Articles du Vendredi : Sélection du 7 novembre

2040rako CO2 isurketak %90 murriztea adostu du Europar Batasunak, malgutasunez bada ere
Jenofa Berhokoirigoin
www.argia.eus/albistea/2040rako-co2-isurketak-90-murriztea-adostu-du-europar-batasunak-malgutasunez-bada-ere

Ostegun eta ostiral honetan heltzekoak dira Brasilgo Belem hirira munduko 60 bat estatuburu, azaroaren 10etik 21era iraganen den klimari buruzko COP30 gailurraren kari. Europar Batasunak gailurrera adostu behar zuen bere klima plana eta 2040erako CO2 isuriak %90 murrizteko engaiamendua berretsi badute ere, karbono-merkatuen bidez lortzeko bidea onartua dute.

« Zailtasunez » bada ere, adostasunarena heldu dira Europar Batasuneko 27 Ingurumen ministroak: 1990koei alderatuta, 2040rako CO2 isuriak %90 murrizteko bide-orria berretsi dute. Baina lortu ahal izateko, malgutasunez jokatu behar izan dute, izan ere geroz eta ordezkaritza handiagoa duen eskuin muturrak horrelakorik ez zuelako nahi. Hori horrela, karbonoa isurtzeko eskubideak erosiz, betetzen ahalko dute helburua, « nazioarteko karbono-kredituen %10 erosteko aukera » izanen dutelako –hastapen batean %5 eta ondoko klima legean %5 gehitzeko bermea ere jasotzen ahalko dute–. Klima neutraltasuna 2050erako lortzea da asmoa, beti ere 2015eko Pariseko COP21 gailurrarekin bat eginez.

Erabaki hori Nazio Batuen Ingurumen Programaren Emission Gap Report 2025 txostenaren biharamunean dator. Industriaurreko aroarekin alderatuta, mundua 2,3 eta 2,5 gradu arteko berotze batera doala ohartarazten du dokumentu horrek. Horregatik zaie Europar Batasunak adostu klima plana « eskasegia » ingurumenaren alde dabiltzan GKEei. « Zientzialariek klima-inflexio-puntuei, bero-bolada hilgarriei edo nekazaritza-galerei buruz egiten dituzten ohartarazpenak ugaritzen diren bitartean, seriotasun falta hori guztiz arduragabea da, eta kostu sozial eta ekonomiko tamalgarriak eraginen ditu », Greenpeacen arabera.

Asteartean bukatzekoak zituzten negoziaketak, baina horrelakorik ez zuten lortu. Iritzi eta postura ezberdinak izateaz gain, akordioak jaso beharreko babesaren heinak ere zaildu die adostasunerako bidea: gehiengo kualifikatua behar zuen, hots, estatu kideen %55en gutxieneko babesa –27etatik 15ena–, eta estatu horiek EBko biztanleen %65 izatea gutxienez. Polonia, Italia eta Frantziako Estatua izan dira klima helburuen aurkari sutsuenak eta horien baiezkoa lortzeko gisan malgutu behar izan dute bide-orria.

Ingurumenaren alde dabiltzan GKEek nahiko argi dute Pariseko 2015eko COP21goi bileran adosturiko helburua ez dela beteko –industria aurreko datuei alderatuta, 2100 urterako tenperatura igoerak ahalaz 1,5 graduren langa ez gainditzea, eta okerrean 2 gradurena–.

Karbonoaren merkatua errepide bidezko garraiora eta eraikinen berokuntzara zabaltzeko aukera urtebetez, 2027tik 2028ra, atzeratzea ere onartu dute. Hungariaren edo Poloniaren aldarrikapena zen hori eta kolpe gogorra da klimaren aldeko konpromiso handiena duten herrialdeentzat.

Bi urtero berrikusteko aukera

Klimari buruzko lege hori bi urtean behin berrikusteko klausula ere onartu dute EBko kideek. Hori horrela, jarritako helburuak doitu ahalko dituzte, baldin eta finkatutakoa zailegia bazaie. Nola ez, horrek ere eragin du ekologisten kexua.

2024a izan zen inoizko urterik beroena, eta 1,5 graduko igoeraren langa gainditu zen lehen aldiz, industria aitzineko batez besteko tenperatura aintzat hartuta.

Laurent Fabius au « Monde » : « Il faut rappeler aux Etats leurs devoirs en matière climatique et qu’il s’agit des conditions mêmes de vie de l’humanité »
Audrey Garric
www.lemonde.fr/planete/article/2025/11/05/laurent-fabius-il-faut-rappeler-aux-etats-leurs-devoirs-en-matiere-climatique-et-qu-il-s-agit-des-conditions-memes-de-vie-de-l-humanite_6652058_3244.html

L’ancien ministre des affaires étrangères, qui a scellé en 2015 l’accord de Paris sur le climat, s’inquiète du contexte international et politique, alors que la COP30 s’ouvre jeudi, à Belem, au Brésil.

