« Historique » ! Les décisions de la COP28 sur le climat le sont-elles vraiment ?
Maxime Combes, Economiste, travaillant sur les politiques climatiques, commerciales et d’investissement
https://blogs.mediapart.fr/maxime-combes/blog/131223/historique-les-decisions-de-la-cop28-sur-le-climat-le-sont-elles-vraiment
Article
« Accord historique ». C’est ainsi qu’est présenté le texte de décision de la COP28 validé ce mercredi 13 décembre, reprenant le qualificatif de la Présidence émiratie de la COP sans recul et distance critique. Si l’appel à une « transition hors des énergies fossiles » est évidemment un résultat positif, il comporte de nombreuses faiblesses qui en limite la portée. Explications.
La COP28 sur le réchauffement climatique de Dubai vient d’aboutir à plusieurs textes de décisions ce mercredi 13 décembre. Le plus commenté, le Global Stocktake, dont l’ambition était d’établir un bilan de la mise en œuvre l’accord de Paris de 2015, mentionne, pour la première fois dans une décision de COP, l’ensemble des énergies fossiles et « appelle » les Etats à une « transition hors des énergies fossiles dans les systèmes énergétiques ».
Le président de la COP28, Sultan Al-Jaber, par ailleurs PDG d’une entreprise pétrolière, a immédiatement parlé d’une décision « historique pour accélérer l’action climatique ». Ce terme, « historique », est désormais repris, souvent sans recul et sans distance critique, par de nombreux commentateurs et articles de presse. Ce post de blog rapide vise à en mesurer la portée et apporter quelques nuances (cf. la fin du texte pour préciser pourquoi je me pense légitime à écrire ces lignes).
Il y a toujours plusieurs façons d’analyser le résultat d’une conférence internationale telle que la COP28 sur le climat :
- en regardant le chemin parcouru : alors que les énergies fossiles, responsables de plus de 80% des émissions mondiales de CO2, n’avaient jamais été mentionnées dans les décisions de COP jusqu’à la COP26, pas plus que dans les accords internationaux qui en sont issus (Protocole de Kyoto, Accord de Paris etc), elles sont désormais mises à l’index comme une source d’énergie à laquelle il faut progressivement renoncer dans nos systèmes énergétiques : c’est un net progrès ;
- en regardant là où les Etats devraient déjà être parvenus : les études scientifiques, les rapports du GIEC, le rapport de 2021 de l’AIE montrent qu’il faudrait déjà avoir enclenché une décrue rapide dans la production et consommation des énergies fossiles (3% par an pour le gaz et le pétrole, 7% pour le charbon) et ne plus investir un euro dans l’exploration ou l’exploitation des énergies fossiles, et regarder la réalité : la production-consommation d’énergies fossiles continue pourtant à augmenter et les nouveaux investissements se poursuivent ;
- en regardant les faiblesses intrinsèques du texte de décisions lui-même : tant la nature de la décision prise – ce n’est pas un nouveau traité international organisant la sortie des énergies fossiles – que son contenu exact – nombreuses limites intrinsèques à l’effectivité des engagements pris – conduisent à éviter les superlatifs trop hâtifs et préférer la lucidité de l’analyse et l’exigence de mise en cohérence des politiques nationales ;
- en regardant les contradictions des Etats réclamant la sortie des énergies fossiles tout en continuant à mettre en œuvre des politiques publiques qui conduisent à en augmenter la production et la consommation d’énergies fossiles (nouvelles infrastructures pétro-gazières, nouvelles infrastructures de transports, nouveaux accords de libre-échange, etc), notamment dans les pays riches, et y compris en France (cf. cet article)
La décision de la COP28 est la reconnaissance des limites de l’Accord de Paris
Notons d’abord que le paragraphe sur les énergies fossiles que tout le monde commente n’est que l’un des 196 paragraphes de l’un des nombreux textes adoptés lors de la COP28. Notons également qu’il est inséré dans la partie « Mitigation » (réduction des émissions de gaz à effet de serre) du texte de bilan de la mise en œuvre l’accord de Paris de 2015, visant notamment à définir les « progrès collectifs à réaliser en vue des objectifs de long terme de l’Accord de Paris ». C’est la double reconnaissance :
- (explicite) qu’il ne saurait y avoir de lutte contre le réchauffement climatique à la hauteur des enjeux des objectifs de l’accord de Paris sans « transition hors des énergies fossiles » ;
- (implicite) que le silence de l’Accord de Paris à ce sujet est insoutenable et problématique.
