Malgré une très forte opposition, le gouvernement australien s’apprête à introduire une taxe carbone
Marie-Morgane Le Moël
Le Monde du 09.07.11
Des baleines radioactives au large de Fukushima
Jean-Emmanuel Rattinacannou
http://www.futura-sciences.com/fr/news/t/oceanographie-1/d/des-baleines-radioactives-au-large-de-fukushima_31364/- Futura-Sciences 12.07.11
Enfin l’ère postnucléaire
Ulrich Beck
Le Monde du 09.07.11
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Malgré une très forte opposition, le gouvernement australien s’apprête à introduire une taxe carbone
Marie-Morgane Le Moël
Le Monde du 09.07.11
Après des mois de préparation, le gouvernement australien va dévoiler, dimanche 10 juillet, les détails de son projet de taxe carbone. Selon plusieurs sources, le prix pourrait être fixé à 23 dollars (17,3 euros) par tonne de gaz à effet de serre produite.
Le gouvernement n’a pas encore confirmé ces chiffres, mais a en revanche affirmé que cette taxe ne concernera que les 500 entreprises les plus polluantes du pays, moins que le millier initialement prévu. Canberra a aussi promis que la taxe ne porterait pas sur l’essence. Dimanche, la première ministre travailliste, Julia Gillard, devra donc prononcer l’un des discours les plus importants de sa carrière.
L’action pour le climat était l’un des principaux arguments de campagne du parti travailliste en 2007, lorsqu’il avait retrouvé le pouvoir après onze ans de gouvernement libéral. L’Australie est l’un des pays qui produit le plus de CO2 par habitant, car le charbon est la source de plus des trois quarts de son électricité.
En 2007, le premier ministre Kevin Rudd avait donc promis de mettre en place un marché de quotas des émissions de CO2. Le projet fut rejeté par le Sénat en 2009. Poussé dehors par son propre parti, M. Rudd a, en 2010, laissé ce dossier explosif à Mme Gillard.
Contrairement à son prédécesseur, cette dernière souhaite d’abord instaurer une taxe avant de passer à un système de marché d’émissions d’ici à cinq ans. Objectif : une réduction des émissions d’au moins 5 % d’ici à 2020 par rapport au niveau de 2000.
MANIFESTATIONS
Le sujet tient les médias en haleine depuis plusieurs mois. Car la taxe passe mal dans la population. La première ministre a vu sa popularité chuter alors que, dans les sondages, une majorité d’Australiens se disent inquiets de la mesure. Mme Gillard doit affronter des groupes d’usagers qui craignent les effets de la taxe sur les prix de l’électricité.
Elle est surtout opposée au puissant lobby minier, qui affûte ses arguments depuis des mois. Le secteur a prévenu que la taxe nuirait à sa compétitivité internationale et, donc, à l’emploi en Australie. « Cette taxe va imposer un coût (…) que nos compétiteurs n’auront pas à supporter. Cela veut dire que des investissements qui auraient dû avoir lieu en Australie n’auront pas lieu. Vous allez voir une baisse de la croissance et plus de chômage », a prévenu, il y a quelques semaines, Ralph Hillman, le directeur général de l’Association australienne du charbon.
On ne compte plus le nombre d’opposants, et pas seulement au sein des grandes compagnies minières.
Le secteur agroalimentaire a lui aussi critiqué le projet, tout comme la chambre de commerce de l’Etat de Nouvelle-Galles-du-Sud.
Des manifestations pour et contre la taxe ont lieu à travers l’Australie, chose rare dans un pays peu enclin à descendre dans la rue. L’opposition libérale en a fait son cheval de bataille, et son leader, Tony Abbott, n’a eu de cesse de sillonner les campagnes pour appeler à protester.
« Les coûts seront répercutés, c’est pourquoi nous offrirons des baisses d’impôts, des hausses des pensions et des allocations familiales à neuf familles sur dix », a rassuré Mme Gillard. L’industrie du charbon pourrait aussi se voir verser des compensations à hauteur de 1,3 milliard de dollars.
Le gouvernement devra désormais faire voter son projet par le Parlement, avant une mise en place prévue en juillet 2012. La première ministre s’attend à un combat ardu. Elle a d’ores et déjà prévenu qu’elle voyagerait à travers le pays pour défendre la taxe.
Des scientifiques menacés de mort
Début juin, l’université nationale australienne a révélé que neuf de ses climatologues ont reçu en 2007 et 2010 des courriels de menaces de mort. Les chercheurs ont été relocalisés dans une zone sécurisée de la faculté. D’autres scientifiques ont depuis reconnu avoir reçu des menaces. « Ces tentatives d’intimidation sont inquiétantes : il faut pouvoir avoir un débat démocratique, qu’on soit d’accord ou non », réagit Anna-Maria Arabia, directrice de la Fédération des sociétés scientifiques et technologiques, elle aussi menacée.