Le 12 décembre 2015, Laurent Fabius, le président de la COP21, scellait l’adoption de l’accord de Paris sur le climat, le premier traité international de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Dix ans plus tard, alors que s’ouvre le sommet des dirigeants de la 30e conférence des Nations unies sur le climat (COP30), jeudi 6 novembre à Belem (Brésil), l’ancien ministre des affaires étrangères se dit préoccupé par la remise en cause du multilatéralisme climatique. Nommé par Brasilia président du « cercle des présidents de COP », il détaille les enjeux de l’événement.

Quels sont les objectifs de la COP30 ? Et à quoi mesurera-t-on son succès ?

Je résumerai l’objectif de la COP30 par trois « i » : « implementation » [mise en œuvre], « inclusion » et « innovation ». A Belem, il ne s’agit pas de négocier de nouveaux objectifs spectaculaires, mais de s’assurer que ceux qui ont été déjà fixés lors des dernières années seront réellement appliqués, notamment l’abandon progressif des énergies fossiles et les financements climat.

L’inclusion, c’est donner un rôle plus important aux acteurs locaux et aux entreprises, et lier les enjeux du climat avec d’autres, qui en sont inséparables (biodiversité, désertification, océans…). L’innovation consistera notamment à souligner le nouveau rôle de la justice dans l’action pour le climat, à mettre en garde contre la désinformation climatique et, surtout, à organiser un suivi précis des initiatives sectorielles volontaires lancées lors des précédentes COP. La présidence brésilienne évoque une COP de la vérité et du multilatéralisme.

A Paris, nous avons bénéficié de la conjonction des trois « s » : « science », « society » et « states » [la science, la société et les Etats], qui, unis, soutenaient l’action climatique. Aujourd’hui, la situation est différente : la science est attaquée, de grands Etats et entreprises du secteur des énergies fossiles et certaines formations de droite et d’extrême droite contestent la nécessité d’agir ; quant au multilatéralisme, il est mis directement en cause. Nous devons défendre avec une fermeté absolue l’accord de Paris.

Comment avancer dans ce contexte géopolitique tendu ?

Il n’y a pas de solution magique. Il faut d’abord rappeler aux Etats leurs devoirs en matière climatique et qu’il s’agit des conditions mêmes de vie de l’humanité. En juillet, la Cour internationale de justice a conclu que les pays qui ne cherchent pas à limiter le réchauffement à 1,5 °C violent un devoir.

Il faut également souligner que, pour les entreprises, la prise en compte du climat est une clé de leur compétitivité. Les COP servent aussi à dresser un bilan de ce que chacun a fait ou pas fait, devant les pairs et l’opinion publique internationale.

Malheureusement, la limite de 1,5 °C risque d’être dépassée. Pour y revenir, il faut à la fois réaliser sans tarder la transition hors des énergies fossiles, retirer des masses de CO2 et de méthane de l’atmosphère, et préserver les puits de carbone.

Les Etats-Unis, deuxième pollueur mondial, qui vont quitter l’accord de Paris, tentent de saper des avancées comme celle sur la décarbonation du transport maritime… Comment résister à leur influence ?

Jusqu’ici, heureusement, seuls les Etats-Unis sont partis. Et la présidence américaine ne représente pas toute la nation : de multiples Etats, villes et entreprises demeurent engagés outre-Atlantique. Reste que les autres pays ne sont pas tous enthousiastes, leurs nouveaux engagements climatiques restant toujours insuffisants : ils entraîneront une baisse des émissions mondiales de 10 % d’ici à 2035 par rapport à 2019, là où il faudrait – 60 % pour tenir la limite de 1,5 °C. Dans ce contexte, l’Europe doit continuer à être ambitieuse.

Nous avons besoin aussi d’alliances et d’un accord solide, notamment avec la Chine, de maintenir la pression sur les Etats pétroliers et de mécanismes de financement efficaces pour les pays en développement.

Comment réagissez-vous au fait que l’Union européenne n’ait pas encore envoyé à l’ONU son nouveau plan climat et que ce dernier risque de ne pas être assez ambitieux [L’entretien a eu lieu avant que l’UE ne s’entende sur ses nouveaux objectifs] ?

Par le passé, l’UE a joué un rôle de leader. Elle doit continuer à le faire. C’est une obligation juridique, mais c’est aussi notre compétitivité, notre souveraineté et notre influence qui sont en jeu.