Que dit le texte de décision de la COP28 à propos des énergies fossiles ?
Pour mesurer la portée d’un texte de décision de COP, il ne suffit pas de vérifier avec un Ctrl+F si les mots clefs sont présents. Il faut regarder le vocabulaire utilisé, notamment les verbes et locutions adverbiales, et regarder comment les paragraphes et les phrases s’enchainent. Cela peut-être technique. Essayons de l’expliciter ici simplement :
- le terme « sortie des énergies fossiles » (« phasing out fossil fuels) que réclamaient plus de 100 Etats en cours de COP28 a été remplacé par un terme plus faible, et plus vague, de « transition hors des énergies fossiles » (transitioning away) ;
- l’objectif de « transition hors des énergies fossiles » porte sur les seules « énergies fossiles » utilisées dans nos « systèmes énergétiques » : cette précision est importante car, selon le vocabulaire utilisé par les rapports du GIEC, « systèmes énergétiques » comprend l’énergie utilisée pour produire de l’électricité, du chauffage ou des carburants mais exclut par exemple l’énergie utilisée pour la production de plastique ; l’industrie du plastique est pourtant aujourd’hui un gros consommateur d’énergies fossiles ;
- cet objectif de « transition hors des énergies fossiles » n’est positionné qu’au 4ème rang des 8 « efforts globaux » auxquels les Etats sont « appelés » à « contribuer », au même titre que des « efforts » de second rang et/ou discutables ;
- peut-être la limite la plus importante : les Etats sont « appelés à contribuer » (« calls on Parties to contribute) à la « transition hors des énergies fossiles » : voilà des termes parmi les plus faibles du vocabulaire onusien pour exiger des Etats qu’ils prennent des décisions, contrairement à des termes tels que « urges », « requests » ou « decides » ;
- tout aussi significatif : outre le verbe utilisé, il faut immédiatement regarder comment il est complété par des locutions adverbiales pour comprendre l’intention de la COP : ici, il est mentionné que cet « appel à contribuer » peut être réinterprété à l’aune des « circonstances nationales », ce qui en limite la portée : il n’y a ici ni plan d’action global, ni agenda, ni objectifs précis assignés aux Etats.
Sur un autre paragraphe clef du texte (paragraphe 39 et 40), ce problème de vocabulaire adéquat est tout aussi manifeste : alors que toutes les études montrent que les politiques climatiques actuelles conduisent a minima vers 2,5°C, 3°C ou plus de réchauffement, le texte se limite à « encourager » (et pas « exiger » ou autre) les Etats donner plus d’ambitions à leurs politiques afin de respecter l’objectif des 1,5°C.
Efforts globaux sur les énergies fossiles minorés par de nombreux échappatoires
Plus largement, il faut remarquer que ce paragraphe portant sur les « efforts globaux » que les Etats sont « appelés » à engager sur les énergies fossiles :
- limite les efforts à fournir sur le charbon au seul charbon qui n’est pas associé à du captage et stockage de CO2 (« unabated » dans le langage des COP)
- limite aux seules subventions « inefficaces », sans que le terme ne soit jamais défini (ni à la COP28, ni au G20), les efforts de « sortie des subventions aux énergies fossiles », laissant la porte ouverte à ce qu’elles soient toutes poursuivies si les Etats les jugent efficaces ;
- ne fixe pas d’objectifs et d’agenda précis sur les émissions de méthane liées à l’exploitation et la consommation des énergies fossiles, alors que c’est décisif à court-terme ;
- donne beaucoup de place aux solutions technologiques : capture et stockage du CO2, hydrogène bas-carbone, véhicules à faibles émissions, etc ;
- ne fixe aucun agenda clair et engageant sur tous ces sujets
- ne prévoit pas de programme de travail afin de s’accorder sur des restrictions, des contraintes ou des interdictions à l’exploration et l’exploitation de nouveaux gisements.
