Petronorren instalazioek dute ingurumen inpaktu handiena Euskal Herrian
Gara
www.naiz.eus/eu/hemeroteca/gara/editions/2025-07-01/hemeroteca_articles/petronorren-instalazioek-dute-ingurumen-inpaktu-handiena-euskal-herrian
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EHUko ikerketa talde batek egindako kalkuluaren arabera, Europan industriak sortzen dituen emisioen %60 energiaren sektoretik datoz. Euskal Herrian Petronor da inpaktu handiena duena.
31.388 INDUSTRIA
Europan dauden 31.388 industria instalazioek lurzorura, airera eta uretara egindako isurketei buruzko datuak neurtzen eta prozesatzen ditu Amalur EIS sistema berriak. Industriak Europan sortzen dituen emisioen ingurumen inpaktuaren %59,5 energiaren sektoretik dator, EHUko ikertzaile talde batek egindako kalkuluaren arabera. Ekopol ikerketa taldeak Amalur EIS ingurumen informazioko tresna garatu du. Horri esker, ingurumen eraginak edozein mailatan kalkulatu eta azter daitezke. Euskal Herriari dagokionez, azterketak ondorioztatu du Bizkaia dela ingurumen inpaktuaren bolumen handiena duen lurraldea (guztizkoaren %52). Petronorrek Muskizen dituen instalazioak dira Araban, Bizkaian eta Gipuzkoan inpaktu handiena sortzen dutenak, guztizkoaren %25. EHUk azaldu duenez, kutsatzaileen emisio eta transferentzien Europako erregistroko datuetan oinarritzen da ikertzaileek garatutako analisi sistema, eta bizi-zikloaren analisiaren ikuspegia aplikatzen du. Lan horretan, 2007-2022 aldian EAEko industria instalazioetan bildutako emaitzak ere aztertu dituzte.
Amalur EIS sistemak ingurumen inpaktuak prozesatzen ditu, 2007-2022 aldian Europako 31.388 industria instalazioek lurzorura, airera eta uretara egindako isurketei buruzko datuak biltzen dituen Europako erregistroaren informaziotik abiatuta, eta bere azterketan klima aldaketa bezalako gaiak hartzen ditu kontuan, besteak beste.
EUSKAL HERRIAN, BIZKAIA
Euskal Herrian, Petronorrenak dira inpaktu handiena sortzen duten industria instalazioak (instalazioek ekoitzitako guztizkoaren %25). Ikerketa horren arabera, gainera, «mineralen industriako sei planta nagusiek, batez ere zementu fabrikek, inpaktu osoaren %16,9 hartzen dute, eta zazpi zentral termikoek guztizkoaren %17 (bigarren kutsatzaileenak Total Energiesen ziklo konbinatuko biak dira, Castejonen, Nafarroan)». Hondakinak tratatzeko sektorea hurrengoa da intzidentzian, inpaktu osoaren %12,5ekin -Galindoko hondakin uren araztegia bosgarren planta kutsatzaileena da, Zabalgarbiko erraustegia hamabigarrena eta Artigasko zabortegia 23. postuan dago-.
Geografiari dagokionez, Bizkaia da ingurumen inpaktuaren bolumen handiena biltzen duen lurraldea (guztizkoaren %52, aztertutako multzoan gehien kutsatzen duten 25 instalazioetako 10ekin).
Nafarroak, bestalde, zazpi instalazio ditu, inpaktu osoaren %23,7 hartzen dutenak; Gipuzkoak, berriz, bost instalazio ditu (%17,8), eta Arabak hiru instalazio (%6,3). Ipar Euskal Herrian eragina nabarmen txikiagoa da, guztizkoaren %0,5 bakarrik, EHUren azterlanaren arabera.
ALEMANIA
Gorka Bueno EHUko ikertzaileak azaldu duenez, garatutako sistemak aukera ematen du «kutsatzaile industriaren emisioen datuak ingurumen inpaktu bihurtzeko eta zenbatzeko. Oso tresna baliotsua da jasangarritasunerako trantsizioa monitorizatzeko, batez ere Europan».
Sistema horren bidez egindako azterketaren emaitzen arabera, klima aldaketa da Europan ingurumen inpaktu osoan pisu handiena duen faktorea (%68,6). Eskualdeko inpaktu handienak Alemanian biltzen dira.
« LGV, l’État recule, le privé avance dans la discrétion »
Pierre Recarte
https://lhebdo.mediabask.eus/fr/hemeroteca/mediabask/editions/mediabask_2025-07-10-07-00/hemeroteca_articles/lgv-l-etat-recule-le-prive-avance-dans-la-discretion
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TRIBUNE LIBRE – Pierre Recarte alerte sur la tendance actuelle en faveur d’un partenariat public-privé pour financer les projet LGV, qu’il qualifie de “spirale infernale”.
