Ondorioaroa
Mikel Otero Gabirondo
www.argia.eus/argia-astekaria/2935/ondorioaroa
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Norbait zalantzatan bazebilen, uda honetan Iberiar penintsulan izandako sute erraldoiek berretsi dute krisi ekologikoaren ondorioen aroan bete-betean sartuak gaudela. 2025. urtea amaitzeke, dagoeneko ia Araba, Bizkaia eta Gipuzkoaren azalera osoa bezainbeste erre da (600.000 hektarea inguru). Ez da broma. Ikertzaileen arabera, krisi klimatikoak hogei aldiz biderkatu du baso sute erraldoiak izateko aukera. Izan suteak, uholdeak, beroaldiak, lehorteak edo beste edozein fenomeno, larrialdiaren ondorioak sare sozialen bideoetan ikusi ordez, etxeko leihotik grabatuko ditugun eguna iristen ari da. Eta horrek larrialdi klimatikoaren bi ardatz nagusiak berrikustea eskatzen du. Arintzea eta egokitzea.
Arintzearen atalean (karbono dioxido isurien murrizketa), etxeko lanak ez doaz ondo. Murriztu dugu zerbait, baina besteen lepotik. Erbestean sortu eta sare bitartez aprobetxatzen dugun elektrizitate berriztagarria da, gurean, murrizketaren arrazoi nagusia, menpekotasuna areagotzearen truke. Eztabaida asko eta urrats gutxi. Are, zailtasunen aurrean, badira “botoi” nuklearra sakatzearen alde agertu diren iritzi-emaile jatorrak. Ez diot inori ilusioa kendu nahi, baina hor ez dago soluzio biderik. Denbora izango da poligrafoa.
Sute handien arriskuei begira, nahikoa da basozainekin hizketalditxo bat izatea hurrengo suteei begira baldintzak okertu direla ulertzeko
Baina klima larrialdiari egokitzeaz ere hitz egin behar dugu. Eta serio. Aurtengo suteek Euskal Herria ez dutenez bereziki astindu, inolako zuhurtziarik gabe aritu dira hainbat agintari eta bozeramale (bereziki JELtzaleak, nola ez), hemen larrialdiei aurre egiteko sistema boteretsua dagoela esanez. Amonak esango lukeen moduan, zakurraren bibolina! Babes zibileko larrialdietako edozein langilek ondo asko ezagutzen ditu gabeziak, deskoordinazioak, formakuntza hutsuneak, talde espezializatuen faltak. Zaldibarren izan genuen lagin txiki bat.
Sute handien arriskuei begira, nahikoa da basozainekin hizketalditxo bat izatea hurrengo suteei begira baldintzak okertu direla ulertzeko; baso monolaborantzaren ondorioak, bizileku-baso tartearen estutzea, Pirinioaurreko baso-masaren egoera, abeltzaintza estentsiboarena… adi sortzen ari garen baldintzei.
Beraz, berriztagarrien eztabaida tirabiratsuari gainjarri behar diogu egokitzearen mila erpineko eztabaida. Eta bai, biek ala biek premia dute. Eta gaurko baldintzetatik abiatuz egin behar da, zeren, irtenbide perfektuez eztabaidatzen dugun bitartean, akaso hurrengo muturreko fenomenoak itzulezineko triskantza eragingo baitigu.
Climat : les principaux gaz à effet de serre atteignent des niveaux record
Mickaël Correia
www.mediapart.fr/journal/ecologie/151025/climat-les-principaux-gaz-effet-de-serre-atteignent-des-niveaux-record
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Selon l’Organisation météorologique mondiale, la planète a enregistré sa plus forte hausse annuelle de taux de CO2 dans l’atmosphère. En cause, les émissions dues aux activités humaines et aux mégafeux, mais aussi aux écosystèmes qui absorbent de moins en moins bien le carbone.
À la veille de la COP30, ce sont des résultats qui sonnent comme un dur rappel à la réalité climatique. Selon un bulletin annuel de l’Organisation météorologique mondiale (OMM), les concentrations moyennes des trois principaux gaz à effet de serre dans l’atmosphère – le dioxyde de carbone (CO2), le méthane (CH4) et le protoxyde d’azote (N2O) – ont atteint des niveaux sans précédent en 2024.
Selon les chercheurs et chercheuses de l’organisme onusien, les taux de croissance du CO2, le premier gaz contributeur à l’augmentation de l’effet de serre, « ont triplé depuis les années 1960 », passant d’une hausse annuelle moyenne de 0,8 ppm (partie par million) par an à 2,4 ppm par an au cours de la décennie 2011-2020.
Mais l’année dernière, la concentration moyenne mondiale de CO2 a enflé de 3,5 ppm, soit « la plus forte augmentation annuelle depuis le début des mesures scientifiques en 1957 », souligne l’OMM dans son rapport. Ce chiffre dépasse le précédent record de 3,3 ppm, enregistré entre 2015 et 2016.
Enfin, si leur hausse sur 2024 est inférieure à la moyenne annuelle observée au cours de la dernière décennie, les concentrations atmosphériques de méthane et de protoxyde d’azote continuent de croître. En 2024, elles avaient respectivement augmenté de 166 % et de 25 % par rapport aux niveaux préindustriels.
« Depuis l’accord de Paris sur le climat, qui fête cette année son dixième anniversaire, nous devrions être en train de réduire nos émissions et non pas de battre un nouveau record de concentration de gaz à effet de serre », se désole auprès de Mediapart Davide Faranda, directeur de recherche en climatologie au CNRS et auteur principal du prochain rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec).
