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Articles du Vendredi : Sélection du 22 avril 2011

Réforme de l’ISF : “un cadeau fiscal aux plus riches”

Philippe Lecoeur
http://bercy.blog.lemonde.fr

L’hydroélectricité est-elle vraiment une énergie verte ?


Le Monde 18.04.11

Les grandes lâchetés énergétiques

Jean-Marie Chevalier, directeur du centre de géopolitique de l’énergie et des matières premières
Le Monde 20.04.2011

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Réforme de l’ISF : “un cadeau fiscal aux plus riches”

Philippe Lecoeur
http://bercy.blog.lemonde.fr

La réforme de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) annoncée par le gouvernement le 13 avril “n’est pas une suppression de l’ISF”, mais elle “s’en approche”, considère l’économiste Thomas Piketty. “C’est un cadeau fiscal aux plus riches, bien supérieur au bouclier fiscal”, ajoute-t-il. Le bouclier fiscal, qui limite à 50 % des revenus les impôts à acquitter, doit être supprimé parallèlement à la réforme de l’ISF. ll représente une dépense d’environ 700 millions d’euros pour l’Etat, quand l’ISF génère des recettes d’environ 4 milliards d’euros.
Les recettes en moins pour l’Etat : renvoyant au simulateur mis en place sur le site www.revolution-fiscale.fr – ouvert fin janvier parallèlement à la publication du livre “Pour une révolution fiscale” qu’il a co-écrit avec Camille Landais et Emmanuel Saez – M. Piketty estime que “le gouvernement ment sur le chiffrage” de la réforme. “Elle coûtera beaucoup plus cher que ce qu’il prétend”, avance-t-il.
“D’après notre simulation, les recettes de l’ISF vont être divisée par près de 2,5, passant de 4,1 à 1,8 milliards, soit une perte de 2,3 milliards et non de 0,9 comme le prétend le gouvernement”, explique-t-il.
M. Piketty considère que les pertes de recettes “seront encore plus importantes” car le gouvernement “devra lisser” son nouveau barème d’imposition “pour éviter les effets de seuil”.
L’imposition se fera en effet dès le premier euro de patrimoine pour les foyers déclarant plus de 1,3 million d’euros de patrimoine : cela veut dire qu’à un euro au-dessous de cette somme, il n’y aura rien à payer, mais pour un euro de plus on sera soumis à un taux d’imposition de 0,25 %.
Le même effet de seuil existe pour la passage du taux de 0,25 % à 0,5 % à partir de 3 millions d’euros de patrimoine : à un euro en dessous de 3 millions ce sera 0,25 %, à un euro au dessus ce sera 0,5 %.
“En simulant différentes possibilités de barèmes lissés (par exemple en mettant 0,25 % et 0,5 % comme taux marginaux et non comme taux effectifs), on obtient que les recettes de l’ISF seront divisées par un facteur de l’ordre de 3″, indique M. Pyketty.
Les effets pour les contribuables : selon l’économiste, même en tenant compte de la suppression du bouclier fiscal, “la substantielle baisse des taux d’imposition permet un gain dans toutes les tranches de l’actuel barème de l’ISF”.
Il estime ainsi que “les 565 000 foyers” actuellement soumis à l’ISF, c’est-à-dire déclarant un patrimoine net taxable supérieur à 800 000 euros, “gagneraient en moyenne 2 900 euros”.
“280 000 foyers seraient de facto sortis du barème actuel” et ne paieraient plus d’ISF, puisque le seuil d’entrée sera remonté de 800 000 euros à 1,3 million de patrimoine. Les sommes acquittées à ce niveau au titre de l’ISF ne sont pas énormes et le gain moyen serait de 719 euros.
Les près de 210 000 foyers disposant d’un patrimoine compris entre 1,3 million d’euros et 2,5 millions d’euros bénéficieraient d’un gain moyen de plus de 1 700 euros et les 46 000 foyers compris entre 2,5 et 4 millions de patrimoine d’un gain moyen d’un peu plus de 5 500 euros
Mais ce sont surtout les quelque 1 900 foyers déclarant un patrimoine net taxable supérieur à 16 millions d’euros qui seraient gagnants : ils économiseraient “en moyenne plus de 160 000 euros par rapport au système actuel”, selon la simulation.