Les LGV ne sont plus une priorité, le réseau existant s’effondre : 3 000 kilomètres de lignes fermées en une décennie, mais aussi 4 000 kilomètres à rénover d’ici 2028 et 10 000 kilomètres dans dix ans. SNCF Réseau, auteur de ce constat, ne peut plus financer. Où trouver les financements nécessaires ?
L’État défaillant
L’État étudierait, selon une note interne de Bercy, révélée par la presse, son désengagement éventuel du financement du Grand Projet Sud-Ouest (GPSO). En 2021, Jean Castex, alors Premier ministre, avait acté une participation de l’État de 40% sur les 14 milliards devenus désormais 16 à 17 milliards en euros courants. Il faut “réactualiser les coûts du projet, qui pourraient être revus à la hausse” au vu de l’inflation, avait déjà demandé le Conseil économique, social et environnemental régional (Ceser) aquitain.
“Le projet se fera, c’est certain. La question, aujourd’hui, est surtout budgétaire”, affirme la région Nouvelle-Aquitaine. Pour financer les trois lots arrêtés par SNCF Réseau pour lancer les appels d’offres, l’État devait payer 120 millions, ce sont les collectivités locales qui ont fait l’avance, sans engagement écrit de remboursement !
Au sein des pro-LGV, la colère gronde. Christophe Huau, en charge du GPSO pour la SNCF, tente de rassurer : “On a tout le financement que l’on souhaite pour avancer au rythme prévu” et “on s’adaptera aux décisions des pouvoirs publics”.
Qui va payer ?
Les difficultés budgétaires de l’État et les préconisations de Bercy ont de quoi semer le doute. Le plan de financement ne prévoit pas que les collectivités locales se substituent à l’État. D’autres pistes de financement pérenne sont à explorer. Tel est l’objectif de la conférence Ambition France transports formée par des élus (400), des professionnels et des économistes. Elle réfléchit aux modes de financement nécessaires à la modernisation des réseaux ferrés, tout en préservant les deniers de l’État. Ses conclusions sont attendues pour mi-juillet. “Nous sommes à un point de bascule où la rénovation est un élément important, qui doit s’ajouter aux nombreux chantiers qui sont devant nous”, rappelle Éric Lombard, le ministre de l’Économie et des finances.
Le privé à la rescousse ?
“Il est indispensable d’améliorer les montages permettant de mobiliser efficacement les financements privés”, plaide le ministre des Transports, Philippe Tabarot. Il défend le modèle du partenariat public-privé (PPP) de la LGV Tours-Bordeaux. Mathieu Chabanel, directeur général de SNCF Réseau, lui emboîte le pas. Même Dominique Bussereau, président de la conférence sur le financement et ancien secrétaire d’État aux transports, y va de son couplet : “Les financements de l’État sont malheureusement moins abondants que par le passé, un PPP serait le bienvenu”. Les majors du secteur du bâtiment public sont déjà sur la ligne de départ, attirés par les prix excessifs des péages pratiqués par Lisea, le concessionnaire privé de la LGV entre Tours et Bordeaux. Ceux-ci lui permettent de rétribuer largement ses actionnaires. Enthousiaste, Lisea récidiverait bien. Dans sa contribution écrite à la conférence, elle considère le PPP comme une “référence pour l’avenir”, présentant “un potentiel de transposition significatif pour les projets ferroviaires en cours de développement”.
Rappelons que pour faire face au prix élevé des péages, en constante augmentation entre Tours et Bordeaux, la SNCF a dû augmenter le prix des billets pour ne pas aggraver son déficit annuel d’exploitation sur cette ligne : 87 millions en 2019. Un déficit chronique qu’Alain Rousset ne mentionne jamais, préférant parler d’un “succès populaire”.
Christophe Huau observe : “Il y a moins de trafic sur la ligne Bordeaux-Toulouse que sur Tours-Bordeaux, donc les retombées seraient moins intéressantes pour le concessionnaire”. Effectivement, et encore moins sur Bordeaux-Espagne !
Nous entrerons alors dans une spirale infernale. En effet, le Commissariat général à l’investissement, qui a expertisé le GPSO à la demande de l’État en 2018, relevait parmi ses principales faiblesses “un projet à la valeur actualisée nette par euro investi limitée” et “une forte dépendance à la réalisation du trafic prévu”.
Le trafic étant insuffisant, le concessionnaire privé augmentera le prix des péages, la SNCF sera contrainte d’augmenter considérablement le prix des billets. La fréquentation diminuera… Une boucle sans fin.
