Articles du Vendredi : Sélection du 27 février 2015

Papis et mamies font de la résistance contre le changement climatique


www.terraeco.net/grands-parents-changement,58764.html

Naomi Klein : « L’industrie pétrolière risque de brûler cinq fois plus de CO2 que ce que peut en absorber l’atmosphère »

Rédaction
©www.bastamag.net/Naomi-Klein-L-industrie-petroliere

Pour un populisme climatique

Fabrice Flipo – Maître de conférences en épistémologie et philosophie des sciences et techniques
http://blogs.mediapart.fr/blog/fabriceflipo/041214/pour-un-populisme-climatique

La société civile philippine rappelle à Hollande ses engagements sur le climat

Maxime Combes 26 février 2015
www.bastamag.net/Francois-Hollande-aux-Philippines-quand-les-paillettes-supplantent-les-actes

L’autre appel de Manille

Les invités de Mediapart, Maxime Combes (Attac) et Nicolas Haeringer (chargé de campagne pour 350.org) ont rédigé cette version de l’Appel de Manille, que Marion Cotillard, qui fait partie du voyage présidentiel aux Philippines jeudi 26 et 27 février, aurait pu lire…
http://blogs.mediapart.fr/edition/climatiques/article/260215/lautre-appel-de-manille

Papis et mamies font de la résistance contre le changement climatique


www.terraeco.net/grands-parents-changement,58764.html

Ils ont 68 ou 79 ans, sont anglais ou norvégiens et luttent, plus ou moins légalement, contre les dérèglements climatiques. Au nom de la justice intergénérationelle, le militantisme aux cheveux blancs prend son essor.

Bristol, sud-ouest de l’Angleterre. La banque Barclays, championne nationale de l’investissement dans l’énergie fossile, est occupée par des écologistes véhéments. Désemparé, le responsable de l’établissement appelle la police. Une fois sur place, les agents donnent l’ordre d’évacuer. Les quatre militants résistent : ils ne sortiront pas de leur plein gré. Face à la détermination du groupuscule, les renforts arrivent. Rien n’y fait. Avec politesse mais détermination, ces partisans d’une économie décarbonée tiennent leur position. Soudain, ils réalisent que l’heure de sortie des écoles approche et que les employés de la banque ont sans doute des bambins à aller récupérer. Il quittent alors les lieux, encadrés par les hommes en uniforme. Les photographes immortalisent le moment. Mission accomplie. La scène se passe en mars 2013 et les militants ont alors… entre 65 et 77 ans.

Sur le front de la lutte pour le climat, des commandos aux cheveux blancs se multiplient. A Bristol et à Oxford, au Royaume-Uni, mais aussi au Canada, en Norvège, en Australie, ou en Suisse, des milliers de grands-parents, exaspérés par l’inaction des gouvernements et la lenteur des négociations, montent au front contre le dérèglement global. Qu’importe si certains ne seront plus là pour voir le fruit de leur combat, ces papis et mamies, réunis en associations, sont bien décidés à mettre les décideurs sous pression.
Les policiers sont plus réticents à brutaliser des personnes âgées

« Si le dialogue ne fonctionne pas, nous sommes prêts à enfreindre la loi », reconnaît Phil Kingston, le doyen des activistes de Barclays. « Risquer une arrestation et une condamnation est moins grave à nos yeux que l’avenir de nos petits-enfants », poursuit ce membre de l’association Grandparents for a Safe Earth. Plus à l’est, à Oxford, le groupe Grandparents Climate Action salue l’audace des collègues de Bristol. « Leur stratégie est futée : s’enchaîner à une banque présente moins de risques pour des grand-parents que pour de jeunes militants », glisse malicieusement Nancy Lidisfarne, fondatrice de l’association, avant de préciser sa pensée : « Des policiers qui brutalisent des personnes âgées, ça ferait mauvais genre… »

Distribution de tracts, manifestations… Son groupe, créé il y a tout juste un an, est plutôt partisan de la méthode douce. « On marche aux sentiments, c’est ce qui fait la force de notre engagement », explique cette habituée des manifestations en famille. « Prendre soin de nos petits-enfants au quotidien ne suffit plus, embraye Halfdan Wiik, à Oslo. Avec les menaces environnementales qui pèsent sur eux, si on se préoccupe vraiment de leur avenir, il faut agir politiquement », estime le retraité, mobilisé depuis la naissance, en 2005, de sa première petite-fille. Pour lui, le combat climatique est une question « de justice intergénérationnelle ».

