Articles du Vendredi : Sélection du 07 septembre 2018

« La démission fracassante de Nicolas Hulot est venue cristalliser le grand hiatus de cet été meurtrier »

Stéphane Foucart
www.lemonde.fr/idees/article/2018/09/01/la-demission-fracassante-de-nicolas-hulot-est-venue-cristalliser-le-grand-hiatus-de-cet-ete-meurtrier_5348938_3232.html

Face à l’effondrement, des alternatives au renoncement

Amelie Canonne, Global campaigner on Iconic projects 350.org ; Maxime Combes, économiste et militant pour la justice climatique (son blog sur Mediapart) ; Nicolas Haeringer, chargé de campagne pour 350.org (son blog sur Mediapart).
https://blogs.mediapart.fr/les-invites-de-mediapart/blog/060918/face-leffondrement-des-alternatives-au-renoncement

Jean Ziegler : «Les oligarchies financières détiennent le pouvoir, pas le ministre de l’Ecologie»

Cécile Bourgneuf
www.liberation.fr/debats/2018/09/01/jean-ziegler-les-oligarchies-financieres-detiennent-le-pouvoir-pas-le-ministre-de-l-ecologie_1675855

«Neurriak orain hartu behar dira; ezin dugu itxaron»

Iñaki Petxarroman
www.berria.eus/paperekoa/2004/003/001/2018-08-16/neurriak_orain_hartu_behar_dira_ezin_dugu_itxaron.htm

« La démission fracassante de Nicolas Hulot est venue cristalliser le grand hiatus de cet été meurtrier »

Stéphane Foucart
www.lemonde.fr/idees/article/2018/09/01/la-demission-fracassante-de-nicolas-hulot-est-venue-cristalliser-le-grand-hiatus-de-cet-ete-meurtrier_5348938_3232.html

Dans sa chronique, Stéphane Foucart, journaliste au « Monde », relève que lʼété a été marqué par une succession de catastrophes liées au dérèglement climatique mais aussi par lʼextinction de toute volonté politique de lutter contre ce phénomène.

 

Les « pierres de la faim » sont le nom parfois donné, dans le monde germanique, aux rochers qui apparaissent sur les berges des fleuves en cas dʼétiage sévère. Le retrait des eaux offre alors aux regards ces avertissements, gravés dans la roche, rappelant que, pendant de nombreux siècles, la sécheresse fut soeur de la famine.

Lʼagence Associated Press rapporte que le long de lʼElbe une dizaine de telles « pierres de la faim » sont réapparues ces dernières semaines, tant le niveau du fleuve est bas. Lʼune dʼelles, datée de lʼan 1616, indique, en allemand : « Pleurez si vous me voyez. »

Sʼil faut pleurer, ce nʼest pas tant pour déplorer la sécheresse qui frappe lʼAllemagne et une grande partie de lʼEurope, mais plutôt devant cette réalité : lʼété 2018 restera comme un moment de profond paradoxe, entre la manifestation, dans toute leur ampleur et leur brutalité, des catastrophes liées au dérèglement climatique et lʼextinction de facto de toute réelle volonté politique de lutter contre lui. En France, la démission fracassante de Nicolas Hulot, fin août, est venue en quelque sorte cristalliser le grand hiatus de cet été meurtrier.

 

Anomalie de la température estivale

Ce fut un long train de catastrophes. Début juillet, des précipitations historiques sʼabattent sur le Japon, générant des inondations et des coulées de boues inédites, conduisant Tokyo à anticiper lʼévacuation de deux millions de personnes. Bilan : près de 230 morts.

A peine une semaine plus tard, la Grèce affronte les incendies les plus meurtriers et les plus destructeurs de son histoire récente. A peu près au même moment, la Norvège et la Suède font face à une canicule et à une sécheresse inédites et comptent plusieurs dizaines de feux de forêt, dont plusieurs au-delà du cercle polaire. Le 20 juillet, il faisait 33 °C à lʼextrême nord de la Scandinavie ; deux semaines auparavant, le mercure affichait 51,3 °C à Ouargla, dans le Sahara algérien.

Incendies record en Californie (https://abonnes.lemonde.fr/planete/article /2018/08/09/en-californie-des-incendies-recordincontrolables_ 5340793_3244.html) , vague de chaleur meurtrière au Canada, arrêt de centrales nucléaires en France pour cause de fleuves trop chauds, déplacement dʼun million de personnes dans le Kerala (https://abonnes.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2018/08/21/inde-un-millionde- deplaces-apres-les-inondations-dans-le-kerala_5344463_3216.html), en Inde, après une mousson inhabituellement sévère, et plus de 1 200 morts dans le sous-continent… Aucune métrique ne peut rendre compte de lʼaccablement du monde face à cette succession de désastres, tous favorisés ou aggravés par le réchauffement climatique.