Voilà le schéma délétère auquel nous exposent le duo d’inconditionnels de la LGV que sont Alain Rousset et Carole Delga, aidés par le ministre des Transports et Dominique Bussereau. Celui-ci n’hésite pas à déclarer : “Si l’État ne rembourse pas les avances consenties par les collectivités, le projet sera coincé. Le PPP serait une solution pour avancer rapidement”.
Nos décideurs feraient mieux de méditer cette pensée : “Il faut distinguer la ténacité de l’obstination : savoir insister et persévérer au bon moment, savoir aussi se retirer et renoncer quand il le faut”. À bon entendeur…
Fortes chaleurs : une proposition de loi veut faciliter l’adaptation des logements
Lucie Delaporte
www.mediapart.fr/journal/ecologie/260625/fortes-chaleurs-une-proposition-de-loi-veut-faciliter-l-adaptation-des-logements
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La Fondation pour le logement des défavorisés, qui a publié mercredi 25 juin une nouvelle étude sur les bouilloires thermiques, a travaillé à une proposition de loi pour lever les freins existants aux travaux d’adaptation des logements.
Avec un été 2025 qui s’annonce comme l’un des plus chauds jamais enregistré en Europe, le sujet est malheureusement devenu… brûlant. Cette année, la période estivale devrait être comparable à celle de 2022, marquée par plusieurs épisodes caniculaires. 59 % des Français avaient alors déclaré souffrir de la chaleur dans leur foyer, comme le rappelle la Fondation pour le logement des défavorisés (ex-Fondation Abbé Pierre), qui vient de publier une étude intitulée « Chaud dedans ! L’urgence d’adapter les logements bouilloires aux canicules ».
« La précarité énergétique a longtemps été envisagée à partir de la question du froid. Or, avec le réchauffement climatique, des millions de logements se transforment en véritables bouilloires », souligne Christophe Robert, délégué général de la fondation. Bouilloires thermiques qui restaient, elles, dans l’angle mort pour les pouvoirs publics et les professionnels du bâtiment, alors qu’« il est désormais urgent d’agir efficacement sur les bouilloires thermiques. C’est une urgence sociale, écologique et sanitaire ».
Les climatologues prévoient un doublement des épisodes de forte chaleur d’ici à 2050 et une France à + 4 °C d’ici à la fin du siècle, rendant totalement inhabitables certains logements.
Derrière l’expression officielle, mais terriblement « euphémisante », de « confort d’été », se cache pourtant une réalité bien plus dure. Entre 2017 et 2024, 34 000 personnes sont décédées en France des conséquences de la chaleur, d’après Santé publique France.
Proposition de loi transpartisane
L’enfer de vivre dans un logement trop chaud l’été touche des millions de Français, mais en priorité les urbains vivant dans des appartements dont ils sont locataires. Il concerne surtout, massivement, les habitants des quartiers populaires, en raison tant de la moindre qualité du bâti que de l’environnement minéral de ces zones. Ceux-ci sont 59 % à souffrir de la chaleur dans leur logement contre 42 % pour la moyenne des Français en 2024. Les bouilloires thermiques sont aussi un fléau social : selon l’Ademe (Agence de la transition écologique), les ménages modestes déclarent deux fois plus souffrir du chaud que les ménages aisés.
La proposition de loi veut également interdire les coupures d’électricité, y compris pendant la période estivale.
Face à ce constat, que peuvent les pouvoirs publics ? Le paradoxe est qu’actuellement, les dispositifs d’aides à la rénovation énergétique des logements prennent très peu en compte les fortes chaleurs. Il y a même un risque de mal-adaptation avec des isolations réalisées avec des matériaux performants pour le froid mais catastrophiques concernant le chaud.
La Fondation pour le logement des défavorisés a donc travaillé avec des parlementaires issus de sept groupes politiques (Ensemble, socialistes, écologistes, La France insoumise, Horizons, Liot, Gauche démocrate et républicaine) pour parvenir à une proposition de loi transpartisane visant à « adapter les logements aux fortes chaleurs et à protéger leurs occupants ».
Lever les blocages des architectes des bâtiments de France
Par ce texte, la « surchauffe » des logements serait enfin intégrée dans la définition de la précarité énergétique.
La proposition de loi cherche également à « lever les freins règlementaires liés à la protection patrimoniale », assure le député socialiste Emmanuel Grégoire, qui les a constatés lorsqu’il travaillait au plan local d’urbanisme bioclimatique à Paris. En clair, les architectes des bâtiments de France (ABF) refusent encore trop souvent la pose de volets pour ne pas dénaturer le patrimoine existant.
Un article de la proposition de loi, qui n’en compte que quatre, prévoit donc que leurs avis ne soient plus que consultatifs en ce qui concerne ce type de travaux. Une évolution non négligeable puisqu’un tiers des logements se situent dans un périmètre soumis à l’avis des ABF.