« Rappeler que les décisions se prennent sur le temps long »

« Notre génération est celle qui a le plus profité d’une croissance basée sur les énergies fossiles : nous avons donc le devoir de rembourser et de corriger le tir, autant que possible », développe ce grand-père de 68 ans. Son association, Norwegian Grandparents’ Climate Campaign, née en 2006, est l’une des premières du genre. Huit ans après sa création, elle réunit plus de 1 200 membres et compte plusieurs antennes régionales. « Il y a 400 000 grands-parents en Norvège, nous avons encore une forte marge de progression », lance le militant dans un rire franc.

En attendant de voir gonfler leurs rangs, les activistes misent sur la force symbolique de leur âge. « On a une position morale dans la société », rappelle Halfdan Wiik. « C’est difficile de contredire des grands-parents », renchérit Philip Kingston. « Et on ne peut pas nous plus nous accuser d’agir pour notre propre intérêt », conclut Nancy Lidisfarne. La clémence des policiers n’est pas le seul privilège de l’âge : « les retraités ont souvent un peu d’argent et beaucoup de temps, souligne la grand-mère, ce qui fait de nous de bons militants ». L’activiste de 70 ans reste pourtant lucide : « Nous sommes avant tout un groupe d’appoint, nous nous greffons aux manifestations pour ajouter de la diversité et, peut-être, une forme de profondeur. » Un rôle de sage que souhaite également endosser Philip Kingston. « Les politiciens sont focalisés sur les prochaines élections, les acteurs économiques sur les prochains résultats financiers, on est là pour leur rappeler que les décisions se prennent le temps long », explique cet universitaire à la retraite.

« On montre nos muscles »

En Norvège, les aînés ont donc entrepris un intense travail de lobbying. « On multiplie les courriers aux élus, aux entreprises. On montre nos muscles », s’amuse Halfdan Wiik. A ses yeux, la décision de la compagnie norvégienne Statoil de ne pas extraire de sables bitumineux au Canada est « une première victoire collective », un signe que les mentalités changent. « Les jeunes qui nous voient militer sont très enthousiastes devant notre engagement », se réjouit-il. Pas question donc d’abandonner les actions de rue. « En tant qu’aînés, nos actes ont valeurs d’exemple, notre visibilité est cruciale », poursuit-il.
La stratégie de sensibilisation est finement pensée. « On éduque les petits-enfants qui, à leur tour, peuvent sensibiliser leurs parents », explique le militant. Mais ce travail dépasse largement le noyau familial. « Nous demandons à chaque membre de l’association d’expliquer ce qu’est notre mouvement dans tous les groupes sociaux qu’il fréquente, précise Nancy Lidisfarne. Ce qui fait qu’on commence à parler climat dans les églises, les associations de charité, ces lieux peu fréquentés par les jeunes militants. » Nancy, Halfdan, Philip s’inspirent mutuellement. Avec les Canadiens, les Suisses et les Australiens, ils communiquent par Internet, en rêvant d’une internationale des grands-parents contre le changement climatique. La naissance d’un nouveau mouvement, le mois dernier en Belgique, leur donne une nouvelle raison d’espérer. Mais Nancy Lidisfarne trépigne : « Tenez nous au courant quand les Français se seront lancés ! »

Naomi Klein : « L’industrie pétrolière risque de brûler cinq fois plus de CO2 que ce que peut en absorber l’atmosphère »

Rédaction
©www.bastamag.net/Naomi-Klein-L-industrie-petroliere

« Quand vous affrontez les compagnies les plus riches de la planète, le combat n’est pas équitable », prévient Naomi Klein, écrivaine et militante altermondialiste canadienne dont le nouveau livre « Tout peut changer » sort en France en mars. Ces compagnies, vous les connaissez, ce sont celles qui exploitent le pétrole, le charbon et le gaz enfouis dans le sol : BP, Exxon, Shell, Total… Si elles extraient l’ensemble des réserves fossiles qu’elles détiennent, ce ne sera plus un réchauffement mais un embrasement climatique, à cause du carbone qui sera libéré dans l’atmosphère. Pourtant, Naomi Klein demeure optimiste et voit dans la période qui s’ouvre « une opportunité unique pour notre génération » pour changer le système. Entretien.