Cercle vicieux climatique
D’après l’OMM, la raison « probable » de cette croissance record est « la forte contribution des émissions provenant des feux de forêt » ainsi que « la réduction de l’absorption du CO2 par les terres et les océans ».
En effet, l’Amazonie et l’Afrique australe ont connu des incendies exceptionnels en 2023-2024, en raison de sécheresses sévères accentuées par le chaos climatique et l’effet El Niño – un phénomène naturel cyclique qui réchauffe le Pacifique équatorial tous les deux à sept ans – qui avait cours durant cette période. Résultat, les émissions liées aux feux de forêt sur le continent américain ont ainsi atteint des niveaux historiques en 2024.
Par ailleurs, si les émissions mondiales de CO2 liées à la combustion d’énergies fossiles (pétrole, gaz et charbon) sont restées pratiquement stables en 2023-2024, les forêts, les prairies et les milieux marins ont absorbé moins de carbone que prévu.
Environ la moitié du CO2 total émis chaque année est recapturée par la Terre. Toutefois, le changement climatique est en train de changer la donne. Au fur et à mesure que la surchauffe planétaire s’intensifie, les océans piègent moins de carbone à cause de la diminution de la solubilité du CO2 dans les mers à des températures plus élevées, rappellent les scientifiques de l’OMM. De même, les sécheresses extrêmes affectent de plus en plus les capacités des végétaux des écosystèmes naturels à capter du carbone.
Dans son rapport, l’OMM parle ainsi de « cercle vicieux climatique » et craint « fortement » que les puits de carbone terrestres et océaniques perdent de leur efficacité, « ce qui augmenterait la proportion de CO2 anthropique restant dans l’atmosphère et accélérerait ainsi le changement climatique ».
« Ce qui saute aux yeux dans ces données, c’est que la biosphère est de moins en moins apte à répondre aux perturbations climatiques. Le dernier rapport du Giec rappelle que d’ici à la fin du siècle, si on continue à émettre toujours plus de gaz à effet de serre, les écosystèmes ne pourront plus absorber 50 % mais seulement 35 % du dioxyde de carbone émis », analyse pour Mediapart Gilles Ramstein, paléoclimatologue et directeur de recherche au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement.
« La réduction de la capacité d’absorption des puits de carbone naturels, modélisée depuis des années par les scientifiques, se traduit désormais dans le réel, ajoute Davide Faranda. Nous sommes en train de nous apercevoir que les dérèglements climatiques provoquent des effets rebonds et de boucles de rétroaction qui rendent encore plus difficile le combat pour sauver le climat. »
L’année 2024 avait déjà été marquée par deux faits climatiques sans précédent : elle a été l’année la plus chaude jamais enregistrée et la première à dépasser le seuil symbolique de 1,5 °C de réchauffement.
« C’est l’histoire d’une accélération annoncée, conclut Gilles Ramstein. Ce qui est effrayant, c’est que ça ne percole toujours pas dans le monde politique : aux États-Unis, la droite veut désormais interdire les procès contre l’industrie pétrolière. Et en France, nos émissions de gaz à effet de serre stagnent… »
Pourquoi le traité de libre-échange UE-Mercosur présente des risques élevés pour l’environnement
Audrey Garric, Mathilde Gérard et Perrine Mouterde
www.lemonde.fr/planete/article/2025/10/14/accord-ue-mercosur-un-traite-de-libre-echange-a-hauts-risques-pour-l-environnement_6646493_3244.html
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L’inclusion dans le traité d’un mécanisme permettant de solliciter une compensation si une mesure a une incidence négative sur le commerce pourrait restreindre la capacité de l’Europe à émettre de nouvelles règles environnementales ou sanitaires.
Après plus de vingt-cinq ans de négociations, le projet de traité de libre-échange entre l’Union européenne (UE) et le Mercosur (le marché commun entre le Brésil, l’Argentine, la Bolivie, le Paraguay et l’Uruguay) entre dans la dernière ligne droite.
La Commission européenne et plusieurs Etats membres de l’UE poussent pour signer un accord d’ici à la fin décembre – la France, elle, est sur la réserve mais la possibilité de bloquer le texte semble extrêmement limitée.
Outre le risque de concurrence exacerbée qui inquiète les agriculteurs européens, l’accord, qui vise à établir la plus vaste zone de libre-échange dans le monde à ce jour, est également très critiqué pour ses conséquences environnementales. Mardi 14 octobre, la Confédération paysanne, troisième syndicat agricole français, et une cinquantaine d’organisations citoyennes et environnementales appellent à des mobilisations pour le dénoncer.
Le mécanisme de rééquilibrage, un « risque politique énorme »
Pour beaucoup d’experts, le principal risque environnemental de ce projet de traité est l’introduction, dans sa version conclue en décembre 2024, d’un mécanisme dit « de rééquilibrage » qui permet à l’une des parties signataires de faire valoir son intérêt commercial et demander une compensation si une mesure prise par l’autre partie « affecte défavorablement le commerce ».
Ainsi, si l’UE décidait d’interdire l’importation de produits agricoles traités avec un pesticide donné, les Etats du Mercosur seraient fondés à saisir un panel d’experts qui évaluerait si l’impact est avéré sur leurs bénéfices.
