produire le 28 mai un scénario pour montrer comment il est possible d’arriver aux 100 milliards de manière crédible et politiquement équilibré. C’est un débat fondamental.

Etes-vous quand même optimiste sur l’issue de la Cop21?

Je suis plus optimiste qu’avant Copenhague. Alors qu’en 2009, les Américains et les Chinois – les deux premiers émetteurs de gaz à effet de serre au monde – s’étaient opposés jusqu’à la dernière minute, les bases d’un accord -certes insuffisant  – ont été trouvées en novembre. Ils ont enterrés la hache de guerre sur le climat. Deuxième élément : le prix des alternatives aux énergies fossiles diminue considérablement. Sur les quinze dernières années, le prix des panneaux solaires a été divisé par huit. Comme le surcoût diminue, la dynamique économique est beaucoup plus favorable, et les décisions politiques sont donc plus faciles. Mais on sait bien que la conférence de Paris sera aussi la bataille de Paris. Une partie des acteurs économiques et certains pays ne voient pas d’un bon oeil la réussite d’un accord.

Quels sont-ils?

Pour les pays principaux producteurs de pétrole, il n’y a pas un intérêt direct à ce qu’il y ait un accord ambitieux à Paris. Et lorsque vous avez des gouvernements climato-sceptiques comme en Australie, vous n’avez pas un degré d’ambition très élevé… Il y a clairement des pays qui ne sont pas moteurs dans les négociations. Du côté du monde des entreprises, il y a aussi celles qui jouent le jeu et celles qui sont arcboutées sur le modèle du passé.

Mercredi et jeudi, se tient d’ailleurs le “Business & Climate summit” à Paris…

Plusieurs milliers d’acteurs économiques participent à ce sommet. Mercredi matin, 40 entreprises – dont Nestlé, Mars, L’Oréal, Enel… – ont pris l’engagement de tester leur modèle économique au regard des deux degrés. Elles s’interrogeront notamment sur les investissements à réaliser pour diminuer leurs émissions de C02 et sur leur budget carbone dans la prochaine décennie. C’est fondamental.

Avant Copenhague, un tel engagement était inimaginable. On est en train de changer de monde. De plus en plus d’entreprises se disent qu’elles ne peuvent plus ignorer le changement climatique. Ce n’est pas simplement une question de responsabilité sociale et environnementale, c’est une question de risque financier.

La France et l’Allemagne sont-elles exemplaires sur le sujet?

Aucun pays n’est exemplaire. La France, en tant que grande puissance diplomatique, a une légitimité incontestable pour conduire la Cop21. Par contre, il est faux de dire qu’elle est exemplaire dans la mesure où, par exemple, elle n’arrive pas à respecter ses engagements en matière de production d’énergies renouvelables. L’Allemagne est un cas très intéressant, puisqu’elle est en train d’inventer le modèle énergétique de demain. Il y a des jours où 75% de l’électricité est produite à base de renouvelables. Elle passe dans un autre monde. En même temps, l’Allemagne reste un pays charbonnier. D’où l’importance des décisions qui sont en train d’être prises qui consistent à mettre une taxe carbone sur l’industrie charbonnière allemande de façon à réduire cette production au bénéfice du gaz et des renouvelables. L’Allemagne n’est pas exemplaire, mais quand on regarde la dynamique à l’œuvre, on voit qu’elle est en train de faire cette transition. Le jour où les Allemands auront réussi ce challenge, ils auront pris une longueur d’avance sur nous.

A quoi verra-t-on en décembre prochain que la Cop21 est une réussite ou non?

Il sera impossible de parler de succès si aucun accord est trouvé. Mais la question est de savoir ce qu’il contiendra? Le juge de paix est de savoir dans quelle mesure il permettrait de nous ramener vers l’objectif fixé par la science, à savoir ne pas passer une augmentation de la température de plus de deux degrés, seuil au-delà duquel les scientifiques parlent de “point de non-retour”.

Souhaitez-vous que cet accord soit contraignant?