Comment les pays peuvent-ils accroître les financements climatiques à destination des nations en développement, alors qu’ils n’y sont pas parvenus à la COP29, en 2024 ?

Cette question des finances est complexe et déterminante. Beaucoup de pays peinent à accroître leur effort public pour le climat alors même que les budgets de défense augmentent, et la finance privée reste trop faible. A Belem, il faudra au moins que la feuille de route pour trouver 1 300 milliards de dollars [1 130 milliards d’euros] par an soit fixée clairement, avec des points d’étape réguliers.

Beaucoup de propositions sont avancées, par exemple faire intervenir davantage les banques multilatérales de développement. On évoque aussi de nouvelles taxes, sur les billets d’avion ou sur les milliardaires : ce sont des pistes, mais difficiles à généraliser. Enfin, partout la justice climatique est essentielle : sans aide financière, sans accompagnement social, la transition alimente les résistances et les refus.

Quel bilan tirez-vous de l’accord de Paris, dix ans plus tard ?

L’accord de Paris a défini les objectifs (la neutralité carbone, limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C, etc.), ainsi que les procédures pour y parvenir, et il a permis d’importants résultats. Le monde ne se dirige plus, en effet, vers un réchauffement de plus de 4 °C à la fin du siècle, comme en 2015, mais de 2,8 °C. Même si c’est encore trop, chaque dixième de degré en moins, ce sont des millions de vies sauvées. Passer de 4 °C à 2,8 °C, c’est, concrètement, supprimer en moyenne cinquante-sept jours de canicule par an à l’échelle mondiale. Paris a aussi permis une accélération considérable pour les énergies propres, qu’il s’agisse des technologies, des investissements et des emplois.

Mais il y a un très gros « mais » : les 1,5 °C vont être dépassés, les catastrophes climatiques s’enchaînent et le mécanisme de l’accord de Paris est lui-même mis en cause par certains. La présidence américaine attaque la science, elle fait pression sur les grandes agences scientifiques et les institutions financières. On observe aussi, au-delà du climatoscepticisme, un climato-attentisme, qui relativise le changement climatique sous prétexte que d’autres problèmes seraient plus importants ou plus urgents.

Pour lutter face au Covid-19, on a su dégager en peu de temps des centaines de milliards de dollars. Pourquoi ? Parce que, c’est terrible à dire, il y avait la mort en perspective proche. S’agissant du réchauffement climatique, la question est de savoir si, collectivement, on saura avancer à temps et suffisamment, ou si on n’avancera que sous le coup de catastrophes grandissantes, et trop tard.

Léa Hobson : « Avec le béton, on a inventé le bâtiment jetable »

Lucie Delaporte
www.mediapart.fr/journal/ecologie/251025/lea-hobson-avec-le-beton-invente-le-batiment-jetable

Malgré son rôle dévastateur sur le climat et la biodiversité, le béton ne cesse d’étendre son emprise sur le monde. L’architecte et militante écologiste Léa Hobson décrypte, dans un livre-enquête, les multiples facettes de cette filière obstinément soutenue par les pouvoirs publics.

Malléable, pas cher, réputé indestructible… En quelques décennies, le béton s’est imposé partout. Devenu hégémonique dans la construction, il a évincé tous les autres modes de bâtir.

Son coût écologique est pourtant faramineux. Un mètre cube de béton équivaut à 250 kilogrammes d’équivalent CO2 et le matériau est l’un des plus gros contributeurs au réchauffement climatique. Très gourmand en eau et en sable, il détruit aussi les sols, les rivières et les littoraux. L’artificialisation des terres bétonnées est aussi la principale cause de l’effondrement de la biodiversité.

Dans un livre-enquête passionnant, Désarmer le béton. Ré-habiter la terre (La Découverte), l’architecte Léa Hobson, militante aux Soulèvements de la terre, s’attache à décrire les enjeux écologiques, politiques et sociaux de la filière béton.

De l’extraction des granulats aux petits arrangements dans les couloirs du pouvoir, elle dépeint l’envers d’une filière devenue un des piliers du capitalisme français. À tel point, d’ailleurs, que lorsque des militants contestent son emprise, c’est dans le cadre de la lutte antiterroriste que cette filière est protégée par l’État. Entretien.

Mediapart : Qu’est-ce qui vous a conduit à vous intéresser à cette filière du béton qui est encore mal connue et très opaque ?   

Léa Hobson : Quand j’ai fait mes études d’architecture il y a près de quinze ans, à l’aube du Grand Paris, les questions écologiques posées par l’utilisation de tel ou tel matériau n’étaient pas un sujet. Même si cela commence à changer, la manière dont le béton est produit, les conditions de travail sur les chantiers intéressent encore peu les architectes.