Si tel était le cas, les deux parties devraient s’entendre sur une compensation, par exemple une baisse des droits de douane en faveur du Mercosur ou une hausse des quotas de viande exportée vers l’UE.
Pour l’eurodéputé Renew Pascal Canfin, cette disposition est une « bombe à retardement » qui « sape » la souveraineté de l’UE. « C’est un mécanisme qui soumet notre capacité à prendre des mesures favorables à l’environnement et à la santé à une négociation avec les Etats du Mercosur, détaille-t-il. On leur donne le pouvoir de porter un jugement sur nos mesures au nom de leur intérêt commercial. » Ce dispositif pourrait « ralentir », « retarder » ou « empêcher » la mise en œuvre de politiques écologiques dans l’UE, abonde l’économiste d’Attac Maxime Combes.
Il risque également de dissuader l’UE de tenir une promesse de longue date auprès de ses agriculteurs : instaurer des mesures miroirs, c’est-à-dire conditionner l’accès au marché européen au respect de normes en matière de durabilité ou de santé.
Ce mécanisme pourrait en outre créer un précédent. « C’est un risque politique énorme », avertit Antoine Oger, directeur de l’Institut pour la politique environnementale européenne. Alors que des accords bilatéraux sont en train d’être négociés avec l’Inde ou la Malaisie, « [il] ne voi[t] pas comment d’autres négociateurs ne s’empareront pas de ce mécanisme et comment l’UE résistera à cette pression, ajoute-t-il. On ouvre une boîte de Pandore, avec un effet cumulé significatif ».
La Commission européenne balaie ces inquiétudes : « Il faut arrêter avec ces polémiques qui n’existent pas », estime un représentant de la direction générale du commerce de la Commission. « Ce que nous avons écrit dans l’accord figure mot pour mot dans le GATT [Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce] en vigueur depuis 1947, et il ne me semble pas que l’UE n’ait plus été capable de légiférer depuis. » L’utilisation de cette clause n’est par ailleurs pas aisée, ajoute-t-il, dans la mesure où les pays doivent justifier d’un important préjudice économique. C’est pourtant seulement la deuxième fois que ce dispositif s’insère dans un accord bilatéral, le premier étant le traité entre l’UE et le Royaume-Uni – avec des normes environnementales toutefois beaucoup plus proches entre ces deux parties.
Estimant que ce mécanisme présentait un risque de contrevenir aux traités européens, plus de 72 eurodéputés ont déposé une motion de résolution pour saisir la Cour de justice de l’UE. Si leur requête était adoptée par une majorité d’élus au Parlement européen, la ratification du traité serait alors suspendue, le temps que la Cour se prononce.
Une menace pour la mise en œuvre du règlement sur la déforestation importée
Ce mécanisme de rééquilibrage, qui concerne des mesures n’étant pas « pleinement entrées en vigueur » au moment de l’adoption de l’accord UE-Mercosur, pourrait-il menacer directement le règlement européen sur la déforestation importée (RDUE) ? La question fait l’objet d’une bataille d’interprétation.
Adopté en 2022, ce règlement vise à interdire l’importation sur le marché européen de produits issus de la déforestation. Or, son entrée en vigueur, prévue le 31 décembre, pourrait être de nouveau reportée d’un an. Selon différents observateurs, il y a donc un risque que les Etats du Mercosur sollicitent le mécanisme de rééquilibrage contre l’ensemble du RDUE. Même si le texte ne faisait pas en soi l’objet d’une saisine, de prochaines évolutions, par exemple pour inclure d’autres écosystèmes, pourraient être contestées.
La Commission européenne assure de son côté que le mécanisme de rééquilibrage ne peut être utilisé que pour des mesures « qui ne pouvaient être légitimement attendues au moment de la conclusion de l’accord ».
Au-delà même du risque pesant sur le RDUE, l’accord devrait avoir des impacts directs sur les forêts. En réduisant très fortement les droits de douane du secteur bovin, il devrait entraîner un surcroît d’exportations vers l’Europe, et donc accentuer la déforestation en Amérique latine. Une expertise remise en 2020 au gouvernement français et présidée par Stefan Ambec, directeur de recherche Inrae à la Toulouse School of Economics, estime que l’accord entraînerait une hausse de 2 % à 4 % du volume annuel de production de bœuf dans la région et une déforestation associée d’environ 700 000 hectares.
L’Institut Veblen et l’ONG Canopée, qui ont publié une note récente à ce sujet, considèrent cette estimation comme étant « la plus robuste ». Elles précisent que ce chiffre de 700 000 hectares est très probablement sous-estimé, notamment parce qu’il ne prend pas en compte les surfaces nécessaires à la production de soja destinée à nourrir ces animaux.
Dans son analyse économique de l’accord de partenariat, la Commission européenne présente un résultat radicalement divergent, concluant, dans le pire des scénarios évalués, à une déforestation de 670 hectares par an, soit un impact « minimal ». « Il ne s’agit pas d’une évaluation indépendante, c’est celle de la direction générale du commerce qui est juge et partie », relativise Stefan Ambec.
Une hausse plausible des émissions de gaz à effet de serre
Dans son analyse économique, la Commission européenne estime que l’impact du traité serait « marginal » pour le climat, ne pesant que pour 0,0006 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre annuelles. Elle assure que l’amélioration de la productivité au sein du Mercosur, par le biais de transferts de technologies propres, limiterait l’empreinte carbone des secteurs concernés.