Son nouveau livre sortira en mars en France : « Tout peut changer, capitalisme et changement Climatique » (This Changes everything), aux éditions Actes Sud. Naomi Klein, journaliste, écrivaine et militante altermondialiste canadienne s’est fait connaître par ses ouvrages critiques du capitalisme, « No Logo » puis « La stratégie du choc ». Voici des extraits d’une conférence en ligne à laquelle elle a participé avec le mouvement écologiste 350.org, le 28 janvier 2015 [1]. 350.org vient de lancer une campagne appelant les institutions financières à retirer leurs investissements des secteurs pétroliers, gaziers, et du charbon. Objectif : faire en sorte que ces multinationales ne brûlent pas la majeure partie du carbone qu’elles détiennent dans leurs gisements, ce qui serait fatal à l’atmosphère de la planète.

Le prix du baril de pétrole a considérablement chuté, passant sous la barre des 60 dollars (contre 100 dollars avant l’été). Quelles seront les conséquences de cette chute. Est-ce une bonne ou une mauvaise nouvelle ?

Naomi Klein : Ces moments sont souvent des catalyseurs de mauvais changements. Dans les domaines du changement climatique et de l’énergie, rien n’est déterminé à l’avance. On ne peut pas prévoir si un prix du pétrole très bas va porter préjudice ou au contraire favoriser le mouvement pour le climat. Si nous n’agissons pas, il est probable qu’un prix bas va plutôt contrecarrer, pour des raisons purement économiques, toute action climatique sensée. Quand le pétrole est bon marché, les gens réagissent en consommant davantage. On le voit déjà avec certaines tendances, comme le retour des véhicules 4×4. On est en train de perdre plusieurs avancées, permises par le surcoût financier des hydrocarbures, comme le retour aux transports en commun ou le covoiturage. Ces initiatives sont pourtant préférables pour l’environnement. La chute des prix est donc plutôt une mauvaise nouvelle.

Nous sommes cependant véritablement arrivés à un moment phare. Il suffit de constater à quel point le mouvement dont nous faisons partie est en pleine croissance. Nous sommes à l’aube des rencontres de Paris [la Conférence sur le climat (COP 21), fin décembre]. Le climat va devenir la préoccupation majeure en figurant à la une des médias. Par ailleurs, si l’on regarde du côté des énergies renouvelables, l’Allemagne a su aller de l’avant en très peu de temps : 20 à 25% de son électricité provient maintenant des énergies renouvelables.

En janvier, la couverture de The Economist [hebdomadaire britannique de référence sur les questions économiques et internationales] montre une silhouette bondissant d’une pyramide de barils de pétrole. Le titre nous dit « Saisissez la balle au bond ». L’éditorial qui suit précise qu’il s’agit là « d’une opportunité unique pour notre génération » pour changer notre système énergétique de manière radicale et pour en finir avec les mauvaises habitudes de consommation.

Il y a de bonnes raisons de penser que si l’on met en place les mesures politiques et économiques adéquates, ce pourrait être le bon moment pour mettre un terme aux énergies fossiles et pour faire pression en faveur d’une économie décentralisée et basée sur les énergies renouvelables. Cela fait plus de dix ans que le prix du baril de pétrole est entre 80 et 100 dollars, atteignant parfois même jusqu’à 120 dollars. Le prix est monté à 100 dollars le baril suite à l’invasion de l’Irak par les États-Unis en 2003. C’est à ce moment-là que tout a vraiment commencé.

Quel bilan peut-on dresser du travail de sensibilisation sur le changement climatique entrepris depuis une décennie ?

Naomi Klein : Pourquoi en dépit tout le travail de sensibilisation qui a été fait ces dix dernières années – « Une vérité qui dérange » [Documentaire sorti en 2006, associant le vice-Président états-unien Al Gore], le GIEC qui a reçu le Prix Nobel, ainsi que tous ces autres moments de sensibilisation autour du changement climatique –, rien ne s’est concrétisé en actions ? Parce que nous nous sommes heurtés à la puissance titanesque des gros profits générés par un prix du pétrole aussi élevé. A 100 dollars le baril, les gens deviennent dingues, c’est irrésistible. Malgré les avertissements des scientifiques, nous nous sommes précipités dans la mauvaise direction. Nous nous sommes lancés dans l’énergie fossile à outrance : les forages dans l’Arctique, les sables bitumineux, et la fracturation hydraulique. Tout ça à cause des prix élevés.