À partir des années 2010, les luttes contre les grands projets inutiles ont commencé à l’échelle européenne : contre la ligne Lyon-Turin, contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes… La question du bétonnage des terres était omniprésente. Mon intérêt pour le béton est venu de ce militantisme parce que je voyais les ravages causés : ce que ça fait à la terre, ce que ça fait aux milieux, ce que ça fait aux vies humaines.

Pour produire un mètre cube de béton, il faut près de 350 kilos de ciment, 800 kilos de sable, une tonne de granulats et des centaines de litres d’eau… Le béton étouffe aussi la vie des sols. Cette déconnexion entre cette réalité et le monde des architectes m’a vraiment mise en colère.

Le coût écologique est tellement énorme que ça devrait être un matériau utilisé avec parcimonie.

L’industrie du béton est mal connue du fait de sa très grande fragmentation. Je voulais donc percer cette opacité qui arrange bien cette industrie et rendre accessibles, intéressants et tangibles, les enjeux posés par cette filière à un public qui n’est ni militant, ni issu de ce monde professionnel, et qui est pourtant usager du béton.

Votre travail s’attaque à un discours associant le béton à une modernité heureuse : un matériau solide, qui ne se dégrade jamais, qui ne coûte pas cher… Celui qui a permis de construire des logements accessibles dans des formes audacieuses.

Le sable pour fabriquer du béton est la deuxième ressource extraite après l’eau. Son extraction massive est une catastrophe pour les rivières, les sols, les littoraux… Cela a été occulté.

Sur ce point, on peut faire le parallèle avec l’industrie du tabac ou les pesticides. Les premières alertes de scientifiques sur les conséquences écologiques sur l’extraction de sable dans les rivières remontent aux années 1960-1970. C’est écrit noir sur blanc que cette extraction provoque la baisse du niveau des rivières et a des conséquences désastreuses sur tous les bras secondaires. Et pourtant, l’interdiction d’extraire dans le lit mineur des rivières ne date que de 1994, car il fallait vendre le béton qui n’était plus simplement un matériau mais un produit.

Contrairement à ce qu’on croit souvent, le béton vieillit mal. Pour faire toutes les constructions qu’on fait aujourd’hui, on ajoute au béton une armature d’acier. Or ces deux matériaux réagissent différemment au CO2 et les aciers se corrodent rapidement.

Avec le béton, on a en fait inventé le bâtiment jetable. Cela fait déjà bien une vingtaine d’années qu’on démolit massivement des bâtiments qui ont été construits dans les années 1950-1970 et qui sont déjà trop abîmés.  Le coût écologique est tellement énorme que ça devrait être un matériau utilisé avec parcimonie. Il devrait être considéré comme un produit de luxe.

Pourtant, on entend encore souvent que le béton est une solution à la crise du logement, parce qu’il permettrait de construire vite et pas cher.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Il n’y a aucun lien entre la croissance démographique, qui est d’ailleurs plutôt stagnante, et la construction de logements.

Il n’y a plus de croissance démographique, et pourtant on continue à construire et à bétonner, sans que la « crise du logement » soit résorbée. Mais c’est parce que le problème n’est pas d’abord une quantité de bâti. Les gens n’arrivent plus à se loger, mais on n’a jamais eu autant de bâtiments vacants : plus de trois millions en France !

Rien qu’en Île-de-France, on a 400 000 logements vacants, soit dix fois plus que le nombre de sans-abris. Sans parler du nombre considérable de bureaux vides, qui pourraient être transformés en logements et que l’on continue de construire. La construction neuve ne résoudra rien si l’on ne restreint pas massivement les locations de courte durée dans des zones tendues, et si l’on ne réquisitionne pas les bâtiments vacants.

Un bâti en pierres ou en matériaux biosourcés est fait pour durer des siècles et non cinquante ans.

Il y a une réalité économique. Une maison neuve en pierres coûte plus cher qu’une maison en parpaings et rénover une maison coûte potentiellement le même prix que de construire une maison neuve en parpaings.  Mais il faut regarder au-delà du coût à court terme.

Un bâti en pierres ou en matériaux biosourcés est fait pour durer des siècles et non cinquante ans. Il y a aussi des enjeux de santé. Quel air je respire dans une maison faite avec des parpaings, des isolants minéraux et de la peinture issue de la pétrochimie ? Quelles sont les conséquences sanitaires des îlots de chaleur urbaine causés par le béton ?

C’est pour cela qu’il faut des politiques publiques. Le logement, le bâti, doivent être de la responsabilité de l’État et pas de l’individu.

Vous décrivez l’intrication entre l’industrie du béton et un monde politique qui s’est mis à son service. Malgré le coût écologique, les normes édictées dans la construction privilégient le béton au détriment de toutes les alternatives.

