Bizi !

Articles du Vendredi : Sélection du 13 juin 2014 !

Pétrole : hormis les non-conventionnels américains, la production mondiale a baissé en 2013

Matthieu Auzanneau
http://petrole.blog.lemonde.fr/2014/06/11/petrole-hormis-les-non-conventionnels-americains-la-production-mondiale-a-baisse-en-2013/

Ecotaxe : deux scénarios envisagés

AFP
www.lemonde.fr/economie/article/2014/06/12/ecotaxe-les-deux-scenarios-envisages_4436984_3234.html

Paris 2015, dernière chance pour la planète

Jeffrey David Sachs
www.goodplanet.info/debat/2014/06/05/le-sommet-sur-le-climat-de-paris-en-2015-sera-notre-derniere-chance-pour-planete-sure

Écologie des pauvres, écologie des riches : quand les inégalités sont aussi environnementales

Sophie Chapelle
www.bastamag.net/Ecologie-des-pauvres-ecologie-des

NAMIBIE Les miracles du revenu minimum garanti

Herbert Jauch
www.courrierinternational.com/article/2010/04/29/les-miracles-du-revenu-minimum-garanti

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Pétrole : hormis les non-conventionnels américains, la production mondiale a baissé en 2013

Matthieu Auzanneau
http://petrole.blog.lemonde.fr/2014/06/11/petrole-hormis-les-non-conventionnels-americains-la-production-mondiale-a-baisse-en-2013/

En dehors des nouveaux pétroles extrêmes et « non-conventionnels » d’Amérique du Nord (pétrole de schiste aux Etats-Unis et sables bitumineux au Canada), le reste des extractions mondiales a enregistré en 2013 un repli de 1,5 %, que ne suffisent à expliquer ni les sanctions contre l’Iran, ni la crise libyenne. Partout sauf en Arabie Saoudite, les vannes sont restées ouvertes à fond. 
Le Brésil voit sa production de brut reculer pour la troisième année consécutive, malgré le développement de ses champs offshore ultra-profonds. L’Angola menace de rejoindre une longue liste de producteurs majeurs confrontés aux limites de leurs réserves d’or noir. 

« L’Opep fait face à d’énormes défis de production », titrait le Financial Times la semaine dernière, tandis que s’ouvre aujourd’hui à Vienne une réunion du cartel des pays exportateurs de brut marquée par un très problématique renversement de conjoncture. Il y a six mois, les représentants de l’Opep envisageaient de ralentir leurs exportations face au boom du pétrole de schiste aux Etats-Unis. Entre-temps, les exportations de la Libye ont été réduites presque à néant par le chaos politique et militaire qui s’installe de plus en plus dans ce pays clé.

Mais ce n’est pas tout. Les exportations mondiales sont également tirées vers le bas par l’Algérie, le Mexique, l’Azerbaïdjan, l’Indonésie, le Congo-Brazzaville, ou encore… le Brésil. Dans chacun de ces cas, les problèmes ne sont pas d’ordre balistique (obus de mortier autour de Tripoli, bombe nucléaire hypothétique du côté de Téhéran) : il s’agit de bêtes problèmes de robinets.

Une série d’indices mis au jour sur ce blog montre les difficultés historiques qu’éprouve désormais l’industrie du pétrole à maintenir la production mondiale de brut. Parmi les symptômes révélés ici, le plus net est l’effondrement des extractions de brut de l’ensemble des grandes compagnies occidentales (les majors) au cours des dix dernières années, en dépit de profits et d’investissements sans précédents : – 31 % pour Total par exemple depuis 2004 ! De nouveaux indices apparaissent à l’examen des chiffres de la production mondiale 2013 publiés par Washington. Le bilan de l’année passée est l’occasion de comparer à nouveau le verre à moitié vide au verre à moitié plein.

Le verre à moitié plein, d’abord. A première vue, 2013 semble avoir été un cru honnête pour Big Oil. Après un solide rebond en 2012 (le plus fort en dix ans après celui du lendemain de la guerre d’Irak), le flot mondial de pétrole brut pompé tout autour du globe, en dehors des agrocarburants et autres pétroles de synthèses, s’est maintenu et même très légèrement accru l’an dernier : + 0,2 % selon Washington, soit un peu plus de 76 millions de barils par jour.