Nous sommes à présent en sursis. Tout cela n’est pas définitif. Ce qui baisse peut aussi remonter et va remonter. Nous disposons d’un peu de marge de manœuvre car beaucoup des projets que nous avons laborieusement tenté de stopper sont en train de péricliter tout seul. Beaucoup d’investisseurs se retirent des sables bitumineux ou suspendent leurs investissements qu’ils jugent trop coûteux. Il y a clairement moins de soutien au forage dans l’Arctique. Il est plus facile dans un tel contexte de remporter des victoires politiques.

« Quand vous affrontez les compagnies les plus riches de la planète, le combat n’est pas équitable »

Quand vous affrontez les compagnies les plus riches de la planète, on ne peut pas dire que le combat soit équitable. En revanche, quand leurs propres investisseurs se mettent à douter, je pense qu’il y a moyen de remporter de grandes victoires pour mettre un terme aux nouvelles frontières des combustibles fossiles, l’arrêt de la fracturation hydraulique et des forages dans l’Arctique. Tout cela est très lié à la logique du mouvement de désinvestissement et à la nécessité de laisser le charbon sous terre. Mais on sait pertinemment que l’on ne va pas gagner cette bataille du désinvestissement d’un seul coup.

Je crois que nous sommes aujourd’hui dans une bien meilleure position pour faire de telles avancées. Nous avons là une fenêtre d’opportunité et ce n’est pas le moment de nous reposer sur nos lauriers. Ce que je veux dire par là est que quand The Economist parle d’opportunité unique pour notre génération, comprenez bien, cela veut dire qu’une telle opportunité ne se représentera pas de sitôt.

Dans un contexte de crise économique, une taxe carbone est-elle toujours une bonne idée ?

Je ne pense pas qu’une taxe carbone soit la panacée mais si elle était mise en place progressivement, elle pourrait faire partie d’un ensemble de mesures nécessaires pour permettre la transition énergétique. L’une des raisons pour lesquelles il a été difficile d’exiger un certain prix pour le carbone ou de mettre en place une taxe carbone est que lorsque les consommateurs sont en difficultés, dans un contexte crise économique, il est délicat pour les politiques d’augmenter le prix de l’énergie. Pourtant lorsque le pétrole est tout à coup meilleur marché et que le montant des factures énergétiques baisse, le moment est opportun pour instaurer une taxe carbone à augmentation progressive.

Nous sommes maintenant capables de gagner des combats pour stopper l’exploitation de nos ressources en combustibles fossiles, et ce, en pleine période de chute des prix. Nous pouvons revendiquer une taxe carbone à augmentation progressive. Nous avons de formidables exemples de ce à quoi pourrait ressembler une transition énergétique rapide. Il me semble, pour être honnête, que nous vivons un moment inespéré.

Comment ne pas laisser filer cette occasion ?

J’ai été longtemps hantée par les conséquences de 2008 quand la crise financière a frappé et que nous avons tous été témoins du transfert de l’argent public vers les banques. A ce moment précis nous aurions pu assister à un véritable bon en avant, surtout aux Etats-Unis parce que Obama venait d’être élu et qu’il entendait faire du changement climatique l’une de ses priorités. Les industries automobiles faisaient faillite, c’était le moment de rédiger un plan de relance. Nous aurions pu alors dire aux banques de financer la transition énergétique. Au lieu de cela, les gens se sont démobilisés. Ils étaient dans l’attente de voir ce qu’allait faire Obama. A ce moment-là, quand nous n’avons pas saisi notre chance, je me suis demandée « connaîtrons-nous de nouveau une telle opportunité avec un tel potentiel ? ». Aujourd’hui il me semble qu’une deuxième chance nous est donnée.

Nous avons de nouveau une ouverture. De grands changements politiques sont en train de se produire. Syriza vient de gagner en Grèce, c’est un sacré message. Podemos est en train de monter en Espagne. Les partis politiques ont besoin d’être conseillés sur le prochain modèle économique et sur la forme qu’il devra prendre. Je crois que le mouvement pour le climat devrait prendre part à ce débat.

Que souhaitez-vous au mouvement pour le climat en 2015 ?

Ce qui m’obsède, c’est la sensation que l’on n’arrive pas à éviter la rétention d’information. Les gens qui travaillent sur le changement climatique n’interagissent pas suffisamment avec ceux qui travaillent pour la sphère publique et qui luttent pour les biens communs ou contre l’austérité, alors qu’il peut s’agir des mêmes personnes. Ils changent de casquette selon qu’ils abordent le climat, les coupes budgétaires ou l’austérité. D’un coup la conversation change de ton même si d’un point de vue intellectuel il est évident que l’on parle d’une seule et même chose.