Des baleines radioactives au large de Fukushima
Jean-Emmanuel Rattinacannou
http://www.futura-sciences.com/fr/news/t/oceanographie-1/d/des-baleines-radioactives-au-large-de-fukushima_31364/- Futura-Sciences 12.07.11
Au large des restes de la centrale de Fukushima, les éléments radioactifs apportés à l’océan par les fuites et les rejets d’eau de refroidissement contaminent les organismes marins. Jusqu’aux baleines ! Du césium radioactif a en effet été trouvé dans deux individus abattus près d’Hokkaido.
Quatre mois tout juste après le séisme et le tsunami qui ont ravagé les côtes nord-est du Japon, la centrale nucléaire de Fukushima Dai-ichi, détruite, vomit encore chaque jour d’importantes quantités de radioactivité dans l’environnement. À cause des tonnes d’eau déversées lors d’une improvisation de la dernière chance pour refroidir les réacteurs blessés, c’est l’océan tout proche qui a surtout récupéré les radioéléments. Si des tentatives de Tepco et d’Areva sont encore en cours pour limiter les rejets et colmater les fuites, la centrale ne peut pas être étanche. Or il faut continuer à refroidir les cœurs et le combustible usé. Alors de l’eau radioactive s’écoule toujours en mer. Personne n’y peut rien.
Dilution …et concentration
Bien sûr, les courants transportent et diluent les rejets toxiques dans l’immensité de l’océan, mais il faut compter avec la vie qui a une tendance naturelle à lutter contre l’entropie… Sur la côte justement, il y a de la vie : des algues, des moules, des poissons, des mammifères marins, participant tous à une chaîne alimentaire complexe. Chacun de ces organismes, à son niveau, capte et retient les particules présentes dans l’eau et se nourrit de l’étage inférieur. De proies en prédateurs, il y a concentration des éléments radioactifs. Plus ils sont hauts dans la chaîne, plus ils risquent d’être contaminés. Outre les filtreurs, comme les moules, qui par définition vont retenir tous les polluants, les poissons carnivores, prédateurs, comme les thons ou les requins sont particulièrement vulnérables. Or ce sont des prises et des mets de choix pour les populations humaines…
Baleines radioactives!
Pour l’instant, en plus des détections directes d’iode 131, de césium 134 et de césium 137 dans l’eau de mer à 40 kilomètres de la centrale, ce sont les algues qui inquiètent : comme les champignons sur la terre ferme, les algues concentrent fortement les radio-éléments. Et les grands mammifères marins avalent quotidiennement des tonnes de petits organismes qui se nourrissent de ces algues…
Mi-juin, dix-sept baleines ont été abattues au large d’Hokkaido dans le cadre du « programme de recherche » japonais sur les cétacé – une couverture pour de la chasse commerciale. Après analyse de six d’entre elles, deux se sont révélées contaminées au césium. Le gouvernement a interdit la pêche autour de la centrale.
Les autorités et les responsables des pêcheries effectuent des contrôles du niveau d’irradiation de la pêche le long de la côte.
Alors que se tient ces jours-ci la 63e Commission Baleinière Internationale on peut ironiquement noter que pour une fois, les fameux prélèvements scientifiques de baleines du programme de recherche japonais auront servi à quelque chose…
Enfin l’ère postnucléaire
Ulrich Beck
Le Monde du 09.07.11
Ce qui suit présente certaines des recommandations d’experts ayant servi de base à la politique d’Angela Merkel, qui prévoit la mise en place d’alternatives au nucléaire d’ici à 2021. L’Allemagne pourrait montrer qu’une sortie de l’énergie nucléaire est une opportunité de créer une économie de pointe. « Vous, les Allemands, vous êtes tout seuls », dit le militant écologiste américain Stewart Brand, à propos des plans de sortie de l’énergie atomique ébauchés par l’Allemagne. Et il ajoute : « L’Allemagne agit de manière irresponsable. Pour des raisons économiques, et compte tenu de la menace que font peser les gaz à effet de serre, nous ne pouvons pas renoncer à l’énergie nucléaire. »
« J’avais des doutes, mais Fukushima m’a convaincu de la valeur de l’énergie nucléaire, renchérit l’éditorialiste du journal britannique The Guardian, George Monbiot. L’accident n’a fait à ce jour aucun mort, et ce bien que les réacteurs nucléaires aient subi au Japon le test le plus rigoureux que l’on puisse imaginer : l’un des pires tremblements de terre jamais survenus, et le tsunami qu’il a déclenché. Voilà pourquoi j’aime l’énergie nucléaire. »
Ce serait toutefois commettre une lourde erreur que de supposer qu’en faisant le choix politique du tournant énergétique l’Allemagne rompt avec le concept européen de la modernité et se tourne vers les racines obscures et forestières supposées de l’histoire intellectuelle allemande.