L’hydroélectricité est-elle vraiment une énergie verte ?


Le Monde 18.04.11

Les grands barrages n’avaient pas besoin de cela, tant l’engouement pour l’hydroélectricité est grand depuis quelques années, mais l’accident à la centrale de Fukushima et les interrogations sur le nucléaire, qui viennent s’ajouter à la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre, devraient accélérer la ruée vers les grands ouvrages. Ses promoteurs présentent l’hydroélectricité comme une énergie verte, car renouvelable. Pourtant, partout dans le monde, les projets de retenues sont âprement combattus. Les écologistes prévoient un « désastre » si le mouvement n’est pas freiné.
Une lame de fond
La commission internationale des grands barrages (CIGB) recense 33 000 grands barrages, mais ils seraient en fait 50 000. La définition comprend tous les ouvrages dont la hauteur est supérieure à 15 m, ou, si elle est comprise entre 5 et 15 m, dont le réservoir a une contenance supérieure à 3 millions de m3 d’eau. « Cette quantité va au moins doubler d’ici à 2 050 », affirme Michel de Vivo, secrétaire général de la CIGB. La croissance de la population des pays en développement et sa concentration dans les villes entraînent une augmentation importante des besoins en eau, pour irriguer les terres et approvisionner les entreprises. Mais c’est surtout l’accroissement de la demande en énergie qui motive la construction de ces ouvrages, qui auront ensuite plusieurs usages.
« Pour y répondre sans passer par les énergies fossiles et le nucléaire, il n’y a pas 36 solutions, estime M. de Vivo. L’éolien et le solaire restent marginaux. » L’hydraulique, qui produit quelque 20 % de l’électricité dans le monde, représente 80 % de l’électricité d’origine renouvelable. « L’hydroélectricité se développe depuis trois ans comme jamais auparavant », confirme Richard Taylor, directeur exécutif de l’International Hydropower Association (IHA).
Les champions sont la Chine et l’Inde, qui construisent 200 barrages par an. Viennent ensuite les pays d’Amérique latine, en particulier le Brésil, puis la Turquie, l’Iran, la Russie. Si les pays riches ont déjà tiré parti de quasiment tous leurs cours d’eau, le potentiel hydroélectrique reste important en Asie, où le taux d’équipement est de 33 %, en Amérique du Sud (25 %), et en Afrique (7 %).
Des millions de déplacés
Le barrage de Belo Monte n’est que l’un des 60 projets du gouvernement brésilien en Amazonie. Il sera le troisième plus grand au monde, s’il voit le jour. Mais les populations riveraines mènent contre lui une lutte acharnée. Ils ont remporté une victoire symbolique, le 5 avril, quand la Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH) a demandé la suspension du projet, faute de consultation suffisante des communautés. La construction noierait 500 km2 et de 20 000 à 40 000 personnes seraient déplacées, selon l’association Survival International, qui défend les tribus indigènes.
Au total, entre 40 et 80 millions de personnes auraient déjà été déplacées du fait de la construction de barrages, selon le Fonds mondial pour la nature (WWF).
« Les gouvernements brésilien et péruvien ne respectent pas leurs propres lois en ce qui concerne la protection des groupes indigènes », affirme Almir Narayagoma Surui, représentant d’une tribu de l’Etat du Rondonia. Tandis que Sheyla Yakarepi Juruna, chef d’une communauté du Para, accuse le gouvernement brésilien de les traiter « comme des moins que rien ».