Des résultats remis en cause par de nombreux experts. « Cela ne tient pas compte de la déforestation. Il y aura forcément plus d’émissions, car on renforce les secteurs les plus émissifs des deux côtés de l’Atlantique : les bœufs du Mercosur et les voitures européennes », estime Maxime Combes.
La commission Ambec concluait, sur la base de la précédente étude d’impact de la Commission, à un accroissement des émissions de 4,7 millions à 6,8 millions de tonnes équivalent CO2 en six ans. En prenant en compte l’hypothèse d’une déforestation de 700 000 hectares, le chiffre est bien supérieur : les rejets carbonés s’élèveraient alors de 121 millions à 471 millions de tonnes de CO2 au cours de la même période selon les scénarios (soit au maximum 0,1 % des émissions annuelles mondiales). Et encore, ces valeurs n’intègrent pas l’impact d’une hausse attendue du transport international. « Au total, l’impact pour le climat est notable et supérieur aux bénéfices économiques de l’accord », avance Stefan Ambec.
L’accord de Paris dans l’équation
La Commission avance un argument environnemental en faveur du traité de libre-échange : l’accord de Paris sur le climat en constitue désormais une « clause essentielle ». Ce qui signifie, selon Bruxelles, que les parties de l’accord UE-Mercosur doivent « rester », « de bonne foi », dans le traité climatique, sans quoi le partenariat commercial pourrait être suspendu. La mesure vise sans le dire l’Argentine, dont le président Javier Milei laisse planer la possibilité d’une sortie de l’accord de Paris.
« Cet ajout est utile mais ne constitue pas un coup de baguette magique », prévient Mathilde Dupré, codirectrice de l’Institut Veblen. Suspendre l’accord pour la seule Argentine semble « difficile à mettre en œuvre » alors que tous les pays du Mercosur commercent entre eux. Les clauses essentielles existent déjà pour les droits humains et « elles sont très rarement activées pour suspendre des accords commerciaux », rappelle l’experte. Par ailleurs, l’accord UE-Mercosur ne prévoit pas de sanction dans le cas où un pays resterait membre de l’accord de Paris mais mènerait des politiques contraires à la lutte contre le changement climatique.
L’industrie des pesticides parmi les grands gagnants de l’accord
L’accord risque en outre d’accélérer la circulation de pesticides entre les deux blocs, « dont les règles en matière d’autorisation et d’utilisation diffèrent profondément », relève Stéphanie Kpenou, spécialiste des politiques commerciales à l’Institut Veblen.
Le Brésil est le premier utilisateur mondial de pesticides et, selon les organisations Public Eye et Unearthed, la deuxième destination de produits phytosanitaires interdits dans l’UE, mais qui y sont produits à des fins d’exportation. « C’est un enjeu majeur, insuffisamment pris en compte dans les travaux de la Commission et dans les débats », estime Mathilde Dupré, codirectrice de l’Institut Veblen. Le rapport d’évaluation de la Commission ne fait d’ailleurs aucune mention du sujet. Or, selon Mme Dupré, « l’industrie chimique européenne fait partie, avec le secteur automobile, des premiers gagnants attendus de l’accord ». Ce dernier va en effet réduire les droits de douane sur les exportations de produits chimiques, y compris sur les pesticides interdits, ce qui pourrait accroître l’usage de produits dangereux dans les Etats du Mercosur.
La Commission européenne assure œuvrer pour éviter l’introduction de produits traités avec des pesticides interdits et renforcer les contrôles sur les limites maximales de résidus sur ses importations agricoles. « Mais la limite de cette approche, c’est qu’on cherche à protéger le consommateur en Europe sans tenir compte des impacts dans les pays tiers », fait valoir Mme Dupré.
L’accord UE-Mercosur alimente un « engrenage productiviste », analyse Thomas Uthayakumar, directeur des programmes pour la Fondation pour la nature et l’homme. « Il va être très difficile de plaider la transition agroécologique en Europe face à de telles distorsions de concurrence », met-il en garde, notant que, avec la multiplication des accords de libre-échange et la fragilisation du Green Deal, c’est « toute l’architecture environnementale européenne qui commence à craqueler ».
Beaucoup d’experts critiquent un accord « à l’ancienne », qui est loin d’avoir pris la mesure des défis urgents du XXIe siècle. Si la Commission plaide pour la « stabilité » qu’amènerait ce traité dans un contexte géopolitique bouleversé, Mme Dupré regrette une occasion manquée de favoriser des mesures de transition écologique : « Le problème de ce traité, c’est qu’il n’est pas sélectif. Sur les voitures, on aurait par exemple pu baisser les droits de douane uniquement pour les véhicules électriques. Ce n’est pas le cas, on fait de la grosse maille. »
La réciprocité des normes au cœur des enjeux sanitaires
L’accord UE-Mercosur expose de façon criante l’enjeu de la réciprocité des normes, même si, selon la Commission, il permettra d’ouvrir un dialogue « de haut niveau » sur les questions sanitaires. Outre les disparités en matière d’utilisation de pesticides, les filières d’élevage sont particulièrement concernées par des standards divergents : l’utilisation d’hormones et d’antibiotiques comme activateurs de croissance des animaux d’élevage est par exemple prohibée en Europe, mais pas dans le Mercosur. Alors que l’UE doit prochainement réviser ses réglementations sur le bien-être animal, les législateurs risquent en outre d’être freinés par la crainte d’exposer davantage les éleveurs européens à la concurrence.
