Climat : vers 4 à 5 degrés de plus à la fin du siècle à Paris
Pierre Le Hir
www.lemonde.fr/climat/article/2018/06/08/climat-vers-4-a-5-degres-de-plus-a-la-fin-du-siecle-a-paris_5311622_1652612.html
Psycho : comment expliquer le déni face au réchauffement climatique ?
Mariel Bluteau
www.franceinter.fr/amp/societe/nous-sommes-face-a-un-danger-comparable-a-celui-d-une-guerre-mondiale-sans-doute-meme-plus-grave-cyril-dion
Transition énergétique : le débat public esquive les vraies questions
Anne Bringault Membre du réseau pour la transition énergétique et du réseau action climat
www.alternatives-economiques.fr/anne-bringault/transition-energetique-debat-public-esquive-vraies-questions/00084983
« Un an après la sortie de Trump de l’Accord de Paris, le slogan « Make Our Planet Great Again » de Macron est resté lettre morte »
Maxime Combes Économiste, membre d’Attac France, auteur de « Sortons de l’âge des fossiles! »
www.huffingtonpost.fr/maxime-combes/un-an-apres-la-sortie-de-trump-de-laccord-de-paris-le-slogan-make-our-planet-great-again-de-macron-est-reste-lettre-morte_a_23448807/
L’appel de Jean Ziegler à « l’insurrection des consciences »
Denis Lafa
www.latribune.fr/opinions/tribunes/l-appel-de-jean-ziegler-a-l-insurrection-des-consciences-780464.html
Climat : vers 4 à 5 degrés de plus à la fin du siècle à Paris
Pierre Le Hir
www.lemonde.fr/climat/article/2018/06/08/climat-vers-4-a-5-degres-de-plus-a-la-fin-du-siecle-a-paris_5311622_1652612.html
Le 25 mai 1658 à midi, rue des Poitevins, dans l’actuel 6e arrondissement de Paris, il faisait 16 °C. La mesure est historique, car elle est la première à avoir été effectuée dans la capitale avec un thermomètre. Quelle sera la température, le 25 mai 2058, dans la même rue ? Aucun météorologue, ou climatologue, n’est, bien sûr, en mesure de le dire. Ce qui est certain, c’est que le climat de la métropole est aujourd’hui plus chaud qu’hier, et bien moins que demain. Selon les projections présentées vendredi 8 mai par Météo France, le réchauffement pourrait atteindre + 4 °C en hiver et + 5 °C en été, à l’horizon 2071-2100.
Pour analyser cette évolution sur le long terme, l’établissement public s’appuie sur une série continue d’observations recueillies, depuis 1872, par la station météorologique de Paris-Montsouris, qui relève températures, pression atmosphérique, ensoleillement, précipitations, humidité, vent… En quelque sorte, la « mémoire » du climat parisien.
Il apparaît qu’au cours du siècle écoulé les températures annuelles se sont inscrites en nette hausse (+ 1,4 % pour les minimales), avec une accélération depuis la fin des années 1950 : environ + 0,3 °C par décennie, l’augmentation étant plus forte en été (+ 0,4 °C par décennie) qu’en automne ou en hiver (+ 0,2 à + 0,3 °C).
La courbe s’est encore accentuée depuis le début des années 1980. C’est ainsi que les cinq années les plus chaudes enregistrées depuis le début des relevés (dans l’ordre : 2011, 2014, 2015, 2017 et 2003) appartiennent toutes au XXIe siècle. Les trois printemps les plus doux ont été observés ces quinze dernières années, et les cinq étés les plus frais remontent tous à avant 1980. En revanche, il n’y a pas de signal clair en matière de précipitations, les automnes étant légèrement plus secs et les autres saisons un peu plus humides.
Qu’en sera-t-il à l’avenir ? Pour le savoir, explique Raphaëlle Kounkou-Arnaud, responsable de l’équipe Etude et climatologie à Météo France, les chercheurs font d’abord tourner des modèles climatiques globaux (d’une résolution de 50 kilomètres) alimentés par les scénarios d’émissions de gaz à effet de serre du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat. Ils les affinent ensuite avec un modèle régional (d’une résolution de 8 kilomètres), pertinent à l’échelle d’une grosse agglomération.
« Ilot de chaleur »
La conclusion est sans appel : « Sur la première moitié du XXIe siècle, les projections montrent une poursuite du réchauffement annuel jusqu’aux années 2050, quel que soit le scénario. » La hausse prévue pour l’Ile-de-France est de l’ordre de + 1 °C, qui s’ajoutera aux 12,4 °C de moyenne annuelle actuelle.
Pour la seconde moitié du siècle, en revanche, le pire n’est pas encore certain. Tout dépendra de la trajectoire des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Si elles baissent fortement, le réchauffement sera maintenu autour de + 1 °C. Si elles sont stabilisées, il se rapprochera de + 2 °C. Mais si elles se poursuivent à leur rythme d’aujourd’hui, la surchauffe est inéluctable : les Franciliens doivent alors s’attendre à + 4 °C en moyenne à la fin du siècle, avec des hivers toujours plus doux et des étés toujours plus torrides.