+J’ai beaucoup d’espoir avec la prochaine COP qui se tiendra en Europe. Je pense que cela augure de formidables opportunités : en Europe le mouvement contre l’austérité est très puissant. Plusieurs partis politiques avec des programmes anti-austérité gagnent ou sont sur le point de gagner des élections. C’est l’occasion de rassembler nos mouvements afin de discuter tous ensemble. Ce que je souhaite c’est que le mouvement ouvrier, le mouvement contre les coupes budgétaires, le mouvement pour le climat travaillent réellement ensemble pour formuler une demande cohérente en faveur d’une transition équitable, en s’appuyant sur le choc des prix pétroliers comme d’un catalyseur.

« Nous nous battons pour que ceux qui s’en tirent le plus mal soient les premiers à bénéficier d’un nouveau modèle économique »

Pourquoi nous battons-nous ? Pour garder les ressources sous terre, pour empêcher de nouvelles frontières pour les combustibles fossiles, pour des sociétés entièrement approvisionnées en énergies renouvelables, pour des transports en commun gratuits, pour que les pollueurs paient et pour que la manière dont nous financerons la transition soit juste. Nous nous battons pour que ceux qui s’en sont le plus mal tirés sous l’ancien modèle économique soient les premiers à bénéficier du nouveau modèle. Voilà certains des principes sur lesquels nous sommes tous d’accords et pour lesquels nous sommes prêts à nous rassembler.

Mon souhait pour 2015 est que nous mettions en avant cette vision claire en rassemblant tous nos mouvements car ils se mobilisent incroyablement bien. Certains d’entre vous auront peut-être lu mon article qui tentait de faire le lien entre le mouvement #BlackLivesMatter [Mouvement apparu aux Etats-Unis après l’assassinat d’un Noir par un policier blanc à Ferguson] et celui pour la justice climatique. Tout ce pour quoi nous nous battons est basé sur le principe de justice raciale. La manière dont nos gouvernements gèrent la crise climatique ne tient pas compte de la dépréciation de la vie des Noirs par rapport à celle des Blancs. Nous devons dénoncer cette gestion raciste de la crise climatique, et pour cela, il va falloir se mobiliser.

(…)

Pour en revenir au prix du pétrole à la baisse, un autre élément non négligeable est celui des réserves de combustibles fossiles qui ne sont pas très performantes. Ces réserves n’ont pas un bon rendement. Nos opposants ont donc perdu leur meilleur argument, mais pas pour longtemps, d’où la nécessité de continuer à travailler avec acharnement. Les institutions qui y investissent non seulement détruisent la planète mais elles prennent des risques inutiles avec leurs dotations.

Encore une remarque au sujet du prix du charbon : lorsque l’on qualifie ce secteur de peu scrupuleux en argumentant que son plan de développement est en conflit avec la vie sur terre, nous créons un champ intellectuel et politique où il est plus facile de taxer les profits, d’augmenter les royalties et, même en cas de résistance trop forte, de nationaliser les sociétés en question. Il ne s’agit pas juste de se dissocier de ces sociétés, nous avons aussi un droit sur ces profits. Si ces profits sont si illégitimes que l’université d’Harvard [Plusieurs universités états-uniennes retirent les placements qu’elles détiennent dans le secteur des énergies fossiles, ndlr] ne devrait pas y être mêlée, les contribuables devraient aussi y avoir accès pour financer la transition énergétique et la facture d’une crise créée par ce même secteur. Il ne s’agit pas uniquement de nous dissocier de leurs profits mais potentiellement d’en récupérer une grande partie.

Notes : [1] Pour voir l’intégralité de la conférence en anglais, c’est ici (vidéo).[2] Des questions ont été modifiées ou intercalées pour structurer l’entretien.

Pour un populisme climatique

Fabrice Flipo – Maître de conférences en épistémologie et philosophie des sciences et techniques
http://blogs.mediapart.fr/blog/fabriceflipo/041214/pour-un-populisme-climatique

Dans 300 jours la France accueillera le 21e sommet sur le changement climatique. L’enjeu : un réchauffement possible de 6°C d’ici 2100, voire davantage au-delà. La température moyenne de la Terre serait alors portée à plus de 21°C, contre 15°C en 1850. Nul ne sait exactement quelles seront les conséquences. La Terre n’a pas connu de telles températures depuis des dizaines de milliers d’années. 6 à 8°C de moins, par contre, correspond à une situation bien connue : c’est celle de l’époque glaciaire, quand le niveau de la mer était 120 mètres plus bas et que la banquise s’arrêtait à Brest. La France connaissait approximativement le climat que l’on peut aujourd’hui observer en Scandinavie, et le Sahara était verdoyant. A seulement 2,4°C de réchauffement, le climat méditerranéen remonte d’Orange jusqu’à Paris, en quelques décennies seulement.