L’industrie gazière et les Etats gaziers épargnés à la dernière minute ?
Il faut également noter, car c’est important et cela peut sans doute expliquer pour partie pourquoi les pays pétro-gaziers se sont résolus à accepter ce texte de décision de la COP28 : il a été ajouté dans la dernière nuit un paragraphe ad hoc, ie de même niveau que la totalité du paragraphe sur les énergies fossiles, qui « reconnaît le rôle que jouent les carburants de transition pour faciliter la transition énergétique ».
Par « carburants de transition », l’industrie-pétro-gazière et les Etats producteurs entendent notamment le gaz fossile : ce paragraphe incite donc à poursuivre les investissements dans l’exploration, l’exploitation et la production de gaz fossile alors que les études et rapports montrent que la production de gaz fossile devrait décroître de 3% par an à compter de 2022.
Où sont les financements ? Où est le programme de travail permanent sur les énergies fossiles en vue d’un Traité international ?
Pour qu’une décision de COP soit opérationnelle, il ne faut pas seulement en rester à l’édiction de recommandations générales. Encore faut-il préciser comment elle doit s’appliquer, par qui, à quel moment et avec quels moyens. Qui dit vouloir une « transition hors des énergies fossiles » implique par exemple de savoir quels sont les Etats qui doivent l’appliquer immédiatement, lesquels plus tard. Et surtout avec quels moyens, et sur la base de quels principes les efforts vont être répartis entre les différents Etats (équité).
Les Etats du Nord, les plus riches, dont la richesse accumulée depuis deux siècles est pour partie fondée sur l’exploitation et la consommation d’énergies fossiles à bas coûts ne sauraient exiger un engagement sur la sortie des énergies fossiles des pays du Sud au même rythme et dans les mêmes conditions. A minima, cela nécessite des financements ad hoc. C’est par exemple ce que réclame la Colombie pour avancer dans le sens de la décision prise. Manifestement, ces financements ne sont pas là.
Ils sont pourtant essentiels. Au sujet des financements, souvenons-nous de la promesse que les pays riches avaient fait aux pays pauvres lors de la COP15 à Copenhague, à savoir 100 milliards de dollars d’argent public, additionnels et pérennes sur la table d’ici à 2020. Quatorze ans plus tard, ils ne sont toujours pas là. La décision de la COP28 le « note avec de profonds regrets ». Sans financements supplémentaires, il n’y aura pas de sortie des énergies fossiles : « No finance, no phase out ».
Pour avancer en ce sens, la communauté internationale ne saurait se dispenser d’un programme de travail permanent, de préférence au sein des COP, afin qu’il y ait désormais une négociation continue entre les Etats-membres pour définir l’ordre de priorité des gisements que l’on déciderait de ne plus exploiter, en vue d’un Traité international ad hoc. A titre de comparaison, cela a pris près de 30 ans pour la reconnaissance des pertes et dommages et la création d’un fonds pour les pays pauvres. Ce n’est pas ce que prévoit la COP28 dans son texte de décision.
Que va changer cette décision de COP28 ? Est-on véritablement sur la voie d’une « transition hors des énergies fossiles » ?
A ce stade, il faut immédiatement préciser que les décisions de COP ne sont pas de la même nature qu’un traité international tels que le Protocole de Kyoto ou l’Accord de Paris qui, une fois ratifiés par les Etats-membres, deviennent du droit international et entrent en application. La Convention cadre des Nations-Unies sur le réchauffement climatique (CCNUCC ou UNFCCC), qui est le cadre international dans lequel se déroulent les négociations climatiques internationales, n’est pas une organisation internationale qui décide de règles internationales s’appliquant aux Etats. La décision d’une COP n’est pas un Traité international. Du fait de l’Accord de Paris, les COP ont pouvoir d’émettre des recommandations sur les énergies fossiles, notamment parce que les objectifs de l’Accord de Paris de rester en deçà de 1,5 ou 2°C sont en danger, mais il ne s’ensuit pas qu’une décision de COP impose une obligation aux Etats.