Toute phénoménale soit-elle, lʼanomalie de la température estivale nʼen est quʼun faible écho. La température moyenne européenne a été de 2,3 °C plus élevée, entre mai et juillet, que la moyenne du XXe siècle sur cette même période. En 2003, lʼanomalie sur ces trois mois nʼavait été « que » de 1,78 °C.

Pour saisir le tableau dans toute sa noirceur, il faut avoir quatre faits simples à lʼesprit. Le premier est que, malgré le caractère extravagant de cette succession de calamités, nous nʼen sommes aujourdʼhui quʼà 1 °C de réchauffement moyen, par rapport à lʼère préindustrielle. Le deuxième est que chaque degré supplémentaire produira plus de dégâts que le degré précédent. Le troisième est que les engagements en vigueur de lʼaccord de Paris nous emmènent vers un réchauffement de 3 °C environ. Le quatrième, enfin, est quʼune catastrophe dʼune plus grande magnitude encore semble sur les rails, puisque ces engagements, aussi insuffisants soient-ils, ne sont même pas en voie dʼêtre respectés.

Déclaration d’impuissance

Si le système financier sʼacheminait vers une catastrophe aussi certaine et prévisible, et de lʼampleur de celle qui menace le monde physique, il ne fait aucun doute que les dirigeants de la planète se réuniraient séance tenante et ne sortiraient de leur conclave quʼune fois arrêté un plan de réponse à la situation.

Ici, rien de tel – à part de tonitruantes déclarations dont la force est toujours inversement proportionnelle à celle des actions qui en découlent. Cet été, en pleine canicule, Nicolas Hulot a dérogé à cette règle, ne faisant montre dʼaucun volontarisme de pacotille. Interrogé le 7 août par Europe 1 sur le sujet, il a simplement déclaré : « Il faut que chacun se tourne vers sa propre responsabilité. » Il suffit de relire cette déclaration dʼimpuissance et dʼamertume pour comprendre rétrospectivement que le départ du ministre de la transition écologique et solidaire était alors déjà inévitable.

Ce nʼest bien évidemment pas la présence dʼun lobbyiste à une réunion tenue à lʼElysée sur la chasse qui est la cause du départ de M. Hulot. Cʼest un problème bien plus profond qui travaille la démocratie de marché occidentale : lʼEtat y est tout entier dévolu à favoriser la croissance, et la société dans son ensemble attend de ses dirigeants quʼils prennent les mesures nécessaires à lʼélévation de cet indicateur.

Celui-ci est placé hors du jeu démocratique, en surplomb de toutes les grandes formations politiques. Ainsi, les adversaires politiques de M. Macron, qui fustigent aujourdʼhui son double discours sur le climat et lʼenvironnement, lui feront bientôt, et avec la même vigueur, le procès inverse, celui de la croissance molle.

Rappelons que sous sa forme actuelle la croissance implique lʼintensification des flux de matière et dʼénergie, qui sont les moteurs du réchauffement. Tous les grands médias sont, dʼailleurs, également frappés par cette forme de dissonance cognitive : on déplore un jour le réchauffement galopant, pour saluer le lendemain les bonnes ventes dʼAirbus.

Etre, à la fois, femme ou homme de conviction et ministre de lʼenvironnement est aujourdʼhui simplement impossible. La démocratie de marché occidentale est encore loin dʼaccepter ses parts dʼombre ; sans doute faudra-t-il attendre pour cela que la sécheresse redevienne, dans les pays du Nord, une question aussi vitale quʼau temps de ces « pierres de la faim », réapparues ces jours-ci sur les bords de lʼElbe.

Face à l’effondrement, des alternatives au renoncement

Amelie Canonne, Global campaigner on Iconic projects 350.org ; Maxime Combes, économiste et militant pour la justice climatique (son blog sur Mediapart) ; Nicolas Haeringer, chargé de campagne pour 350.org (son blog sur Mediapart).
https://blogs.mediapart.fr/les-invites-de-mediapart/blog/060918/face-leffondrement-des-alternatives-au-renoncement

Constatant l’absence de sursaut politique et institutionnel suite à la démission de Nicolas Hulot, trois militants écologistes, Amélie Canonne, Maxime Combes et Nicolas Haeringer considèrent que seule la société civile peut maintenant «déjouer l’effondrement qui vient». Ils appellent à participer aux manifestations pour le climat ce samedi 8 septembre.

