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Articles du Vendredi : Sélection du 29 avril 2011

Attention, un deuxième Fukushima n’est pas exclu

Miho Matsunuma, historienne de la France contemporaine, maître de conférences à l’université de Gunma, à Maebashi (Japon)
Le Monde 27.04.11

Nationaliser EDF !

Hervé Kempf (Chronique « Ecologie »)
Le Monde 27.04.11

Pourquoi nous deviendrons tous des décroissants

Phillippe Bihouix «SuperNo », Blogueur associé
www.marianne2.fr du 23.04.11

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Attention, un deuxième Fukushima n’est
pas exclu

Miho Matsunuma, historienne de la France contemporaine, maître de conférences à l’université de Gunma, à Maebashi (Japon)
Le Monde 27.04.11

Six semaines après le séisme et le tsunami qui ont causé un grave accident à la centrale nucléaire de Fukushima, le climat au Japon semble être à l’union nationale pour la reconstruction et la reprise du travail.
Les grands médias japonais ont pris l’initiative de cette mobilisation et dénoncent, dans le même temps, le gouvernement et Tepco, l’exploitant de la centrale. Mais que faisaient-ils jusqu’à la veille de l’accident ? La publicité est leur ressource financière principale et les entreprises d’électricité ainsi que les constructeurs des centrales sont une bonne clientèle. Par ailleurs, de grands quotidiens ont mis à la « une » la communication ministérielle qui expliquait la nécessité et la sûreté de l’énergie nucléaire. Au Japon, pour parler du nucléaire civil (à l’opposé du nucléaire militaire), on a inventé l’expression d' »utilisation du nucléaire pour la paix », que la presse n’a cessé de reprendre.
Mais le pays n’affronte pas le problème fondamental, qui est de savoir pourquoi les Japonais ont construit, depuis quarante-cinq ans, plus de 50 réacteurs nucléaires, sans prendre en compte les failles sismiques sous-marines de l’Archipel ?
Les Japonais ne peuvent pas s’excuser de n’avoir pas su. Le Japon n’est pas un régime soviétique, ni une dictature, mais un pays qui a des institutions démocratiques, des élections et une presse libres. Fukushima n’est pas le premier accident nucléaire. Des citoyens et des scientifiques ont tiré la sonnette d’alarme à maintes reprises, sans être écoutés. Dans ce pays où règnent l’ordre et le conformisme, les minorités ont du mal à se faire entendre. Les Japonais, dans leur majorité, ont cru volontiers les discours officiels sur la nécessité et l’avantage de l’énergie nucléaire parfaitement maîtrisée.
Alors que faire des centrales qui sont en activité dans le pays ? Le Japon est situé au carrefour de trois grandes plaques tectoniques et, étant donné le manque de compétences et de crédibilité des autorités nucléaires japonaises, la probabilité d’un deuxième et d’un troisième Fukushima n’est pas impensable. Et le problème n’est plus seulement japonais : notre planète vit avec des bombes à retardement.
Malgré les circonstances, la priorité du Japon est de rétablir son économie. Le PDG de Toyota, Akio Toyoda, a évoqué, devant ses employés, la nécessité de « travailler aussi dur que possible pour reconstruire le pays et soutenir la croissance » (Le Monde du 8 avril). Si l’accord est unanime pour reprendre le travail, le débat sur la sortie du nucléaire n’est pas visible : c’est précisément d’électricité qu’on manque le plus pour redémarrer la production.

Suicide collectif
Depuis le séisme, en France, on applaudit souvent la « dignité » des Japonais, qui se remettent au travail sans pleurer ni se plaindre ; autrement dit, cette « dignité » est à la fois une résignation (puisque c’est une catastrophe naturelle inévitable) et un effort collectif pour rebondir. Le système japonais qui cherche la croissance illimitée ne respecte pas les droits de la personne et il se moque éperdument de la planète. Le pouvoir est entre les mains de menteurs incompétents et irresponsables. C’est le résultat de soixante-cinq ans de démocratie japonaise.
Le Japon est incapable de se regarder objectivement et de changer de l’intérieur. En outre, depuis le début de l’accident, l’énorme écart entre les informations étrangères et les informations japonaises est plus que choquant.
Comme le Japon ne peut pas et ne veut pas changer de l’intérieur, il faudrait que s’exerce une pression de la communauté internationale pour que le Japon n’entraîne toute l’humanité dans un suicide collectif. Certains de mes amis français me disent que les Japonais ne sont pas seuls en cause. C’est vrai, mais cela n’excuse pas les erreurs humaines impardonnables. Et comme le Japon n’est pas le seul pays nucléarisé, la question se pose pour bien d’autres Etats.
Les autorités politiques et industrielles internationales, la France en tête, qui sont impliquées dans le nucléaire, ont de bonnes raisons pour soutenir les centrales et admirer la « dignité » japonaise. Les citoyens du monde devraient, eux, tirer des leçons de cet accident honteux.