La décision de la COP28 d’une « transition hors des énergies fossiles dans les systèmes énergétiques » n’oblige aucun Etat à réduire, limiter ou interdire l’exploration ou l’exploitation des énergies fossiles sur son territoire national. Tous les nouveaux projets d’exploration ou d’exploitation annoncés ces dernier mois, au mépris des recommandations du GIEC ou de l’AIE, pourront légalement perdurer tant que cet appel à une « transition hors des énergies fossiles » n’est pas transformé dans du droit international via une modification de l’Accord de Paris et/ou la négociation d’un nouveau Traité international pour sortir des énergies fossiles. TotalEnergies & co n’ont pas obligation de mettre fin à leurs projets climaticides.
Conclusion (provisoire)
Ceci étant dit, cela ne signifie pas que cette décision de COP est sans effet. La COP28 de Dubai marque définitivement reconnaissance par la communauté internationale qu’il ne saurait y avoir de lutte contre le réchauffement climatique sans réduction de la consommation et de la production d’énergies fossiles. Cela constitue une avancée diplomatique majeure. Ne serait-ce que parce qu’elle disqualifie moralement et politiquement tous les projets d’exploration ou d’exploitation d’énergies fossiles récemment approuvés ou encore dans les cartons.
Puisque cette décision ne va pas devenir du droit international contraignant, du moins dans l’immédiat, il est de la responsabilité des chercheurs, de la société civile organisée, de l’opinion publique en général, et des pouvoirs publics bien intentionnés de se servir de cette décision de COP pour bloquer et enterrer des projets d’énergies fossiles en cours de déploiement. On peut commencer par la France (lire cet article)
BONUS : le jour où décision internationale sera prise de laisser 80% des énergies fossiles dans le sol, la cotation boursière de TotalEnergies, Shell, BP et consorts s’effondrera immédiatement. Ce n’est pas le cas:-)
(je vous renvoie au livre Sortons de l’âge des fossiles pour savoir comment gérer cette légère difficulté).
D’où je parle : Engagé dans le suivi des négociations climatiques depuis le milieu des années 2000 – même si j’ai raté quelques COP depuis 2018, dont Dubai, j’ai toujours essayé de garder une distance critique envers les discours énonçant l’inutilité des COP d’un côté et envers ceux qui de l’autre nous promettent monts et merveilles des « COP de la dernière chance ». Par exemple, en 2009, avant la COP15 à Copenhague, j’étais un des rares en France à affirmer qu’elle ne serait probablement pas le succès qu’on nous annonçait malgré l’élection récente d’Obama, et en 2015, j’ai alerté bien avant la COP21 (dès Lima en 2014 – ici ou ici ou ici), sur le fait que l’Accord de Paris en gestation comportait des failles telles qu’il ne saurait contenir le réchauffement climatique à 1,5°C ou 2°C, ce que nous constatons désormais avec clarté.
Précision : Ce papier, comme beaucoup d’autres, reposent sur de nombreux échanges avec des spécialistes de ces questions, notamment lorsqu’il s’agit de questions juridiques. Merci donc toutes celles et ceux qui m’aident à construire des analyses telles que celles-ci.
Réflexes, récits et sens collectif (2/2)
Nicolas Goñi
www.enbata.info/articles/reflexes-recits-et-sens-collectif-2-2
Article
Suite et fin de l’article : Réflexes, récits et sens collectif (1/2) (www.enbata.info/articles/reflexes-recits-et-sens-collectif-1-2/)
Quelle importance ont les récits dans notre compréhension du monde et de ce qui s’y joue ? Dans cette seconde partie, intéressons-nous aux récits en tant qu’éléments structurant notre rapport aux autres et au monde.