Qui l’eût cru ? Le premier, le plus vieux des pays de l’or noir, celui-là même dont la production sénescente menaçait d’entraîner dans sa propre chute la totalité des extractions mondiales, serait en passe de sauver la planète pétrole. Sacrés Américains, ils ne pouvaient faire moins qu’un retournement de situation hollywoodien. La cavalerie yankee charge contre tout espoir à la dernière minute, et de même, grâce au pétrole de schiste et à la fracturation hydraulique, l’industrie pétrolière nord-américaine réussit pour l’heure à se ressusciter. Mais gare, un vicieux canyon se dresse sur le chemin du retour. Big Oil pourrait s’avérer être comme Le Coyote poursuivant en vain Bip Bip, et qui sourit juste avant de comprendre qu’il a les pieds dans le vide.

Le pétrole de schiste (pétrole de roche-mère à plus proprement parler) constitue avec les sables bitumineux du Canada l’une des deux sources de pétroles extrêmes et non-conventionnels dont de nombreux industriels, en France par exemple le directeur scientifique de Total, assurent qu’ils permettront de compenser le déclin des vieux champs de pétrole conventionnel, renvoyant du même coup les Cassandre à leurs chères études. Deux nouvelles récentes donnent une perspective différente sur le gonflement spectaculaire du flot des pétroles extrêmes et non-conventionnels en provenance d’Amérique du Nord…(… à suivre sur le site)

Ecotaxe : deux scénarios envisagés

AFP
www.lemonde.fr/economie/article/2014/06/12/ecotaxe-les-deux-scenarios-envisages_4436984_3234.html

Le premier ministre, Manuel Valls, s’apprêterait à trancher entre deux scénarios pour la mise en place de l’écotaxe qui épargneraient tous deux les trajets courts, indique mercredi le quotidien Les Echos sur son site. L’arbitrage « est entre les mains du premier ministre et les décisions pourraient être prises de manière imminente », souligne le journal pour qui deux scénarios sont sur la table pour « remettre en selle » cette taxe sur le transport poids lourd, suspendue à l’automne.

Le premier des scénarios prévoit « une franchise mensuelle kilométrique qui varierait selon le poids et la pollution émise par le camion » et son objectif serait de « réduire le poids de l’écotaxe » pour les camions effectuant des petits trajets.

BAISSE SUBSTANTIELLE DES RECETTES ESCOMPTÉES

Le second scénario épargne également les trajets courts, avec une « réduction drastique du réseau taxé qui ne concernerait plus que les grands axes et serait ramené de 15 000 à 4 000 kilomètres », précisent Les Echos. Cette seconde piste a un autre avantage, selon le journal. Il épargnerait la Bretagne, une région où la fronde des « bonnets rouges » à l’automne avait contraint le gouvernement à suspendre la mise en place de l’écotaxe.

Les deux scénarios présentent toutefois le même défaut : « une baisse substantielle des recettes escomptées », de 300 millions pour le premier et de 500 millions pour l’autre, loin du 1,15 milliard d’euros attendu, précise le journal. Pour compenser, les autoroutes pourraient être mises à contribution, comme l’avait suggéré la ministre de l’écologie, Ségolène Royal, indiquent encore Les Echos. Le gouvernement avait indiqué qu’un nouveau dispositif devrait être mis en place d’ici à la fin du mois de juin.

Paris 2015, dernière chance pour la planète

Jeffrey David Sachs
www.goodplanet.info/debat/2014/06/05/le-sommet-sur-le-climat-de-paris-en-2015-sera-notre-derniere-chance-pour-planete-sure

L’humanité a peut-être trop tardé à réagir au changement climatique. Les chercheurs scientifiques ont bien indiqué qu’une augmentation des températures de 2º Celsius par rapport aux niveaux préindustriels placerait la Terre dans une dangereuse posture, en territoire inconnu. Il est pourtant question aujourd’hui d’une augmentation des températures d’au moins 4º au cours de ce siècle. Il nous reste une dernière chance pour agir.

Cette chance repose sur Paris, où les chefs de gouvernements de la planète se réuniront en décembre 2015 pour le 21ème sommet de l’ONU sur le changement climatique. Mais ce sera différent cette fois. Soit les gouvernements conviendront d’une action décisive, comme ils l’ont promis, soit nous nous souviendrons de 2015 comme l’année ou nous aurons laissé échapper notre bons sens climatique.