Oui, mais il faut savoir ce que contraignant veut dire Le protocole de Kyoto était un protocole contraignant pourtant le Japon et le Canada en sont sortis et il ne s’est rien passé. Inversement, la Chine s’était engagée à plafonner sa production de charbon en 2020, or elle est en train de le faire dès aujourd’hui, avec cinq ans d’avance. Ce qui compte c’est la dynamique dans le monde réel. Il est probable que le résultat final soit un accord international qui repose sur des dispositions nationales contraignantes. Par ailleurs, il faut absolument que l’accord soit signé par les Etats-Unis sans passer par le Congrès américain, à majorité républicaine et opposé à un accord sur le climat. Or, le Président américain a la possibilité juridique de ratifier un accord international sans avoir besoin du Congrès. L’accord sera écrit assez largement pour tenir compte de cette contrainte. Car si les Etats-Unis n’étaient pas à bord de l’accord, il n’y aura évidemment plus la Chine. En revanche, l’ensemble du mécanisme de vérification pourrait être contraignant. Je plaide, dans le livre, pour la création d’une sorte de Cour des comptes du climat. Elle n’aurait pas de pouvoir de sanction, mais le pouvoir de signaler les Etats ne respectant pas leurs engagements. On tend vers cela. Le point d’arrivée est encore en discussion. Les négociations auront lieu jusqu’à la dernière minute de la dernière nuit.

En 2002, Jacques Chirac déclarait : “Notre maison brûle et nous regardons ailleurs.” La situation a-t-elle évolué?
De plus en plus de décideurs politiques et économiques entendent un bruit qui tend à leur faire tourner la tête pour commencer à regarder dans la bonne direction. Mais dire que la majorité ont fait demi-tour et regardent le problème en face, ce serait trop optimiste.

* Climat, 30 questions pour comprendre la conférence de Paris. Par Pascal Canfin et Peter Staime. Editions Les Petits matins. 12,25 euros.

Les sols agricoles insuffisamment protégés par les pouvoirs publics

Stéphane Foucart
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Ressource naturelle précieuse pour la sécurité alimentaire, le maintien de la biodiversité ou même l’atténuation du changement climatique, les sols agricoles sont insuffisamment protégés par les pouvoirs publics. Dans un avis très attendu, voté mercredi 13 mai, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) ouvre plusieurs pistes d’action pour tenir compte des services rendus à la société par les sols agricoles.

« L’avis vise d’abord à une prise de conscience de l’ensemble de la société sur la valeur et l’importance des terres agricoles, résume Cécile Claveirole, co-rapporteuse du texte. Il s’agit d’une problématique et d’un enjeu de société. »

La première menace identifiée par le CESE est celle de l’artificialisation de ces terrains. Selon les données réunies par le Conseil, entre 2000 et 2012, 40 000 à 90 000 hectares de terres arables ont disparu chaque année en France sous les nouvelles infrastructures et l’étalement urbain. « Les sols sont une ressource “consommée” de manière complètement abusive, comme si elle était inépuisable », dit Mme Claveirole. Pour contrer cette tendance, le Conseil préconise de mettre en place une fiscalité favorable à la réhabilitation de logements anciens ou à la réexploitation de zones commerciales obsolètes.

« Ce sont les meilleures terres, les plus fertiles, qui disparaissent en premier », selon Cécile Claveirole, co-rapporteuse du texte.

Aujourd’hui, au contraire, les dispositifs fiscaux en vigueur encouragent plutôt l’étalement urbain. En particulier, les plus-values réalisées lors de la vente de terrains agricoles rendus constructibles ne sont que faiblement taxées (5 % à 10 % selon les cas). Un relèvement de cette fiscalité serait d’autant plus justifié, note le CESE, que « le prix d’un terrain constructible de moins d’un hectare s’élève en moyenne à 64 fois celui de l’hectare agricole ».

L’extension des zones urbaines est d’autant plus dommageable que, comme l’explique Cécile Claveirole, « ce sont les meilleures terres, les plus fertiles, qui disparaissent en premier ». « Historiquement, les villes se sont implantées dans les zones où les terres sont les plus favorables à l’agriculture, précise-t-elle. Ainsi, lorsque les villes s’étendent aujourd’hui, elles empiètent sur les meilleurs terrains dont nous disposons. »

Une limitation du phénomène passe par une densification des centres urbains et un rééquilibrage de l’offre commerciale, dont 62 % se situent, en France, dans les centres commerciaux en périphérie des villes. « On est loin de l’Allemagne, par exemple, ou un tiers de l’offre est en centre-ville, un tiers dans les quartiers et un tiers en périphérie », ajoute Agnès Courtoux (groupe CFTC), co-rapporteuse du texte. « Il convient d’encadrer strictement la création de zones commerciales (grandes et moyennes surfaces) ex nihilo en ne les autorisant que là où elles sont totalement justifiées, précise le rapport, et de maintenir une possibilité d’arbitrage par les préfets. »

« Forme d’appropriation »

Le CESE s’est également penché sur la « prise de contrôle des terres par des capitaux étrangers détenus par des sociétés multinationales ». Jugé « néfaste » par les conseillers, ce phénomène d’accaparement des terres « se développe en Europe mais aussi en France, s’agissant notamment de grands domaines viticoles », note le CESE. Ce dernier souhaite que « des mesures soient rapidement adoptées pour que les Etats disposent de la faculté d’encadrer, voire de s’opposer à cette forme d’appropriation ».

