Catastrophes naturelles : ouragans et inondations font flamber la facture des assureurs
AFP
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Sous l’influence toujours plus grande du changement climatique, les désastres climatiques ont causé 293 milliards d’euros de pertes économiques dans le monde en 2024, a estimé jeudi 5 décembre l’assureur des assureurs Swiss Re.
Au cours d’une année qui devrait s’avérer la plus chaude jamais enregistrée, les catastrophes naturelles ont causé des pertes économiques de 310 milliards de dollars (293 milliards d’euros) dans le monde, sous l’influence toujours plus grande du changement climatique, a estimé Swiss Re jeudi 5 décembre dans un communiqué. Ce montant est en hausse de 6 % par rapport à l’année dernière, a précisé le groupe suisse, qui fait office d’assureur pour les assureurs.
Les dommages couverts par les assureurs devraient pour leur part atteindre 135 milliards de dollars, en hausse de 17 % sur un an, les ouragans Hélène et Milton ayant fait grimper la facture, a indiqué le réassureur suisse. Les frais des assureurs pour les catastrophes naturelles dépassent ainsi la barre des 100 milliards de dollars «pour la cinquième année d’affilée», note Balz Grollimund, responsable de la couverture des catastrophes chez Swiss Re.
Rôle grandissant du changement climatique
Cette augmentation des frais est imputable en partie à la concentration d’actifs à assurer dans les zones urbaines et à la hausse des coûts de reconstruction mais «le changement climatique joue aussi un rôle grandissant», selon lui. A partir des mesures de l’Organisation météorologique mondiale de l’ONU, l’assureur précise qu’avec une température moyenne mondiale qui dépasse «de 1,54°C les niveaux préindustriels, 2024 est en passe de devenir l’année la plus chaude jamais enregistrée». Or «un réchauffement du climat favorise la survenue de beaucoup des catastrophes naturelles observées en 2024», poursuit le géant de la réassurance, qui cite notamment les inondations.
Ces températures mesurées entre janvier et septembre dépassent temporairement l’objectif de l’Accord de Paris, sous l’effet, entre autres, d’un épisode El Niño qui favorise une augmentation des températures. En novembre déjà, le service européen Copernicus estimait même «probable» que le réchauffement ait dépassé 1,55°C sur l’ensemble de l’année 2024. Une autre étude affirmait quant à elle que les activités humaines ont déjà causé un réchauffement climatique de 1,49°C.
D’après les premières estimations de Swiss Re, les pertes couvertes pour les ouragans Hélène et Milton qui ont touché la Floride fin septembre et début octobre se situent pour l’instant sous la barre des 50 milliards de dollars. Son concurrent allemand, Munich Re, a également récemment publié une estimation pour les ouragans dans le nord de l’Atlantique et typhons dans le nord-ouest du Pacifique, évoquant une saison cyclonique tropicale «exceptionnelle» avec des pertes totales de 133 milliards de dollars, dont 51 milliards couverts par les assureurs.
13 milliards de dollars à l’eau
Les ouragans dans l’Atlantique Nord sont traditionnellement les catastrophes les plus coûteuses pour les assureurs, mais depuis plusieurs années Swiss Re ne cesse d’avertir que les frais pour les autres catastrophes comme les inondations ou tempêtes de grêle, sont en constante augmentation. Depuis janvier, les pertes assurées pour les inondations se chiffrent à près de 13 milliards de dollars. Il s’agit de la troisième année la plus coûteuse pour des inondations au niveau mondial et de la deuxième la plus coûteuse en Europe, selon Swiss Re.
Parmi les inondations qui ont engendré d’importants frais pour les assureurs, le groupe suisse cite les intenses précipitations en avril dans qui ont notamment perturbé l’aéroport de Dubaï, le plus gros aéroport au monde.
L’année 2024 a également été marquée par la tempête Boris en septembre, qui a touché la République tchèque, la Pologne et l’Autriche mais aussi la Slovaquie, la Roumanie, l’Italie et la Croatie, puis par les inondations meurtrières en Espagne en octobre.
«Les pertes sont susceptibles d’augmenter dans la mesure où le changement climatique intensifie les événements météorologiques extrêmes», prévient le réassureur. Le groupe suisse préconise de mettre en place des mesures de protection comme des digues, barrages et écluses, soulignant que ces mesures peuvent être «jusqu’à dix fois plus efficaces en termes de coûts que de reconstruire».