 

En signant la Convention-Cadre, en 1992, le monde entier s’est engagé à prendre les mesures nécessaires pour «ne pas déstabiliser le système climatique». Pourtant les émissions augmentent. Au cœur de la divergence entre États : la justice. Chacun a son critère : les États-Unis mettent en avant leur « efficacité » (quantité de dollars produits par tonne de CO2), la Chine les émissions par habitant, le Brésil la juste part qui revient à chaque habitant terrestre d’un « gâteau climatique » dont nul ne peut se dire propriétaire, l’Inde la nécessité d’un niveau « de survie » d’émissions de gaz à effet de serre, les pays les moins avancés la nécessité de moyens supplémentaires pour disposer de techniques efficaces etc. D’où 22 ans de blocage des négociations, après un démarrage qui était pourtant prometteur. C’est pour cette raison qu’il n’y a rien à attendre de cette 21ème édition.

 

Que faire ? Plus que jamais le destin des peuples est entre leurs mains. L’enjeu est de créer des situations dans lesquelles le gaz à effet de serre est saisi, montré, représenté, problématisé sur le plan politique, qu’il devienne un problème public au sens de J. Gusfield1 : quelque chose dont on parle au quotidien et que l’on perçoit comme un mal public. Le fil conducteur des actions à entreprendre est donc d’investir l’espace public en s’appropriant la problématique climat. Rien ne bougera tant que le problème restera contenu dans des cercles étroits, militants ou non, car ils seront battus en brèche par les sophistes de toutes sortes qui, tels Pascal Bruckner, s’intéressent moins à la vérité qu’à répercuter à l’infini la doxa suggérée par les intérêts établis, à la manière des courtisans. De tels individus sont nombreux et leur rôle est dans le fond d’accréditer un doute sélectif, profitant à l’ordre établi.

 

Dans ce contexte la revendication écologiste classique (« -80 % d’ici 2050 ») est moins importante que la capacité à mettre en scène des problèmes et d’ouvrir des possibles, auprès d’un public qui est très fragmenté sur la question. Le gaz à effet de serre ne peut pas représenter la même chose pour une école qui croit ne pas en émettre (puisqu’elle n’héberge pas de moteur) que pour un transporteur routier, ou pour Paris dont 40 % des émissions provient des touristes qui visitent la ville que pour un village très dépendant de l’automobile. Ce manque d’homogénéité des situations explique d’ailleurs l’échec récurrent de l’écotaxe. Compte-tenu de la diversité des situations, les mots d’ordre doivent inévitablement être pluriels.

 

Le critère d’un bon sommet serait donc celui-ci : que le climat se trouve omniprésent dans les discussions, pendant plusieurs semaines, dans les écoles, les entreprises, les administrations, dans les rues, les cafés etc. et même les stades de foot. Qu’une alphabétisation massive se produise, sur ces questions, puisqu’on ne peut pas compter sur les médias. Que l’on se mette à repérer le gaz à effet de serre aussi bien que le déficit public, qui n’est pas plus perceptible. S’ils ont un peu le sens des responsabilités, tous les medias, leaders d’opinion, représentants etc. dans la fonction totalisatrice qui est la leur doivent se saisir de la question, à leur manière.

 

En résumé, COP21 doit être le lieu d’une sorte de mobilisation générale contre le gaz à effet de serre, mettant à l’honneur les possibles décarbonés et plus généralement écologiques qui s’offrent à nous et que nous peinons tant à saisir, en dépit de leurs promesses (en emplois notamment).

 

1La culture des problèmes publics, Economica, 1994.

La société civile philippine rappelle à Hollande ses engagements sur le climat

Maxime Combes 26 février 2015
www.bastamag.net/Francois-Hollande-aux-Philippines-quand-les-paillettes-supplantent-les-actes

Des stars et des paillettes au pays dévasté par les typhons. La visite de François Hollande aux Philippines, en présence de Marion Cotillard, Mélanie Laurent et Jeremy Irons, est la première visite officielle d’un chef de l’État français dans l’archipel de plus de 7 000 îles, dont une bonne partie est extrêmement vulnérable aux conséquences des dérèglements climatiques. De dévastateurs typhons, dont la fréquence et l’intensité augmentent au fil des ans, balaient chaque année le pays. En novembre 2013, le typhon Haiyan a causé plus de 7 000 morts, rasé des villes et des villages entiers et occasionné des dégâts toujours visibles.