En 1992, les gouvernements du monde avaient adopté la Convention cadre de l’ONU sur le changement climatique, promettant d’éviter « toute interférence anthropogénique (induite par l’homme) dans le système climatique en limitant le taux d’émissions de gaz à effet de serre, surtout de dioxyde de carbone. Mais, malgré l’entrée en vigueur du traité en 1994, le taux des émissions de gaz à effet de serre, y compris celui du CO2, a effectivement augmenté.

En 1992, la combustion planétaire de charbon, de pétrole et de gaz, ajoutée à la production de ciment, a libéré 22,6 milliards de tonnes de CO2 dans l’atmosphère. En 2012, la dernière année pour laquelle des données comparables sont disponibles, les émissions étaient de 34,5 milliards de tonnes. L’humanité a donc accéléré, plutôt que contrôlé, le changement climatique induit par l’homme.

Cette question du changement climatique est aujourd’hui la plus grande question morale de notre époque. L’usage global de combustibles fossiles menace gravement les pauvres, qui sont les plus vulnérables au changement climatique (dont les riches sont la principale cause,) et les générations futures qui hériteront d’une planète qui sera devenue invivable dans de nombreux endroits, et dont l’approvisionnement alimentaire connaîtra de nombreux chocs.

Nous provoquons ces nuisances à une époque où les percées technologiques permettent au monde d’abandonner les combustibles fossiles dangereux pour évoluer vers des sources d’énergie faibles en carbone comme le vent, le solaire, le nucléaire, et l’hydraulique, et de réduire l’impact des combustibles fossiles par une technologie de captation et de stockage du carbone (CSC). Le pape François a récemment parlé de la notion de « préservation de la Création, » à ce propos, « parce que si nous détruisons la Création, la Création nous détruira ! N’oubliez jamais cela ! »

Et pourtant, pour le grand nombre de puissants intérêts, le changement climatique reste un jeu, dont l’objectif est de retarder toute action aussi longtemps que possible. Les géants de l’industrie continuent leur lobbying en coulisses contre l’adoption d’énergies à faibles émissions de carbone, et ont utilisé leur immense richesse pour s’offrir une couverture médiatique visant à semer la confusion. L’empire médiatique de Rupert Murdoch aux Etats-Unis, au Royaume Uni, en Australie et ailleurs, se singularise en jouant un rôle particulièrement cynique et dangereux dans la diffusion de propagande anti-scientifique.

La politique du changement climatique pourrait malgré cela changer dans le bon sens – un changement que reflète le puissant message du pape. Voici six raisons qui pourraient expliquer la proche fin de l’impasse.

D’abord, le monde prend conscience de la calamité que nous sommes en train de causer. La machine à propagande de Murdock peut chaque jours débiter ses flots de mensonges anti-scientifiques, mais l’opinion elle, constate les sécheresses prolongées (maintenant dans certaines régions du Brésil, de la Californie et de l’Asie du sud-est, pour n’en citer que quelques unes), les inondations massives (dernièrement en Bosnie et en Serbie) et les vagues de chaleur caniculaire (en de nombreux points du monde).

Deuxièmement, les citoyens du monde ne veulent pas disparaître. L’opinion publique est jusqu’à présent parvenue à bloquer la construction du pipeline Keystone XL, qui contribuerait à accélérer la production des sables bitumineux canadiens – une perspective choquante dans la mesure où ni le Canada ni les Etats-Unis ne se sont engagés dans un projet climatique.

Troisièmement, il faut s’attendre à de graves chocs climatiques. Il se peut que El Niño, phénomène climatique résultant du réchauffement des eaux du Pacifique occidental qui crée des perturbations dans le climat de la planète, soit particulièrement puissant cette année. Une manifestation forte d’El Niño serait même beaucoup plus dangereuse que d’habitude, parce qu’elle s’ajouterait à des tendances générales en hausse des températures globales. En effet, de nombreux scientifiques estiment qu’un épisode fort d’El Niño pourrait faire de 2015 l’année la plus chaude de l’histoire de la planète.

Quatrièmement, les Etats-Unis et la Chine, les deux plus importants émetteurs de CO2, commencent à peine à prendre la chose au sérieux. L’administration du président Barack Obama tente d’interrompre la construction de nouvelles centrales au charbon, à moins qu’elles ne soient équipées de technologie CSC. La Chine a pour sa part réalisé que sa lourde dépendance sur le charbon crée une pollution et un smog dévastateurs, cause de nombreux décès, et d’une réduction de l’espérance de vie qui peut aller jusqu’à cinq ans dans les régions fortement consommatrices de charbon.