Marine Calmet : « Les actions criminelles pour notre avenir sont légales aujourd’hui »
Hervé Kempf
https://reporterre.net/Marine-Calmet-Les-actions-criminelles-pour-notre-avenir-sont-legales-aujourd-hui
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La nature doit être protégée par des droits fondamentaux, comme les humains, plaide la juriste en droit de l’environnement Marine Calmet. En ce sens, inspirons-nous des peuples autochtones, appelle-t-elle.
Marine Calmet est juriste et spécialiste des droits de la nature. Elle préside l’association Wild Legal et vient de publier Décoloniser le droit (éd. Wild Project).
Reporterre — Vous êtes engagée pour la reconnaissance des droits de la nature. Comment définissez-vous ce mouvement ?
Marine Calmet — C’est un mouvement juridique mondial qui allie une nouvelle perspective en termes d’éthique environnementale et un nouveau concept de hiérarchie juridique. Il s’agit de faire reconnaître que la nature est l’ensemble des entités qui composent une communauté de vie. Elle est sujet de droit, mais aussi titulaire de droits fondamentaux qui lui sont propres. Il s’agit donc de reconstruire un édifice juridique sur la base d’une coexistence avec les autres êtres vivants et de faire en sorte que nos droits et nos libertés cessent d’écraser le monde vivant.
Nos droits à nous, les humains ?
Oui, puisqu’aujourd’hui nous sommes les seuls êtres titulaires de droits fondamentaux. D’ailleurs, cela a pris énormément de temps pour que tous les êtres humains puissent bénéficier de la qualité de sujet. Christopher Stone, un des fondateurs du mouvement des droits de la nature, rappelle que le statut des esclaves noirs a longtemps été celui de bien possédé, que dans le droit romain les enfants étaient la propriété du père, et qu’il a fallu un temps extrêmement long pour reconnaître des droits aux femmes.
Dans Décoloniser le droit, vous rappelez la grande division dans le droit romain entre les êtres humains et les choses.
C’est la summa divisio. Il y a d’un côté la catégorie des personnes : les êtres humains, les personnes physiques et, ce qui est venu bien plus tard, les fictions juridiques que sont les personnes morales, les entreprises, les associations. Et il y a l’ensemble du reste du vivant, les objets, les choses, les services écosystémiques, la marchandise, les ressources dont nous avons banalisé l’usage, l’exploitation et la destruction.
C’est un regard binaire sur le monde : soit les personnes, soit les choses. En parlant de « choses », nous les objectivons et leur enlevons la qualité de sujet. Je tire un parallèle avec la colonisation française, parce qu’elle est une négation de l’autre. Les colons sont arrivés dans les pays colonisés, notamment en Guyane française, avec l’idée qu’il n’y avait personne, et ils se sont approprié la terre. Le lien avec les droits de la nature est évident parce que nous, êtres humains, nions l’existence des autres et pourtant nous habitons cette terre avec eux.
Les droits de la nature sont le droit des non-humains. Que signifie par exemple le droit d’un fleuve ?
La reconnaissance de personnalité juridique des fleuves, des forêts ou des montagnes prend des formes très diverses. Il y a une richesse et une profondeur d’analyse, une adaptation du droit qu’on ne retrouve pas dans le droit occidental. Dans les droits de la nature, on se place dans la position subjective d’un fleuve dont il faut connaître l’histoire. En Nouvelle-Zélande, par exemple, le fleuve Whanganui a certains droits qui sont protégés par les peuples maoris. Là où, en Colombie, le fleuve Atrato a été reconnu sujet de droit, titulaire de droits différents et défendus différemment par d’autres cultures.
Un fleuve est une communauté de vie. Il est composé d’eau, mais aussi de berges, de ripisylve, de tout un tas d’êtres qui vivent avec et dans lui. Cette communauté de vie est une personne morale, juridique, un groupement d’êtres. Et celui-ci est titulaire de droits à l’existence, à la santé, à la régénération de ses cycles de vie. De la même manière qu’on pense une entreprise non pas comme une personne unique mais comme un ensemble de personnes agissant dans un intérêt commun, partageant les dettes, les avantages, les bénéfices et les pertes. La nature, c’est pareil. Nous partageons les pertes et les bénéfices, mais sans nous en rendre compte, parce que cette interdépendance avec le vivant a été invisibilisée. Pourtant, elle est là.
