Manifeste lu par Gaby, 16 ans, lycéenne, vivant à Poitiers et Moriba, 16 ans, migrant guinéen hébergé à Bayonne.
Je m’appelle Gaby, j’ai seize ans et je viens de Poitiers, en France. Il y a quelques mois, le Tour Alternatiba passait dans ma région.
Je m’appelle Moriba, j’ai seize ans et je viens de Conakry, en Guinée. Il y a quelques mois, j’ai traversé la Méditerranée su un canot gonflable, avec quatre autres jeunes. Nous avons failli nous noyer mais nous avons été secourus par un bateau de sauvetage maritime.
Aujourd’hui, nos trajectoires se croisent, alors que nous sommes au carrefour de l’avenir de l’humanité. Nous sommes unis par un même défi qui concerne tous les êtres vivants sur la planète : le dérèglement du climat.
Le dérèglement du climat.
Nous pourrions le répéter 7 milliards de fois puisqu’il concerne chacune et chacun d’entre nous.
Aujourd’hui, avec seulement 1,1°C de réchauffement global, le monde a déjà beaucoup changé. Les pays du Nord sont de plus en plus affectés par les conséquences du dérèglement climatique. Et les pays du Sud les subissent de plein fouet depuis plusieurs années. Ils en sont pourtant si peu responsables, quelle injustice !
Depuis plus de 40 ans, les scientifiques ont multiplié les cris d’alarme. Depuis que nous sommes nés, il y a eu le sommet de Copenhague et la COP21 à Paris.
Mais rien n’a changé concrètement. Les émissions de gaz à effet de serre à l’origine du dérèglement climatique continuent à augmenter. Le pétrole, le gaz et le charbon particulièrement responsables de ces émissions destructrices sont toujours brûlés massivement. Le système économique actuel, capitaliste et productiviste réchauffe la Terre. Les lobbies et la finance dictent leur loi.
En continuant sur cette voie, nous fonçons vers un réchauffement d’au moins 3°C, vers un monde livré à des évènements climatiques extrêmes, aux conséquences immenses, à des changements si rapides et si profonds qu’il sera difficile voire impossible de s’y adapter. Un monde de pénuries au coût humain tragique, où les inégalités, la faim, la soif, la misère exploseront comme jamais.
Un monde de conflits et de guerres incessantes pour l’accès aux ressources ou pour contenir les centaines de millions de personnes fuyant les régions entières où la vie sera devenue impossible. Un monde sans saveur, sans beauté, où la biodiversité se sera effondrée. Un monde où les mots paix, démocratie et liberté tomberont dans l’oubli. Un monde fossilisé.
Depuis plus de 40 ans, nos dirigeants se sont montrés ignorants et inefficaces face à cette menace sans précédent pesant sur l’humanité et sur la vie. Nous n’avons plus le temps de les attendre.
Nous n’acceptons pas d’être condamnés à un monde de + 3°C. Les scientifiques nous le disent : on peut encore rester en dessous de 1,5°C si nous changeons le système, maintenant ! Alors faisons-le !
Ça vous parait impossible ? Mais nous devons tenter l’impossible, pour éviter l’impensable. Chaque dixième de degré supplémentaire a des impacts tragiques pour des millions d’êtres humains et nous approche des seuils de rupture et de basculement, aux conséquences dramatiques.
C’est notre avenir, ce sont nos vies, c’est la beauté du monde, qui sont aujourd’hui directement menacés par votre inaction, vos choix criminels, mesdames et messieurs les dirigeants. Nous nous opposerons, et nous nous interposerons, de manière non-violente et déterminée, jusqu’à la désobéissance civile, face à toute politique, à tout projet, à toute mesure, à toute activité contribuant à augmenter les gaz à effet de serre, et donc à déstabiliser le climat. Nous avons un devoir de tolérance zéro face à tout ce qui menace les conditions de vie dignes dans ce monde, et dans celui où nous vivrons quand nous serons adultes.
Nous devons agir collectivement, massivement et immédiatement. Les petits pas ne sont plus à la hauteur. Chaque jour est important. Chaque action aussi.
Il y a 5 ans, ici même, sur cette place à Bayonne, un appel à multiplier les Alternatiba, ces Villages des alternatives au changement climatique a été lancé et a résonné jusqu’à Haïti, la Réunion ou Dakar. 175 Alternatiba ont ainsi vu le jour, touchant des centaines de milliers de personnes différentes. Nous avions onze ans à l’époque. À notre tour aujourd’hui de lancer un Appel, au nom des mille cent cinquante (1150) bénévoles qui ont organisé cet Alternatiba 2018.
Nous devons enclencher nous-mêmes le changement massif et immédiat indispensable. Nous pouvons le faire dès maintenant, dans nos quartiers, nos communes et nos territoires.
Nous voulons vivre, rêver et pas seulement survivre. Entraînons ceux qui animent nos villes et nos régions vers une autre voie. Disons-le clairement à nos élus locaux : agissons maintenant ! Soyons tous cohérents avec l’alerte rouge des scientifiques. Les petits pas n’empêcheront pas le monde de devenir une étuve. Quelques pistes cyclables, un peu de bio à la cantine, un peu de déchets triés : c’est nécessaire mais cela ne suffit pas à préserver notre avenir. Nous voulons des gestes forts, des changements radicaux tout de suite.