Le choc thermique risque d’être rude. Le nombre annuel de jours très chauds (plus de 30 °C de température maximale) pourrait passer d’une dizaine actuellement à une fourchette de dix à quarante-cinq ; et le nombre de jours extrêmement chauds (plus de 35 °C) grimper jusqu’à douze par an. Les vagues de chaleur s’étendraient de vingt et un à quatre-vingt-quatorze jours, contre sept présentement, et seraient « beaucoup plus sévères ». Quant au nombre de jours de canicule, il s’établirait entre trois et vingt-six par an. Météo France prévient même qu’un été caniculaire comme celui de 2003 – le plus chaud jamais mesuré à Paris avec une moyenne de 22,6 °C –, responsable de 70 000 morts en Europe, dont environ 15 000 en France, deviendrait… habituel.
Pour les précipitations annuelles, quel que soit le scénario considéré, les modèles prévoient « peu d’évolution ». Mais les pluies d’une intensité extrême, génératrices de crues, devraient être de 1,5 à 2 fois plus fréquentes qu’à la fin du siècle passé. Cela n’empêchera pas « un assèchement important des sols en toute saison », au détriment de la végétation et des cultures non irriguées.
Paris n’est évidemment pas la seule ville en alerte rouge. Mais la menace y est exacerbée en raison du phénomène de « l’îlot de chaleur urbain » : un microclimat créé par un tissu urbain très dense, qui se traduit par des températures nocturnes supérieures d’environ 2,5 °C à celles des zones rurales voisines (comme le Vexin ou la forêt de Fontainebleau), l’écart pouvant avoisiner 10 °C en période de canicule. « Cela ne veut pas dire qu’il va faire tout le temps plus chaud, souligne Raphaëlle Kounkou-Arnaud. Il y aura encore des épisodes de froid, auxquels nous serons d’autant plus vulnérables que nous n’y serons plus habitués. »
Sol poreux
Que faire ? « Nous avons toutes les données en main pour nous préparer et faire en sorte que Paris soit résistant au changement climatique. Il faut agir au triple niveau des citoyens, des espaces publics et des bâtiments », répond Anne Girault, directrice de l’Agence parisienne du climat, qui accompagne la ville dans ce domaine.
Et de citer trois initiatives : le lancement, en juillet, d’une application mobile informant les habitants des « espaces de fraîcheur » (musées, jardins, berges de Seine…) les plus proches en cas de canicule ; l’aménagement expérimental d’une place publique à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis) pour réduire l’îlot de chaleur, avec un sol poreux et des plantations d’arbres ; ou encore la sensibilisation des professionnels du bâtiment à l’importance d’une isolation thermique non seulement contre le froid, mais aussi contre le chaud.
A plus court terme, Météo France annonce, dans ses prévisions pour juin, juillet et août, un été plus chaud et plus sec que la normale dans le sud-est de l’Europe et le Bassin méditerranéen, mais des températures proches de l’accoutumée sur la façade atlantique. Un relatif répit avant la fournaise.
Psycho : comment expliquer le déni face au réchauffement climatique ?
Mariel Bluteau
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Il est difficile d’ignorer aujourd’hui qu’un effondrement écologique est en train de se produire. Pourtant, la mobilisation citoyenne reste assez faible. Pourquoi nous est-il si difficile de changer nos modes de vie ?
Cyril Dion est le co-fondateur, avec Pierre Rabhi, du mouvement écologiste Colibri ; il est également le co-réalisateur derrière le documentaire qui a eu tant de succès en 2016, Demain. Invité à s’exprimer sur France Inter au micro d’Ali Rebeihi, l’écologiste a rappelé l’ampleur du danger environnemental qui nous guette… et que pourtant nous avons tendance à oublier :
Nous sommes face à un danger comparable à celui d’une guerre mondiale, sans doute même plus grave.
Cyril Dion précise : « Si on écoute les scientifiques, d’ici la fin du siècle, c’est la moitié de l’humanité qui peut disparaître. C’est quand même considérable, 3,5 milliards de personnes… Ça va bien plus loin qu’une guerre mondiale ! »
Pour sonner l’alerte, les initiatives ont été très diversifiées et répétées : il y a eu les cris d’alarme répétés du glaciologue Claude Lorius, les COP successives, une alerte concertée et signée par 520 scientifiques internationaux, un « train du climat » rempli des scientifiques pour vulgariser le changement climatique, sans oublier le documentaire Demain, qui a quand même été vu par 1,2 millions de personnes dans les salles… Il nous est difficile aujourd’hui d’ignorer cette épée de Damoclès qui menace notre avenir. Mais alors, pourquoi change-t-on si peu nos habitudes ?
Parce qu’on ne constate pas le problème écologique au quotidien
Pour Cyril Dion, une des explications est qu’ « aujourd’huiles problématiques écologiques restent relativement lointaines pour nous: dans notre quotidien, on vit très peu les problèmes des changements climatiques, on ne le voit pas. » Malgré le rythme alarmant de disparition des espèces, on le constate très peu. De même, des dizaines de milliers de morts sont imputés à la pollution de l’air… et pour autant les files d’embouteillages ne diminuent pas.