Cette société que nous formons avec le vivant doit désormais être titulaire d’une personnalité propre et bénéficier d’une protection de droits fondamentaux. Le mouvement des droits de la nature ne fait pas de distinction entre droits humains et droits de la nature.
En quoi certains usages d’un fleuve, comme l’extraction de l’or pour fabriquer des bijoux, sont-ils moins légitimes que ceux qu’en ont les communautés qui vivent directement du fleuve ?
En Équateur, premier pays à reconnaître officiellement les droits de la nature dans sa Constitution en 2008, le juge apprécie les activités au regard de la légitimité. Celle-ci est définie comme ce qui est fondamentalement utile à l’être humain pour sa survie, pour la couverture de ses besoins essentiels, l’alimentation notamment, et qui entre en concurrence avec les droits de la communauté. Il peut effectivement y avoir violation des droits de la nature, mais pour un intérêt légitime. C’est une histoire de compromis.
En revanche, lorsqu’il s’agit d’un besoin non essentiel, non vital, purement spéculatif et qui a pour conséquence une destruction massive de la nature, le juge dit qu’il y a incompatibilité sur le plan constitutionnel.
Les juges ont ainsi la capacité d’apprécier la légitimité de l’intrusion dans les droits d’une communauté vivante pour des besoins qui sont souvent des intérêts corporatistes, capitalistes, industrialisés et qui n’ont, au regard des besoins propres des communautés locales, aucune légitimité. Pour chaque cas, il y a une recherche d’un modèle de gouvernance au plus proche de l’histoire des besoins de l’identité locale.
N’y a-t-il pas une contradiction entre l’approche de l’anthropologue Philippe Descola, pour qui la nature est une invention de la modernité occidentale au XVIIᵉ siècle, et la vôtre, qui insiste sur le concept de nature à laquelle il faut donner un droit ?
Le mouvement des droits de la nature est extrêmement divers. À tel point qu’il y a beaucoup de territoires où les initiatives de ce qu’on appelle le « mouvement des droits de la nature » ne prennent pas cette dénomination. En Équateur, on parle des droits de la Terre-Mère, de la Pachamama. Cela incarne quelque chose de radicalement différent, à la fois d’un point de vue de la culture occidentale, mais aussi d’un point de vue de la cosmovision.
En Inde par exemple, Vandana Shiva utilise le terme de « Mother Earth » et parle de familles vivantes et de communautés vivantes. Cette pensée irrigue le mouvement des droits à la nature. En Europe, nous avons fait le pari de continuer à utiliser le terme de « nature » parce que nous n’avons pas de référentiel qui nous amènerait à sortir par un autre mot de la question de la « nature » versus la « culture ».
Est-ce que Gaïa pourrait être ce référentiel, comme le suggère le sociologue Bruno Latour ?
C’est peut-être une question générationnelle, mais j’utilise peu ce terme. En revanche, je suis très friande de la pensée de Glenn Albrecht [un philosophe de l’environnement] et de sa théorie selon laquelle il faut inventer de nouveaux mots. À défaut d’avoir un mot, nous utilisons celui de « nature » dans le mouvement des droits de la nature.
En tant que juriste, nous nous demandons quelle sera la stratégie. Les droits de la nature ont connu deux chemins stratégiques : soit une reconnaissance globale, comme les droits de la Terre-Mère, la Pachamama en Équateur, soit une représentation et une reconnaissance locale, tels que les droits du Whanganui, de la rivière Yamuna et du glacier Gangotri en Inde. En France, la question est de savoir si la nature sera reconnue comme un sujet de droit titulaire des droits fondamentaux dans la Constitution. Ou cela se fera-t-il par paliers ? Pour l’instant dans notre pays, le mouvement se matérialise par la reconnaissance des droits de certaines forêts, de certains fleuves. Il y a des collectifs sur la Durance, la Garonne, la Seine.
Stratégiquement, cela commencera probablement par ces tentatives locales. L’idée n’est pas de séparer l’humain de son milieu ou de séparer l’humain et la nature, mais de penser les milieux. C’est ce que font la plupart des activistes et des militants sur le terrain, ils pensent à partir de leur milieu.