Nationaliser EDF !

Hervé Kempf (Chronique « Ecologie »)
Le Monde 27.04.11

La loi du 30 octobre 1968 publiée au Journal officiel de la République française est fort instructive. On y lit : « Le montant maximum de la responsabilité de l’exploitant nucléaire est fixé à 50 millions de francs pour un même accident. Au-delà du montant de la responsabilité de l’exploitant, les victimes sont indemnisées par l’Etat. » Ce chiffre de 50 millions de francs a été relevé depuis 1968 et atteint aujourd’hui 91 millions d’euros. Cela signifie qu’en cas d’accident nucléaire en France, l’exploitant ne devrait rembourser les dommages que jusqu’à 91 millions d’euros.
Combien coûte un accident nucléaire grave ? Pour s’en tenir aux seules dépenses engagées par la Biélorussie à la suite de l’accident de Tchernobyl, Céline Bataille, du Centre d’étude sur l’évaluation de la protection dans le domaine nucléaire, estimait, en 2007, que leur montant atteindrait un montant de l’ordre de 235 milliards de dollars (161 milliards d’euros) entre 1986 et 2015, un chiffre qui « ne reflète certainement pas l’ensemble des coûts ».
En ce qui concerne Fukushima, le Japan Times du 22 avril annonçait que les compensations à verser par la compagnie Tepco pourraient être de l’ordre de 8,4 milliards d’euros – une somme qui n’est qu’une fraction du coût total de l’accident, qui devra intégrer la stérilisation, pour des dizaines d’années, d’une zone de quelques milliers de kilomètres carrés, la gestion durable de la région maritime empoisonnée, la neutralisation des réacteurs accidentés, etc.
La disproportion est énorme entre 91 millions et 8,4 milliards ou 161 milliards. Car la France – tout comme les autres pays nucléarisés – tolère que les risques de l’électricité nucléaire soient pris en charge par la collectivité. Il s’agit d’une subvention cachée extrêmement importante en faveur de cette énergie.
Première conclusion : l’analyse économique du nucléaire devrait intégrer explicitement le prix de ces dommages. Deuxième conclusion : les compagnies exploitant l’énergie nucléaire devraient, soit assumer le coût du risque, soit être nationalisées. En effet, les sociétés privées recherchent le profit, quitte à abaisser les normes de sécurité, en sachant qu’elles ne subiront qu’une responsabilité limitée en cas de catastrophe. Un peu comme des banques qui précipiteraient le système financier dans l’abîme sans en subir les conséquences…
C’est magnifique le capitalisme : profit privé, risque public. Compte tenu de la gravité du risque encouru, il importe de sortir de cette logique dangereuse, et de renationaliser, chez nous, EDF et Areva. C’est l’inverse de la politique suivie en France et en Europe ? On ne peut rien vous cacher.