Et à l’inverse, souligne Cyril Dion : « les Chinois qui vivent [la problématique écologique] en direct réagissent de façon extrêmement déterminée : dernièrement, ils ont réquisitionné 60 000 soldats pour replanter des forêts » – rappelons que chez eux, la pollution de l’air fait chaque année 1,2 million de morts. Et côté énergie, « ils sont en train de développer des parcs éoliens en Mongolie intérieure, dont le plus gros produit l’équivalent de 38 centrales nucléaires« .
Parce qu’il est humain de « faire l’autruche »…
Le sociologue George Marshall s’est penché sur les leviers psychologiques qui nous font agir – ou pas. Et ses recherches l’ont mené à définir un « syndrome de l’autruche ». Le principe est simple : nous avons toujours tendance à choisir le gain à court terme – donc quand on vous propose de nombreuses pertes à court terme pour d’hypothétiques gains à long terme (par exemple, si on vous dit : « si vous faites arrêtez de prendre l’avion, de prendre des bains et de manger de la viande, peut-être que le monde ira mieux dans 30 ans et que vos enfants vivront dans un monde à peu près viable« ), ça ne fonctionne pas.
Parce que pour changer nos actes, il faut changer de discours
George Marshall a montré également que les histoires sont fondamentales pour le fonctionnement cognitif : les récits permettent au cerveau émotionnel de donner du sens aux informations recueilles par les cerveaux rationnels. Et pour toute action, il faut que les deux s’accordent…
- si je vous fais peur, vous allez chercher des confirmations scientifiques dans votre cerveau rationnel avant d’agir de quelque façon.
- si je vous donne des éléments scientifiques seuls, vous n’allez pas agir parce que votre cerveau émotionnel (qui est celui qui nous meut) ne va pas se déclencher.
Il faut arriver à réunir les deux – et pour cela, le mieux, c’est de raconter des histoires… Cyril Dion explique ainsi le succès de Demain :
Il y avait des gens supers, qui nous ressemblaient, où on se disait « s’il le fait, je peux le faire aussi ! »
Il est essentiel et urgent, pour les écologistes, de changer de discours pour se faire entendre : mobiliser les gens autours d’histoires qui font rêver, proposer une vision du futur qui nous embarque (« c’est ce que font les politiques ! » souligne Cyril Dion). Susciter de la créativité, de l’enthousiasme, une envie d’agir… plutôt que du déni.
On a besoin de remporter une bataille culturelle d’abord.
Transition énergétique : le débat public esquive les vraies questions
Anne Bringault Membre du réseau pour la transition énergétique et du réseau action climat
www.alternatives-economiques.fr/anne-bringault/transition-energetique-debat-public-esquive-vraies-questions/00084983
Le débat public sur la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) se termine à la fin du mois de juin. Etape importante, 400 citoyens tirés au sort vont se réunir à l’Assemblée nationale le 9 juin pour répondre à un questionnaire. Mais ils n’y trouveront aucune question sur la maîtrise de la consommation d’énergie, volet pourtant essentiel prévu par la loi de 2015 sur la transition énergétique.
En son temps, le Grenelle de l’environnement avait fixé des objectifs ambitieux, mais échoué sur les moyens à mettre en face ; la loi de 2015 a quant à elle prévu des documents de programmation censés garantir le respect des engagements. Ainsi, la PPE, révisée tous les cinq ans, doit décliner les objectifs de la loi pour les dix ans à venir et lister les moyens à mettre en œuvre pour les atteindre.
L’enjeu de la PPE est la mise en mouvement de la société vers les objectifs déjà définis
C’est d’autant plus important cette année que la France va devoir en parallèle annoncer, dans le cadre de nouvelles directives européennes, ses objectifs climat et énergie pour 2030 et qu’elle sera comptable vis-à-vis de l’Union européenne et des autres Etats membres des moyens qu’elle décidera d’y consacrer.
La transition énergétique implique des changements qui touchent tout le monde sans exception, comme la massification de la rénovation énergétique performante des bâtiments, qui améliore le confort, ou une mobilité libérée des énergies fossiles, qui est aussi bonne pour la santé.
Dans cette perspective, le débat public sur la PPE, premier exercice du genre pour un outil de programmation nationale, est un processus fort utile pour éclairer les décideurs sur la compréhension des enjeux, l’identification des freins et des leviers, ainsi que sur le choix des actions à engager. Pour autant, il ne s’agit pas de réécrire la loi, qui a déjà donné lieu à de nombreux et riches débats : l’enjeu de la PPE est la mise en mouvement de la société vers les objectifs déjà définis, parmi lesquels la baisse de 20 % de la consommation d’énergie en 2030 par rapport à 2012.