Chez les peuples autochtones, il y a souvent des chamanes qui sont des intermédiaires entre la communauté des humains et celle des autres êtres vivants. Nos chamanes à nous, ce sont les scientifiques, celles et ceux qui, en s’appuyant sur une méthode, expriment de façon occidentale les besoins de la nature et nous permettent de comprendre le fonctionnement, les interactions des écosystèmes et des entités qui nous entourent. Sauf que nous, nous n’écoutons pas nos chamanes…
Non, pas du tout. Enfin, certains ne veulent pas les écouter. Parce que beaucoup de gens ont besoin de science et sont alertés par les faits scientifiques. Mais ceux qui nous gouvernent n’en tirent pas l’application qu’ils devraient. La place des chamanes dans un village traditionnel autochtone est très importante, il fait cohabiter les humains avec les autres humains, que ce soient les générations passées, les morts, les générations à venir, mais aussi les humains et les non-humains.
Dans notre société, les scientifiques alertent et essayent de faire le lien entre ce qu’ils observent, ce qu’ils calculent, comme les modifications de notre climat, l’effondrement de la biodiversité, et nous. Or, les alertes des scientifiques ne sont pas écoutées et les représentants politiques font le choix du scénario catastrophe. Il y a une réelle urgence à revoir notre modèle juridique. Parce que les actions qui sont criminelles pour notre avenir sont parfaitement légales aujourd’hui. Nous n’avons pas les outils juridiques pour faire face.
Ne sommes-nous pas démunis face à cette puissance destructrice de gens qui n’entendent rien et n’écoutent pas les scientifiques ?
Effectivement, nous perdons une bataille. Aussi parce qu’il y a une remise en question de nos modèles démocratiques, une montée des extrêmes, une banalisation de la violence et de plus en plus de phénomènes politiques qui vont à l’encontre de nos intérêts humains et de la protection du vivant. C’est parce que la bataille politique est en train d’être perdue que je crois au mouvement des droits de la nature. Au lieu de vouloir fournir une réponse globale, les initiatives locales vont montrer de nouvelles voies et construire des alternatives. Je suis très inspirée de Vandana Shiva qui dit que plus nous pensons à l’échelle globale, plus nous nous démunissons de notre capacité d’action.
Sur le plan juridique, quel changement faut-il opérer ?
Le droit actuel conçoit un modèle dans lequel il est possible de détruire encore et encore. Il faut chercher à concevoir un modèle dans lequel tuer, détruire et piller n’est plus tolérable, dans lequel l’existence est protégée et garantie. Transmettre aux générations futures est l’alpha et l’oméga.
Non seulement nous savons le faire juridiquement, puisque cela a déjà été fait par des générations de peuples autochtones, et, en plus, c’est notre seul outil concevable pour protéger nos droits fondamentaux. Il ne s’agit pas de penser un retour à d’autres droits qui seraient totalement différents du nôtre, mais de s’inspirer des droits des peuples autochtones pour en faire une transition radicale au service de ce que l’on appelle la « transition écologique ».
Petit inventaire des stratégies gagnantes dans les luttes écologistes
Matthieu Goar
www.lemonde.fr/planete/article/2024/12/05/petit-inventaire-des-strategies-gagnantes-dans-les-luttes-ecologistes_6431664_3244.html
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Une étude commanditée par le collectif Terres de lutte analyse les ressorts de 162 mobilisations locales victorieuses à travers le pays pour en comprendre les points communs.
Quels sont les points communs entre les luttes écologistes victorieuses ? Alors que les tribunaux administratifs continuent à se pencher sur les autorisations environnementales de l’autoroute A69 entre Castres et Toulouse ou sur les multiples projets de mégabassines, le collectif Terres de luttes et la revue écologiste Silence publient, mercredi 4 décembre, une étude balayant 162 mobilisations depuis dix ans. Un document qui s’appuie sur des dizaines d’entretiens avec des activistes qui se sont opposés, pêle-mêle, à l’installation de nouvelles routes, de méthaniseurs, d’hypermarchés, de golfs ou de surfparks. « La majorité d’entre eux sont des néomilitants, mais il y a une politisation qui se crée au fur et à mesure du combat. Beaucoup des collectifs qui se sont déployés en Occitanie ont ainsi rejoint la lutte contre l’A69 », estime Gaëtan Renaud, chargé de l’enquête et lui-même adhérent de Terre de luttes.