Le monde que construisent les récits
Dans l’article précédent, j’expliquais que les plus grandes compagnies pétrolières – parmi les premières à avoir financé des recherches sur les impacts de leurs activités sur le climat puis constaté que les conclusions de ces recherches n’allaient pas dans le sens de leurs affaires – ont choisi de dissimuler ces résultats et de semer activement le doute sur la question du climat, de façon à retarder et affaiblir le plus possible toute mesure globale de réduction d’émissions de GES. Ces activités de fabrication du doute ont été bien documentées par Naomi Oreskes et Eric Conway dans leur livre « Les marchands de doute » (Éd. Le Pommier, 2012). Cette fabrication du doute passe par la diffusion d’un récit, c’est à- dire un ensemble d’éléments narratifs qui donnent une explication au monde, explication qui convoque des symboles et des images plutôt que des faits et des analyses. Ainsi, dès que les premières alertes sur le changement climatique se sont fait entendre, les marchands de doute ont diffusé un récit selon lequel les lanceurs d’alerte (scientifiques ou militants pour le climat) souhaitaient restreindre nos libertés, mûs par une panique fondée sur des éléments irrationnels. Et, face à cette soi-disant irrationalité liberticide, ils se posaient en gardiens de la raison et d’une économie profitant à tous. Chacun des éléments de ce récit est réfuté par les faits, mais ce n’est pas ce qui leur importait ; ce qui leur importait était le pouvoir de conviction de ce récit, basé sur sa capacité à être en résonance avec une vision du monde suffisamment partagée. Autrement dit, ça marche car ça répond à ce que les décideurs ont envie d’entendre : « pas besoin de changer quoi que ce soit, continuons sur notre lancée ».
Outre les marchands de doute, les promoteurs de l’inaction climatique ont également un autre récit, celui de la technique qui nous sauvera, de la croissance (fondée sur les énergies fossiles) qui renforcera nos capacités d’adaptation, et de l’histoire humaine dans laquelle « on s’est toujours adapté ». Là aussi, bien que chacun de ces arguments soit réfuté par les réalités physiques des ressources en métaux et en énergie, et par la rapidité sans précédent de la hausse actuelle des températures, ils fournissent quand même un outil idéologique puissant qui se cale parfaitement dans les systèmes de valeurs des décideurs. Même s’il ne s’en prend pas à l’existence du changement climatique, ce récit répond de même à ce que les décideurs ont envie d’entendre : « pas besoin de changer quoi que ce soit, continuons sur notre lancée ».
Les récits ne sortent pas de nulle part
En comparaison, faute de récit sur lequel s’appuyer, les scientifiques et les militants pour le climat sont beaucoup moins bien équipés, car pour l’heure ils restent uniquement sur le terrain des faits et des analyses. Il est bien sûr fondamental d’expliquer le problème, ses causes et ses effets, mais cela est fait depuis des décennies. A elles seules, ces explications ne font pas levier suffisamment fort pour changer la perception du monde, si elles ne sont pas accompagnées de récits capables d’agir sur les imaginaires.
Comme le rappelle Marie Peltier, l’adhésion à des récits de défiance générale, actuellement massive, n’est pas tant une question de rapport aux faits que de rapport au monde. Quand quelqu’un ressort l’argument maintes fois démenti depuis plus de 10 ans selon lequel « il faisait plus chaud pendant l’optimum médiéval » ou « c’est à cause des cycles solaires », ce qu’il exprime n’est pas littéral – bien souvent, il ne maîtrise pas les concepts qu’il brandit – mais est à comprendre dans le cadre d’un récit selon lequel le changement climatique serait un prétexte pour nous faire accepter des contraintes que nous n’accepterions pas autrement, et selon lequel il est finalement inutile d’agir pour le climat.