L’autre obstacle majeur, avance l’ex-premier adjoint d’Anne Hidalgo à la ville de Paris, relève des règles de gouvernance au sein des copropriétés. Les travaux de mise en place de protections solaires extérieures pourraient ainsi être votés à la majorité simple plutôt qu’à la majorité absolue. « Dans les copropriétés, on essaie d’inverser la logique en les obligeant à prévoir dans leur règlement quel type de protections solaires peuvent être installées », assure Maider Olivier, chargée de plaidoyer climat-logement à la Fondation pour le logement des défavorisés.
Ces « monogestes » contre le chaud – volets ou brasseurs d’air – pourraient, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, être financés par l’Agence nationale de l’habitat (Anah). Les locataires pourraient également se retourner vers leurs propriétaires pour leur demander d’installer des protections solaires dans le logement.
La proposition de loi veut également interdire les coupures d’électricité, y compris pendant la période estivale, parce que l’emploi d’un réfrigérateur ou d’un ventilateur en période de canicule s’avère « indispensable » : « Quand dans son logement on ne peut pas se rafraîchir et boire un verre d’eau fraîche, cela devient impossible », affirme la cheffe des Écologistes à l’Assemblée nationale, Cyrielle Chatelain.
Autre point crucial : le diagnostic de performance énergétique (DPE) prendrait en compte le « confort d’été » alors qu’aujourd’hui un tiers des logements classés A (la meilleure note) ne sont pas performants en cas de vague de chaleur.
Au total, la Fondation pour le logement des défavorisés chiffre le coût de ces travaux d’adaptation des bouilloires thermiques à 1,1 milliard d’euros, une somme « réaliste au regard des enjeux sur les populations les plus fragiles », juge Christophe Robert. Le texte pourrait être examiné fin 2025, dans le cadre d’une niche parlementaire transpartisane.
Dans les ressourceries, une écologie qui ne dit pas son nom
Alexandre-Reza Kokabi
https://reporterre.net/Les-ressourceries-des-lieux-ou-tout-et-tout-le-monde-trouve-sa-place
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En Seine-Saint-Denis, une ressourcerie pas comme les autres a vu le jour. On y recycle des vêtements, des objets et, surtout, on revalorise les vécus de chacun.
Le premier à accueillir les visiteurs, c’est l’humoriste Artus. Pas en personne, plutôt sa réplique grandeur nature, imprimée sur du carton, avec les bras croisés, polo et casquette blanche. Personne ne sait comment il est arrivé là, mais il est resté, comme un clin d’œil à l’esprit du lieu : ici, tout trouve une place, même l’inattendu.
Bienvenue à Temps libre, une ressourcerie nichée à Livry-Gargan, en Seine-Saint-Denis, sur les bords de la nationale 3. Quatre niveaux (sous-sol, rez-de-chaussée et deux étages) sont remplis d’objets, d’idées et de gens. Meubles, vêtements, livres, électroménager, jouets… On trie, on répare, on revend à petits prix. Mais surtout, on se rencontre. On se relève. On vit l’écologie sans étiquette verte, à hauteur d’humains.
Les salles gérées par des bénévoles débordent de piles de vêtements, de vaisselle, de jeux de société, de peluches — dont au moins six exemplaires de Oui-Oui, le chauffeur de taxi. Des baby-foot, des objets du quotidien et des œuvres d’art. Certains sont immenses, comme ces grands gorilles, ces lions et ces girafes. « Ils sont devenus les mascottes, mais il a fallu les séparer : ils ne faisaient que se chamailler », sourit Alhassana Diallo, le fondateur du lieu.
La demande est telle que « parfois, c’est épuisant, soupire Zahra, l’une des bénévoles. Tu viens de tout ranger, et là, un camion de livraison arrive. Il faut tout recommencer ».
Dehors, deux jeunes parents déclipsent le siège bébé à l’arrière de leur véhicule. La mère prend l’enfant et ils entrent dans la boutique ouverte au public. Ils ne savent pas où donner de la tête, entre les vêtements sur les portants, une lampe de chevet et des objets improbables — comme ces boules à bain effervescentes, de toutes les couleurs. « Quand on n’a pas forcément les moyens, ces lieux à petits prix font du bien. Surtout avec un enfant », dit le père. Le bébé, de 9 mois, s’est rendormi la tête enfouie dans la barbe moelleuse.
Ce lieu, c’est Alhassana Diallo, animateur social de 46 ans, qui l’a rêvé, pensé, bricolé. Obstiné, il était déjà à l’origine de la Ressourcerie de la Noue, à Bagnolet, aujourd’hui fermée. « Je me considère comme un trait d’union entre les excédents, abondants dans notre société de consommation et du “zapping”, et ceux qui manquent de quelque chose », dit-il autour d’un thé à la menthe fumant, le sourire lui montant vite aux yeux.