Outre la préservation du foncier agricole, l’autre grand axe de travail du CESE a été l’exploration des moyens de préserver la qualité biologique des sols par de nouvelles pratiques. « Nous préconisons d’accroître le soutien aux agriculteurs qui s’engagent, plutôt que pénaliser les pratiques existantes », dit Mme Claveirole.

Le Conseil recommande ainsi en premier lieu d’intensifier la recherche en agroécologie, ainsi que l’on nomme les pratiques visant à tirer parti du capital naturel des écosystèmes (gestion de l’eau, reboisement, lutte contre l’érosion ou utilisation de la biodiversité), plutôt qu’avoir un recours massif à des intrants (engrais, pesticides, etc.) qui en altèrent le capital et les fonctions biologiques.

Parmi celles-ci, le CESE met l’accent sur la capacité à stocker de la matière organique – donc du carbone – et d’atténuer ainsi le changement climatique en cours. Tout le carbone séquestré dans les sols ne finit en effet pas dans l’atmosphère, sous forme de CO2. « Les chercheurs que nous avons auditionnés, explique Mme Courtoux, ont tous insisté sur l’importance de ce point. »

Ce rôle de « tampon climatique » des sols « gagnerait à être valorisé », notent les conseillers. Un programme international de recherche en ce sens a été annoncé fin avril par le ministère de l’agriculture. Avec, en ligne de mire, la prise en compte de cette fonction des sols dans les négociations en cours, qui doivent culminer, en décembre à Paris, avec la signature d’un accord universel sur le climat.

Oui, l’agriculture biologique peut nourrir la planète

Jacques Caplat, agronome
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Tribune

Lorsque est abordée la question, essentielle, de la lutte contre la faim dans le monde, il est fréquent d’entendre dire que l’agriculture biologique présente des limites à cause de ses rendements inférieurs à ceux de l’agriculture conventionnelle, prétendument démontrés par plusieurs « études scientifiques ». Or ce poncif est faux et trompeur et témoigne d’une approche scientifique archaïque.

Des comparaisons biaisées

Les études académiques généralement citées pour comparer les rendements en agriculture biologique et en agriculture conventionnelle présentent deux points communs qui ne sont pas anodins :

  • elles sont réalisées en milieux tempérés (Europe et Amérique du Nord) ;
  • leur méthodologie est caricaturalement réductionniste.

Le premier aspect devrait inciter tout agronome compétent à en parler avec d’immenses précautions. Il n’y a aucun sens à tirer des conclusions agronomiques à partir d’essais réalisés dans un contexte climatique particulier, puisque les agricultures sont extrêmement diverses d’une région à l’autre de la planète.

Même en négligeant le second (et considérable) problème, la moindre des choses serait de proscrire drastiquement toute formule fumeuse du type « la bio a de moins bons rendements » et d’avoir la précaution de dire « la bio en milieux tempérés a de moins bons rendements ». La nuance est déjà de taille, car les milieux tempérés ne couvrent qu’un quart de la planète et ne concernent qu’un dixième de sa population ! Extrapoler des (supposés) résultats européens ou canadiens à l’agriculture biologique dans son ensemble est une preuve d’ethnocentrisme assez consternant.

Le deuxième aspect est essentiel. Pourquoi ai-je employé le terme réductionniste ? Parce que ces comparaisons sont basées sur une méthode qui consiste à modéliser des situations schématiques, dans lesquelles un seul paramètre changera. C’est le principe de la démarche réductionniste, qui prétend qu’une comparaison impose de ne faire varier qu’un seul facteur à la fois, et que le protocole expérimental devra « construire » une telle situation où la réalité est réduite à un modèle contrôlé, c’est-à-dire à une projection, une simplification.

Or cette approche est totalement dépassée dans la plupart des sciences, pour la simple raison qu’elle conduit à comparer des constructions intellectuelles… et jamais la réalité. Dans la réalité, il est exceptionnel (pour ne pas dire fantasmatique) qu’un élément d’un système change sans que d’autres éléments, avec lesquels il est en relation, ne changent aussi. Ces comparaisons réductionnistes impliquent par conséquent de construire une situation artificielle, qui permettra certes des mesures simples suivies d’un traitement statistique significatif et publiable, mais qui fausse sciemment les conditions d’analyse.