Les récits sont tellement puissants qu’ils pèsent parfois même plus lourd que le réel qui nous saute aux yeux : au sud des Pyrénées, 2023 a poursuivi le long épisode de sécheresse qui touche l’ensemble de la péninsule ibérique depuis bientôt trois ans. Le bilan est lourd en termes de dégâts sur des écosystèmes déjà fragilisés, et de pertes économiques : production d’huile d’olive réduite de moitié, nombreux champs de céréales non fructifiés – 75% de la consommation céréalière espagnole devra être importée cette année –, mortalités massives d’arbres fruitiers. Le risque élevé de désertification de la péninsule ibérique a longtemps été l’objet d’alertes des climatologues, et logiquement, cette situation devrait provoquer un sursaut d’action pour rendre le territoire moins vulnérable. Une majorité de la population a bien sûr pleinement conscience des enjeux, mais en parallèle on a également vu se répandre des rumeurs prétendant que si la sécheresse persistait autant c’est parce que l’Agence Espagnole de Météorologie (AEMET) elle-même manipulait la basse atmosphère à l’aide de produits chimiques répandus par avion pour porter tort aux intérêts nationaux espagnols, ou était au moins complice d’une telle manipulation. Plusieurs figures publiques de l’AEMET se sont vu qualifier de « criminels », « assassins », « mercenaires d’une information au service du mal », « manipulateurs », « vous le paierez », « on vous surveille », « ne nous prenez pas pour des cons », « ils nous assèchent et vous êtes leur porte-parole », et autres remarques du même style.
Pour ceux qui tiennent absolument à croire que la question du changement climatique est une fausse excuse « imposée par les élites globales », la cause d’une sécheresse hors normes ne peut pas être dans un changement climatique bien réel et prévu de longue date, mais se trouve nécessairement ailleurs, quitte à nier l’évidence et à propager des rumeurs aussi improbables que paranoïaques.
Des récits plus porteurs
Nos sociétés actuelles sont caractérisées par leur individualisme et par la dominance décisionnelle et médiatique des classes riches, qui ne souffrent pas de mal-logement, de précarité énergétique, de flicage social ou de racisme.
Dans ce contexte, il n’est pas surprenant que les récits collectifs dominants tournent beaucoup autour de nos libertés individuelles (dans lesquelles la consommation tient une grande place) et de ce qui les menace, quitte à inventer des menaces très alambiquées. Dans des cas extrêmes, ces menaces inventées serviront à souder la population contre un « ennemi de la nation », qu’il s’agisse des mystérieux « assécheurs de l’Espagne » ou, comme en Grèce, des migrants accusés d’avoir allumé et propagé les incendies de la région d’Evros puis d’empêcher le travail des pompiers « en lançant des pierres sur les canadairs » (aussi absurdes que soient ces rumeurs, beaucoup y ont cru) alors même qu’ils étaient les premières victimes de ces incendies. Ces coupables désignés font ainsi partie d’un récit qui remplit une fonction politique : permettre une plus grande cohésion entre d’une part certains leaders politiques, et d’autre part des gens ordinaires ayant des intérêts matériels opposés, mais pouvant se retrouver dans une certaine vision du monde qui infuse ces récits. Il est donc dans l’intérêt des leaders politiques en question de mettre en avant ces récits qui permettent par ailleurs, en dirigeant l’attention et la colère vers ces « ennemis » fabriqués, de continuer à ne pas s’occuper du changement climatique et de ses implications sociales, autrement dit de faire perdurer un ordre social non soutenable et inégalitaire.
A l’opposé, les récits qui concernent notre survie collective sont largement inaudibles malgré l’ampleur des enjeux. Ce déséquilibre ne doit rien au hasard : dans une société dont les piliers centraux seraient le soin – aux écosystèmes et aux personnes – et l’entraide, notre attention serait portée sur le collectif, perçu comme le socle dont dépend tout le reste, comme le tronc commun dont dépend chaque brindille que nous sommes, et qui dépend en retour de la santé de chaque brindille.
Cette vision du monde se retrouve chez nombre de peuples premiers et ses postulats sont confirmés par l’étude des écosystèmes. Dans une telle vision du monde, ce ne serait pas du tout le même genre de récit qui habiterait nos imaginaires, ce seraient des récits capables de canaliser la défiance générale vers des chemins non individualistes et non calqués sur l’idéologie dominante qui sacralise la propriété privée et sacrifie la solidarité collective.