Impasse sur la consommation d’énergie
Quels sont les postes de consommation d’énergie sur lesquels envisager prioritairement des actions et sous quelle forme ? Quelle évolution du télétravail dans la décennie qui vient pour réduire la mobilité du quotidien ? Quel accompagnement des ménages pour engager les travaux de rénovation énergétique de leur logement ? Quels dispositifs pour encourager la pratique du vélo ? Autant de questions auxquelles la PPE devrait répondre dans l’horizon qui est le sien, 2028 en l’occurrence.
Las ! Le questionnaire qui sera soumis au panel de citoyens fait l’impasse sur les leviers de réduction de la consommation d’énergie… Mais si l’on ne commence pas par agir sur l’évolution de la demande, comment donner un avis sur la date à laquelle il est possible d’atteindre l’objectif de 50 % de nucléaire dans la production d’électricité, comme le demande le questionnaire ?
Certes, le débat public sur la PPE essuie les plâtres et il est légitime de chercher à toucher un public aussi large que possible. Mais ce n’est pas une raison pour sortir du cadre des objectifs de la loi sur la transition énergétique, qui est par définition celui de la PPE.
Alors que d’aucuns ne se privent pas de brocarder les associations qui se focalisent sur le nucléaire, pourquoi ne parler que de ce dernier et passer sous silence l’enjeu pourtant prioritaire des économies d’énergie ? Comment imaginer faire progresser la compréhension et l’appropriation des enjeux par nos concitoyens en suscitant et en publiant sur le site Internet du débat des commentaires en forme de jugements à l’emporte-pièce, affirmant par exemple que « la politique énergétique proposée par l’Ademe est idéologique et extrémiste » ?
Comment le débat peut-il rendre compte de l’avis du public si les défenseurs du nucléaire sont omniprésents ?
Est-il acceptable qu’une association aussi représentative et reconnue que le Cler (Réseau pour la transition énergétique) reçoive du jour pour le lendemain une invitation à intervenir à une réunion publique labellisée « Débat public PPE » organisée par un député connu pour avoir combattu bec et ongles les objectifs de la loi sur la transition énergétique ? Comment le débat peut-il rendre compte de l’avis du public si les défenseurs du nucléaire sont omniprésents et surreprésentés dans les différents événements ?
Le principe d’un débat public sur la PPE a été largement soutenu par les acteurs de la société civile pour faire que l’énergie ne soit pas seulement une affaire de techniciens et d’initiés et pour éclairer la mise en œuvre concrète de la transition énergétique dans les dix ans qui viennent.
Sécurité d’approvisionnement, efficacité énergétique, développement des énergies renouvelables, pouvoir d’achat ou encore évolution des métiers et des compétences professionnelles : aucun sujet ne doit être mis de côté. Il reste à espérer que la commission particulière du débat public se reprenne et finisse par trouver le juste équilibre pour éviter que le seul constat affligeant qui en découle soit celui de la toute-puissance des acteurs historiques du secteur énergétique…
« Un an après la sortie de Trump de l’Accord de Paris, le slogan « Make Our Planet Great Again » de Macron est resté lettre morte »
Maxime Combes Économiste, membre d’Attac France, auteur de « Sortons de l’âge des fossiles! »
www.huffingtonpost.fr/maxime-combes/un-an-apres-la-sortie-de-trump-de-laccord-de-paris-le-slogan-make-our-planet-great-again-de-macron-est-reste-lettre-morte_a_23448807/
Emmanuel Macron et son gouvernement ont révélé leur véritable nature : prononcer des discours écolos offensifs à l’international et ne pas les mettre en œuvre au niveau national.
Le 1er juin 2017, le président américain Donald Trump annonçait son intention de faire sortir les Etats-Unis de l’accord de Paris sur le climat. À peine quelques secondes plus tard, Emmanuel Macron lançait un tapageur et super efficace « Make our planet great again », s’auto-propulsant comme le meilleur rempart international face au négationnisme climatique incarné par Donald Trump.
À l’heure où l’image compte autant, si ce n’est plus, que les actes, Macron est ainsi devenu l’anti-Trump gardien de l’intégrité de l’Accord de Paris, adoubé par la presse internationale et les faiseurs d’opinion. De New York à Davos, en passant par Saint-Louis au Sénégal, il n’a d’ailleurs manqué aucune occasion pour entretenir cette image flatteuse au cours de l’année écoulée.
L’heure d’un premier bilan a sonné
Les optimistes notent avec empressement que l’Accord de Paris, qui porte sur la période post-2020, n’est pas mort malgré le départ programmé des États-Unis. Ils ajoutent que la majorité des pays ont confirmé leurs propres engagements et que de « solides oppositions » se sont constituées pour s’opposer à Donald Trump, y compris aux États-Unis où un regroupement de collectivités territoriales et d’entreprises laissent entendre qu’une partie des États-Unis se sent toujours engagée par l’Accord de Paris (alliance « We are still in »).
Les plus réalistes répondront que la dynamique autour de l’Accord de Paris s’est, a minima, enrayée. Les négociations quant à sa mise en œuvre effective patinent dangereusement. Le fossé entre les engagements de réduction d’émissions de gaz à effet de serre (GES) annoncés en 2015, et le niveau qu’ils devraient atteindre pour contenir le réchauffement climatique mondial en deçà des 2 °C, est abyssal. Et personne ne semble pressé de le combler malgré les promesses en ce sens.