Les autorités, de leur côté, mettent en avant les bénéfices économiques attendus de l’apport en énergie et de la maîtrise de l’eau. « Avant la construction de Serre-Ponçon, la vallée de la Durance était une zone aride et pauvre, régulièrement touchée par des crues dévastatrices, renchérit M. de Vivo. C’est aujourd’hui une région fertile, et le lac a permis le développement de la pêche et du tourisme. »
Un impact sur le climat controversé
L’énergie hydraulique n’émet théoriquement pas de gaz à effet de serre (GES). Pourtant, des études ont montré que certains barrages, du fait de la décomposition de la végétation dans les réservoirs, émettent du dioxyde de carbone et surtout du méthane, un gaz au pouvoir de réchauffement 25 fois supérieur à celui du CO2.
Cependant, leur impact sur le climat est controversé. Les retenues d’eau peu profondes situées dans les zones tropicales seraient principalement concernées. Cependant, l’Institut fédéral suisse des sciences et technologies aquatiques (Eawag) a récemment mis au jour des émissions importantes de méthane (150 tonnes de méthane par an, soit l’équivalent en CO2 de 25 millions de km en voiture), dans le lac Wohlen, près de Berne.
Des milieux naturels menacés
Seuls 40 % des fleuves dans le monde s’écoulent encore librement, selon le WWF. « La première conséquence de la construction d’un ouvrage est la modification de la forme du fleuve, explique Martin Arnould, chargé du programme rivières vivantes au WWF France. Le blocage des sédiments provoque une érosion importante sur le littoral, parfois à des centaines de kilomètres en aval. » Le régime des fleuves est perturbé. A l’aval des retenues, les poissons sont moins nombreux, et moins diversifiés. Les migrateurs (anguilles, saumons, esturgeons) sont particulièrement pénalisés, car ils ne peuvent plus circuler. Les réservoirs empêchent la dilution des pollutions, et facilitent la multiplication des espèces envahissantes.
Un certain niveau de durabilité
En Europe, la directive-cadre sur l’eau, qui impose d’atteindre le bon état écologique d’ici à 2015, entre en contradiction avec les objectifs de développement des énergies renouvelables, dont l’hydroélectricité. Certains écologistes craignent de voir les dernières rivières sauvages équipées à leur tour. Et ils peinent à obtenir la suppression d’ouvrages dont l’impact néfaste sur la biodiversité est avéré. Aux Etats-Unis, en revanche, la démolition de barrages problématiques n’est pas rare.
Pour les projets en cours dans les pays en développement, l’IHA, qui a mis au point un « protocole d’évaluation de la durabilité de l’hydroélectricité », en partenariat avec des ONG dont le WWF, assure qu’une « amélioration générale » a lieu. Quelques ouvrages se voulant exemplaires ont vu le jour, comme celui de Nam Theun 2 au Laos. Mais ils restent « exceptionnels », selon M. Arnould.
« On peut probablement arriver à un certain niveau de durabilité, mais on ne supprimera jamais tous les impacts, estime Martin Geiger, responsable du programme eau douce du WWF International. La question est de savoir s’ils ont tous été correctement évalués et s’ils sont acceptables. » La technologie progresse : canaux de dérivation, évacuation des sédiments, gestion adaptée du débit des cours d’eau, ajout de passes à poisson, amélioration des turbines, peuvent limiter les impacts sur l’environnement. Le choix du site est fondamental. Mais pour les ONG, les gouvernements devraient explorer toutes les pistes alternatives – autres renouvelables, mais surtout économies d’énergie – avant de lancer ces projets.