Pourquoi nous deviendrons tous des
décroissants

Phillippe Bihouix «SuperNo », Blogueur associé
www.marianne2.fr du 23.04.11

Agacé des clichés qui circulent sur la décroissance, SuperNo propose une typologie de l’«objection de croissance» selon différents niveaux : individuel, des actions collectives, de la visibilité et du projet de société. Un éclairage pour comprendre une philosophie basée sur un principe simple : les ressources naturelles ne sont pas infinies.
S’il y a bien un sujet sur lequel la quasi-totalité des politiciens français sont d’accord, c’est la «croissance». Ils sont tous pour ! Impossible de leur poser une question sur l’économie, le chômage, le déficit sans s’entendre automatiquement répondre « il faut relancer la croissance», «ça dépendra de la croissance», «en dessous de 2 points de croissance on ne crée pas d’emplois », «ça va nous coûter un point de croissance», ou autres billevesées connexes. Par souci d’exactitude, et en forme d’hommage aux personnes concernées, on signalera l’existence de quelques «objecteurs de croissance» résiduels chez les Verts (les pauvres…), au Parti de Gauche, ou encore au NPA, mais à ma connaissance il y sont extrêmement minoritaires. Ah, si, on signale également des adeptes autoproclamés de la décroissance à l’extrême droite, mais dans leur cas il s’agit davantage d’idéologie réactionnaire (« c’était mieux aaaaaaaaaavant ») ou chauvine (« mieux vaut fabriquer des produits bien de chez nous, pas de chez ces bougnoules ou ces niakwés ») que de prise de conscience écologique.
Il y a finalement bien peu de différences entre un communiste et un UMP : tous les deux ne jurent que par la croissance, et dans un système où on se répartit un gâteau qui grossit indéfiniment. Simplement, l’UMP ne voit pas d’inconvénient à ce que les patrons et les actionnaires se goinfrent les premiers, ne laissant que les miettes aux salariés, alors que le communiste voudrait que les ouvriers se taillent la part du lion.
Les décroissants, eux, ont compris que le gâteau ne pourrait plus grossir (il n’y a plus de farine, et on commence à manquer de sucre et de levure). Comme les communistes, ils veulent le répartir plus équitablement, mais surtout, ils veulent lui donner meilleur goût.
Je n’ai pas l’intention de revenir ici longuement sur l’évidence qu’il n’existe pas de croissance infinie dans un monde fini. C’est un point dont je parle souvent. La Terre est finie, la terre habitable est finie, la mer est finie, l’eau potable est finie, les terres cultivables sont finies, l’énergie extraite du sous-sol est finie, de même que les ressources minérales… L’exemple du pétrole dont on commence doucement à siphonner le fond de la bouteille en est l’illustration la plus actuelle. Or une croissance économique sans fin n’est théoriquement possible que si chacun de ces éléments pouvait aussi s’étendre à l’infini. Comme actuellement c’est le pétrole qui est la clé de voûte de tout le système croissanciste, les curieux vont pouvoir assister en direct dans les prochaines années à son écroulement total devant cette dure réalité : au delà des rodomontades des politiciens incapables et irresponsables, les faits sont têtus : la croissance infinie est un mythe.
Aujourd’hui, c’est simple : tout système économique , toute promesse politique reposant sur la croissance est une chimère, et celui ou celle qui la profère est un escroc. Quand j’entends ce ramassis de guignols se gargariser de croissance ou promettre de « distribuer du pouvoir d’achat » (relisez un peu cette proposition pour en savourer l’absurdité totale), j’ai envie de cogner. Mais comment ces gens, qui ont pour la plupart fait de hautes études et qui sont arrivés à leur place après une sélection impitoyable au cours de laquelle ils se sont révélés meilleurs que leurs multiple concurrents, comme ces politiciens, ces économistes peuvent-ils être aveugles à ce point ? C’est tout bonnement incompréhensible.
Qu’on se le dise, nous sommes tous des décroissants en devenir, qu’on le veuille ou non !
Avant de prendre mon élan, réglons un point de vocabulaire. Le terme le plus employé pour désigner les précurseurs lucides que sont les opposants à l’idéologie mortifère et sans avenir de la croissance est «décroissants». Il y a eu beaucoup de débats à ce sujet. Si vous voulez du concis, vous pouvez aller lire cet article de Michel Lepesant sur le site du MOC (www.les-oc.info/2010/08/quelle-difference-entre-decroissance-et-objection-de-croissance/).
Si vous avez plus le temps, vous savourerez celui du Philosophe Fabrice Flipo (dont un texte a d’ailleurs été lu lors du Contre-Grenelle 3 : www.journaldumauss.net/spip.php?article557)
Le terme « décroissant » aurait selon certains une connotation négative et non attractive. Il pourrait faire croire que puisqu’ils sont les opposants à un système qui combat l’idéologie de la croissance, les décroissants souhaiteraient exactement le contraire, c’est à dire la baisse la plus forte possible du PIB. D’ailleurs, les propagandistes de la croissance ne se privent pas pour les tourner en dérision, et les font passer pour des arriérés qui souhaiteraient retourner dans les cavernes et s’éclairer à la bougie. C’est idiot. Ceux qui ont fait un peu de maths, de logique ou d’électronique dans leur jeunesse scolaire le savent bien : le contraire de « blanc », ce n’est pas « noir », c’est « non blanc ». Les décroissants ne sont pas arriérés ou passéistes, ils cherchent simplement des solutions pour sortir sans trop de drames d’un système croissanciste dont non seulement les méfaits sont connus, mais surtout dont chacun voit qu’il va bientôt s’écraser contre un mur, avec ses 6 ou 7 milliards de passagers…
Pour contourner cet inconvénient, certains ont inventé le terme « Objecteur de croissance ». Il est plus précis mais aussi plus compliqué. Il a l’avantage de pouvoir s’abréger en « OC », et c’est le terme que j’utiliserai donc ici, ce qui aura en outre l’avantage de raccourcir un billet qui s’annonce long.
Indépendamment des groupes politiques dont il sera question plus loin, on peut déjà grossièrement classer les OC en deux catégories :
– Les réalistes, ceux qui constatent que de toute façon on n’aura bientôt plus le choix, qu’il faut s’y préparer, que le plus tôt sera le mieux, et qu’après tout ce n’est pas si terrible (c’est plutôt ma catégorie, ça).
– Les puristes, qui, croissance ou pas, sont convaincus que la simplicité volontaire est la meilleure solution pour rester à l’écart de cette société de cons-sommateurs décadents, qu’on peut faire mieux avec moins, et que plus de liens remplacent avantageusement moins de biens…
Les OC classent l’action décroissante en quatre niveaux.
Il y a d’abord le niveau individuel
Plus communément appelé « simplicité volontaire ». Exemples simples : aller chercher son pain à pied au lieu de prendre sa bagnole. Aller au boulot en transports en communs au lieu de prendre sa bagnole. Démarche plus radicale : se débarrasser définitivement de sa bagnole (ou d’une de ses deux bagnoles, pour commencer). Plus généralement, il s’agit de faire le choix d’abandonner des objets ou des attitudes socialement ou écologiquement nuisibles, que pourtant tout le monde ou presque possède ou adopte par l’effet de la pub, de la mode, du mimétisme universel ou simplement de l’habitude, et finalement de ne pas s’en porter plus mal. A-t-on réellement besoin d’un iPhone, d’un lave-vaisselle, d’un sèche-linge, d’une chasse d’eau, d’une clim, d’une télé d’1m50, d’une télé tout court, de faire ses courses au supermarché, de manger de la bidoche tous les jours, de voyager en avion ?
Attention, piège ! Comme je l’ai déjà souligné à de nombreuses reprises, la « simplicité volontaire » est sympathique, fort utile, et si elle était adoptée par l’ensemble de la population, elle résoudrait vraisemblablement la plupart des problèmes environnementaux.