Élevé dans une famille nombreuse, il se souvient des ceintures abîmées qui étaient raccourcies pour aller au petit frère, des pantalons trop courts devenus ceux du cadet. Plus tard, passionné de réemploi, il a poncé les allées des Puces de Montreuil tous les week-ends, plusieurs fois.
Avec Yahya, son acolyte de toujours, ils avaient des techniques bien à eux pour fouiller les bacs. Et dénichaient des trésors, comme des vêtements Ralph Lauren et Eden Park. « On avait notamment la technique de la “prise du chien”, qui nous permettait de tout retourner pour aller chercher les bonnes pièces au fond », rigolent Alhassana et Yahya, un homme de peu de mots, qui l’a rejoint autour de la table — il vient souvent donner un coup de main.
Aujourd’hui encore, Alhassana agit avec ce flair. « Quand on me propose un objet, je sais déjà à qui il servira. »
« T’as combien ? On s’arrange »
Temps libre, c’est plus qu’une ressourcerie et une boutique solidaire. Ici, on revalorise aussi les gestes. Les savoirs. Les vécus de celles et ceux qui ont pas mal bourlingué.
Comme celui d’Aboubacar Traoré, 33 ans, qui a aidé à remettre en selle ce lieu. « J’ai vécu des moments douloureux, franchement », souffle-t-il, adossé à une chaise blanche, dos au soleil, à l’entrée du magasin. Parti d’Abidjan en Côte d’Ivoire — où il a été molesté, amputé d’un doigt —, il est passé par le Mali, a été enfermé un an dans une prison en Libye. Puis il y a eu l’errance en Italie, l’arrivée en France. « Les traumatismes, le stress, l’isolement… Ça me rongeait. » Un soir, il a vu de la lumière dans la ressourcerie. Il est entré. Et n’est plus reparti.
Aujourd’hui, il trie, range et accueille dans la partie « bricolage » du lieu. « Je me réveille enfin avec la motivation. Ça, c’est important pour moi. » Et même si les visiteurs n’ont pas de quoi payer leurs trouvailles, il trouve toujours une solution. « Je leur dis : “T’as combien ? On s’arrange.” L’important, c’est de les voir sourire. Moi, je veux donner le sourire aux autres. »
ahra, elle, a également découvert le lieu par hasard. Elle passait devant, en allant à un rendez-vous pour soigner son dos endolori. « La ressourcerie m’a remise en mouvement. » Elle s’occupe aujourd’hui de la communication et du marketing.
Maïté, elle, venait de quitter son travail. Elle ne voulait pas rester inactive. Elle est venue aider, elle est restée. Sa fille de 10 ans vient tous les jours. Elle apprend la couture, le piano. « Elle a trouvé des copains. »
Les deux femmes sont devenues amies. Elles parlent toutes les deux très vite. « On va à la même vitesse, un peu hyperactives », s’esclaffent-elles. Le reste de l’équipe est bigarré. Jeunes en service civique, retraités du coin, personnes en reconversion professionnelle, exilés. « On apprend à vivre ensemble, dit Zahra. Parfois, c’est plus dur qu’au travail, où il y a un cadre plus strict, mais on avance. »
Ancrer l’éphémère
Le terme « écologie », lui, revient peu. Tri, réemploi, circuit court, réduction des déchets, transmission de savoir-faire, soin des personnes : tous les ingrédients sont réunis, mais peu s’en revendiquent. « Quand ces gestes sont faits ici, de l’autre côté du périphérique, on dit que c’est normal, que c’est de la débrouille. Ce n’est pas forcément valorisé à sa juste valeur », soupire Alhassana.
Temps libre rayonne bien au-delà de Livry-Gargan. Des dons arrivent de toute l’Île-de-France. La ressourcerie est aussi mobile : animations dans les quartiers, ateliers, ludothèque ambulante. « Le jeu, c’est un outil de lien, assure Alhassana, qui a suivi une formation de ludothécaire. Avec ça, tu fais tomber les barrières sociales. » Baby-foot, jeux en bois, rituels de thé : « On ne commence rien sans ça. » À l’hôpital du Kremlin-Bicêtre, où travaille la sœur de Yahya, les bénévoles de la recyclerie viennent régulièrement rendre visite aux enfants malades, fournissent du mobilier, des jeux et offrent des livres.
Derrière cette vitalité reste une fragilité. Alhassana a hérité du lieu à l’été 2023 après avoir remporté un appel d’offres lancé par le groupe Novaxia, acteur du recyclage urbain, qui lui permet d’occuper à titre gratuit le bâtiment et son sous-sol. Mais le bail peut s’arrêter à tout moment. Le bâtiment n’est pas aux normes pour recevoir du public sur tous ses étages. Résultat : pas de salariat, pas d’ateliers ouverts au public dans les étages, alors qu’ils commençaient à fleurir. La salle de musculation a été démontée, l’atelier couture suspendu.