Comment disqualifier la bio

Non seulement cette démarche est hautement critiquable dans les sciences du vivant (et heureusement de plus en plus marginale en dehors de l’agriculture), mais elle est en outre une pure manipulation lorsqu’il est question d’agriculture biologique. En effet, la définition originelle et fondamentale de l’agriculture biologique est de constituer un système agricole, mettant en relation agrosystème, écosystème et humains.

En bio, les paramètres n’ont de sens que dans leurs relations mutuelles et varient toujours de façon combinée. Par conséquent, faire varier « un unique paramètre » dans un système biologique signifie très exactement nier ce système, le détruire, le trahir. Dans la mesure où l’agriculture conventionnelle est, à l’inverse, précisément basée sur une démarche réductionniste et sur des paramètres isolés, il va de soi que le choix de tels protocoles est, dès le départ, un biais méthodologique gravissime qui, de facto, préjuge à l’avance du résultat et disqualifie ces études.

Pour bien comprendre l’absurdité des protocoles en cause, il est important de connaître les fondements agronomiques de l’agriculture biologique, et en particulier la nécessité vitale de tendre vers des cultures associées et des semences adaptées au milieu. Il existe sans doute un malentendu sincère de la part des agronomes qui mènent ces pseudo-comparaisons, qui ignorent en général que le développement de la plupart des maladies et parasites des végétaux actuels provient de l’inadaptation des variétés aux milieux, ainsi que de la destruction des relations entre les plantes et les sols.

« La même chose moins la chimie »

Ils semblent par ailleurs avoir oublié que, lorsqu’une plante est cultivée en association avec d’autres plantes (cultures associées), le rendement global de la parcelle est toujours supérieur à celui de cultures pures séparées (même si, bien entendu, le rendement particulier de la culture principale est plus faible).

Enfin, ils ne prennent manifestement pas garde au fait que les modes de production imposent des successions culturales (rotations) différentes.

Concrètement, les études régulièrement citées en défaveur de la bio concernent généralement du blé, c’est-à-dire la culture la plus adaptée à une conduite conventionnelle réductionniste – et la plus défavorable à l’agriculture biologique. Passons, car indépendamment de ce premier biais, c’est toute la méthode qui est affligeante.

Les expérimentateurs mettent en place deux cultures dans des conditions identiques :

  • D’un côté, ils implantent un blé conventionnel. Pour cela, ils utilisent des semences d’une variété inscrite au catalogue officiel (ce qui est impératif pour autoriser sa culture commerciale), c’est-à-dire une variété standardisée qui a été sélectionnée strictement pour la chimie depuis 70 ans. Ils la sèment en culture pure dans un champ sans relations écosystémiques, puis la cultivent avec le soutien de la chimie (engrais et pesticides).
  • D’un autre côté, ils implantent la même variété (dogme de toute comparaison réductionniste : un seul facteur doit varier), c’est-à-dire une variété standardisée qui a été sélectionnée strictement pour la chimie depuis 70 ans. Ils la sèment en culture pure dans un champ sans relations écosystémiques, puis la cultivent sans aucun recours à la chimie.

Vous avez bien lu. La deuxième partie de la comparaison est intégralement conventionnelle, à l’exception de la suppression des engrais et pesticides de synthèse. Il s’agit donc d’une comparaison entre un « blé conventionnel standard » et un « blé conventionnel sans chimie ».

Voilà le cœur du malentendu : la plupart des agronomes, par incompréhension ou négligence, semblent croire sincèrement que l’agriculture biologique serait « la même chose moins la chimie », comme s’il existait une seule voie agronomique, comme si les techniques actuelles étaient les seules possibles.

C’est hélas la preuve d’une méconnaissance inquiétante de l’histoire agricole mondiale et de la profonde multiplicité des solutions imaginées dans les divers « foyers » d’invention de l’agriculture. Une agriculture basée sur des variétés standardisées (et en outre sélectionnées pour être soutenues par la chimie de synthèse, dans des procédés de sélection qui emploient trois fois plus de chimie que les cultures commerciales !), en culture pure, sans écosystème, n’est pas autre chose que de l’agriculture conventionnelle. Avec ou sans chimie, elle n’est certainement pas une culture biologique.

Ces comparaisons consistent donc à dépenser des millions d’euros (ou de dollars) pour constater qu’un modèle agricole intégralement construit autour de la chimie fonctionne moins bien lorsqu’on lui supprime le recours à la chimie. En d’autres termes, pour enfoncer des portes ouvertes. J’oubliais : cela permet également de publier. Les résultats n’apportent strictement aucune information, mais ils sont conformes aux règles de publication.

Comment comparer ce qui semble incomparable ?