Seulement voilà, comme personne n’est actuellement obligé d’adopter ce mode de vie, et qu’au contraire tout nous pousse à faire exactement l’inverse, voire même pire, les courageux qui le font sont au mieux considérés comme de gentils originaux, au pire comme des fous, et en tout cas comme des nuisibles qui ne contribuent pas à la croissance du PIB.
Les médias, qui sont dans leur immense majorité des outils de propagande aux mains des multinationales et de leurs valets de la pub, et donc au seul service de la « croissance », ont d’ailleurs bien compris le principe : leurs reportages sur ce qu’ils appellent les « décroissants » sont le plus souvent caricaturaux à souhait, décrivant des hommes néo-préhistoriques qui vivent dans des yourtes au milieu des bois, et font du compost en élevant des vers de terre dans ce qui leur sert de cuisine.
Pour un « apprenti objecteur de croissance », c’est plutôt décourageant. Pour prendre un exemple anecdotique mais significatif, à quoi bon amener ses enfants à l’école à pied si quasiment tous les autres y vont en bagnole, voire en 4×4, et que, exemple vu récemment, ils laissent le gros moteur diesel tourner en attendant l’ouverture des portes pour que leur progéniture reste bien au chaud à l’intérieur en jouant à la DS et en écoutant la pub déversée à grands jets sur les FM commerciales, pendant que les siens se les gèlent à l’extérieur en respirant le bon air chargé de saletés ?

Dans le vocabulaire des OC, le chemin à parcourir pour prendre conscience de l’ineptie totale du mode de vie qu’on nous impose s’appelle la « décolonisation de l’imaginaire ».

Le deuxième niveau, ce sont les actions collectives, parmi lesquelles on peut classer les AMAP, les SEL, ou encore les « Villes lentes ».