Ce qui est en train de prendre le pouvoir, ce n’est pas cette légendaire irrationalité allemande, mais la foi dans la capacité d’apprentissage et dans la créativité de la modernité face aux risques qu’elle a elle-même engendrés.
Pour étayer leur verdict, les partisans de l’énergie nucléaire font appel à une notion du risque imperméable à l’expérience et comparent de manière irréfléchie l’ère de la première industrialisation à l’ère nucléaire. La rationalité du risque part du principe que la pire des hypothèses peut devenir réalité et que les précautions que nous devons prendre doivent être choisies dans cette perspective. Lorsque la charpente d’une maison brûle, les pompiers arrivent, l’assurance rembourse, on prodigue les soins médicaux nécessaires, etc.
Appliqué aux risques de l’énergie nucléaire, ce schéma impliquerait que, même dans le pire des cas, notre uranium n’irradierait que quelques heures, et non des milliers d’années, et qu’il ne serait pas nécessaire d’évacuer la population d’une grande ville voisine. C’est bien entendu absurde. Continuer, après Tchernobyl et Fukushima, à affirmer que les centrales nucléaires françaises, britanniques, américaines, chinoises, etc., sont sûres, c’est refuser de voir que, d’un point de vue empirique, c’est la conclusion inverse qui s’impose : s’il y a une certitude, c’est celle du prochain accident nucléaire majeur.
Affirmer qu’il ne peut pas y avoir de risque zéro dans les grandes installations techniques de production d’énergie (ce qui est exact) et en tirer la conclusion que les risques courus dans le cadre d’une utilisation propre du charbon, de la biomasse, de l’énergie hydraulique, du vent et du soleil, ainsi que de l’énergie nucléaire, sont certes différents, mais comparables, c’est nier le fait que nous savons ce qui se produit lorsqu’un coeur nucléaire entre en fusion.
Nous savons combien de temps persiste le rayonnement radioactif, quelles lésions le césium et l’iode infligent aux hommes et à l’environnement, et combien de générations auront à souffrir si jamais le pire arrivait. Et nous savons que les énergies alternatives ou renouvelables ne font courir aucun de ces risques dont les conséquences ne s’arrêtent à aucune limite temporelle, géographique ou sociale. Prendre comme aune du risque le nombre de décès relevés, comme le fait M. Monbiot, revient à masquer cette réalité.
Et la question de l’assurance ? Etrangement, dans l’empire de l’économie de marché, l’énergie nucléaire a été la première industrie socialiste d’Etat, au moins pour ce qui concerne le coût à payer pour les erreurs. Les profits vont dans des poches privées, mais les risques sont socialisés, c’est-à-dire assumés par les générations futures et les contribuables. Si les entreprises de l’énergie nucléaire étaient contraintes de contracter une assurance spécifique à l’atome, la fable de l’électricité nucléaire à bon marché ne serait plus qu’un souvenir.
Appliquée à l’énergie nucléaire au début du XXIe siècle, la notion de risque que l’on pouvait utiliser au XIXe siècle est une catégorie morte-vivante qui nous rend aveugles à la réalité dans laquelle nous vivons. Ce qui est irrationnel, ce n’est pas de sortir de l’énergie nucléaire, mais de continuer à la défendre après Fukushima : cette attitude se fonde sur une notion périmée du risque, qui refuse de tirer les leçons de l’expérience historique.
Aucune autre nation industrielle n’a connu une ascension aussi rapide que l’Allemagne. Alors, ce tournant n’est-il pas le fruit d’un mouvement de panique injustifié ? A la longue, l’énergie nucléaire deviendra plus chère, l’énergie renouvelable meilleur marché. Mais l’essentiel est que celui qui continuera à laisser toutes les options ouvertes n’investira pas. Dans ce cas, l’Allemagne ne réussira pas à négocier le virage énergétique. En d’autres termes : l’angoisse qui anime les Allemands n’est pas dépourvue de ruse.
Ils flairent les opportunités économiques qui s’attachent aux marchés liés à l’avenir. En Allemagne, le tournant énergétique se résume à un mot en quatre lettres : « jobs ». Un cynique dirait : laissez donc les autres continuer à ne pas avoir peur – cela leur vaudra une stagnation économique et des erreurs d’investissements. Les partisans de l’énergie nucléaire se barrent eux-mêmes le chemin des marchés du futur parce qu’ils n’investissent pas dans la voie alternative que constituent les matériaux économisant l’énergie et les énergies renouvelables.