 

C’était le début de l’été et Edouard Philippe et Nicolas Hulot prenaient la pose pour témoigner de leur commune préoccupation d’un prochain « effondrement » de notre civilisation ; ils confessaient même avoir tous deux fait de l’ouvrage éponyme de Jared Diamond leur livre de chevet.

Les deux mois écoulés depuis n’ont fait que confirmer leurs inquiétudes : incendies gigantesques et meurtriers en Californie et en Grèce, inondations puis canicule au Japon, records de chaleur en Arctique et accélération de la fonte de la calotte glacière, mousson meurtrière en Inde, fragilisation des Alpes en raison de la fonte du permafrost, effondrement des populations d’insectes et d’oiseaux, etc. Le faisceau des catastrophes, et l’émoi public qu’elles suscitent, auraient pu conduire le gouvernement à faire de l’urgence écologique sa priorité de la rentrée. Malheureusement le Premier ministre s’est borné fin août à l’annonce de nouvelles mesures d’austérité budgétaire, et que Nicolas Hulot a pris l’ensemble de la classe politique par surprise en démissionnant la semaine passée.

Il a ainsi rappelé que les mots ont un sens et que, face à la catastrophe, tergiverser n’est pas une option : avancer lentement revient au contraire à la précipiter. Les leçons à tirer de son échec sont nombreuses – y compris pour celles et ceux qui, comme nous, se situent résolument du côté de la société civile et des mouvements sociaux.

Il est temps tout d’abord de faire le deuil définitif de la figure providentielle (la plupart du temps un homme – avec tout ce que cela implique dans l’exercice du pouvoir) qui viendra nous « sauver » de la catastrophe qui vient. L’engagement, la sincérité et la conviction ne suffiront jamais à remporter des arbitrages ministériels dans les couloirs de Bercy, Matignon ou l’Élysée. Seul un rapport de force construit collectivement, habile, subversif, capable de peser à l’intérieur des institutions, depuis l’extérieur le permettra. L’expérience de Nicolas Hulot devrait aussi questionner la conviction d’une partie des acteurs·trices de la société civile certains qu’un passage par la case politique suffit à faire gagner leurs idéaux.

Le deuxième enseignement est tout aussi limpide : l’écologie ne sera jamais compatible avec le néolibéralisme et le productivisme, dont Emmanuel Macron est l’incarnation parfaite. Ce constat a des implications stratégiques fortes – en particulier en termes d’alliances : aucune union sacrée n’est possible, contrairement à ce pensait Nicolas Hulot. Le climat, l’environnement et la biodiversité ont des ennemis, et les êtres humains soucieux de les défendre ne peuvent transiger avec eux. Les identifier, les exposer et les dénoncer doit rester l’une de nos priorités.

Le troisième enseignement est structurant. Il ne s’agit plus d’empiler les ajustements cosmétiques et les promesses faciles : nous avons besoin d’une révolution de l’action publique. Il s’agit bien de repenser les structures même de l’État pour faire évoluer son rôle. De trois manières au moins.

L’Etat doit d’abord s’affirmer et redevenir une puissance capable de coercition et de contrainte pour mettre un terme aux activités destructrices du climat et de la planète et de s’assurer que des réparations seront payées pour les dommages passés. Il est de notre responsabilité de pousser les pouvoirs publics à retrouver le pouvoir de dire « non » : lobbies industriels et financiers doivent être bannis d’urgence de tous les espaces du débat et de l’action publics. Les mécanismes volontaires, codes de bonnes conduites, accords (nationaux ou internationaux) juridiquement non-contraignants ont fait la preuve de leur inefficacité. Inversement, les accords internationaux qui donnent aux acteurs économiques privés des recours pour empêcher l’action publique en faveur du climat et de l’environnement ont fait preuve de leur dangerosité : il est temps d’y mettre fin et d’en sortir. Le pouvoir de dire non, c’est justement celui d’encadrer, de limiter et/ou d’interdire les activités qui menacent notre santé, notre avenir et la survie des habitant·e·s de notre planète, humain·e·s comme non-humain·e·s.