François Hollande, dont la conversion à l’urgence climatique est récente (voir notre article), proclame sa volonté de « laisser une trace » dans l’histoire en obtenant un « accord historique sur le climat » lors de la prochaine conférence internationale de l’Onu sur le changement climatique qui se tiendra à Paris (Le Bourget) en décembre 2015. Avec le président philippin Benigno Aquino, il prévoit de rendre public un « Appel de Manille pour le climat » visant à solliciter « la mobilisation de tous en vue d’un accord à Paris ». Une opportunité saisie par les organisations philippines œuvrant à la justice climatique pour rappeler quelques-unes de leurs exigences, tant envers François Hollande et les pays développés, qu’envers leur propre gouvernement.

« Simple coup de publicité »

Ces organisations ne veulent pas que « ce déplacement se transforme en un nouveau fiasco de promesses et de déclarations non suivies d’effets ». Ils ne veulent pas que ce soit un « simple coup de publicité ». Ils exigent au contraire que cet appel de Manille « ait du sens pour le peuple philippin et pour les populations vulnérables de la planète ». Ils demandent au Président de la République française et à l’ensemble des gouvernements de la planète de s’engager à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre de manière à ne pas dépasser 1,5°C de réchauffement global. On en est très loin. A l’heure actuelle, les engagements des pays conduisent à un réchauffement de plus de 3,5°C, occasionnant une forte montée du niveau des mers, la disparition de nombreuses îles et côtes peuplées et une augmentation de la fréquence et de l’intensité des phénomènes climatiques extrêmes.

Pour la société civile philippine, il ne suffit pas de promettre la fin des soutiens au charbon, encore faut-il la mettre en œuvre « immédiatement », écrivent ses représentants dans une déclaration rendue publique ce jeudi 26 février (télécharger le document). Ils réclament également les financements adéquats permettant aux pays du Sud de financer leurs politiques d’atténuation et d’adaptation face au réchauffement climatique. Ils font remarquer que le milliard de dollars promis par François Hollande pour alimenter le Fonds Vert pour le climat est ridicule au regard du coût des conséquences des dérèglements climatiques. Les dégâts occasionnés par le typhon Haiyan s’élevent à plusieurs dizaines de milliards de dollars.

Les exigences des mouvements philippins comprennent également le rejet des mécanismes de compensation et de marché carbone. Et tracent les contours de ce que devraient être les engagements de la communauté internationale dans la perspective d’un accord contraignant, à la hauteur des enjeux. Il n’est pourtant pas certain qu’ils soient entendus. Alors que l’urgence climatique se précise, François Hollande va-t-il une nouvelle fois se limiter à quelques photos « people » et à de nouveaux discours non suivis d’effets ?

L’autre appel de Manille

Les invités de Mediapart, Maxime Combes (Attac) et Nicolas Haeringer (chargé de campagne pour 350.org) ont rédigé cette version de l’Appel de Manille, que Marion Cotillard, qui fait partie du voyage présidentiel aux Philippines jeudi 26 et 27 février, aurait pu lire…
http://blogs.mediapart.fr/edition/climatiques/article/260215/lautre-appel-de-manille

Mesdames, messieurs,

C’est un immense honneur, pour moi, Marion Cotillard, de partager avec vous cet appel de Manille. À quelques mois de la conférence de Paris sur les changements climatiques, il a vocation à marquer l’engagement de l’ensemble des chefs d’États et de gouvernement. Un engagement résolu et indispensable pour des mesures courageuses afin d’inventer un futur vivable.

Cet engagement doit notamment être le vôtre, Monsieur le Président Hollande. Vous avez là, en tant qu’hôte de la conférence des Nations Unies de Paris, une occasion unique de jouer un rôle historique. Si j’étais à votre place, si un réalisateur décidait de me mettre au générique de la Conférence de Paris à votre place, voici le discours que je tiendrais.