Le BTP représente entre 5 et 8 % du PIB de la France, c’est vraiment un pilier de l’économie. Depuis le second après-guerre, il y a eu cette volonté de moderniser le pays par le béton. Je décris les liens d’accointances très forts entre les responsables politiques et les industriels du béton, qui ont toujours su mener auprès des premiers un lobbying efficace.

Pour ce qui est des normes, il en faut bien sûr pour avoir des bâtiments qui ne soient pas dangereux. Mais les témoignages des acteurs des filières biosourcées ou de la filière bois que j’ai pu recueillir montrent aussi comment certaines normes décidées par l’administration française ont complètement freiné leur développement. Les normes qui leur sont imposées avec un très fort poids du lobby du béton sont pratiquement inatteignables.

Le béton, contrairement à la terre crue par exemple, répond à des formules chimiques stables, millimétrées, ce qui est adapté à de la construction industrielle, standardisée. Le déclin de la construction en pierre de taille est aussi un bon exemple. Les normes sur la pierre sont devenues beaucoup plus restrictives − avec des critères parfois absurdes − au moment où le béton était en train de s’imposer. Il y a eu un choix politique.

L’histoire de l’architecture et des bâtiments, rien qu’en France et sans même parler à l’échelle mondiale, est pourtant marquée par une très riche diversité des matériaux et de façons de construire : le pisé à Lyon, le granit en Bretagne, etc. Autant de façons de construire qui ont disparu au profit de l’hégémonie du béton.

Face aux critiques sur les ravages écologiques du béton, la filière assure aujourd’hui qu’elle peut produire du « béton vert ». Est-ce une alternative ?    

Depuis quelques années, je vois la critique contre le béton se focaliser sur les émissions carbone. Cela arrange les cimentiers et toutes les multinationales parce que les émissions carbone, on peut effectivement les réduire par certains procédés. Il y a une recette de béton à base d’argile calcinée, le ciment LC3, qui produit effectivement moins de CO2. Mais pour l’instant, c’est très marginal dans la production.

Massifier ce béton bas carbone impliquerait de changer totalement les moyens de fabrication. On en est très, très loin. Mais surtout, la question du carbone ne règle rien aux dommages causés par l’extraction des granulats et l’artificialisation massive des sols.

Il y a aussi tout un greenwashing [ou écoblanchiment – ndlr] autour du « recyclage » du béton, qui est en fait très limité puisque 80 % des déchets de béton ne peuvent être utilisés qu’en sous-couche routière. D’où l’intérêt pour la filière béton d’entretenir et construire toujours plus de routes, comme le montre le livre Nelo Magalhães, Accumuler du béton, tracer des routes (La Fabrique 2024).

Le véritable réemploi consisterait à réutiliser des portions de bâtiments, mais cela implique de la part des architectes et de la maîtrise d’œuvre de changer complètement leur façon de pratiquer. Ils se sont habitués à ce matériau qui s’adapte à tout, prend la forme que l’on veut, se coule n’importe où.

Le béton est aussi un monde d’hommes. Vous montrez à quel point la question du genre est importante lorsqu’on s’intéresse à cette industrie.

Là encore, quelques chiffres : 13 % de femmes travaillent dans le BTP. Cela crée des espaces qui sont plutôt hostiles pour les minorités en général, quelles qu’elles soient. Je ne compte plus les témoignages de femmes qui ont subi des comportements sexistes dans ce milieu et qui ont voulu le quitter.

Je pense qu’on est seulement au début des scandales sanitaires liés au béton.

Beaucoup veulent pratiquer la construction différemment et se sont reconverties en devenant maçonnes ou charpentières. Les femmes représentent 2 % des ouvrières du BTP ; dans la terre crue, elles sont 50 %. Les questions de la prédation de la terre, de la prédation de ressources, de la prédation des corps, de l’emprise coloniale sont portées par des femmes.

Elles portent aussi la question de ce que le travail du béton fait aux corps. C’est un des secteurs où il y a le plus d’accidents du travail, avec aussi des maladies respiratoires, des travailleurs exposés à la silicose. Je pense qu’on est seulement au début des scandales sanitaires liés au béton, qui résulte de produits hautement chimiques.

Face aux actions contre le béton qui se sont multipliées ces dernières années, à l’initiative des différents collectifs, c’est l’antiterrorisme qui a été saisi. Cela montre bien le caractère stratégique de la filière pour l’État.

La répression actuelle des militants écolos est catastrophique de façon générale. On voit que les peines sont de plus en plus lourdes. C’est très inquiétant. Je crois que les alliances qui se sont nouées dans ces actions de sabotage dérange. Cela visibilise aussi les ravages d’une industrie qui aime rester dans l’ombre.