Malgré l’impermanence du lieu, c’est l’expérience qui s’ancre. Alhassana en est persuadé, il milite pour qu’elle soit répliquée. Avec des thermos de thé à la menthe, des visseuses, des baby-foot. Et surtout, des gens qui y croient.
Climat, pollutions, écocide… l’humanité face aux défis d’une « nouvelle nature »
Jade Lindgaard
www.mediapart.fr/journal/ecologie/110625/climat-pollutions-ecocide-l-humanite-face-aux-defis-d-une-nouvelle-nature
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Dans un nouveau livre d’une folle créativité, l’anthropologue Anna Lowenhaupt Tsing renverse notre vision du monde et acte que nous ne pouvons plus nous intéresser aux questions des humains sans penser en même temps aux non-humains. Elle s’en explique en détail dans un entretien à Mediapart.
C’est un livre qui parle de la jacinthe d’eau, de cartes, de pluies, d’immobilier, de virus et d’océans. Il essaie de comprendre ce que les activités humaines font à la Terre, à quel point elles détruisent les espèces vivantes et polluent le moindre recoin de la planète. Mais il décrit aussi la force des sols qui se recomposent et des forêts qui repoussent quand on arrête de les inonder de produits chimiques et de les transformer en paysages industriels.
Dans Notre nouvelle nature. Guide de terrain de l’Anthropocène (éditions du Seuil, 498 pages), l’anthropologue états-unienne Anna Lowenhaupt Tsing livre un fascinant travail de terrain, conduit avec toute une équipe de chercheuses et chercheurs, dont ses trois coautrices Jennifer Deger, Alder Keleman Saxena, Feifei Zhou. Il prend la forme à la fois de récits de voyage en terres polluées et d’un guide pratique : comment faire pour comprendre ce nouveau monde que les humains ont fabriqué ? Comment arrêter l’infernale machine de la destruction des conditions de vie, humaines et non humaines ?
Il y a beaucoup d’exemples dans cet ouvrage, précieusement recueillis comme autant d’indices pour élucider le crime de la destruction du monde. Il se veut un outil de formation pour que la lectrice, le lecteur, sorte à son tour de son domicile et parte enquêter sur les transformations de son milieu de vie : les conséquences d’une nouvelle autoroute, d’un projet de data center, d’un entrepôt logistique, de la destruction d’un potager urbain ou de la mise en coupe d’une forêt.
Mais ce livre plein de vie, de sensibilité et d’énergie demande un petit effort : celui de comprendre et d’accepter des notions théoriques que ces autrices ont rapportées de leur travail de terrain. Nous vivons selon Anna Lowenhaupt Tsing dans une « nouvelle nature » où « l’activité humaine a pris tellement de place qu’il est devenu très difficile de trouver des endroits qu’elle n’a pas impactés ». Elle propose de l’expliquer en parlant de « féralité », pour parler « des choses créées en interaction avec les projets des humains mais sans pouvoir être contrôlés par eux » : « Si je prends l’exemple d’un cochon, c’est un animal domestique. S’il s’échappe d’une ferme et part vivre dans la forêt, il ne devient pas vraiment sauvage pour autant. Il est entre l’état domestique et l’état sauvage. Il devient “féral” », explique-t-elle.
Ce ne sont pas que des formules. C’est une vraie tentative de bousculer la représentation du monde encore profondément ancrée dans nos esprits : l’idée que les affaires des humains sont séparées de celles de la nature. C’est pourtant une grave illusion dont il faut se libérer pour arrêter l’écocide en cours, qui menace tout autant les animaux et les plantes que les humains. Anna Lowenhaupt Tsing s’en explique dans cet entretien.
Mediapart : Ce livre est né d’un projet d’atlas en ligne, le « Feral Atlas », que vous avez lancé avec d’autres chercheuses et chercheurs pour donner à voir, en textes et en dessins, ce qu’on appelle l’anthropocène, cette époque que nous vivons caractérisée par les impacts massifs et irréversibles des activités humaines sur les écosystèmes. Que cherchez-vous à comprendre ?