Si le document est un plaidoyer pro domo qui affirme, par exemple, que ce « mouvement social a désormais bien conscience de lui-même, et que ses victoires contribuent à la structuration des prémisses d’un réseau décentralisé », il décrit néanmoins des convergences intéressantes. Si la majorité des luttes n’aboutissent pas à l’annulation d’un projet ou son déménagement (plus de 600 conflits sont recensés par le site Reporterre), ces 162 combats victorieux ont des points communs.
Dans 54 % de ces conflits, le collectif à la manœuvre est né avec cette lutte. Il s’agit donc d’une initiative ancrée localement. Seulement 16,1 % s’appuient sur une association locale antérieure et à peine 9, 7 % sur une association nationale ou régionale. Ainsi, en janvier 2019, dans le village de Fournès (Gard), deux habitants avaient été intrigués lors des vœux municipaux par le projet d’un « hangar à camions » devant s’implanter à 200 mètres du village. Au bout de plusieurs années, l’Association pour le développement de l’emploi dans le respect de l’environnement (Adere) avait réussi à faire reculer Amazon, dissimulé derrière le promoteur Argan. « A la base, ce sont souvent des gens très différents qui se rencontrent, un pharmacien, une éducatrice sportive, un bûcheron pour défendre un lieu. Après il faut aussi des apports extérieurs, car les projets peuvent être d’une grande technicité », poursuit M. Renaud.
« Jongler entre les modes d’action »
Que ce soit pour lancer des recours juridiques, pour décrypter les promesses de retombées économiques ou pour mettre en lumière les dégâts environnementaux, le besoin de bénéficier d’expertises pointues est un des autres traits caractéristiques. Ainsi, lors du conflit contre la « Montagne d’or » en Guyane, les opposants avaient pu échanger avec des anciens salariés de l’entreprise SystExt, spécialisée dans l’extraction.
« Il y a souvent la nécessité de faire appel à des ressources extérieures comme des associations de référence, telle France Nature Environnement, analyse Gaëlle Ronsin, maîtresse de conférences en sociologie et chercheuse à l’Ecole normale supérieure, autrice d’un article très complet publié dans la revue VertiGo en mars (“Sociohistoire des victoires contre les infrastructures écocidaires”). Lorsque l’on se penche sur ces conflits, on s’aperçoit aussi qu’il y a ensuite une multitude de moyens d’action différents… »
Car ces éclairages viendront ensuite renforcer les tactiques de mobilisation. Recours juridiques (dans 80 % des cas), manifestations, pétitions, médiatisation, enquêtes publiques… Ces tactiques sont variables en fonction du moment de l’action et du contexte local. « Jongler entre les modes d’action pour tenir sur la durée est une stratégie quasi toujours observée », décrit ce document qui cite la publication d’une analyse naturaliste juste après une mobilisation dans le Rhône contre l’autoroute A45, un projet abandonné en 2018, ou une occupation de terrain après le dépôt du recours juridique contre des bassines à La Clusaz (Haute-Savoie). Des stratégies qui ne dédaignent par une certaine dose de cynisme, comme lorsque les opposants au poulailler industriel de Langoëlan (Morbihan) avaient attendu le dernier moment pour diffuser une étude sur la présence de l’escargot de Quimper, espèce protégée. Ou quand les adversaires du projet de l’A45 n’avaient pas démenti un article du Progrès qui prédisait l’installation d’une zone à défendre (ZAD), une hypothèse qui avait contribué à fortement médiatiser cette actualité.
Sur ces 162 luttes victorieuses, les auteurs ne recensent d’ailleurs que quatre ZAD, notamment celle de Notre-Dame-des-Landes. Mais des blocages de sites ont eu lieu dans 30 % des cas, et Terres de luttes prône « l’art de maintenir une menace sans jamais l’expliciter ». Une ambiguïté et un flou très souvent utilisés par des collectifs comme les Soulèvements de la Terre, qui n’appellent pas clairement à la violence contre les biens, préférant par exemple évoquer un « désarmement ». Parmi ces centaines de victoires, certaines ne sont aussi très souvent que « partielles » puisque les infrastructures peuvent aller s’installer ailleurs ou changer de porteurs de projet. Dans le Gard, les opposants à Amazon ont dû remonter au créneau au début de l’année lorsqu’ils ont appris qu’un nouveau projet de plateforme logistique de 37 000 mètres carrés était prévu. « Il ne se passait pas rien avant et il n’y a pas forcément plus de conflictualité maintenant, mais il y a une plus grande visibilisation des luttes et aussi un renforcement du droit de l’environnement », conclut Mme Ronsin.