Il va de soi que des comparaisons réductionnistes peuvent, faute de mieux, apporter des informations contextualisées. C’est par exemple le cas des criblages variétaux, menés par plusieurs instituts de recherche en agriculture biologique. Ils consistent à mesurer les performances comparées de plusieurs variétés dans des conditions identiques. Ici, les parcelles expérimentales représentent une réduction consciente et ciblée, et ne prétendent pas comparer des systèmes. Ces criblages visent à répondre à une question explicite et sans ambiguïté : dans les conditions imposées par le contexte agricole européen et nord-américain, quelle variété réussit le mieux en bio (ou plutôt, en réalité ici, « sans chimie ») ?

Les conditions de ces essais ne correspondent pas à une agriculture biologique complète, puisqu’il n’y a ni cultures associées ni agroforesterie, et puisque les variétés comparées sont issues de la sélection standardisée et chimique qui s’impose actuellement aux paysans occidentaux. Mais ces limites sont intégrées puisqu’elles constituent justement le cadre dans lequel il s’agit d’identifier les marges de manœuvre existantes.

Nous en revenons alors à la question sensible : comment comparer les deux agricultures ? Sans modèle construit autour de projections intellectuelles et de paramètres contrôlés par des équations simples, beaucoup d’agronomes semblent perdus. Pourtant, d’autres sciences ont dépassé cet obstacle depuis longtemps. Lorsqu’il s’agit de comparer des organismes, les chercheurs ont recours à de grands échantillons in situ. Ainsi, pour étudier le comportement des oiseaux face aux changements climatiques, il n’est évidemment pas question de mettre des oiseaux en cage, et il est fait appel à des observations nombreuses d’oiseaux dans leurs milieux naturels.

L’agriculture biologique est, dans sa définition originelle et sa mise en œuvre concrète, un organisme systémique. Elle est donc obligatoirement liée à un environnement et à des pratiques sociales (techniques, outils, traditions, savoirs, besoins, choix de société), et aucune « parcelle expérimentale » artificielle ne peut la réduire à un modèle simple. Chaque ferme est unique… mais les fermes se comptent par millions en Europe et par centaines de millions dans le monde. Il suffit dès lors de mesurer les rendements réels, sur plusieurs années, dans un vaste échantillon de fermes réelles.

Des rendements supérieurs en bio

Il est parfaitement possible de définir les pratiques permettant de classer chaque ferme dans la catégorie « conventionnelle » ou dans la catégorie « biologique » : présence ou absence de produits chimiques (qui ne suffisent pas à définir la bio, mais dont la suppression met en branle ses pratiques systémiques), cultures pures ou associées, absence ou présence des arbres, semences standardisées ou adaptées aux milieux, etc. Il est parfaitement possible ensuite de mesurer les rendements pluriannuels et de les soumettre à un traitement statistique. Pour peu que l’échantillon soit suffisant, le résultat est parfaitement scientifique… et même publiable dans les revues académiques.

Il se trouve que plusieurs études internationales ont procédé de la façon que je préconise ici : rapport [PDF] d’Olivier De Schutter (à l’époque rapporteur spécial des Nations unies pour le droit à l’alimentation, fin 2010), rapport [PDF] du PNUE en Afrique (programme des Nations unies pour l’environnement, 2008), vaste étude [PDF] de l’université d’Essex (Pretty et al., 2006). Le résultat est édifiant : toutes ces études, réalisées dans les pays non tempérés (c’est-à-dire les trois quarts de la planète), montrent que l’agriculture biologique y obtient des rendements supérieurs à ceux de l’agriculture conventionnelle.

Pourtant, il faut l’admettre, les rendements sont moins favorables à la bio dans les milieux tempérés. Même si les études que je critique plus haut exagèrent et faussent les résultats, il est vrai que, pour une partie des productions, la bio européenne et canadienne obtient actuellement des rendements inférieurs de 5 à 20% à ceux de l’agriculture conventionnelle (cf. études du Rodale Institute en Amérique du Nord et du FiBL [PDF] en Europe ; notons qu’il n’y a déjà plus de différence significative aux États-Unis).

La bio la moins performante du monde

Cela est inévitable, puisque l’agriculture bio de nos pays est soumise à des distorsions considérables : règlementations sur les semences qui obligent à utiliser des variétés standardisées et sélectionnées pour la chimie, faibles connaissances en matière de cultures associées et d’utilisation des arbres en agriculture, fiscalité construite depuis 70 ans pour faire peser les contributions sociales sur le travail (et donc défavoriser le travail au profit du pétrole), etc.