Mobiliser l’antiterrorisme contre les militants antibéton est particulièrement ironique, alors que va s’ouvrir le procès de Lafarge, accusé d’avoir financé le terrorisme pour continuer son business en Syrie.

Quant à la violence de cette répression, je peux en témoigner. Il y a deux ans, dans le cadre d’une enquête sur une action contre un site industriel cimentier, j’ai été perquisitionnée au petit matin, menottée et emmenée pour quatre jours de garde à vue dans les locaux de l’antiterrorisme. J’ai découvert que la police savait que je travaillais à un livre sur le béton.

C’est très déstabilisant et cela questionne vraiment sur qui menace qui et quoi, lorsqu’on a affaire à des entreprises mêlées à de nombreux scandales de financement douteux, ou de violation des droits humains, sans parler de leurs responsabilités dans notre perte à tous et toutes

Lutter contre le béton, c’est David contre Goliath. Vous montrez qu’il faut identifier ses points de faiblesse. C’est-à-dire ? 

Pour lutter contre le béton, il va falloir nouer des alliances. Comme je le montre dans le livre, une espèce protégée – un certain escargot, une chauve-souris – peut aujourd’hui bloquer un projet de bétonisation. C’est fragile, car la législation sur les espèces protégées peut aussi évoluer dans le mauvais sens. On a vu le poids politique du lobby du béton sur l’objectif du « zéro artificialisation nette », qui a été complètement détricoté.

Mais nouer des alliances, c’est aussi, comme on l’a vu sur le chantier des Jeux olympiques et paralympiques ou encore le projet d’entrepôt logistique Greendock, des liens entre les travailleurs, collectifs de sans-papiers, syndicats, naturalistes et militant·es écologistes.

C’est aussi important de montrer le lien entre les questions sociales et les questions écologiques. Sur ce plan, le monde de l’architecture doit se préoccuper de la manière dont sont produits les projets en béton, quelles sont les conditions de travail sur les chantiers. Côté architectes, il faut en finir avec cette figure passée où l’architecte trouvait une valorisation dans le fait d’ériger des tours ou grands projets bétonnés sortis de nulle part avec son nom posé dessus. Il y a quand même quelque chose de très, très masculin là-dedans.

Et après, je crois fortement à la « piraterie », au travail de la part des acteurs. Quand tu connais le milieu, les rouages et les acteurs, cela donne la possibilité d’être un lanceur d’alerte, un allié, un soutien pour des habitants d’un territoire, d’un quartier.

  •  Léa Hobson, Désarmer le béton. Ré-habiter la terre, La Découverte, collection Zone, 2025, 201 p., 20 euros.

Lucas Chancel : « Ceux qui contrôlent l’énergie contrôlent la société »
Erwan Manac’h
https://reporterre.net/Lucas-Chancel-Ceux-qui-controlent-l-energie-controlent-la-societe

La « socialisation » de la production d’énergie est nécessaire pour démocratiser l’économie et réduire les inégalités, estime le chercheur Lucas Chancel dans un nouvel essai d’histoire globale de l’énergie.

La transition énergétique va redessiner le monde et nous sommes à la croisée des chemins. Sera-t-elle « ultracapitaliste », avec des acteurs privés, Gafam [1] en tête, en mesure de dicter des choix de société au bénéfice des 1 % les plus riches ? Ou au contraire articulée autour d’une « socialisation de l’énergie » capable de rééquilibrer les inégalités de richesse ?

Pour Lucas Chancel, professeur à Sciences Po Paris et auteur de Énergie et inégalités, une histoire politique (éd. du Seuil), le second scénario est tout sauf utopiste au regard de notre passé récent. Il devrait même s’imposer, d’urgence, comme « projet de pilotage de l’économie [et] d’émancipation ».

Reporterre — Pourquoi, selon vous, les choix que nous ferons dans les prochaines années en matière de production d’énergie redessineront les inégalités de richesse et de pouvoir ?

Lucas Chancel — Ceux qui contrôlent l’énergie contrôlent la société. Depuis deux siècles, les débats ont été vifs sur qui doit posséder les mines de charbon, qui doit posséder le système de distribution d’électricité, etc. Au moment où nous devons transformer de fond en comble notre système énergétique, le risque est que des décisions soient prises de manière non démocratique.

Dans les années 2000, nous avons laissé les Gafam privatiser le monde immatériel. Ces mêmes acteurs privatisent aujourd’hui le monde matériel, en investissant dans l’énergie pour répondre aux besoins énormes de l’intelligence artificielle.