Une AMAP, c’est une (ou plusieurs) exploitation(s) paysanne(s) qui se fait acheter à l’avance sa production par les membres de l’association. En échange de cet investissement et d’un petit coup de main de temps à autre, ceux-ci bénéficient d’un « panier » hebdomadaire de fruits, de légumes, parfois d’oeufs, de fromage et de viande. Souvent bio, toujours locaux et de saison par définition. Toujours ça que les hypermarchés et les multinationales de l’agroalimentaires n’auront pas ! Petit (ou gros) inconvénient, la distribution se fait à date et heure fixe, qui ne colle pas toujours aux besoins des salariés surbookés…

Un SEL (système d’échange Local), c’est une monnaie alternative, virtuelle et locale, qui revient en quelque sorte aux fondamentaux de ce que devrait être une monnaie : un moyen d’échange de biens et services, et en aucun cas un support de spéculation dont quelques-uns amassent la plus grande partie.

Au contraire de ce qui se passe dans le système capitaliste traditionnel, où les métiers les plus utiles sont souvent archi-mal payés, alors que les métiers les plus futiles et les plus nuisibles sont survalorisés (Un instit ou une aide-soignante sont considérablement moins bien payés qu’une responsable marketing ou un agent immobilier), dans ce système une heure de travail vaut une heure, quel que soit le travail… Dans ce système, la monnaie d’échange (ici en Moselle la « questche » ) ne permet pas de s’enrichir en dormant, on ne connaît pas de taux d’intérêt, encore moins de bourses, d’actions, d’obligations, de produits dérivés ou de fonds d’investissement, toutes ces saloperies qui ont dévoyé le système monétaire « classique ».
Une « Ville lente », c’est une ville qui s’engage à promouvoir la qualité de vie de ses habitants, l’environnement, la nourriture, la convivialité, à travers une série de mesures qui vont à l’encontre de ce qui se fait actuellement, et inspirées du mode de vie des communes rurales. A l’heure où la vitesse est la référence absolue, qu’il faut tout faire vite, encore plus vite, toujours plus vite, et qu’on en crève, on comprend bien qu’il s’agit de villes où il fait bon vivre.
Toutes ces idées sont au demeurant très bonnes, même si pour l’instant, force est de constater qu’on trouve essentiellement dans les AMAP ou les SEL les individus dont on a parlé en évoquant le premier niveau, la « simplicité volontaire ». Le con-sommateur victime de la pub va quant à lui toujours faire ses courses au supermarché accessible par la voie rapide, paie en carte bancaire, et veut aller plus vite, toujours plus vite, car ce faisant il a paradoxalement de moins en moins de temps…
Vous aurez compris que ce sont étrangement les deux derniers niveaux qui m’intéressent le plus, car ce sont les seuls qui puissent faire bouger les choses.
Le troisième niveau, c’est la visibilité.
Là aussi, le chantier est immense. Avant d’imposer ses idées, il faut les faire connaître. Atteindre une « masse critique ». Et comme je l’ai écrit, ce sera le plus difficile. Car en l’état, les idées des objecteurs de croissance sont quasiment invendables. Dépourvus de moyens financiers, prônant la sobriété, faisant l’éloge de la lenteur, comment peut-on se rendre visible et audible dans un monde ultralibéral et concurrentiel, où les « concurrents » détiennent tous les médias (les hauts-parleurs), et proposent sans vergogne une chimérique société d’abondance et de croissance infinie ? La visibilité passe aussi par la présentation de candidats objecteurs de croissance aux différentes élections, ce qui n’est pas simple quand on manque de moyens et d’expérience. Les premières tentatives sont forcément décevantes, mais l’avenir leur appartient, car non seulement les idées arrivent à faire leur chemin petit à petit et il semble désormais possible de discuter et d’intéresser des électeurs, mais surtout l’électorat est là : contrairement à ce que les croissancistes essaient de faire croire, l’objection de croissance ne concerne pas seulement une poignée de marginaux : au train d’enfer où vont les choses, elles concernera bientôt tout le monde ou presque !

Enfin, le quatrième et dernier niveau, c’est le projet de société.
Comment les objecteurs de croissance voient-ils l’avenir, quels sont les objectifs et les moyens pour y parvenir : ça c’est de la politique, de la vraie, pas celle qui consiste à pérorer sans fin sur la candidature aux primaires de tel ou tel blaireau inconsistant qui a exactement les mêmes idées (et surtout l’absence d’idées) que tous les autres… Et c’est passionnant.

Je développerai les principaux points de ce projet, et vous présenterai les organisations politiques qui se réclament de la décroissance dans la deuxième partie de ce billet…