 

D’un même mouvement, l’Etat et les pouvoirs publics doivent également apprendre à dire « oui » et à s’appuyer sur les acteurs de la transition écologique et sociale pour encourager, dynamiser et faciliter les expériences (parfois éminemment locales) d’organisation (de la production, de l’habitat, de la circulation des biens et des marchandises) réellement durable. Jusque dans leurs fragiles balbutiements, les initiatives de toutes celles et ceux qui, depuis la société civile, expérimentent le monde de demain et inventent de nouvelles formes de coopération, de solidarités locales, relocalisent la production énergétique ou agricole, doivent désormais être soutenues sans réserve, au lieu d’être combattues et marginalisées.

Redonner ce double pouvoir à l’Etat pourrait commencer par un choix courageux, mais emblématique : mettre un terme à tout financement public accordé aux énergies fossiles et nucléaires, et dédier la totalité des investissements publics dans l’énergie aux initiatives de transition et de relocalisation de la production.

Emmanuel Macron a de son côté choisi de prendre le temps avant de choisir son successeur à l’hôtel de Roquelaure – ménageant ainsi le suspens tant sur le nom de l’élu que sur la manière dont il allait infléchir (ou non) la politique de son gouvernement suite au départ d’un de ses ministres les plus emblématiques.

Mais en portant François de Rugy à l’hôtel de Roquelaure, l’exécutif montre qu’aucune de ces leçons n’a été entendue et prise en compte. Il accrédite au contraire l’idée-fausse selon laquelle la protection de l’environnement relève avant toute chose de l’art du compromis, et qu’elle dépend surtout de la maîtrise émotionnelle du ministre.

Or, au-delà de la nomination d’un nouveau ministre, totalement secondaire à ce stade, le sursaut appelé par Nicolas Hulot lui-même aurait dû prendre la forme de mesures qui écartent durablement, et structurellement, les recettes libérales, technicistes et productivistes, et qui proscrivent toute emprise des intérêts économiques et financiers sur nos vies et notre avenir. Et le nouveau ministre, 100% Macron-compatible, ne s’inscrit pas dans cette voie.

Prise au sérieux, l’urgence écologique exige pourtant que toutes les décisions, celles de Bercy notamment, soient conditionnées à cet impératif et au strict respect des obligations et des engagements pris en matière de lutte contre les dérèglements climatiques et de protection de la biodiversité. Pour que ces enjeux ne soient pas systématiquement sacrifiés à des compromis politiques ou au pseudo-réalisme budgétaire, un pouvoir de contrainte et de veto sur l’ensemble des autres ministères doit être institué au cœur de l’exécutif et de l’appareil d’Etat : notre avenir ne peut plus être déterminé par les sentences de Bercy, les injonctions de l’Inspection des finances, ni par des arbitrages opaques, empoisonnés par les lobbies industriels et financiers, à Matignon ou l’Elysée. Sauf immense surprise, De Rugy ne sera pas doté de ce droit de veto et l’impératif écologique sera soumis aux priorités et contraintes fixées par Bercy.

En l’absence de sursaut politique et institutionnel, il faut maintenant se pencher du côté de la société civile. Les appels spontanés nés sur les réseaux sociaux pour organiser des manifestations pour le climat ce samedi 8 septembre, auxquels se sont joints de nombreuses associations et ONG, sont une bonne nouvelle. Immisçons-nous collectivement, pour explorer, avec enthousiasme et espoir, les voies alternatives qui parfois s’expérimentent déjà, restent ailleurs à inventer. Il est encore temps de déjouer l’effondrement qui vient.

Jean Ziegler : «Les oligarchies financières détiennent le pouvoir, pas le ministre de l’Ecologie»

Cécile Bourgneuf
www.liberation.fr/debats/2018/09/01/jean-ziegler-les-oligarchies-financieres-detiennent-le-pouvoir-pas-le-ministre-de-l-ecologie_1675855

Pour le sociologue et altermondialiste suisse, la démission de Nicolas Hulot illustre la faiblesse des institutions démocratiques face au capitalisme financier globalisé. Une absence de contre-pouvoir qui entraîne mépris du bien commun et destruction progressive de la planète et de la biodiversité.

 

De l’air irrespirable, une eau polluée, une nourriture empoisonnée… La Terre est en sursis, les hommes tombent malades, et pourtant un ministre de l’Ecologie démissionne du gouvernement français parce qu’il se sent impuissant face aux lobbys. Jean Ziegler, homme politique, altermondialiste et sociologue ne dénonce pas ces derniers qu’il appelle des «larbins» mais tout le système capitaliste, responsable selon lui de la destruction de la planète. Vice-président du comité consultatif du Conseil des droits de l’homme des Nations unies depuis 2009 et ancien rapporteur spécial auprès de l’ONU sur la question du droit à l’alimentation dans le monde, il vient de publier le Capitalisme expliqué à ma petite fille (en espérant qu’elle en verra la fin, (éditions du Seuil, 2018).