Jean Pisani-Ferry : « Pourquoi vivons-nous une telle contradiction entre l’universalité des problèmes et la fragmentation des réponses ? »
Antoine Reverchon
www.lemonde.fr/idees/article/2024/12/06/jean-pisani-ferry-pourquoi-vivons-nous-une-telle-contradiction-entre-l-universalite-des-problemes-et-la-fragmentation-des-reponses_6433443_3232.html
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L’économiste propose, dans un entretien au « Monde », de « nouvelles règles du jeu » qui permettraient de gérer de façon coopérative les biens communs mondiaux.
« Jamais le monde n’a eu autant besoin d’inventer de nouvelles formes d’action collective, mais rarement cette entreprise a été aussi ardue », écrivent l’économiste Jean Pisani-Ferry et son coauteur, George Papaconstantinou, professeur d’économie politique internationale à l’Institut universitaire européen de Florence, dans l’introduction des Nouvelles règles du jeu. Comment éviter le chaos planétaire (Seuil, 144 pages, 12,90 euros). Alors que les crises du climat et de la biodiversité, la transition énergétique, les migrations, l’essor de technologies disruptives comme l’intelligence artificielle… sont autant de défis communs à toutes les sociétés humaines et aux Etats qui les gouvernent, la fragmentation géopolitique et les replis sur les égoïsmes communautaires – nationaux, religieux, sociaux – éloignent de plus en plus la possibilité de coopérer pour gérer les biens communs mondiaux.
Mais Jean Pisani-Ferry est un économiste optimiste. Enseignant à Sciences Po, chercheur associé à l’institut Bruegel, à Bruxelles, et au Peterson Institute for International Economics, à Washington, il pense que la connaissance des faits réels permet de trouver des solutions raisonnables et de les mettre en œuvre. Du moins, il l’espère…
Avec la seconde élection de Donald Trump, la montée des extrêmes droites dans les démocraties, la guerre en Ukraine, le clivage entre pays du Nord et du Sud sur le climat… le « chaos planétaire » n’est-il pas en train de s’installer ?
Il y a en effet aujourd’hui peu de raisons d’être optimiste, et il est d’autant plus urgent de comprendre pourquoi nous vivons une telle contradiction entre l’universalité des problèmes et la fragmentation des réponses. Les institutions de la coopération internationale, qu’elles soient politiques – comme l’ONU et ses agences – ou économiques et financières – comme le Fonds monétaire international (FMI), la Banque mondiale, l’Organisation mondiale du commerce –, ont été créées après-guerre pour gérer les problèmes de cette époque : la reconstruction, le développement économique et la stabilité du système financier ainsi que du commerce international.
Mais, depuis, de nouveaux défis communs sont apparus : le réchauffement climatique, les pandémies, la raréfaction de ressources stratégiques, la révolution des technologies de l’information ou encore l’ambition chinoise d’imposer un nouveau leadership mondial. Il est normal que ces institutions ne puissent répondre, en l’état, à ces nouveaux défis. Il faut les faire évoluer, ou en créer de nouvelles.
Vous proposez une analyse des mécanismes de la coopération internationale selon trois approches. Quelles sont-elles ?
La coopération entre Etats peut s’appuyer sur des règles et des accords d’ordre juridique ; mais aussi sur des intérêts économiques partagés qui incitent à coopérer ; enfin sur des rapports de force politiques. C’est en partant de ces trois approches et de leur combinaison que l’on peut tout aussi bien comprendre l’état des coopérations existantes que proposer de nouvelles modalités de coopération dans les domaines où celles-ci sont en échec ou insuffisantes.
Par exemple ?
Nous examinons dans le livre neuf champs de coopération : le climat, la santé publique, le numérique, le commerce international, la stabilité financière, les migrations, la concurrence, la réglementation bancaire et la fiscalité. L’analyse permet de montrer ce qui marche ou ce qui ne marche pas, et donc d’en tirer des leçons pour la gouvernance mondiale.