Les grandes lâchetés énergétiques

Jean-Marie Chevalier, directeur du centre de géopolitique de l’énergie et des matières premières
Le Monde 20.04.2011

Le monde de l’énergie est dramatiquement agité. Depuis deux ans, les événements se succèdent : la révolution des gaz non conventionnels aux Etats-Unis, l’accident de la plate-forme BP en Louisiane, le vent de révolte dans le monde arabe et enfin la catastrophe de Fukushima dont on a encore du mal à mesurer l’impact sur l’économie japonaise et sur les choix énergétiques dans le monde entier.
Pendant ce temps, en France, la réflexion énergétique est asphyxiée par des considérations politiques dans lesquelles se mêlent l’absence de courage, un nationalisme frileux et des préoccupations électoralistes.
L’exemple le plus affligeant est celui des prix de l’électricité. Entre 1994 et la mi-2010, ils n’ont pas bougé en valeur nominale. Ils sont plus bas que la plupart des prix européens, mais ce niveau est artificiellement bas car la classe politique a bloqué les prix, indépendamment des coûts et des besoins de financement. Pierre Gadonneix, dans les derniers mois de son mandat à la présidence d’EDF, avait suggéré une augmentation étalée de 20 %. Rien n’a été fait et, depuis, entre autres exemples, les salaires d’EDF ont augmenté de 8 %.
Les économistes n’aiment pas les blocages des prix, car ils donnent aux consommateurs des faux signaux et entretiennent des illusions. Après l’élection présidentielle, le réveil sera douloureux car la situation financière de l’entreprise EDF sera difficile et il faudra bien augmenter les tarifs.
Sur le même sujet, le prix auquel les concurrents d’EDF vont lui acheter de l’électricité dans le cadre de la loi NOME (nouvelle organisation du marché de l’électricité), a été fixé à un niveau proche de celui demandé par EDF : 40 puis 42 MGh (mégawatt/heure). A ce niveau, la concurrence ne se développera pas, ce qui va exacerber la colère des nouveaux entrants et de la Commission européenne. Les contentieux ouverts contre la France ne sont pas fermés et des décisions pourraient se traduire par des pénalités de plusieurs dizaines de milliards d’euros.
On retrouve la même attitude sur le prix du gaz naturel : l’augmentation prévue pour juillet ne sera pas appliquée et aucune augmentation ne sera autorisée avant la présidentielle. Le prix auquel on achète le gaz à nos fournisseurs est partiellement indexé sur le prix du pétrole et, du côté du pétrole, on ne peut que s’attendre à de nouvelles hausses, sauf crise économique.
Un autre exemple de lâcheté collective est fourni par la question du gaz de schiste. Des permis d’exploration avaient été accordés quand Jean-Louis Borloo était ministre de l’énergie et de l’environnement. Une tempête d’opposition a éclaté, fin 2010, dans l’Ardèche, l’Aveyron et la Drôme pour gagner ensuite l’Ile-de-France.
Les partis politiques ont fait de la surenchère en se bousculant pour faire passer une loi qui interdit l’exploration et l’exploitation du gaz de schiste. Le pays de Descartes bascule dans l’émotionnel pur. La sagesse et la rationalité économique voudraient que l’on examine soigneusement la question : de quelles quantités de gaz dispose-t-on ? A quel coût ? Quelles peuvent être les conséquences sur l’environnement et quels standards de sécurité faut-il établir ? Quelles retombées économiques pour les entreprises et les régions ?
Ces questions relèvent d’un principe de précaution intelligemment appliqué, pas d’un principe aveugle qui fait obstacle au progrès technique. Deux rapports sont en cours de rédaction. Attendons les conclusions.
Le gaz de schiste a été une formidable opportunité pour les Etats-Unis : les réserves américaines de gaz naturel ont été augmentées ; le pays que l’on voyait devenir un importateur massif de gaz naturel liquéfié pourrait devenir exportateur de gaz et, enfin, le prix du gaz a été divisé par deux.
Certes, il est important de faire un bilan précis des effets sur l’environnement. Le film Gasland relate des fautes mais il ne reflète pas la situation générale aux Etats-Unis. En France, on interdit sans argumentation solide et, en même temps, on se révolte contre l’augmentation du prix du gaz.
Reste le nucléaire post-Fukushima. Pour l’instant l’émotionnel reste contenu. L’inspection systématique des sites demandée par le premier ministre est une bonne chose. Il faudra appliquer les recommandations… et les financer.
Sur les questions liées au couple infernal énergie-climat, il faut que les Français soient informés et prennent leurs responsabilités politiques et citoyennes.