Que révèle la démission de Nicolas Hulot sur l’écologie et la politique ?

Dans son interview à France Inter, Nicolas Hulot a prononcé une phrase-clé : «C’est un problème de démocratie : qui a le pouvoir ?» Qui, en effet, a le pouvoir dans nos démocraties ? La réponse est claire : le capital financier globalisé. Ce n’est donc pas un gouvernement qui détient le pouvoir en la matière, et encore moins un ministre de l’Ecologie, aussi courageux soit-il.

Nos démocraties ne peuvent-elles donc rien faire contre le pouvoir de la finance ?

En France, et en Europe occidentale en général, il y a un formidable mouvement pour la protection de l’environnement et des solidarités importantes dans une société civile puissante, une bonne recherche scientifique, une théorie et une pratique de l’écologie. Ce mouvement est impressionnant, mais à l’heure actuelle il rencontre un adversaire plus puissant que lui : les maîtres du capital financier globalisé. Ce sont ces oligarchies qui gouvernent la planète. La démocratie française, comme toutes les autres, est une démocratie simulative. Elle fonctionne institutionnellement, mais elle n’a pas le pouvoir réel sur les choses essentielles, et notamment sur l’économie…

Qui œuvre en coulisse ? Les lobbyistes des puissances financières ?

Les lobbyistes ce sont des exécutants, des larbins. Les décisions sont prises par les oligarchies, c’est-à-dire des grandes banques ou des présidents de sociétés multinationales qui envoient ensuite des employés, des lobbyistes, pour imposer leurs points de vue et empêcher l’adoption de lois non conformes à leurs intérêts. Il y a à Bruxelles plus de 1 500 bureaux de lobbyistes.

Selon vous, ces oligarques qui dominent l’économie mondiale ont un «même aveuglement pour la planète et le sort des hommes qui y vivent».

Oui et ils sont les véritables maîtres de la planète. Ils ont créé un ordre cannibale du monde : avec d’énormes richesses pour quelques-uns et la misère pour la multitude. Je prends un exemple : selon la FAO, toutes les cinq secondes, un enfant en dessous de 10 ans meurt de faim alors que l’agriculture mondiale pourrait nourrir normalement 12 milliards d’êtres humains, soit pratiquement le double de l’humanité. Selon la Banque mondiale, les 500 sociétés transcontinentales privées les plus puissantes, tous secteurs confondus, ont contrôlé l’année dernière 52,8% du produit mondial brut, c’est-à-dire de toutes les richesses produites en une année sur la planète.

 

Dans votre livre Le capitalisme expliqué à ma petite fille (en espérant qu’elle en verra la fin), vous écrivez que les dirigeants de ces grandes sociétés détiennent un pouvoir comme «aucun empereur, aucun pape, aucun roi n’en a jamais disposé dans l’histoire des peuples». Ces sociétés ne sont donc contrôlées par personne ?

Personne. Elles échappent à tout contrôle parlementaire, étatique, onusien, syndical… Prenons l’exemple du glyphosate, le pesticide le plus utilisé en Europe, dont les rapports médicaux disent qu’il est cancérigène. L’Union européenne a prolongé son utilisation parce que les trusts agrochimiques étaient plus puissants que les Etats. Alors que c’est un produit dangereux, la France a déversé l’an dernier plus de 10 000 tonnes de pesticides sur ses terres arables, poisons qui se retrouvent nécessairement dans l’alimentation que nous consommons. Certes, le capitalisme au stade actuel est le mode de production le plus inventif, le plus dynamique, que l’humanité ait connu. Mais les oligarchies ont une seule stratégie : la maximalisation du profit dans le temps le plus court et souvent à n’importe quel prix humain. Cela aboutit à l’affaiblissement des institutions démocratiques, à un mépris absolu du bien commun, à la destruction progressive de la planète, de la biodiversité, des forêts tropicales, des abeilles, avec l’empoisonnement des sols, de l’eau et des mers. Dès maintenant, selon l’ONU, près de 2 milliards d’êtres humains n’ont pas d’accès régulier à une eau potable non nocive.