La situation au début du XXIe siècle est comparable à d’autres ruptures historiques dans l’approvisionnement énergétique. Que l’on s’imagine ce qui se serait passé si les hommes, voici deux siècles et demi, au début de la première révolution industrielle, avaient envoyé au diable ceux qui leur conseillaient d’investir dans le charbon et l’acier, les machines à vapeur, les métiers à tisser et, plus tard, les chemins de fer. Ou bien, il y a cinquante ans, s’ils avaient rejeté en parlant d' »angoisse américaine » l’idée que les Américains puissent investir dans les microprocesseurs, les ordinateurs, Internet.
Nous sommes face à un moment historique du même ordre. Celui qui exploitera ne serait-ce qu’une partie du désert pour y produire de l’énergie solaire pourrait couvrir les besoins énergétiques de toute la civilisation. Nul ne peut être propriétaire de la lumière du soleil, nul ne peut le privatiser ou le nationaliser. Chacun peut exploiter cette source d’énergie pour son propre compte et en profiter. Quelques-uns des pays les plus pauvres du monde disposent de cette « richesse solaire ».
L’énergie solaire est démocratique. L’énergie nucléaire est par nature antidémocratique. Celui qui tire son énergie d’une centrale nucléaire se fait couper le courant s’il ne paie pas sa facture. Cela ne peut pas arriver à celui dont l’énergie provient de capteurs solaires installés sur sa maison. L’énergie solaire rend les gens indépendants.
Bien entendu, ce potentiel de liberté qui s’attache à l’énergie solaire remet en question le monopole de l’énergie nucléaire. Pourquoi les Américains, les Britanniques et les Français, eux qui accordent une telle valeur à la liberté, sont-ils incapables de voir quelles conséquences émancipatrices pourrait avoir le tournant énergétique ?
On proclame partout la fin de la politique, et on la déplore. Paradoxalement, la perception culturelle du risque peut provoquer l’effet contraire, c’est-à-dire la fin de la fin de la politique. Pour le comprendre, on peut revenir à la vision qu’exposait le philosophe américain John Dewey, dès 1927, dans Le Public et ses problèmes(Gallimard, 2010). Selon lui, une opinion publique internationale et assez forte pour créer une communauté ne naît pas de décisions politiques, mais des conséquences de décisions qui posent des problèmes vitaux à la perception culturelle des citoyens.
Un risque perçu impose ainsi la communication entre des personnes qui, sans cela, pourraient ne rien avoir à faire les unes avec les autres. Il impose des obligations et des frais à ceux qui cherchent à le faire disparaître. Ce que beaucoup croient devoir dénoncer comme une hyperréaction hystérique au « risque » de l’énergie nucléaire est au contraire une démarche vitale offrant l’opportunité d’un virage énergétique allant de pair avec un virage démocratique.
Les stratégies d’action qu’autorise le potentiel de catastrophe lié à l’énergie nucléaire, perçu sous l’angle de la civilisation, mettent à bas l’ordre qu’a produit l’alliance néolibérale entre le capital et l’Etat. Face à la catastrophe nucléaire, les Etats et les mouvements de la société civile acquièrent de nouveaux pouvoirs, dès lors qu’ils font apparaître de nouvelles sources de légitimité. L’industrie nucléaire perd les siens dès lors que les conséquences de décisions liées aux investissements ont mis la vie de tous en péril. A l’inverse, une coalition d’un nouveau genre entre les mouvements de la société civile et l’Etat, telle que nous pouvons l’observer en Allemagne, constitue sa chance historique.
Du point de vue politique aussi, ce changement de trajectoire a un sens. Seul un gouvernement conservateur et proche des milieux économiques peut négocier un tel virage énergétique, dès lors que les plus bruyants adversaires de cette mutation sont issus de ses propres rangs. Celui qui critique la décision allemande de sortir de l’économie nucléaire pourrait être victime de l’erreur de la chenille, qui, sortant de la chrysalide, en déplore la disparition, sans se douter encore qu’elle deviendra le papillon des énergies renouvelables.
Traduit de l’allemand par Olivier Mannoni
Ulrich Beck
Sociologue et philosophe
Né en 1944, à Stolp, aujourd’hui Slupsk en Pologne, il est l’auteur notamment de « La Société du risque. Sur la voie d’une autre modernité » (Aubier) et, avec Edgar Grande, de « Pour un empire européen » (Flammarion, 2007). Il a été nommé membre du comité spécial d’experts par la chancelière Angela Merkel, à la suite du désastre de Fukushima.
Ulrich Beck