Moi, présidente de la République, je m’engage à prendre toutes les mesures nécessaires pour maintenir le réchauffement climatique sous la barre des 1,5°C. Je ferais en sorte de convaincre l’ensemble de la communauté internationale de me suivre dans cette voie. Je sais en effet que c’est la condition indispensable à un futur vivable – c’est le seul moyen d’éviter que les typhons tels que ceux qui ravagent chaque année les Philippines ne deviennent le quotidien de centaines de millions d’habitants de notre planète. C’est d’ailleurs ce que me demandent les organisations de la société civile philippine à l’occasion de ma visite dans l’archipel.

Moi, présidente de la République, je m’engage à coordonner les efforts de l’ensemble de mes homologues : nous devons définir des objectifs globaux de réduction des émissions de gaz à effet de serre à partir desquels nous devons déterminer les engagements de chaque pays.

Moi, présidente de la République, je prends l’engagement de travailler à ce que la conférence de Paris débouche sur un accord contraignant, juste et ambitieux. L’accord de Paris doit avoir force légale. Moi, présidente de la République, je ne me laisserais pas berner par la chimère d’une action volontaire, par le bas : je sais bien qu’en la matière, seul un traité international, juridiquement contraignant, nous permettra de relever le défi de la lutte contre le changement climatique.

Moi, présidente de la République, je ferai tout mon possible pour convaincre la communauté internationale de mettre un terme à l’ère des combustibles fossiles. Car je sais que les réserves de charbon, de gaz et de pétroles actuellement exploitées ou en passe de l’être, représentent plus de trois fois le montant des émissions de gaz à effet de serre que nous pouvons nous autoriser à émettre si nous voulons préserver nos chances de sauver le climat.

Je vous le dis dès aujourd’hui : moi, présidente de la République, la France ne subventionnera désormais plus les entreprises de ce secteur. Elles ne bénéficieront plus d’aucune aide, directe ou indirecte. En cette période où nous demandons à chacun de nos concitoyens de faire des efforts pour réduire les déficits, il me paraît juste d’être particulièrement exigeante vis-à-vis d’entreprises qui ne cessent de s’enrichir en détruisant le climat.

Moi, présidente de la République, je reconnais que les combustibles fossiles constituent une véritable bombe climatique – et que le charbon, le gaz et le pétrole appartiennent à notre passé.

Moi, présidente de la République, j’œuvrerais donc à l’interdiction de toute forme de subvention publique au secteur de l’énergie fossile – à ce jour, les pays du G20 versent près de 80 milliards d’euros par an aux entreprises de ce secteur, alors même qu’il détruit notre planète et hypothèque notre avenir.

Moi, présidente de la République, je vais favoriser les « vraies » solutions au changement climatique et lever toutes les barrières à la construction d’une véritable transition énergétique, vers le 100 % renouvelables.

Moi, présidente de la République, j’ai l’ambition d’inverser le ratio actuel (pour 1 euro investit dans les renouvelables, 4 euros sont investis dans les fossiles).

Moi, présidente de la République, je m’engage ainsi à ce que toutes les institutions publiques désinvestissent du secteur des combustibles fossiles et investissent dans les renouvelables.

Moi, présidente de la République, j’affirme ma détermination à renoncer à tous les accords de libre-échange et d’investissement (comme Tafta) qui constituent autant d’obstacles supplémentaires dans la lutte contre le changement climatique et pour la transition énergétique.

Moi, présidente de la République, je sais que je n’ai pas rendez-vous avec l’Histoire. Je sais bien qu’il ne s’agit pas d’un rôle. Je ne dois pas camper une super-héroïne, qui, seule, pourrait sauver la planète. Je sais, par mon expérience d’actrice, distinguer ce qui relève de la fiction de ce qui relève de l’action. Moi, présidente de la République, je m’engage tout simplement à faire preuve de bons sens et de courage politique pour soutenir, promouvoir et encourager l’implication citoyenne dans la transition écologique et sociale dont nous avons besoin.

Moi, présidente de la République, je sais que je fais partie des quelques personnes qui ont le pouvoir de décider si l’Histoire se fera contre contre les habitants des zones côtières des Philippines, contre les petits paysans du Sahel, contre les petits pêcheurs de l’Océan Indien, contre celles et ceux d’entre nous qui souffrent déjà des conséquences du réchauffement climatique ; ou bien si cette Histoire s’écrira avec elles et pour elles. C’est là le vrai enjeu de la conférence de Paris que j’ai l’immense honneur d’accueillir à la fin de l’année.

Du fond du coeur, je vous remercie,

Marion Cotillard (avec l’aide de Maxime Combes et Nicolas Haeringer)