Nous participons nous aussi à la destruction de la planète en consommant au-delà de nos besoins…

Cette société de consommation qu’on nous a imposée fait effectivement de nous des complices, comme lorsqu’on achète des vêtements fabriqués dans des conditions inhumaines au Bangladesh. Mais cette évidence se fait de plus en plus jour. Emmanuel Kant a dit «l’inhumanité infligée à un autre détruit l’humanité en moi». Cette conscience de l’identité avec l’autre est recouverte par l’obscurantisme néolibéral qui dit que seul le marché fait l’histoire et qu’il obéit à des «lois naturelles». C’est un pur mensonge qui anesthésie nos consciences.

Il n’y a donc aucun espoir ?

Si, nous portons en nous le désir indéracinable d’un monde plus juste, d’une terre préservée, du bonheur pour tous. Il ne s’agit pas d’une utopie romantique, mais d’une force historique. Cette utopie augmente rapidement. Il y a trente ans on disait que la faim était une fatalité. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Tout le monde sait que la faim est due à l’action de l’homme et peut être éliminée demain. La grande question est : à quel moment, à quelles conditions matérielles cette utopie devient réalité sociale. C’est le problème de ce que Sartre appelle l’«incarnation». Cela s’est produit à la Révolution française. La féodalité, la monarchie, étaient destinées à l’éternité. Le 14 juillet 1789, des artisans et des ouvriers ont pourtant abattu la Bastille.

Réformer le capitalisme financier globalisé est-il une solution pour sauver la planète ?

On ne peut pas humaniser, améliorer, réformer un tel système. Il faut l’abattre. Aucun des systèmes d’oppression précédent, comme l’esclavage, le colonialisme, la féodalité, n’a pu être réformé. L’oppression ne se réforme pas.

Mais comment mettre fin à un capitalisme si puissant ?

J’ai le même espoir que le poète Pablo Neruda : «Ils pourront couper toutes les fleurs mais jamais ils ne seront les maîtres du printemps». La conscience qui revendique l’égalité et la justice, l’intérêt commun comme boussole de toute activité politique augmente. L’espoir et l’action aujourd’hui sont portés par la société civile, faite d’une myriade de mouvements sociaux sur les cinq continents. Che Guevara écrit : «Les murs les plus puissants tombent par leurs fissures». Et des fissures apparaissent ! Nous ne pouvons pas anticiper le monde nouveau à construire. C’est la liberté libérée dans l’homme qui le créera.

«Neurriak orain hartu behar dira; ezin dugu itxaron»

Iñaki Petxarroman
www.berria.eus/paperekoa/2004/003/001/2018-08-16/neurriak_orain_hartu_behar_dira_ezin_dugu_itxaron.htm

Klima-aldaketa prozesu batean gaudela uste du Elisa Sainz de Murieta (Bilbo, 1977) klima aldaketa ikertzen duen BC3 taldeko ikerlariak ere. Ohartarazi du ezin dela hamar edo hogei urte itxaron hari aurre egiteko politikak martxan jartzeko. Konfiantza du Parisko Akordioan, eta arrakasta iruditzen zaio hainbeste herrialdek sinatu izana, baina, helburuak jartzeaz gain, ekintzak eskatu ditu orain.

Aurtengo udan inoiz baino oihartzun gehiago izaten ari dira klima aldaketarekin lotutako gaiak. Benetan premiazko egoera batean gaudela ondoriozta daiteke?

Azken urteetan klima aldaketan dihardugun zientzialariok ikusten ari gara aurriekusitako hainbat aldaketa gertatzen ari direla. Oso adibide argia da tenperatura igoera. Azken hiru urteak (2015, 2016, 2017) erregistro historikoko beroenak izan dira, eta, datuen arabera, 2018a ere beroenen artean egongo dela dirudi. Muturreko gertakariak ere jazo dira; aurten, suteak eta bero boladak bereziki bortitzak izan dira, baina gogora dezagun iaz ere izan genituela, baita hainbat uholde eta urakan ere. Zientzialari askoren iritziz, klima aldaketa ikertzetik klima-aldaketan bizitzera pasatu gara, New York Times-n berri batean jaso denez. Gure gizartearentzat, ekonomiarentzat eta ingurumenarentzat bortitzak izango diren aldaketak eragotzi nahi baditugu, neurri asko orain hartu behar dira: ezin dugu hamar edo hogei urte itxaron.

2017an berriz ere handitu zen berotegi gasen isurketa munduan. Esan daiteke Parisko akordioek ez dutela behar bezalako ondoriorik izan?