Anna Lowenhaupt Tsing : C’est un projet numérique avec des histoires racontées par des chercheurs en sciences naturelles et en sciences sociales. L’anthropocène est cette situation où les activités humaines ont tellement impacté la vie, la géologie et la chimie de la terre que nous ne pouvons plus penser l’histoire humaine sans la relier à celle de la nature. C’est que nous appelons « féral » pour parler des choses créées en interaction avec les projets des humains mais sans pouvoir être contrôlés par eux. Si je prends l’exemple d’un cochon, c’est un animal domestique. S’il s’échappe d’une ferme et part vivre dans la forêt, il ne devient pas vraiment sauvage pour autant. Il est entre l’état domestique et l’état sauvage. Il devient « féral ». Un bon exemple d’élément féral est le dioxyde de carbone : il est créé par la combustion des énergies fossiles [pétrole, gaz, charbon – ndlr] extraites par les humains, et se retrouve à polluer l’air et à dérégler le climat. Le CO2, né des activités humaines, échappe ensuite au contrôle des humains.
Pourquoi cette idée de « féral » est-elle si importante selon vous pour comprendre l’anthropocène ?
Je crois que certaines personnes, notamment parmi les chercheurs, continuent de penser que les humains contrôlent la situation. Alors que ce n’est pas du tout le cas. Les non-humains – qu’il s’agisse de la végétation, d’un virus, d’une particule de CO2, d’un champignon ou du coléoptère rouge de la térébenthine dont nous parlons en début d’ouvrage et qui ravage aujourd’hui des forêts en Chine – échappent au contrôle des humains et agissent indépendamment d’eux. Parfois, c’est génial : comme lorsqu’une forêt repousse après que des arbres ont été abattus. Et parfois, c’est terrible, quand une substance toxique s’échappe d’une usine et contamine tout ce qui se trouve autour. Donc parler de « féralité », c’est une manière de dire qu’on ne peut plus imaginer les mondes humains et non humains séparément. Il faut les penser ensemble.
Vous écrivez que ces interactions entre humains et non-humains ont créé une « nouvelle nature ». Que voulez-vous dire ?
L’activité humaine a pris tellement de place qu’il est devenu très difficile de trouver des endroits qu’elle n’a pas modifiés. La nature entremêlée des humains et des non-humains crée de la « féralité », et cela constitue l’anthropocène. Le mot « nature » a été très critiqué, mais je pense qu’il ne faut pas jeter les mots à la poubelle même s’ils sont contaminés. Si nous laissons tomber tous les mots pollués par leurs usages, il ne nous en restera plus. Je préfère les garder et les revitaliser.
Dans mon précédent livre, Le Champignon de la fin du monde, j’avais étudié le champignon matsutaké, dont la particularité est de pousser dans les forêts qui ont été surexploitées par les humains. Au Japon, on le trouvait dans des forêts villageoises créées involontairement par l’abattage d’arbres. C’est déjà un effet « féral », une création non contrôlée de l’interaction de la forêt avec les humains. Ce qui est intéressant avec cet exemple, c’est qu’on n’arrive pas à cultiver ce champignon en dépit de tous les efforts déployés. Il est un effet secondaire de l’évolution de certains environnements.
Un des pires défauts de la vision à l’échelle planétaire, c’est qu’elle fait disparaître la question des injustices sociales.
Je mène aujourd’hui une nouvelle recherche en Papouasie indonésienne sur les effets d’infrastructures qui assèchent des zones humides. C’est très intéressant pour moi de revenir sur le terrain en ayant en tête ce que nous a appris le travail sur l’atlas féral. J’aime suivre ce que les gens disent et me montrent sur le terrain : les inondations causées par ces infrastructures, la dépossession des peuples autochtones causée par l’expulsion des plantes et des animaux d’où ils tirent leur subsistance. Sur le terrain, cette « nouvelle nature » prend des formes que je n’aurais pu prédire.
À partir de ce travail de terrain, vous proposez de voir l’anthropocène comme une accumulation de « patchs* », c’est-à-dire des endroits un peu partout dans le monde, des fragments de territoires mis bout à bout, plutôt que comme un phénomène global qui explique en surplomb les bouleversements du monde. Pourquoi ?
À la première conférence à laquelle je suis allée sur le changement climatique, un scientifique a montré un planisphère et prétendu qu’il pouvait partir de chiffres planétaires pour savoir ce qui allait se passer à tel ou tel endroit. Mais ce n’est pas possible ! Les effets ne peuvent pas être les mêmes dans un canton suisse ou en Indonésie.
Nous proposons donc de procéder exactement à l’inverse de lui : et de regarder tous ces patchs où humains et non-humains font des trucs ensemble. En les reliant les uns aux autres, on pourrait donner une vision de la planète comme un puzzle de plein de petits patchs, plutôt qu’un planisphère homogène. Cela permet de voir l’hétérogénéité des situations. Il n’y a pas que « le » changement climatique. Il y a plein d’épreuves différentes pour l’environnement.
Que cela change-t-il à la compréhension de ce qu’il se passe ?