Microsoft a par exemple investi pour relancer le réacteur nucléaire de Three Miles Island (États-Unis), qui était à l’arrêt depuis une dizaine d’années. Elon Musk a également un plan pour la transition écologique, articulé autour de l’électrification du monde. Ces acteurs dessinent un futur décarboné qui ne serait pas égalitaire, sans droit de regard démocratique sur l’usage que nous faisons des ressources.

Il y a un momentum pour l’Europe. Elle ne doit pas se laisser coincer entre la puissance du capital financier et technologique américain et la puissance du capital chinois. Le risque est de nous retrouver vassalisés.

Vous évoquez en exemple le scandale des tramways aux États-Unis dans les années 1940. En quoi cet épisode illustre-t-il le pouvoir politique des propriétaires de la production d’énergie ?

Cette histoire montre que ceux qui détiennent le capital énergétique peuvent orienter les usages qui sont faits de cette énergie. Les tramways se sont développés dans plusieurs grandes villes étasuniennes durant la première moitié du XXe siècle. Mais cela n’était pas du goût des producteurs automobiles et de compagnies pétrolières, qui se sont alliés pour racheter les compagnies de tramways dans le seul but de les fermer. C’était illégal et la justice a mis fin à cette pratique dans les années 1950, mais les tramways avaient déjà disparu au profit des voitures.

Autrement dit, ces compagnies ont été capables d’orienter les choix de société. Et si nous les laissons faire, les propriétaires de l’énergie peuvent aussi choisir quelles technologies seront développées entre le pétrole, le nucléaire, telle ou telle énergie renouvelable, etc.

Il existe un autre exemple, bien plus positif : celui des réseaux de distribution de chauffage suédois. Jusque dans les années 1970, les Suédois se chauffaient au fioul. C’était inefficace, coûteux et polluant, alors ils ont investi pour créer des réseaux de distribution municipaux. Comme les communes n’ont pas intérêt à pousser les usagers-citoyens à consommer toujours plus, elles accompagnent les gens vers la sobriété. Voilà l’intérêt d’avoir un acteur public, démocratique, local, une coopérative ou même une entreprise à capitaux publics, quand on souhaite avancer vers plus de sobriété.

C’est en cela que l’histoire de l’énergie est selon vous un « motif d’espoir » ?

Oui, l’avenir est ouvert et il est entre nos mains. Les choses peuvent très mal tourner, mais elles peuvent aussi bien se passer. L’histoire de l’énergie est faite de ruptures, avec une vraie diversité d’exemples et des transformations radicales.

« Ne laissons pas l’énergie aux acteurs privés si l’on veut rebattre les cartes du jeu social »

Par exemple en France, qu’on soit pour ou contre le nucléaire — et je viens d’une pensée qui souligne les risques très élevés associés à cette source d’énergie — nous ne pouvons pas nier que le développement du nucléaire a été une décision politique qui a transformé le système énergétique français en quinze ans. Si nous l’avons fait avec le nucléaire, nous pouvons le refaire avec d’autres sources d’énergie. L’Allemagne a choisi de sortir du nucléaire, c’est aussi un choix radical.

L’histoire nous montre que c’est possible et que c’est nécessaire, d’arbitrer des choix radicaux.

Vous insistez sur le fait que les grands moments de redistribution des richesses de notre histoire sont allés de pair avec une socialisation de la production d’énergie. Comment expliquer ce lien de causalité ?

Ceux qui contrôlent l’énergie contrôlent les rentes qui sont associées à son usage, ils peuvent décider des prix appliqués aux usagers et des conditions de travail dans ce secteur stratégique. C’est pour cela que les forces politiques de gauche ont toutes poussé pour la socialisation de l’énergie. Il y a d’ailleurs tout un courant de l’économie standard qui justifie le besoin de propriété publique dans le secteur de l’énergie.

Par conséquent, le programme commun de la résistance prévoyait de placer l’énergie sous contrôle public ; les Travaillistes et syndicalistes anglais se sont posé cette question dès la fin du XIXe siècle. Theodore Roosevelt, dans les années 1930-1940 aux États-Unis, dénonçait le « trait maléfique » des conglomérats industriels qu’il voyait prendre le pouvoir sur l’énergie et le New Deal favorisa ensuite l’émergence d’acteurs publics dans l’énergie et des formes municipales ou coopératives de propriété ; en Inde également, après l’indépendance, le contrôle de l’énergie est une pièce maîtresse du projet de redistribuer les richesses.

L’énergie est un élément tellement important de l’organisation de l’économie et de la société qu’il est impossible de la laisser aux acteurs privés lorsqu’on veut rebattre les cartes du jeu social.

Partagez-vous l’analyse de l’historien Jean-Baptiste Fressoz, selon laquelle la transition énergétique n’a pas encore commencé ?