Face à tous ces obstacles, les agriculteurs bio européens et nord-américains ont l’immense mérite d’inventer, d’expérimenter, de s’adapter, et de parvenir peu à peu à réduire leur handicap. Mais sans remise à plat des politiques agricoles de nos pays, l’agriculture bio des milieux tempérés restera la moins performante du monde.

Le mythe des rendements bio insuffisants pour nourrir le monde est ainsi le résultat combiné d’une erreur méthodologique monumentale, d’un ethnocentrisme occidental et de politiques publiques qui entravent les pratiques biologiques. Il est temps de relever notre regard et d’avancer.

Tafta ou climat : sept questions à François Hollande et au gouvernement

Maxime Combes, Economiste, membre d’Attac France et de l’Aitec
http://blogs.mediapart.fr/blog/maxime-combes/040515/tafta-ou-climat-sept-questions-francois-hollande-et-au-gouvernement

Interrogé à plusieurs reprises, le gouvernement nie les implications climatiques du Tafta. A l’occasion de l’audition de Matthias Fekl, ce mardi 5 mai, à l’Assemblée nationale, voilà sept questions documentées, comme autant d’arguments, à ce sujet : Tafta ou climat, il faut choisir !

Dans une même phrase, un même discours, une même journée, François Hollande n’hésite pas à dire qu’il souhaite obtenir un accord historique entre les Etats-Unis et l’Union européenne (Tafta), et ensuite qu’il veut laisser « sa trace dans l’histoire » avec un « accord historique » lors de la Conférence des Nations-Unies sur le changement climatique à Paris à la fin de cette année. De notre point de vue1, il y a clairement un « historique de trop ».

Ce mardi 5 mai, les commissions des affaires économiques et des affaires européennes de l’Assemblée nationale auditionnent Matthias Fekl, secrétaire d’État au commerce extérieur, en amont du Conseil Affaires étrangères (commerce) de l’Union européenne du 7 mai. Voici sept questions, documentées, que nous poserions à Matthias Fekl, si nous étions parlementaires.


  1. Pourquoi le gouvernement français accepte-t-il que le mandat de négociations du Tafta ne compte aucune référence aux exigences climatiques ?

François Hollande clame haut et fort sa conversion à l’urgence climatique. Au point de s’être auto-décerné, avec Barack Obama, un rôle de « leadership » en la matière au printemps dernier dans une tribune conjointe. Pourtant, l’Union européenne et les Etats-Unis négocient un accord transatlantique sans que les exigences climatiques ne soient prises en compte. Ainsi, le mandat de négociations2 que les Etats-membres de l’UE ont confié à la Commission européenne, pourtant très détaillé sur les principes commerciaux à mettre en œuvre, n’évoque tout simplement pas l’urgence climatique : aucune mention de la nécessaire réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES), de l’objectif de rester en deçà des 2°C de réchauffement global d’ici à la fin du siècle, ou de l’urgence de mettre en œuvre une transition énergétique qui soit à la hauteur de ces enjeux. PourquoiFrançois Hollande et le gouvernement, s’ils sont réellement convaincus de l’urgence d’agir en matière de climat, ne proposent-ils pas de revoir le mandat de négociations pour y intégrer, noir sur blanc, ces objectifs ?

 

 

  1. Pourquoi poursuivre des négociations qui vont accroître les émissions de GES ?

Les études d’impact que la Commission européenne utilise pour justifier le bienfondé des négociations indique très clairement que la libéralisation des échanges transatlantiques génèrerait une hausse des émissions de gaz à effet de serre (GES) de quatre à onze milles tonnes de CO2 par an. Cette hausse, même limitée, n’est-elle pas contraire aux exigences climatiques que l’Union européenne et ses Etats-membres, donc la France, se sont fixées ? Si l’urgence climatique est telle qu’il faille réduire urgemment et drastiquement les émissions de GES comme nous y invitent les derniers rapports du GIEC, est-il acceptable de poursuivre des négociations qui vont les augmenter de façon certaine ? Pourquoi François Hollande et le gouvernement, s’ils sont réellement convaincus de l’urgence d’agir en matière de climat, acceptent de poursuivre des négociations qui augmentent les émissions de GES et renforcent le réchauffement global ? Commentaire : cette question n’est pas secondaire. La contribution du commerce mondial de marchandises aux dérèglements climatiques est considérable : le fret serait responsable de 10 % des émissions mondiales. On peut même calculer que la globalisation des échanges (diversification des marchandises, dégroupage de la production, gonflement du volume des échanges) et la logistique de la mondialisation contribuent à plus de 20 % des émissions globales. N’est-il pas temps de s’attaquer à ce problème ?