État de la métamorphose écologique au Pays Basque Nord : bilan du mandat 2020-2026
Lilas Dinclaux
www.enbata.info/articles/etat-de-la-metamorphose-ecologique-au-pays-basque-nord-bilan-du-mandat-2020-2026
Article
Alors que se profile la fin du mandat municipal, Bizi! tire le bilan des actions menées par les 46 communes signataires du Pacte de métamorphose écologique du territoire et les 10 communes non signataires de plus de 2.000 habitant·es. Un bilan décevant au regard de l’urgence, et un éclairage pour les futurs électeur·rices.
À six mois des élections municipales et communautaires, Bizi! publiait mardi 23 septembre un état de la métamorphose écologique au Pays Basque Nord, en dressant le bilan du mandat de 56 communes (87% de la population d’Iparralde).
Derrière les engagements de campagne et les programmes prometteurs, qu’en est-il ? Les citoyen·nes ont le droit de savoir. Un contre-pouvoir citoyen, indépendant des partis politiques, peut jouer ce rôle en fournissant les informations d’intérêt général, éclairant ainsi le débat démocratique local sur un enjeu majeur de notre siècle.
Bizi! avait proposé un Pacte de métamorphose écologique du territoire lors des municipales en 2020. Ce Pacte comprenait des actions dans sept thématiques structurantes : les alternatives à la voiture individuelle, la maîtrise de l’énergie dans les bâtiments, un territoire 100% énergies renouvelables, une agriculture et une alimentation biologiques et locales, le développement de l’économie locale avec l’eusko, la réduction des déchets et la mise en œuvre du Plan Climat.
Hitza Hitz… ala gizona hits
46 listes signataires du Pacte ont été élues après avoir pris l’engagement de réaliser l’ensemble de ces actions aux niveaux communal et communautaire. Bizi! a aussi suivi les dix communes non signataires de plus de 2.000 habitant·es car la métamorphose du Pays Basque Nord ne se fera pas sans elles.
Les réponses des communes ont été plus nombreuses et complètes en cette fin de mandat. 46 communes ont transmis leurs réponses, dont cinq non signataires. Il s’agit d’une progression de onze municipalités supplémentaires par rapport à 2021. Pour la première fois, les quinze communes de plus de 5.000 habitant·es ont toutes transmis leurs réponses. Arcangues est la seule commune de plus de 3.500 habitant·es à ne pas avoir communiqué les informations publiques d’intérêt général demandées. Devant ce refus de publication de données, Bizi! a donc saisi la Commission d’Accès aux Documents Administratifs (CADA), qui n’a pas encore rendu son avis.
Sans être une mesure scientifique de la situation, la photographie réalisée est suffisamment réaliste pour servir de signal d’alerte pertinent.
Des petits pas, loin des promesses et de l’urgence
Pour les 46 communes ayant répondu dans les délais, le score moyen de métamorphose atteint 0,9/4. Loin des engagements pris en 2020 de mettre en œuvre l’intégralité du Pacte, aucune commune du territoire n’a atteint les stades trois ou quatre de la métamorphose. La commune la plus avancée s’est hissée au stade 2, quinze communes ont atteint le stade 1 (contre deux en 2021), tandis que 40 demeurent au stade 0, celui de l’inaction.
Les réponses des communes donnent à voir une multitude d’initiatives animées de bonnes intentions, mais souvent au coup par coup. Il manque généralement une analyse globale, une planification ou une approche transversale pour s’attaquer de manière méthodique et efficace à l’immense chantier de la métamorphose. Le rythme de mise en œuvre comme la portée des mesures demeurent trop limités, en décalage avec l’ampleur de l’urgence écologique, ainsi qu’avec les engagements pris devant les électeur·rices.
Le volontarisme des élu·es, premier facteur d’action
Même avec des moyens limités, c’est avant tout le volontarisme politique qui conditionne l’engagement dans la métamorphose écologique. Ainsi, les deux communes les plus avancées sont des villages, Saint-Étienne-de-Baïgorry (2,2/4) et Saint-Jean-Pied-de-Port (1,7/4). À l’inverse, des villes comme Cambo-les-bains (0,2/4) et Mouguerre (0,4/4), dotées de moyens financiers et humains supérieurs et toutes deux signataires du Pacte, ont fait preuve d’un immobilisme regrettable.
Les mesures engagées pendant cette décennie seront décisives et nous impacteront durant des millénaires. Chaque année compte, chaque dixième de degré compte. Les citoyen·nes du Pays Basque disposent d’une opportunité unique d’agir aux élections municipales et communautaires de 2026. Votons pour les listes qui intègreront des mesures à la hauteur – par exemple, celles du Pacte 2026 pour le climat et les habitant·es du Pays Basque – et qui n’ont pas trahi leurs engagements de 2020 à 2026 !
La synthèse, le rapport et les fiches communales sont disponibles au format papier ou sur le site suivipacte2020.bizimugi.eu
Mieux manger pour bien vieillir : le premier Ehpad de France à cuisiner presque 100 % local et
Emmanuel Riondé
https://basta.media/Mieux-manger-pour-bien-vieillir-premier-Ehpad-France-cuisine-100-pourcent-local-bio-fait-maison
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Un Ehpad associatif du Gers confectionne chaque jour ses repas en interne avec un chef cuisinier qui s’approvisionne en produits locaux et majoritairement bio. Pour un coût final moins élevé, les résident·es retrouvent le plaisir de la table.