Pas plus Emmanuel Macron que les autres dirigeants de la planète. Dans les moments difficiles, on attend pourtant d’eux qu’ils prennent des décisions courageuses et visionnaires. Malheureusement, les États, France et Union Européenne (UE) compris, n’ont pas profité de la COP 23 en octobre dernier pour expliquer comment ils allaient désamorcer la bombe climatique.
Nous payons aujourd’hui le prix des limites intrinsèques de l’Accord de Paris qui n’a pas été doté de dispositifs suffisants pour réguler et contrôler les États récalcitrants – à peu près tous aujourd’hui.
Ce refus de toute contrainte internationale et la préférence donnée à des engagements volontaires déconnectés des objectifs globaux dont on ne cesse de s’éloigner, précipite l’aggravation du réchauffement climatique.
Face à l’inertie globale, des initiatives décentralisées?
A ce constat alarmant, certains préfèrent insister sur les initiatives prises par les collectivités territoriales, les entreprises et les habitant.e.s. Puisque le niveau international n’est plus moteur, resterait à encourager les initiatives décentralisées, d’où qu’elles viennent. Ne soyons pas dans le déni. Ces initiatives, bien que disparates, sont souvent – mais pas toujours – intéressantes et bienvenue, comme celles qui sont mises en lumière par Alternatiba.
Mais ne soyons pas naïfs pour autant. Que peut la juxtaposition de ces initiatives alors que les règles qui organisent et régulent l’économie mondiale, cette formidable machine qui réchauffe la planète, détruit la biodiversité et fragilise les écosystèmes, n’ont pas été modifiées pour tenir compte de l’impératif climatique? Que peuvent ces initiatives lorsqu’Emmanuel Macron entérine la mise en œuvre du CETA, cet accord UE-Canada visant à libéraliser le commerce et l’investissement qui a été déclaré comme n’étant pas climato-compatible par les experts qu’il a lui-même nommés?
Une forme de schisme de réalité s’est en effet instituée entre le champion du climat qu’Emmanuel Macron incarne à l’échelle internationale et la teneur des politiques menées sur le plan domestique. Les exemples sont nombreux. Alors qu’une loi d’interdiction de l’exploration et de l’exploitation des hydrocarbures sur le territoire national a été votée en décembre 2017, le gouvernement introduit des exemptions pour poursuivre l’exploitation au-delà de 2040 et confirme le droit pour Total de poursuivre ses explorations au large de la Guyane.
Vert à l’extérieur, insipide à l’intérieur !
Du refus de confirmer dans la loi l’interdiction du glyphosate à l’autorisation d’exploiter la Montagne d’or en Guyane, en passant par le soutien indéfectible du gouvernement pour des projets non climato-compatibles (EuropaCity, autoroutes à Strasbourg ou Rouen, etc) ou le refus d’interdire l’importation d’huile de palme (raffinerie Total de la Mède), Emmanuel Macron et son gouvernement ont, en moins d’un an, révélé leur véritable nature : prononcer des discours écolos offensifs à l’international et ne pas les mettre en œuvre au niveau national.
Quand les équilibres de la planète sont prêts à rompre, quand le seuil de l’irréversible est sur le point d’être franchi, comme le reconnaît d’ailleurs Emmanuel Macron, et quand la première puissance de la planète plonge dans le déni climatique, on attend pourtant un véritable sursaut politique.
Malheureusement, ce sursaut politique ne vient pas. Pas plus à Paris qu’à Berlin, Tokyo ou Pékin. Il n’est pourtant pas trop tard pour enterrer les politiques climaticides plutôt qu’enterrer, comme certains le préconisent désormais – sans en mesurer les conséquences – « l’objectif des 2°C ».
Comment faire?
Arrêter de repousser à plus tard ce qui devrait être fait aujourd’hui. Ne plus fixer des objectifs lointains, cette grande spécialité de Nicolas Hulot et Emmanuel Macron, sans qu’ils ne soient immédiatement mis en oeuvre. Accepter de changer les règles du jeu et ne pas s’appuyer uniquement sur les bonnes volontés. Quitte à ce que cela perturbe le jeu économique et les intérêts des multinationales et des lobbys.
Le défi est immense, mais si décisif pour notre avenir : trouvons donc les voies juridiques, politiques, sociales pour empêcher des régressions aux effets irréversibles et mener à bien une transition énergétique qui est sans cesse reportée. « Si nous ne faisons pas l’impossible, nous devrons faire face à l’impensable! » disait un penseur écolo nord-américain. Il est temps de s’y mettre.