Parisko Akordioaren helburua da munduko batez besteko tenperatura 2 gradu baino gutxiago igotzea industriaurrearekin alderatuta, 1,5 gradura mugatzeko ahalegin guztiak egiteko konpro- misoa ere hartuta. Anbizio handiko helburua da hori, oso-oso egokia, eta helburu hori 200 herrialdek berretsi dute. Gogora dezagun AEBak izan ezik munduko beste herrialde guztiek babesten dutela, eta horrek balio handia du.

Baina ez al da jadanik huts egiten ari?

Akordioak badauzka aurreko itunetik desberdinak diren hainbat elementu: nabarmenena, behetik gorako egitura. Hainbat herrialdek berotegi gasak murrizteko konpromisoa hartu dute. Lehenengo konpromiso txandan proposatutako murrizketak oraindik helburutik urrun daude. Baina Parisko Akordioak aurreikusten du konpromiso horiek bost urtean behin berrikustea, eta herrialdeek proposatzen dituzten neurriek beti maila handiagokoak izan beharko dute. Nik konfiantza daukat Parisko Akordioan: oraingoz, lortutakoa ez da nahikoa, baina bide onean jarri gaitu. Ikus dezagun hurrengo goi bileretan ze aurrerapauso dauden. Helburua lortzeko aukera hor dago oraindik, baina ekin behar diogu.

Munduko agintariek behar bezain serio hartu dute gai hau, zuen iritziz?

Lehen esan bezala, Parisko Akordioa munduko herrialde guztiek sinatzea [orain AEBek izan ezik] arrakasta handia izan zen niretzat. Ikaragarria da berrehun herrialde bide berean jartzea. Pentsa dezagun, adibidez, gurearen moduko herrialde txiki batean zenbat kostatzen zaigun akordioak lortzea… Bestalde, iruditzen zait etxera itzultzerakoan gobernuek beste arazo asko dituztela, eta maiz klima aldaketa ez dagoela lehentasunen artean. Lau urteko ziklo politikoek ere ez dute laguntzen epe luzeko politikak ezartzen… Eta agian saltsan sartzea izango da, baina ez dezagun ahatz ere politikariek hein handi batean gizartearen eskaerei eta lehentasunei erantzuten dietela, eta ez dut ikusten gizartea oraindik gai honekin buru-belarri inplikatu denik.

Gizartearentzat ez da lehentasuna, alegia.

Europan eta Euskal Herrian izandako krisialdiak ere egoera latzak utzi dizkigu, epe laburreko beharrak dituzte askok, eta klima aldaketa etorkizuneko kontu bat balitz bezala ikusten da; nik hori ere ulertzen dut.

Zientzialariek iragarri dituzten aldaketen egutegia betetzen ari dela esan daiteke, edo are eta azkarrago doa berotze prozesua?

Modelo klimatiko asko dago, eta horiek guztiek zehaztutako tenperatura tarteekin lan egiten dute. Oro har, jasotzen diren datuak modeloek aurreikusitakoaren tartean daude. Tenperaturari dagokionez, erregistroak modeloek aurreikusitako beheko mugarekin datoz bat. Itsas mailari dagokionez, ordea, neurtutako igoera goiko mugatik igarotzen da.

Atzera-bueltarik gabeko prozesu batera iristeko arriskuaz ohartarazi dute hainbat zientzialarik PNAS aldizkarian. Zer iritzi duzu?

Maila handiko zenbait zientzia ikerketatan oinarritzen da analisi hori, eta mamitsua eta interesgarria da, arlo biofisikoa eta soziala hausnarketa berean integratzen dituelako. Haiek ez dira, hala ere, atzera-bueltarik gabeko prozesuetaz hitz egiten lehenak; haien lana kezka handiko garai batean argitaratu da, hori bai. Klima sistemaren mugak gainditzeko arriskuak gero eta gehiago ikertzen ari dira. BC3 lanean ari den Europako proiektu batean ere uztartzen ditugu. Ez dakigu zehazki muga hori non dagoen. Ikerketa honetako egileek iradokitzen dute tenperatura bi gradu igotzea bera ere muga bat izan zitekeela, baina ez dago horren ebidentzia zientifikorik. Argi dago, hala ere, tenperatura igotzen den heinean muga horretatik gertuago egongo garela. Hori ikusita, egileek esaten dute arrisku gutxiko politika bati jarraitu beharko geniokeela, eta ni, oro har, bat nator horrekin.

Ondorio kate bat edo domino efektuko prozesu bat aipatzen dute zientzialari horiek. Uste duzue hurbiltzen ari garela egoera horretara?