Le réveil est triste, ce vendredi d’octobre, pour les résident·es de l’établissement d’hébergement pour les personnes âgées dépendantes (Ehpad) de la Tour de l’âge d’or, dans le petit village de Termes d’Armagnac, dans le Gers. Dans la nuit, le plus ancien, Gilbert, 98 ans, est mort. « C’est un choc.. Hier soir, on lui avait mis une petite lumière pour éclairer sa chambre, confie Claude, 80 ans, la voix un peu étranglée. Mais c’est comme ça, on est là pour finir notre vie… ».
Béret gascon sur la tête, silhouette un peu voûtée mais le pas sûr, Claude semble encore loin de l’échéance. Résident de l’Ehpad depuis un an, l’homme passe le plus clair de ses journées avec son ami Martial, 77 ans, ancien ouvrier agricole, autour du modeste bâtiment. « On s’occupe, on a des trucs à bricoler : couper les mimosas, tondre, couper la haie », résume Martial. La fin de matinée approche. Les deux hommes prennent congé et vont s’attabler pour attaquer le repas de midi. Au menu : velouté de courge, salade de tomates, boulgour carotte avec du tendron de veau en sauce, yaourt à la verveine. Les 19 résident·es mangent avec appétit.
Vendredi 17 octobre, leur Ehpad se verra remettre la certification « 3 carottes », niveau excellence, par le label Ecocert en cuisine, créé pour valoriser les établissements de restauration collective qui passent au bio et au local. C’est la première fois en France qu’une maison de retraite obtient cette certification. Elle sera remise dans le cadre des Rencontres nationales de la restauration collective faite-maison, locale et bio, qui se tiennent du 17 au 18 octobre justement à Termes d’Armagnac.
Les anciens repas industriels : « C’était une catastrophe »
Ce prix vient récompenser le virage pris par l’établissement depuis deux ans. La maison de retraite a été créée dans les années 1970 par André Boingnères, ancien maire, industriel et homme d’affaires. Lorsque fin 2022, son directeur prend sa retraite, la survie de l’Ehpad est en danger. « C’était notre responsabilité de garder cet Ehpad dans le village, dit Thibault Renaudin, actuel maire de la commune de 200 habitants, et président de l’établissement. De conserver cette bâtisse et le public qu’elle accueille . »
En mai 2023, Véronique Champomier, diététicienne de métier et spécialisée dans la restauration collective durable, est embauchée comme directrice. La petite structure sous statut associatif peut accueillir 24 résident·es maximum, mais en compte seulement une quinzaine. La plupart peu fortunés. « 80 % sont sous l’aide sociale, il y a beaucoup de petits agriculteurs à faibles revenus », explique la directrice. Sous tutelle du département et de l’agence régionale de santé (ARS), l’Ehpad de la Tour de l’âge d’or affiche un prix pour une chambre seule à 63,44 euros la journée. Soit un peu moins de 2000 euros par mois pour les résident·es.
Très vite après son arrivée, la nouvelle directrice constate un problème avec l’alimentation. « Les gens disaient que la nourriture n’était pas bonne, on en jetait la moitié et les soignantes avaient honte de servir ça… », résume-t-elle. « Ça », c’était les repas industriels livrés quotidiennement. « C’était une catastrophe », se souvient Thaïs, 25 ans, agente de services hospitaliers et référente logistique dans l’établissement. C’est l’une des plus jeunes mais aussi l’une des plus anciennes des 13 salarié·es de l’Ehpad. Elle y a commencé en 2015 en tant que stagiaire avant d’être embauchée. « Les repas n’étaient pas adaptés, on se retrouvait parfois avec des hamburgers ! »
Une cheffe-cuisinière à temps plein
Après quelque mois d’observation, la directrice construit un nouveau projet d’établissement, soutenu par le conseil d’administration, au cœur duquel figure une autre approche de la nourriture et des repas. La cuisine est totalement refaite et à partir d’octobre 2024, la restauration de l’Ehpad prend un virage radical : une cheffe-cuisinière est embauchée à temps plein. Tout est cuisiné et confectionné sur place, y compris les sauces, fonds de sauces, pâtes à tartes…
À part le cacao, le café, les bananes et des épices, les produits utilisés proviennent à 100 % de producteurs du département, ou alors des Landes et des Hautes-Pyrénées, deux départements limitrophes du Gers. Et les aliments sont à 87% issus de l’agriculture biologique. Le résultat est très vite spectaculaire, assure Véronique Champomier : « Au bout de trois semaines, toutes et tous ont repris en moyenne 2,8 kilos. On ne va plus les chercher dans leur chambre quand c’est l’heure du repas, ils ont le sourire à table et le groupe est devenu un vrai jury de Top chef ! »
Une réussite à laquelle s’ajoute, cerise bio sur le gâteau fait maison, un gain économique : en adoptant cette nouvelle approche, le prix du repas est passé de 12 à 10,50 euros, salaire du cuisinier compris.
« C’est totalement vertueux, se félicite Thibault Renaudin. C’est bon pour les personnes qui retrouvent le plaisir d’être à table ; c’est bon pour le personnel parce que ça donne du sens à leur travail ; c’est bon pour les familles qui sont reconnaissantes ; c’est bon pour les paysans du coin à qui on achète les produits ; et en plus, on gagne de l’argent ! » Un bilan positif que le maire adosse à « l’approche humaine, individualisée, un peu familiale » que le conseil d’administration de l’Ehpad qu’il préside veut promouvoir. « Pour nous, c’est important, On est dans le Gers mais pas question de traiter nos résident·es comme des canards », plaisante l’homme.