L’appel de Jean Ziegler à « l’insurrection des consciences »
Denis Lafa
www.latribune.fr/opinions/tribunes/l-appel-de-jean-ziegler-a-l-insurrection-des-consciences-780464.html
Le sociologue suisse est le porte-parole des plus vulnérables depuis un demi-sècle. Ses responsabilités au sein de l’ONU ont fait de Jean Ziegler un observateur unique de l’état « humain » du monde. Le sociologue suisse tire de sa confrontation avec l’extrême pauvreté, avec le cynisme des mécanismes diplomatiques, avec les obscurantismes multiformes, avec le dépérissement des utopies, l’image une sombre réalité de l’âme humaine, aliénée par un capitalisme spéculatif belliciste. Lui qui « est » les yeux et la voix des plus vulnérables demeure pourtant confiant, car dans la société civile il voit, il entend poindre l’incarnation collective des aspirations individuelles, une « conscience adjugée » qui s’exprime par des luttes et des initiatives composant une fraternité de la nuit appelée à voir et à faire voir la lumière, à débarrasser la civilisation de « l’ordre cannibale » auquel elle est ligotée. Extrait du livre Les murs les plus puissants tombent par leurs fissures (L’Aube, en partenariat avec La Tribune) qui révèle les indestructibles ressorts d’un infatigable pasteur de l’humanité.
LA TRIBUNE – Vous avez sillonné le monde, vous êtes confronté à l’indicible de la guerre, de la famine, des désastres humains, de ce que l’individu a, au fond de lui, de plus barbare et de plus généreux, vous avez mené d’âpres combats politiques, institutionnels, idéologiques, littéraires en faveur de la justice. Cette expérience des âmes humaines et des systèmes – politiques, économiques, religieux – qui les façonnent, que vous invite-t-elle à penser du monde contemporain ?
JEAN ZIEGLER – Nous vivons sous un ordre absurde, et même cannibale, du monde. Karl Marx est mort, épuisé, le 14 mars 1883, dans son modeste appartement de Londres. Jusqu’à son dernier souffle, il a cru que le « couple maudit » du maître et de l’esclave allait cornaquer l’humanité pendant de nombreux siècles encore. Or, là, il s’est trompé. Le formidable emballement des révolutions industrielles, technologiques, scientifiques qui se sont succédé à un rythme inédit a potentialisé comme jamais auparavant la productivité, et c’est ainsi que pour la première fois dans l’histoire de l’homme – et cet événement est survenu au début de ce XXIe siècle -, le manque objectif a disparu. Et pourtant l’horreur persiste. En témoigne le scandale le plus insupportable et le plus inacceptable de notre contemporanéité : le massacre quotidien perpétré par la faim. Près d’un milliard d’êtres humains sont en permanence sous-alimentés, et ainsi interdits d’exercer une activité, un travail, une responsabilité familiale. Et ce désastre, cet assassinat au grand jour intervient alors que l’agriculture mondiale est à même de nourrir copieusement l’humanité entière. Le problème aujourd’hui n’est plus la production insuffisante de la nourriture, mais le manque d’accès pour tous. Quelques réformes structurelles suffiraient pour mettre fin au massacre : interdiction de la spéculation boursière sur les aliments de base ; fin du dumping agricole européen sur les marchés africains ; désendettement total des pays les plus pauvres afin qu’ils puissent investir dans leur agriculture, etc.
Votre combat a en partie pour théâtre l’ONU, et notamment le Conseil des droits de l’homme, dont vous êtes vice-président du comité consultatif depuis 2009. Ces dernières décennies, les droits de certains hommes ont progressé, ceux d’une grande partie des hommes ont stagné, voire reculé. Que reste-t-il des Lumières, du Contrat social de Jean-Jacques Rousseau qui incarne le combat pour l’humanisation individuelle et collective de l’humanité ?
Jean Jaurès dit : « La route est bordée de cadavres, mais elle mène à la justice. » Incontestablement, l’humanisation de l’homme progresse. Voilà ce que mon expérience, mes observations indiquent. Mais elles enseignent aussi une autre réalité. En effet, comme l’étayaient les marxistes allemands composant l’École de Francfort dans les années cinquante, la justice fait l’objet d’une double histoire ; la première convoque une justice effectivement vécue, empiriquement vécue, la seconde recourt à l’eschatologie – l’étude de ce que la conscience revendique comme juste. Au premier niveau, celui de la justice effectivement vécue, la situation est terrible. Outre la famine, que faut-il penser de l’humanisation de l’homme lorsqu’un milliard d’êtres humains n’ont pas accès à une eau non toxique ? Lorsque la capacité des conglomérats pharmaceutiques de soigner voire d’éradiquer des maladies s’autolimite pour de basses raisons mercantiles, laissant alors les épidémies ravager les populations les plus vulnérables ? Pour les peuples du tiers-monde, la troisième guerre mondiale a bel et bien commencé. La consolidation du nombre de victimes identifiées par chacune des 23 institutions membres des Nations unies s’est élevée en 2016 à 54 millions de morts.
Soit l’équivalent du nombre total des victimes militaires et civiles recensées pendant la Seconde Guerre mondiale. En d’autres termes, l’humanité du tiers-monde perd chaque année dans le silence ce que cette boucherie effroyable a infligé à l’humanité entière pendant six ans.