Comment comprendre, par exemple, qu’il n’y ait pas eu de programme de vaccination mondiale contre l’épidémie de Covid-19, alors que, selon les calculs du FMI, ce programme, d’un coût de 50 milliards de dollars [47,5 milliards d’euros], aurait rapporté 9 000 milliards [de dollars] à l’économie mondiale, dont 1 000 milliards [de dollars] de recettes aux budgets publics ? Le G7 est passé à côté d’un des investissements publics les plus rentables de l’histoire, économiquement comme politiquement. Pourquoi ? Par pusillanimité, mais aussi parce que l’institution internationale qui détient l’information, l’OMS, est dramatiquement dépourvue de moyens : ce sont les Etats qui décident en fonction d’autres considérations que le bien commun.
Mais on pourrait imaginer que, comme dans le cas de la régulation bancaire, une instance soit chargée de trouver des accords politiques de régulation (en l’espèce le G20), et que, d’autre part, une institution soit responsable de la mise en musique de cette intention politique (le Comité de Bâle, qui fédère les autorités de régulation bancaire des différents pays et vérifie si les réglementations nationales sont conformes aux standards fixés en commun).
La question du climat présente un autre modèle : une instance à base scientifique qui collecte les informations, les synthétise, compare les engagements à ce qui serait collectivement nécessaire (le GIEC), celle-ci est associée à une instance politique qui peut les négocier et les adopter (les COP).
A travers l’accord de Paris, la COP21 a réussi à créer un mécanisme coopératif visant la réduction des émissions de carbone, mais pas les modalités et le financement de ces mécanismes.
Quant à la question des migrations tout comme celle du numérique, hélas, les connaissances et le consensus scientifique ne sont incarnés dans aucune institution, il n’existe aucune instance politique pour négocier une réponse commune, ni aucune agence mondiale à même de programmer et de financer des solutions.
Existe-t-il une chance d’améliorer la gouvernance mondiale dans ces domaines ?
L’articulation de ces quatre niveaux – une institution scientifique indépendante apte à cristalliser l’état des savoirs, une instance de décision politique capable de fixer un cap commun, des dispositifs de vérification de la conformité des résultats individuels aux engagements pris, des mécanismes de financement à la hauteur des objectifs – est la « nouvelle règle du jeu » qu’il faudrait parvenir à établir pour relever les défis actuels.
Il faudrait pour cela que les Etats-Unis et l’Europe, qui sont l’origine des organes de coopération internationale dont on voit aujourd’hui les limites, acceptent de les réformer pour laisser plus de place aux Etats émergents et du Sud, parties prenantes indispensables à la gestion des biens communs mondiaux.
Les premiers doivent céder une part de leur pouvoir dans ces institutions. Et les seconds doivent sortir des postures : la Chine, par exemple, ne peut plus arguer de son statut de pays en développement pour refuser de participer aux efforts climatiques.
Mais lorsqu’on constate que la Chine et ses alliés entendent prendre le leadership politique du Sud global, n’y a-t-il pas un risque de voir les démocraties libérales s’affaiblir au bénéfice de gouvernements totalitaires ?
Bien sûr, ce risque existe. Mais ce n’est ni en tentant d’imposer nos préférences ni en nous repliant sur le pré carré des démocraties que nous résoudrons le problème : c’est en étant à l’écoute des préférences des autres, même si elles diffèrent des nôtres, et en recherchant par la négociation des solutions partagées aux problèmes communs. Il ne s’agit pas d’exporter la démocratie, mais de sauver la planète.
« Les Nouvelles Règles du jeu » : tirer les leçons du passé pour rester optimistes
Est-il encore possible d’entendre raison dans un monde qui sombre chaque jour un peu plus dans la division, les croyances idéologiques, la violence des arguments et des armes ? Le livre Les Nouvelles Règles du jeu. Comment éviter le chaos planétaire (Seuil, 144 pages, 12,90 euros) fait preuve d’un optimisme de la volonté qui tranche avec le sentiment dominant d’un naufrage de la raison. Exercice rare chez les économistes : les auteurs (l’un ancien ministre grec des finances, l’autre économiste) ne déplorent pas que les choses ne se passent pas selon les « règles » de la théorie économique, mais expliquent plus simplement que l’on pourrait faire mieux en tirant parti de ce qui se passe dans la réalité.
Ils font ainsi une description passionnante des mécanismes internationaux, souvent méconnus du public, qui régulent (ou tentent de réguler) ces « biens communs mondiaux » que sont la santé publique, le commerce international, le climat, la concurrence sur les marchés, les migrations, le système bancaire… Tirant les leçons des échecs et des succès (car il y en a) de ces différents modes de gouvernance, ils aboutissent à des prescriptions concrètes sur la façon d’organiser la coopération dans un monde non coopératif. Ce qui fait de ce livre une petite lumière vacillante dans cet automne bien lugubre.