Achat à des producteurs locaux
Doté d’un budget de 750 000 euros annuel, l’Ehpad en dépense chaque année 65 000 pour l’achat de denrées alimentaire à des paysans producteurs locaux. Ce vendredi, en cuisine – qui ne comporte aucun fourneau, que des sauteuses, pour éviter le lavage des gamelles et des casseroles – Hervé Mouchard, 53 ans, qui remplace temporairement la cuisinière en arrêt, prépare des plats de légumes rôtis pour le repas du soir : potimarrons, pommes de terre, céleris rave. « Il y aura aussi de la charcuterie artisanale », promet-il, en tranchant du saucisson sur sa planche.
Chef cuisinier et formateur au collectif Les pieds dans le plat, qui organise les rencontres nationales du 17 et 18 octobre, Hervé prépare environ 50 repas par jour. Il se fournit auprès de Gers bœuf pour la viande, d’une fromagerie locale, les Petites louches, pour le fromage, chez un magasin bio pour l’épicerie et les légumes, et récupère des champignons frais à Madiran ou encore du fromage de chèvre dans le sud du département.
Dans la cuisine, on ne jette plus grand chose et tout ou presque se recycle : des épluchures pour une soupe ; une carcasse de volaille pour un vermicelle. « Les résident·es me font des retours sur les repas de la veille, raconte Hervé. Parfois, je leur propose de venir éplucher des légumes, écosser des petits pois. Et j’adapte mes repas. Dans un Ehpad, c’est le plus possible bien cuit et fondant ; je fais des langues de bœuf, du foie de veau, des bouillons, des vermicelles. Des trucs très différents que pour les ados dans les lycées par exemple… »
La clé, c’est le plaisir. « Cette bouffe là, ça leur rappelle des souvenirs. Le repas, c’est un des rares bons moments qui restent à beaucoup d’entre eux, donc c’est important », souligne le cuisinier. Les résident·es le confirment en peu de mots. « Le repas, c’est très bon », résume Marie-André, bientôt 73 ans, résidente depuis 11 ans. « Et même si on veut, on a de la repasse ! » taquine Martial : « Toi je t’ai vu, t’en a repris hier… »
Ehpad ouvert sur le village
Animatrice depuis un an et demi dans l’Ehpad où son père a terminé sa vie, Muriel accompagne régulièrement les résident·es au marché de Plaisance ou à l’épicerie du village. Elle prévoit aussi de les amener visiter des fermes de producteurs. Histoire de renforcer ce lien à la nourriture, important comme le rappelle Ylona, aide-soignante passée par des Ehpad plus grands : « Ici, ils viennent manger avec plaisir alors que dans d’autres structures, le repas est parfois un moment négatif . »
Ses collègues, Élise et Maïtena, toutes deux aide-soignantes, et Ange, en stage dans le cadre d’une reconversion professionnelle, partagent leur satisfaction de travailler dans un endroit où « on n’est pas en stress comme dans les grandes structures. On est en équipe de 12 heures, mais on ne les voit pas passer, c’est souple », assure Maïtena. Le repas est offert aux salarié·es présent·es tous les jours et certaines avouent y avoir elles aussi retrouvé un certain goût pour les légumes.
Et si ce récit idyllique était surtout rendu possible par la taille modeste de l’établissement ? C’est tout l’inverse pour Hervé, cuisinier militant de la transition alimentaire durable dans les collectivités : « Pour nous, il n’y a pas d’alternatives », résume-t-il, assurant que le travail du collectif Les pieds dans le plat essaime dans des structures plus importantes, par exemple dans des cantines de Dordogne. « En tant qu’élu, je me dis au contraire que c’est quelque chose qu’il faut développer », ajoute le maire Thibault Renaudin, qui assure faire du « lobbying » auprès du département et de l’agence régionale de santé pour vanter les mérites du choix fait par son Ehpad.
Voyant ce « projet autour de la nourriture comme un brise-lame », l’élu entend s’appuyer dessus pour travailler la question du « bien-vieillir » et ouvrir l’horizon. « Avant c’était bunkerisé, ici, maintenant, on est ouvert sur le village, une respiration s’est créée autour de cet Ehpad », se félicite-t-il. Un nouveau projet pensé avec la directrice est aujourd’hui à l’étude : l’idée serait d’utiliser l’actuel bâtiment pour en faire une résidence autonomie (accueillant des personnes moins dépendantes que celles qui vont en Ehpad) et de reconstruire un nouvel Ehpad et ses 24 unités dans le champ juste à côté. Celui où deux beaux chevaux paissent aujourd’hui sous le regard averti de Claude et Martial, toujours en quête d’un peu d’activité au grand air… en attendant le prochain repas.
Couper du bois sans détruire la forêt, c’est possible
Nicolas Malarte
https://reporterre.net/Couper-du-bois-sans-detruire-la-foret-le-pari-de-cette-petite-scierie
Article
La microscierie Forêt vivante, dans l’Aisne, s’inscrit en contrepied à la filière industrielle du bois. Le bois est coupé dans des forêts locales gérées sans coupes rases et la traçabilité est totale, de l’abattage à la revente.