Je partage ce constat si l’on regarde au niveau mondial. Les sources d’énergie s’empilent les unes sur les autres et la consommation continue d’augmenter. Il n’y a pas le début d’une baisse nette. Par ailleurs, Jean-Baptiste Fressoz montre les interdépendances entre les fossiles, ce qu’il appelle symbiose, c’est un point important de son travail. Mais, pour mon enquête, j’ai choisi une focale différente, en m’intéressant principalement aux histoires nationales et aux rapports de propriété.

« Reprendre le contrôle de l’énergie, c’est réenchanter la politique »

Nous découvrons alors une multitude de sources, de modes de propriété et d’usages, et des tendances diverses : les Anglais sont quasiment intégralement sortis de la production de charbon et ont fait une grande partie du chemin, si l’on prend en compte le charbon utilisé dans la fabrication des biens et services que le pays importe à l’étranger. La Suède a procédé à une grande transformation énergétique. La Chine est certes le plus gros producteur de charbon, mais c’est aussi le plus gros producteur d’énergies renouvelables et la croissance des capacités éoliennes et solaires a toujours dépassé les anticipations.

Je m’intéresse également à qui contrôle l’énergie, une dimension mouvante au cours de l’histoire récente, avec des révolutions, des privatisations et des moments de socialisation. Tout cela montre que l’avenir est plus ouvert que ce qu’on a pu dire dans le débat public. La transition est possible, elle a même commencé dans certains pays même si cela ne se voit pas au niveau mondial et qu’il faudra des transformations radicales pour qu’elle se poursuive, à commencer par une baisse des consommations matérielles dans les pays riches.

La France a-t-elle les moyens, vu sa dette publique, de « socialiser » la transition énergétique ?

En réalité, la situation budgétaire n’est pas figée. Nous pouvons desserrer l’étau, par exemple avec une nouvelle taxe sur les plus hauts patrimoines [taxe dite « Zucman »]. Pour de nouveaux besoins, il nous faut mettre de nouveaux moyens. L’endettement n’est pas non plus un mal en soi, s’il permet de financer un réel projet de société. La construction du parc nucléaire français a d’ailleurs été financée par de l’emprunt.

Le problème, aujourd’hui, est que nous investissons de l’argent public dans la transition énergétique en subventionnant le secteur privé sans lui poser assez de conditions. Il faut sortir de cette logique et faire en sorte que l’argent public s’accompagne de prises de capital dans les entreprises. L’État détiendrait ainsi des parts des sociétés productrices d’énergies renouvelables ou actrices de la transition, à travers un fonds souverain, qui lui permettrait de contraindre ces entreprises à jouer le jeu.

Est-il réaliste d’espérer un consensus autour d’un tel projet, quand on constate la crise politique dans laquelle est plongée la France ?

Je pense que la gauche ne parvient pas à convaincre, parce qu’elle a manqué de vision et d’ambition en matière économique depuis quarante ans. Continuer à dire qu’on ne peut bouger les choses qu’à la marge, comme l’a fait le courant social-libéral, c’est la recette de la désillusion et de la montée du Rassemblement national.

A contrario, je crois que l’Histoire est utopique. Elle nous montre que des changements radicaux ont eu lieu. Reprendre le contrôle de l’énergie, nous l’avons fait par le passé et je pense que c’est précisément ce qu’il faut faire pour réenchanter la politique.

La France a renationalisé EDF en 2022, est-ce un bon exemple de la « socialisation » de l’énergie que vous appelez de vos vœux ?

En réalité, EDF appartient à tous les Français depuis 1946, date de la nationalisation. En 2022, l’État est repassé de 85 % des parts du capital à 100 %, ce qui ne change pas fondamentalement la donne, mais c’est important politiquement. L’Assemblée nationale a voulu marquer le coup, après la tentative du gouvernement de mettre en œuvre le projet Hercule, visant à scinder l’entreprise en vue d’une possible privatisation par lots. Ce projet a échoué heureusement.

EDF nous appartient donc à tous collectivement, ce qui veut dire que l’on peut demander encore davantage à cette entreprise pour nous accompagner dans la voie de la sobriété, ou que l’on peut décider d’introduire plus de représentants des acteurs locaux, de la société civile ou des scientifiques dans ses organes de gouvernance. Ces choix nous appartiennent, contrairement au Royaume-Uni qui a privatisé son secteur.

Une question qui se posera très vite est celle des barrages : la Commission européenne pousse pour leur mise en concurrence, ce qui pourrait aussi mener à leur privatisation. Or, d’un point de vue économique et environnemental, l’argument d’un monopole public est très solide. Il me semble important que ces choix soient débattus publiquement.