Un des pires défauts de la vision à l’échelle planétaire, c’est qu’elle fait disparaître la question des injustices sociales. Alors que si vous travaillez à une petite échelle, vous ne pouvez pas ignorer à quel point les problèmes sociaux et environnementaux sont intrinsèquement liés.
Pourtant, cette petite échelle a le défaut de faire passer des situations locales pour secondaires ou anecdotiques : qu’est-ce que tel projet d’autoroute ou tel aéroport peut bien changer à l’immensité du dérèglement climatique ?
C’est un problème terriblement important. Si l’on veut comprendre les implications de ce que j’appelle les « effets féraux », mais on peut aussi parler de dynamiques écologiques et d’enjeux sociaux, le patch est la bonne unité d’action, que l’on soit responsable politique ou militant. C’est là que se produisent ces dynamiques. C’est là que les histoires humaines et non humaines se rencontrent pour créer des situations bizarres. Par ailleurs, le refus des États de reconnaître l’hétérogénéité des situations et la spécificité de ce qui se passe quelque part a été la cause d’innombrables problèmes à travers le monde. Le désir de formater les nations afin que chaque recoin ressemble à l’autre est en soi une énorme cause de problèmes sociaux et environnementaux.
Les luttes en France me réjouissent beaucoup. C’est incroyablement inspirant.
L’endroit où je travaille en ce moment en Papouasie, l’État a voulu l’intégrer au reste de la nation indonésienne en y envoyant des colons, en réorganisant complètement le territoire pour qu’il ressemble au reste de l’Indonésie. Cela dépossède les peuples autochtones, tue les systèmes écologiques. Un lieu d’une incroyable richesse écologique est en train d’être détruit au nom de l’intégration à la nation.
C’est une vision que portent depuis de longues années en France les personnes qui s’opposent à des projets d’aménagement décrits comme écocidaires : contre l’A69, les mégabassines, les entrepôts logistiques, etc. Mais elles sont aussi beaucoup critiquées pour cela.
Toutes ces luttes me réjouissent beaucoup. La France est un pays où des gens ont une approche d’écologie radicale qui leur permettent de dire que telle zone, tel territoire, doit être compris en lien avec les personnes qui y vivent et avec les non-humains qui y vivent également. C’est incroyablement inspirant.
Trop souvent les infrastructures routières ou d’aménagement sont présentées comme des solutions aux problèmes humains alors qu’elles ne le sont que si vous ignorez leurs effets « féraux ». Si vous prenez en compte la création de cette « nouvelle nature », ces prétendues solutions apparaissent comme bien pires que les problèmes qu’elles sont censées régler.
Pensez-vous que ces patchs de l’anthropocène, ces fragments de territoire, pourraient être une échelle pertinente d’organisation politique ?
Ce serait une erreur d’imaginer ces patchs comme des entités autonomes et séparées les unes des autres. Mais quand les phénomènes qui s’y passent débordent, ils ont un potentiel pour faire quelque chose contre la destruction généralisée.
J’ai découvert la politique au moment où le potentiel des coalitions de mouvements sociaux était prometteur. Je pense toujours que c’est la meilleure manière d’avancer. En 1999, c’était il y a longtemps, il y a eu une grande mobilisation à Seattle [État de Washington – ndlr] contre l’Organisation mondiale du commerce, et le slogan était « les routiers avec les tortues » [« Teamsters and Turtles » – ndlr], parce que les syndicats de travailleurs et les mouvements écologistes s’étaient alliés pour un bref moment.
Il ne s’agissait pas de demander aux syndicats de se focaliser sur les sujets écologiques ni aux écolos de se concentrer sur les questions sociales, mais de montrer qu’au-delà de leurs différences ils pouvaient faire des choses ensemble. En Indonésie à la fin du XXe siècle, un régime autoritaire a été renversé parce que des personnes travaillant dans des espaces différents (droits humains, écologie, justice sociale, religion, culture…) ont dépassé ces différences pour avancer ensemble.
Il y a eu un autre moment important de coalition de mouvements aux États-Unis il y a quelques années : c’était autour de la défense de l’eau contre un projet d’oléoduc à Standing Rock. Les travaux n’avaient pas encore commencé mais les peuples autochtones se sont organisés. Ils savaient que les terres et les eaux seraient polluées. Cela a créé une vaste mobilisation : malgré d’énormes différences, des gens sont venus participer à la mobilisation. Des personnes se sont littéralement dressées contre ces projets.
Aujourd’hui, aux États-Unis, je crois que pas mal de gens sont simplement hébétés par ce qui se passe. Abasourdis. Alors que les États-Unis pourraient devenir un régime autoritaire, nous allons avoir besoin de coalitions de gens qui travaillent sur l’immigration, les droits civiques, l’écologie, la santé… si nous ne pouvons pas organiser ce type de coalition, nous allons être très mal.