« Là, on ne peut pas nous dire qu’on n’est pas une vraie scierie ! », s’est exclamé Yvain Brochot au milieu du bourdonnement des scies à bois et des moteurs d’engins de chantier. À Anizy, dans l’Aisne, une cinquantaine de personnes étaient présentes le 13 octobre pour découvrir la scierie alternative qu’il a lancée avec Julien Kikel en 2024. Une présentation organisée par l’ONG Canopée, dans le cadre de sa tournée de France des initiatives pour une gestion des forêts plus responsable. La microscierie Forêt vivante, qui traite près de 3 000 m3 de bois par an, est née d’un constat simple : « Il n’y avait plus de bois local pour les besoins des alentours et il était difficile de savoir d’où il venait », dit Yvain Brochot.
Du bois local et traçable
La scierie s’engage donc à travailler avec des bois issus de forêts locales : les massifs forestiers de Berrieux, Saint-Gobain et de Nouvion, dans l’Aisne, par exemple. « Dans notre charte, on a fixé l’obligation de scier du bois de feuillus originaires de moins de 100 km », résume Yvain Brochot.
Ce choix, qui permet de réduire les émissions liées au transport du bois, intéresse beaucoup Marc, artisan à Compiègne (Oise), qui fait de la rénovation écoresponsable. « Aujourd’hui, on scie trop de bois exotique mais on a rien en local, c’est compliqué, se désole-t-il. Pour l’instant, je me fournis en bois français. Voir le travail de Forêt vivante, ça ouvre des perspectives. ». La microscierie s’est engagée à proposer une traçabilité totale de son bois, de l’abattage à la revente au client. Du tri au rabotage, en passant par le sciage, les différents morceaux de bois sont étiquetés à chaque étape, avec la mention du vendeur et la provenance du bois. « Une très bonne pratique mais qui est marginale dans la filière », commente Klerni, membre de Canopée. Cette transparence sur le suivi du bois, qui est plus ambitieuse que la traçabilité prévue par le règlement européen sur la déforestation (dont l’application a été de nouveau repoussée à fin 2026), est coûteuse, selon Julien Kikel. « Ça nous prend plus de temps, donc oui, c’est plus cher, mais il faut le faire, répond-il, interrogé par les visiteurs présents. Pour les industriels du bois, la traçabilité est vue comme un frein mais ça intéresse les clients de savoir d’où vient leur bois et qu’il est local. »
Gérer la forêt plus durablement
La sélection des arbres coupés est aussi un enjeu pour la scierie aisnoise, qui s’appuie sur une gestion de la forêt écoresponsable. « Nous nous approvisionnons presque uniquement avec des forêts gérées en sylviculture mélangée à couverture continue (SMCC) », raconte Yvain Brochot.
À la différence du modèle industriel qui repose sur la monoculture et sur les coupes rases — soit le fait de couper tous les arbres d’une parcelle — ce mode de prélèvement est plus durable. Afin de régénérer plus facilement l’écosystème, on prélève des arbres de tailles et d’espèces différentes, en laissant une grande partie de la parcelle forestière indemne.
Le problème, c’est que les forêts gérées de cette façon sont plus rares, souligne Julien Kikel, et trouver du bois est donc difficile. « On est en recherche permanente d’exploitations [pour nous fournir le bois] », explique le cofondateur de la scierie. Celle-ci a tout de même pu passer un contrat avec l’Office national des forêts pour gagner en stabilité sur le volume de bois fourni, « avec un prix fixe, toute l’année ».
L’établissement d’Anizy revendique aussi une valorisation totale du bois — principalement du chêne, du châtaignier et du frène — ce qui est bénéfique tant d’un point de vue écologique qu’économique. « 100 % du bois est utilisé : on utilise les déchets comme l’écorce, les copeaux ou la sciure pour le chauffage, le séchage du bois ou bien on nous l’achète », dit Yvain Brochot, posté devant les tas de pertes de bois rejetées par la scierie.
2,4 millions d’euros d’aides publiques
Après la visite des ateliers construits en bois massif, le cofondateur revient sur la situation économique de la scierie. « Le nerf de la guerre, c’est la rentabilité », dit-il. Or, lorsqu’on travaille avec du bois, « on dépend de l’approvisionnement, des conditions climatiques ». Pour s’assurer une meilleure marge, lui et son associé ont misé sur une seconde transformation du bois. « On fait des terrasses, du bardage… Ça permet d’avoir une marge supplémentaire. »
Avec huit salariés et une capacité de traitement qui peut atteindre les 5 000 m3 de bois par an, Julien Kikel rappelle l’importance du soutien public pour lancer Forêt vivante. « Créer un site comme ça, sans subventions, c’est impossible. Aujourd’hui encore, ça permet de financer notre fonctionnement ». Pour se lancer, la scierie a bénéficié de 1,9 million d’euros de fonds européens ainsi que d’un prêt de 500 000 euros de la Banque des Territoires.
Outre Forêt vivante, d’autres initiatives existent en France pour proposer un contre-modèle à la filière bois industrielle. C’est le cas par exemple de la scierie associative de Tursac, en Dordogne, qui organise même un festival pour mettre la lumière sur ces pratiques plus respectueuses des forêts.
Pour Valeriano, 64 ans, bardeur à la retraite, venir visiter celle d’Anizy relève d’un devoir quasi démocratique. « Je ne sais pas comment protéger une forêt, alors je suis venu car je dois m’informer pour comprendre et ensuite défendre quelque chose. C’est une question de citoyenneté. »