Nous aurons l’âge de voter en 2020 et demanderons alors des comptes sur ce qui aura été fait ou pas d’ici là pour nous garantir un monde vivable et désirable. Mais nous aussi nous devons agir ! Rassemblons-nous pour enclencher une véritable métamorphose sociale et écologique de nos territoires. Impulsons, renforçons, coordonnons nos coopératives de transition sociale et écologique, nos circuits courts de consommation, nos fonds locaux d’épargne solidaire, nos monnaies locales, nos médias indépendants, nos syndicats et associations d’entraide et de solidarité, nos recycleries, nos chambres d’agriculture alternatives, nos systèmes de production d’énergie renouvelable.
Tissons partout, dans chaque territoire, notre propre écosystème, capable de se défendre et de nous protéger face à des projets climaticides, extractivistes, consuméristes, face à un monde hors sol et délocalisé.
Et en même temps construisons l’alternative, la justice sociale, la sobriété conviviale, les souverainetés alimentaires et énergétiques, la solidarité et le refus de toutes les exclusions ou discriminations…
Ces projets nous rassemblent et nous enthousiasment. Ils donnent sens à nos existences. Reprenons possession des conditions de nos vies, et mettons immédiatement en oeuvre les mesures qui permettent d’amorcer une véritable bifurcation sur nos territoires : ces mesures(*), nous savons qu’elles existent déjà et nous avons pu les voir pendant tout ce week-end dans ce Village des alternatives : elles concernent tous les secteurs de la transition, de l’agriculture à l’aménagement, en passant par la mobilité douce, le partage des richesses et du travail, les énergies renouvelables et les bâtiments.
Les leviers d’actions pour nous et nos élus existent, à toutes les échelles … mais ils doivent TOUS être activés : on ne peut se contenter d’agir sur un seul de ces sujets, car tout est lié. N’ayons pas peur ! Car cette métamorphose créera des emplois qui ont du sens, embellira nos cadres de vie et permettra plus de justice et de solidarité. Nous sommes désormais à la croisée des chemins, où chaque choix nous oriente soit vers un monde à +1,5°C, soit vers un monde à + 3°C. Ce ne sont pas seulement des chiffres, ce sont des seuils de basculement vers des mondes différents; Il est temps de choisir ! Et c’est maintenant que tout se joue.
C’est pourquoi, nous, ici rassemblés à Bayonne, unis et déterminés, déclarons solennellement le temps de l’espoir et de l’action !
Il est encore temps ! Changeons le système, et pas le climat !
Et maintenant, nous vous appelons toutes et tous à tendre vos bras, à prendre les mains des personnes à vos côtés. Formons ainsi une forêt de bras levés et de mains serrées. Que cette forêt humaine symbolise la solidarité et l’organisation collective dont nous avons besoin pour gagner cette bataille décisive pour l’humanité et la vie sur Terre !
* Liste des mesures qui permettent d’amorcer une véritable bifurcation sur nos territoires
• Stoppons l’agriculture et l’élevage industriels, les traités de libre échange, et développons à la place une agriculture locale, saine et écologique, qui permette aux paysans de vivre dignement
• Produisons une alimentation biologique et locale pour toutes les cantines, les maisons de retraite, et toutes les structures de restauration collective
• Réduisons drastiquement la consommation de viande qui émet beaucoup trop de gaz à effet de serre
• Protégeons notre eau et nos terres des pesticides et autres produits chimiques qui nous empoisonnent
• Relocalisons notre économie et notre société, cessons cette compétition destructrice entre régions, pays ou continents, inventons une autre gestion des communs comme la terre, les semences, les logiciels libres ou la biodiversité
• Produisons pour répondre aux besoins réels, et pas pour que quelques-uns accumulent toujours plus de richesses ; finissons-en avec l’obsolescence programmée, la création artificielle de besoins, et la consommation ostentatoire
• Développons le réemploi et les filières de réparation, réduisons et recyclons les déchets au maximum
• Réduisons drastiquement notre consommation d’énergie, arrêtons de gaspiller de l’électricité dans des activités inutiles voire nocives
• Éclairons nos maisons, nos mairies, nos stades avec une énergie 100 % renouvelable, produite localement et contrôlée par nous-mêmes
• Faisons pression sur les banques, ne mettons pas un euro de plus dans les projets d’énergies fossiles et obligeons les entreprises polluantes à réparer la nature et financer l’adaptation
• Fermons toutes les centrales à charbon, les puits de pétrole, les centrales nucléaires ; et passons à la reconversion qui va créer des filières d’emplois durables
• Remettons au centre de nos préoccupations les valeurs de fraternité et de solidarité, le partage du travail et des richesses ; la justice sociale et la démocratie réelle et participative ; développons la coopération et l’entraide entre les habitants des territoires, entre les territoires et envers les personnes migrantes qui ont fui des conditions de vie indignes
• Opposons-nous à la fermeture des services publics de proximité, nos gares, nos écoles, nos hôpitaux, qui empêchent de bien vivre au pays et qui tuent la ruralité
• Sortons les voitures de nos villes, pour y circuler à pied, à vélo ou en transports en commun, remplaçons les camions par des trains et des bateaux pour transporter nos marchandises
• Arrêtons la bétonisation des sols et l’étalement urbain qui détruisent les terres agricoles et les espaces naturels encore existants
• Stoppons tout nouveau projet routier, tout nouveau projet d’aéroport, et tout projet de centre commercial. Relocalisons le tourisme et plus généralement nos activités et nos déplacements.
• et tant d’autres choses encore !