Ces récits désigneraient sans ambages les ennemis de l’humanité : l’industrie pétrolière qui a menti et désinformé sur le changement climatique, et condamné ce faisant des centaines de millions de vies ; les riches qui se soustraient à la solidarité en fuyant l’impôt (s’il y a une « élite globale », ce serait plutôt là qu’elle se trouve) ; et plus largement tous ceux qui accaparent des ressources qui devraient être communes.
Dans ces récits, nous comprendrions qu’une société qui ne protège pas ses membres les plus vulnérables n’est pas une société mais une pyramide alimentaire dans laquelle chaque niveau dépouille celui au-dessous jusqu’à devenir soi-même le niveau le plus bas. Dans ces récits, l’individualisme serait une tare évidente, car tout le monde comprendrait que notre ciment social est une culture de la participation où chacun.e contribue à construire les conditions d’une vie digne pour tous et toutes, et où nous nous saisissons des moyens d’agir en ce sens. C’est peut-être là que se trouvera la bascule la plus importante : redessiner notre monde commun, et nous rendre collectivement en mesure de reprendre la main dessus.
200 herrialdek erregai fosilak atzean uzteko trantsizioa hastea onartu dute
Izaro Villarreal Lauroba
www.argia.eus/albistea/200-herrialdek-erregai-fosilak-atzean-uzteko-trantsizioa-hastea-onartu-dute
Article
Lehen aldiz eztabaidatu da halako goi-bilera batean erregai fosilak atzean uzteko erabakia, baina airean utzi dituzte epeak eta helburuak. Hego globaleko herrialdeak izango dira oraindik ere krisi klimatikoaren kaltetu handienak, El Salto-k jaso duenez.
Klima Aldaketari buruzko Nazio Batuen 2023ko Biltzarrak (COP28) erregai fosilak atzean uzteko trantsizioa hastea erabaki du, bi asteko negoziazioaren ondoren. 200 herrialdek onartu dute erregai fosilak “modu progresiboan” uzten joan eta “trantsizioa” abiatzea. Hala, 2050erako karbono neutralitatera iristea jarri dute helburu gisa, Al-Jaber goi bilerako presidente eta Arabiar Emirerri Batuetako Industria Ministroak jakinarazi duenez. Ez dituzte bestelako epe eta helburuak zehaztu, eta Hego globaleko herrialdeek krisi klimatikoaren kaltetu handienak izaten jarraituko dutela azpimarratu du El Salto-k.
Parisko Akordioari buruzko Balantze Globalaren testuak, ordea, haserrea eragin du prozesu honetan, bereziki, energiari buruzko atalak: erregai fosilek energia kontsumoaren %80 betetzen dute, eta klima larrialdiaren eragile nagusiak dira. Herrialde batzuk erregai fosilak atzean uztearen aurka agertu dira. Greenpeace-k Arabiar Emirerri Batuetan duen ordezkaritzak adierazi duenez, ezer baino lehenago “premiazkoa da egun 1,5ºC-ren mugatik gora bultzatzen gaituzten fosilen erauzketak hedatzeko plan guztiak gelditzea”, El Salto-k jaso duenez.
Luze negoziatu behar izan dute adostasunera iristeko eta 200 herrialdeek negoziaketetan eginiko “lan gogorra” azpimarratu du al-Jaberrek. “Lorpen historikoa eta aurrekaririk gabekoa” izan dela gaineratu du, aurretik COP28a inoiz ez baita erregai fosilei buruzko adostasunera iritsi: “Harro egon behar dugu arrakasta historikoaz, eta Arabiar Emirerri Batuak harro gaude hori lortzeko izan dugun eginkizunaz”.
Kalte-ordainak
El Salto-k jaso du sinatutako akordioak ez duela bermerik ematen Hego globaleko herrialdeek energia berriztagarrietara igarotzeko baliabideak lor ditzaten, ez eta bestelako behar batzuk konpontzeko baliabideak eskuratzeko ere. Hori dela eta, AEBek 20 milioi dolar emateko konpromisoa hartu dute, herrialde hauek dituzten kalte-ordainak oso urriak baitira.