 

  1. Pourquoi poursuivre des négociations qui encouragent l’exploitation d’hydrocarbures de schiste et de sables bitumineux ?

Sous couvert de garantir sa « sécurité énergétique », l’UE veut libéraliser le commerce et les investissements transatlantiques en matière d’énergie et de matières premières. Alors qu’il est muet sur le climat, le mandat de négociations est très clair à ce propos3. Comme le montrent des documents fuités dans la presse américaine en mai et juillet derniers4, l’UE souhaite lever les restrictions américaines à l’exportation de gaz naturel et de pétrole brut. Une série de dispositions prévoit même de faciliter les investissements et l’octroi de licences de prospection, d’exploration et de production d’hydrocarbures aux entreprises étrangères des deux côtés de l’Atlantique. La France et l’Allemagne ont explicitement appuyé cette approche. Si les attentes de l’UE étaient acceptées, l’industrie pétrolière et gazière serait encouragée à étendre la frontière d’extraction du pétrole issu des sables bitumineux ainsi que l’usage de la fracturation hydraulique pour accroître la production d’hydrocarbures de schiste. Soit deux des sources d’énergies les plus polluantes et dévastatrices que l’on connaisse sur la planète. Pour être acheminés de l’autre côté de l’Atlantique, ce gaz et ce pétrole nécessitent des investissements colossaux – plusieurs centaines de milliards de dollars – des deux côtés de l’Atlantique dans la construction de nouveaux pipelines, raffineries et usines de liquéfaction et regazéification. Des investissements qui renforceront la dépendance de l’UE aux énergies fossiles et des montants qui ne seront pas consacrés à la transition énergétique. Pourquoi François Hollande et le gouvernement, s’ils sont réellement convaincus de l’urgence d’agir en matière de climat, acceptent de poursuivre des négociations qui encouragent l’exploitation d’énergies fossiles et retardent la transition énergétique en Europe ?

 

  1. Pourquoi poursuivre des négociations qui sabotent déjà la lutte contre les dérèglements climatiques ?

Fin septembre 2014, la Commission européenne et le Canada ont annoncé avoir finalisé leurs négociations commerciales (Ceta). Quelques jours plus tard, l’Union européenne renonçait5 à restreindre l’importation du pétrole issu des sables bitumineux. Pour obtenir ce résultat, Stéphane Harper, le premier ministre canadien, allié aux multinationales du pétrole, a multiplié les pressions diplomatiques6 auprès des responsables politiques européens, en mettant dans la balance le Ceta, pour que la directive européenne sur la qualité des carburants ne discrimine pas négativement le pétrole canadien. Depuis le gouvernement français a jugé que cet accord était un « bon accord ». Avec le Ceta et le Tafta, les normes visant à encadrer et/ou réduire l’importation et la consommation d’énergies fossiles ne sont pas les bienvenues et sont perçues comme des fardeaux réglementaires à supprimer. Pourquoi François Hollande et le gouvernement, s’ils sont réellement convaincus de l’urgence d’agir en matière de climat, acceptent-ils de brader des normes favorables au climat pour signer des accords commerciaux ?

 

  1. Pourquoi renforcer le droit des investisseurs au détriment du droit à réguler en matière de climat ?

Le très controversé mécanisme de règlement des différends investisseur – Etat (ISDS) pourrait fragiliser toute une série de réglementations écologiques dont l’Union européenne, ses pays membres ou collectivités locales pourraient se doter. C’est clairement l’utilisation7 qui est faite de ce mécanisme par l’entreprise canadienne Lone Pine Resources qui poursuit le Canada, via une de ses filiales basées au Delaware (paradis fiscal des Etats-Unis) suite au moratoire sur la fracturation hydraulique décidé par le Québec. Pourquoi François Hollande et le gouvernement, s’ils sont réellement convaincus de l’urgence d’agir en matière de climat, acceptent des négociations qui renforcent la prééminence du droit commercial sur le droit de l’environnement ?

 

  1. Pourquoi instaurer des mesures contraires à la transition énergétique ?

Selon les documents fuités du Tafta, les Etats et les collectivités ne pourraient « ni adopter ni maintenir des mesures prévoyant des exigences de localité », ni « exiger la création de partenariats avec les entreprises locales » ni imposer des « transferts de droits de propriété intellectuelle » en matière de développement des énergies renouvelables. Autant de mesures qui sont pourtant utiles et nécessaires pour faire grimper la part des renouvelables et les déployer sur tous les territoires avec l’engagement des collectivités et des populations. Ces critères de localité et de qualité sont de puissants outils pour relocaliser des emplois et des activités à travers la promotion de produits et de compétences locales, et l’utilisation des meilleures technologies disponibles. Pourtant, ces mesures sont perçues comme des « entraves » aux investissements étrangers et une « restriction déguisée au commerce international ». Pourquoi François Hollande et le gouvernement, s’ils sont réellement convaincus de l’urgence d’agir en matière de climat, acceptent-ils de restreindre le droit à réguler des Etats et des collectivités locales en matière de climat et de transition énergétique ?