Pour autant, ce constat, imparable, de régression n’est pas synonyme de capitulation. L’espérance (doit) continue (r) de primer sur l’abdication…
Absolument. Mon espérance est réelle. Elle n’est nullement fondée sur un quelconque idéalisme ou de fallacieux arguments postulatoires, mais au contraire repose sur des éléments de sociologie démontrés. Parmi eux, retenons la formidable progression de ce que Theodor Adorno – philosophe et sociologue allemand [1903-1969] – nomme la « conscience adjugée » : ce que les individus considèrent individuellement « juste » se trouve un jour incarné dans une revendication collective, elle-même pierre angulaire d’un changement du monde. Voilà de quoi espérer. La problématique de la « faim dans le monde » illustre le paradigme. Dorénavant, plus personne, pas même les réactionnaires les plus obtus, n’oserait promouvoir la doctrine malthusienne de la naturalité, c’est-à-dire une gestion inhumaine de l’espérance de vie et des populations. Que la faim constitue une ignominie intolérable est définitivement admis, ancré dans les consciences citoyennes ; qu’elle persiste suscite l’indignation de la société civile, motive la colère d’une multitude de mouvements sociaux. N’est-ce pas là un progrès significatif ? La ligne de flottaison de la civilisation s’élève sans cesse. Reste l’obsession de l’incarnation. Dans quelles conditions une idée devient-elle une force matérielle ?
« Les murs les plus puissants tombent par leurs fissures », soutenez-vous avec Ernesto Che Guevara. L’espérance prend forme dans l’existence de ces fissures, et surtout dans la perspective de nouvelles fissures. Ces dernières, en repérez-vous ?
Absolument partout apparaissent de nouvelles brèches, et effectivement chacune d’elles est une raison supplémentaire d’espérer. Un phénomène planétaire inédit a surgi: la société civile. Des fronts de résistance et d’initiatives alternatives aux systèmes homogènes, aux oligarchies qui orchestrent le capitalisme financier globalisé et meurtrier, s’organisent. Une myriade de mouvements sociaux sont en marche : Greenpeace, Attac, WWF, Colibris (de Pierre Rabhi), Amnesty International, le mouvement des femmes, ou encore le mouvement paysan international Via Campesina, etc. Qu’il s’agisse de son fonctionnement, de sa puissance, de son professionnalisme, cette société civile fait d’impressionnants progrès, et la révolution technologique lui fournit des armes d’une efficacité redoutable. C’est ainsi que cette fraternité de la nuit se constitue en sujet historique autonome.
La société civile voit son rayonnement grandir proportionnellement au déclin des États, qui ne sont plus des moteurs d’espérance. Sa raison d’être ? L’impératif catégorique de Kant : « L’inhumanité infligée à un autre détruit l’humanité en moi. » « Je suis l’autre, l’autre est moi » constitue son fil conducteur, et à ce titre honore la « conscience de l’identité » consubstantielle à l’homme, mais que fragilise l’obscurantisme néolibéral. Cette folle idéologie sacralise le marché, qu’elle substitue à l’homme comme sujet de l’histoire, l’homme n’étant plus qu’un rouage, une variable, un vassal du marché. Les despotes de ce marché possèdent un pouvoir qu’aucun roi, aucun empereur dans toute l’histoire n’a jamais détenu. L’une des plus grandes conquêtes de cette absolue omnipotence est la prétendue impuissance à riposter qu’elle instille dans les consciences des peuples. Et c’est à libérer ces âmes, à les aider à s’affranchir de cette suzeraineté, à leur restituer la « conscience de l’identité » d’où découlera une politique de solidarité, de réciprocité, de complémentarité, que nous devons nous employer. Et à l’accomplissement de ce projet, la société civile contribue de manière capitale.
L’impression que donnent l’auscultation du monde mais aussi les discordes sur la réalité des maux civilisationnels est que nous ne parvenons plus à contester, à combattre ce qui doit l’être – le pronom relatif concentrant l’ensemble des questionnements de justice, d’équité, d’éthique, d’universalité. Au-delà du déficit spirituel et de l’excès mercantiliste, quelles sont les causes de notre égarement ?
La folie néolibérale, les multiples agressions perpétrées par l’oligarchie financière, la théorie justificatrice d’un ordre du monde au nom duquel l’Homme n’est plus sujet de l’histoire mais vassalisé aux ravageuses lois de la marchandisation, font leur oeuvre. Malgré cela, la « conscience de l’identité » connaît des progrès. Et même foudroyants, comme en témoignent la vitalité et la variété de la nouvelle société civile planétaire, la multiplicité des mouvements sociaux et des fronts de résistance, y compris en Occident – du parti espagnol Podemos à la France insoumise de Jean-Luc Mélenchon.
La manière dont l’Indien Evo Morales, triomphalement élu depuis 2005 à la présidence de la Bolivie, est parvenu à museler l’action impérialiste, socialement dévastatrice et irresponsable en matière environnementale, de 221 sociétés internationales exploitant gaz, mines et pétrole, est exemplaire ; il a réveillé chez ses concitoyens une identité collective grâce à laquelle l’intérêt général s’est imposé et a brisé l’aliénation.