Oso galdera zaila da. Klima sistema oso konplexua da, eta horrelako egoerak ez ditugu izan azken ehunka mila urteetan; gauza asko ezezagunak dira haien guztien arteko erlazioetan. Aurreko galderan esan bezala, berotegi gasen isuriek gora jarraitzen badute, horrelako prozesuak pizteko arriskua badago, baina ez dakigu muga noiz gurutzatuko dugun eta prozesu horiek guztiek denboran noiz gertatu daitezkeen. Galdera da: arrisku hori hartu nahi dugu, edo hobe genuke arazoari lehenbailehen heldu, amildegira gehiegi gerturatu beharrean?
Mezu katastrofista samarrak direla pentsa dezake herritar arruntak, eta gerta daiteke ondoriorik gabe geratzea zientzialari komunitateak egiten dituen deiak. Zer iruditzen zaizue?

Hala da: komunikazio aditu askok esaten dute ez dela biderik onena. Alde batetik, nik uste dut badagoela frustrazio pixka bat. Zientzialariok ebidentziak, datuak eta egon daitezkeen ondorioak aztertzen ditugu, eta iruditzen zaigu askotan gaiari ez zaiola heltzen behar den prestasunaz eta sendotasunaz. Beste alde batetik, baditugu komunikatzeko beste tresna batzuk ere, agian gehiago uztartu beharko genituzkeenak.

Zeintzuk, adibidez?

Klima aldaketari aurre egiteko neurriek izan ditzaketen ko-onurak. Oso argia den bat osasunari lotzen zaio, aire kutsadurak sortzen duen kalteari, zehazki. Garraioak eragiten dituen isurketak murriztea lortuko bagenu, klima aldaketari aurre egingo genioke, baina, aldi berean, airearen kalitatea hobetuko genuke gure hiri eta herrietan. Horrek onura argiak ditu osasunean. Beste adibide bat bioaniztasunarekin eta berdeguneekin lotu daiteke. Izan ere, ekosistema asko karbono hustulekuak dira, eta haiek babestea ona litzateke, ez bakarrik klima aldaketa politikei begira, baizik eta baita bioaniztasunaren eta naturaren babesari begira ere. Hirugarren adibidea ekonomiari lotutakoa da. Hainbat eta hainbat ikerketa daude zera ondorioztatzen dutenak: klima aldaketari aurre egiteko politikak ezartzea askoz merkeagoa izango dela haren eraginak sufritzea baino. Iaz AEBetan egondako muturreko gertakariek soilik 300.000 milioi dolarren kalteak eragin zituzten. Aurtengo uztailean, Kaliforniak 100 milioi dolar baino gehiago gastatu ditu suteak kontrolatzen.

Munduan gertatzen ari diren suteak, muturreko tenperaturak, lehorte larriak eta bestelakoak klima aldaketaren froga dira, edo soilik gertakari bakanak edo momentukoak?

Ezin esan daiteke klima aldaketak, adibidez, suteak sortu dituela, baina bi gauza argi esan ditzakegu: bat, klima aldaketak gertakari horiek sortzeko baldintzak areagotzen dituela; eta bestea, gertakari horiek denak bortitzagoak direla klima aldaketaren ondorioz.

Egoera honetan, ba al dago itxaropenerako tarterik?

Klima aldaketa arazo larria izanda ere, baikortasunerako arrazoiak ere ikusten ditut. Parisko helburuetara iristeko oraindik ahalegin handiagoa egin beharra dago, dudarik ez, baina egia da, era berean, hainbat herrialdek dagoeneko abian jarri dutela hori lortu ahal izateko trantsizio energetikoaren prozesua. Urtero, klimaren goi bileretan, zenbait herrialdetako agintari gorenek parte hartzen dute, eta horrek erakusten du gaia gero eta garrantzi handiagoa hartzen ari dela herrialdeen agenda politikoan. Sektore pribatuak eta eragile ekonomikoek ere ikusten dute karbono urriko etorkizun batera jo beharra dagoela. Iaz, adibidez, AEBetako barne produktu gordinaren erdia baino gehiago ordezkatzen zuten hiri, estatu eta enpresak goi bilera batean izan ziren, AEBei Parisko Akordioaren barnean jarraitzeko deia egiteko. Esango nuke norabide onean ari garela pausoak ematen.

Polikiegi, agian?

Kezkatzen nauena horixe da, ea motelegi ez ote goazen, eta, horrez gainera, ea behar bezala babesten ari garen ibilbide horretan klima aldaketaren efektuak era bortitzagoan pairatuko dituztenak, gizarteko sektore pobre eta hauskorrenak.