 

  1. Pourquoi utiliser des arguments qui sont infondés sur la libéralisation du commerce des biens set services environnementaux ?

Lorsqu’il est interrogé sur les questions précédentes, le gouvernement botte généralement en touche. Quand il accepte d’apporter des éléments de réponse (via ses ministres ou même Laurence Tubiana, en charge des négociations climat pour le gouvernement), il s’appuie sur une théorie, développée et mise en avant depuis de longues années par des institutions internationales comme l’OCDE, la Banque mondiale ou même le PNUE, selon laquelle il n’y aurait pas de contradictions entre la libéralisation du commerce et de l’investissement, la protection de l’environnement et la lutte contre les dérèglements climatiques. Selon cette théorie, la libéralisation des biens et services environnementaux serait le meilleur moyen de diffuser des techniques « vertes », de protéger l’environnement et de lutter contre les dérèglements climatiques. Pourtant, cette théorie n’est pas vérifiée dans les faits. De nombreuses études8 montrent en effet que la libéralisation des échanges n’a pas les répercussions promises sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Au contraire, l’augmentation du commerce mondial génère un accroissement des émissions : à l’échelle mondiale, plus on commerce, plus on émet des gaz à effet de serre. Cette théorie est également invalidée par l’architecture générale du droit international : les règles restrictives en matière de propriété intellectuelle ne favorise pas la diffusion des technologies (supposées) vertes, et la libéralisation du commerce des services et biens environnementaux ne peut avoir d’effets majeurs en matière de lutte contre les dérèglements climatiques. Pourquoi François Hollande et le gouvernement, s’ils sont réellement convaincus de l’urgence d’agir en matière de climat, éludent nos questions pour mobiliser une théorie infondée et non vérifiée dans les faits ?

 

Conclusion :

François Hollande et le gouvernement ont le choix. Ils peuvent poursuivre les négociations des Tafta et Ceta et ainsi accentuer le décalage croissant entre d’un côté la réalité de la globalisation économique et financière qui concourt à une exploitation sans limite des ressources d’énergies fossiles et de l’autre, des politiques et négociations climatiques qui esquivent toute discussion sur les règles du commerce mondial et des investissements à l’étranger.

Ou bien ils peuvent contribuer à résorber ce décalage et arrêter de se déclarer « déterminé à agir » sans ne jamais rien entreprendre : stopper les négociations du Tafta serait sans doute la plus grande mesure en faveur du climat que François Hollande et le gouvernement sont en mesure de prendre en cette année 2015 !

Le bon choix pour qui veut véritablement laisser sa « trace dans l’histoire » et montrer toute la détermination du gouvernement en matière de lutte contre les dérèglements climatiques.

 

1Ce texte s’inspire très largement d’une intervention prononcée dans le cadre de la journée internationale contre les accords de libre-échange du samedi 18 avril, lors d’une conférence « Sauvons le Climat, pas le TAFTA ! » organisée par Attac France et le collectif Stop-Tafta à Montreuil.

2Les États membres de l’UE ont finalement déclassifié le mandat de négociations début octobre 2014, plus d’un an après avoir commencé http://data.consilium.europa.eu/doc/document/ST-11103-2013-REV-1-DCL-1/fr/pdf

3La Commission doit « assurer un environnement commercial ouvert, transparent et prévisible en matière énergétique et à garantir un accès sans restriction et durable aux matières premières ».

4https://france.attac.org/se-mobiliser/le-grand-marche-transatlantique/article/avec-le-tafta-l-ue-et-les-etats

5http://www.bastamag.net/Carburants-polluants-une-premiere

6http://www.amisdelaterre.org/Sables-bitumineux-une-nouvelle.html

7Voir : http://france.attac.org/nos-publications/notes-et-rapports-37/article/non-a-la-fracturation-hydraulique

8Citées dans Mehdi Abbas, «Libre-échange et changements climatiques: “soutien mutuel” ou divergence ? », Mondes en développement, no 162, février 2013, p. 33-48, <http://www.cairn.info/resume.php?ID_ ARTICLE=MED_162_0033>