« Les Nouvelles Règles du jeu. Comment éviter le chaos planétaire », George Papaconstantinou et Jean Pisani-Ferry, Seuil, 144 pages, 12,90 euros.
Coopérer dans un monde de conflits
La montée des partis nationalistes, des régimes autoritaires et des tensions entre grandes puissances va-t-elle faire dérailler tout espoir de réponse commune aux défis planétaires ?
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« Certains signes indiquent que le jeu de postures Nord-Sud se craquelle », par Sébastien Treyer, directeur général de l’Institut du développement durable et des relations internationales ;
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« Pourquoi vivons-nous une telle contradiction entre l’universalité des problèmes et la fragmentation des réponses ? », par l’économiste Jean Pisani-Ferry ;
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« La voix de la raison plaide en faveur d’une réforme de l’OMC », par Arancha Gonzalez, doyenne de la Paris School of International Affairs de Sciences Po et ancienne ministre des affaires étrangères espagnole (2020-2021).
Valentziako ilargia
Mikel Otero Gabirondo
www.argia.eus/argia-astekaria/2895/valentziako-ilargia
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Duela gutxi, larrialdi klimatikoa zertan zetzan galderaren aurrean, zientzialari batek erantzun bikain hau eman zuen: “Begira, larrialdi klimatikoa hauxe da, zure mugikorrean muturreko fenomeno meteorologikoei loturiko gero eta bideo gehiago ikusten dituzu, eta konturatzen zarenerako zu zeu zara gertakari horietako bat grabatzen ari zarena”. Lehorteak, suteak, uholdeak. Herenegun Indonesia edo Pakistan, atzo Kanada edo Australia, gaur Mediterraneoa, bihar…
Ezin esan alarma gorriak piztuak ez zeudenik. Urrutira joan gabe, 2023ko Klimaren egoera txostenean, komunitate zientifikoak zioen: “Denbora amaitu da, iragarpenen agerpena ikusten ari gara, eta sufrimenduzko eszena larriak gertatzen ari dira. Sartu garen dimentsio ezezagunaren beldur gara. Laster Parisko Akordioko 1,5 graduko helburuaren porrotaren lekuko izango gara”. Azken hori, esan eta gertatu. 2024a izango da 1,5 graduko berotze langa urte oso batez gainditzen den lehena.
Ondorioen aroan gaudela jakite hutsak, alabaina, ez gaitu prestatzen datorrenerako, zientifikoki egia denak ez baitu efektu politiko automatikorik. Horregatik, egunotan entzuten ari garen “nik esan nuen”, “nik abisatu nuen”, eta inplizituki doan “inork ez zidan kasurik egin” horiek ez dute ekarpen handiegirik egiten, esaten duenaren egoa puzteaz haratago. Aitzitik, larrialdi klimatikoari aurre egiteak neurri anitz eta, batzuetan, deserosoak eskatzen dituen neurrian, borroka politiko eta kultural asko gertatu eta irabazi behar dira.
Eta ez da erraza neurrien inguruko hierarkia egitea. Zein neurri hartu eta zein ordenetan. Gero eta gutxiago fidatzen naiz arazo konplexuak sinplifikatzeko joerarekin, “hau da egin behar dena lehendabizi” esaten duenarekin. Dagoeneko badakigu gauza asko egin ezean ez dugula arrakastarik izango. Prebentzioa, arintzea (isurien murrizketa) eta ondorioei egokitzapena, dena batera. Alerta sistemak erabili eta barneratu ezean, prebentzio kultura hedatu, larrialdien koordinazioa hobetu, lurralde eta hiri plangintza berrikusi, fosilak erretzeari utzi, berriztagarrietara trantsizioa egin, gertuko elikadura sustatu, garraio publikora jauzi egin, azpiegitura politika datorrenera egokitu edota kapitalaren logika hedakorrarekin amaitu ezean, ez dugu arrakastarik izango. Dena, denok eta dena aldi berean. Neurri bakar bat mespretxatu gabe. Eta, batez ere, neurri hobeak egon daitezkeen aitzakia ez erabilita eraginkorrak diren neurriak baztertzeko.