Ce qu’« est » l’humanité du XXIe siècle met-il particulièrement en péril l’universalité de l’espèce humaine, du respect et de la considération sanctuarisés de l’homme ? Si même les droits de l’homme ne sont plus un bien commun, comment peut-on fonder l’espérance d’un vivre-ensemble et d’une solidarité revitalisés ?
Certaines situations sont, objectivement, intolérables, dans le sens où elles ébranlent toutes nos convictions, même celles que l’on pensait insubmersibles. Les parents, frères, soeurs, époux, conjointes, enfants, amis des victimes des assassins du Bataclan, peut-on s’étonner qu’ils puissent considérer comme des sous-hommes, des barbares, ceux qui ont perpétré l’innommable ? Peut-on contester qu’ils puissent souhaiter pour les tortionnaires survivants une riposte d’égale horreur ? Je le comprends. Je sais, au fond de moi-même, combien l’intangibilité des droits de l’homme fait l’objet de lézardes sous le coup de l’indicible. Pour demeurer solide, pour sortir victorieux des combats intérieurs auxquels cet indicible expose, on peut se remémorer le procès de Nuremberg. Dix-neuf hauts dignitaires du IIIe Reich furent condamnés à mort ou à perpétuité, à l’issue d’une longue, minutieuse et exemplaire procédure. Plus près de nous, en Afrique du Sud, ce que la commission Réconciliation et Vérité réussit à cautériser dans les corps et les âmes des victimes de l’apartheid fut, là encore, remarquable. Dans les deux cas, le droit a triomphé, conférant aux verdicts une légitimité universelle.
Les Occidentaux étant privés d’exercer la violence par les armes, ont-ils trouvé dans le capitalisme spéculatif et, au-delà, dans l’inflammation consumériste, compétitrice, marchande, un moyen d’exercer « autrement » leur pulsion belliqueuse ?
L’étude lexicale des discours des capitalistes est révélatrice de dérives pathologiques. « Combat », « guerre », « conquête », « victoire », « domination », « suprématie »… voilà ce qui compose leur vocabulaire, et même la Silicon Valley si souvent plébiscitée pour son supposé progressisme culturel et managérial en est le théâtre. L’« iconique » Steve Jobs n’exhortait-il pas ses salariés à se transformer en « soldats du Bien » mobilisés dans une « guerre économique mondiale » inédite ? Ces éléments de langage et de communication bellicistes convoquent les pires instincts de la nature humaine, qu’ils détournent et manipulent pour combattre, asservir, détruire. Tout concurrent est un adversaire, tout compétiteur est un rival et un obstacle qu’il faut « neutraliser. » Et « l’efficacité » du système capitaliste résulte en grande partie de cette machination rhétorique et comportementale.
« Plus l’horreur, la négation et le mépris de l’autre dominent à travers le monde, plus l’espérance, mystérieusement, grandit. » Vous le percevez, le ressentez, l’affirmez : l’insurrection collective des consciences, germe d’une révolution civilisationnelle inéluctable, semble donc bel et bien proche…
« Le révolutionnaire doit être capable d’entendre pousser l’herbe » ; « la révolution avance sur les pas d’une colombe » : ces pensées, confiées respectivement par Marx et Nietzsche – deux des plus fins observateurs du processus révolutionnaire -, invitent leurs disciples d’aujourd’hui à faire preuve d’une extraordinaire attention à chaque bruissement, à chaque opportunité de composer un peu mieux, un peu plus cette insurrection collective. Oui, « je suis l’autre, et l’autre est moi » : la conscience de cette réciprocité, elle-même constitutive de la conscience de l’identité, concentre une naturelle et formidable condamnation de tout ce que le capitalisme et le néolibéralisme charrient de maux humains : la loi du plus fort, celle de la concurrence sauvage, celle de la hiérarchie des succès, celle du classement humain selon les biens acquis, celle de l’exploitation incontrôlée des ressources naturelles, celle du massacre des espèces animales et végétales… In fine, cette conscience de la réciprocité est ce qui doit paver la marche en avant vers ladite insurrection, car de cette dernière dépendent d’abord l’émancipation, l’autonomisation, la libération de chaque conscience, puis le déploiement d’une solidarité et d’une complémentarité universelles – et non d’une égalité des hommes : celle-ci n’a d’existence que sur le fronton des établissements de la République, et pour cause, elle n’est pas compatible avec la conception singulière, une et indivisible, de chacun des 85 milliards d’êtres humains qui ont peuplé la terre depuis 2,8 millions d’années -, enfin la conscientisation d’une oeuvre collective respectueuse de l’Homme et de son environnement. « De chacun selon ses capacités, pour chacun selon ses besoins » : cette exhortation de Marx illustre parfaitement le combat politique, social, environnemental qu’il faut mener. Georges Bernanos [1888-1948] a écrit : « Dieu n’a pas d’autres mains que les nôtres ». Ou bien c’est nous qui abattrons l’ordre cannibale du monde, ou c’est personne.