Cinquièmement, les négociations de Paris sont enfin parvenues à attirer l’attention à la fois des opinions publiques et des responsables mondiaux. Le Secrétaire général de l’ONU, Monsieur Ban Ki-moon, a demandé aux dirigeants politiques d’assister à un sommet spécial en septembre 2014, soit 14 mois avant la conférence de Paris, pour intensifier les négociations.

Le réseau d’experts de l’ONU que je dirige, le Sustainable Development Solutions Network (UN SDSN), publiera un rapport substantiel en juillet sur la manière selon laquelle les principales économies mondiales peuvent réduire les émissions de carbone dans leurs systèmes énergétiques.

Enfin, les avancées technologiques en matière de systèmes énergétiques à faibles émissions de carbone, y compris le photovoltaïque, les véhicules électriques, les systèmes de captation et de stockage du carbone (CSC) et les centrales nucléaires de quatrième génération dont les caractéristiques de sécurité ont été largement améliorées, contribuent toutes à la transition vers une énergie technologiquement réaliste à coût et à émissions de carbone réduits, avec de considérables bénéfices pour la santé de l’homme et la sécurité de la planète.

Dès l’automne prochain, le UN SDSN créera une plateforme invitant tous les citoyens du monde à participer à cette dure tache que représente la sauvegarde de la planète. Le SDSN proposera une formation initiale gratuite en ligne sur le changement climatique, et animera, toujours en ligne, une « négociation » internationale pour un accord global sur le climat.

Nous espérons que des centaines de milliers, et peut-être même, des millions de citoyens concernés partout dans le monde participeront à cette aventure en ligne, montrant la voie aux responsables politiques. Le contrôle du changement climatique est un impératif moral et une nécessité pratique – bien trop grave pour être laissé aux seules mains des politiques, des géants pétroliers, et de leurs soutiens médiatiques propagandistes.

Écologie des pauvres, écologie des riches : quand les inégalités sont aussi environnementales

Sophie Chapelle
www.bastamag.net/Ecologie-des-pauvres-ecologie-des

Les catastrophes naturelles et pollutions industrielles ne frappent pas de la même manière toutes les populations. Au contraire. « Si vous voulez savoir où un stock de déchets a le plus de chances d’être enfoui, demandez-vous où vivent les Noirs, les Hispaniques, les Amérindiens et autres minorités raciales », interpelle le sociologue Razmig Keucheyan dans son dernier ouvrage La nature est un champ de bataille. Saturnisme, mal-logement, précarité énergétique… Autant de facettes d’un « racisme environnemental » qu’il propose de combattre. En s’attaquant aux racines du capitalisme. Entretien.

Basta ! : Votre ouvrage, La nature est un champ de bataille, bat en brèche l’idée que l’humanité subit uniformément les conséquences de la crise écologique. Qu’entendez-vous par « inégalités environnementales » ?

Razmig Keucheyan [1] : Les inégalités sont classiquement associées à trois dimensions : les inégalités de classes, de genres (inégalités entre hommes et femmes) et ethno-raciales. Je propose d’en ajouter une quatrième, la dimension environnementale. On ne subit pas les effets de la crise environnementale de la même manière, selon la classe sociale, le genre ou la minorité ethno-raciale à laquelle on appartient. Or le discours écologique dominant décrit souvent la question écologique comme étant vécue uniformément par la population mondiale. La notion d’« inégalités écologiques » permet de montrer que les différentes catégories de population ne sont pas égales face au changement climatique par exemple.

Une des facettes de ces inégalités, c’est le « racisme environnemental »…

Exactement. Le concept de « racisme environnemental » est né aux États-Unis au début des années 80 dans le cadre du mouvement pour la justice environnementale, qui est une bifurcation tardive du mouvement des droits civiques (pour l’égalité des droits entre Noirs et Blancs, ndlr). Les animateurs de ce mouvement s’aperçoivent que les entreprises privées et l’État ont tendance à stocker les déchets toxiques à proximité de quartiers noirs. Et à protéger les catégories sociales les plus favorisées, les blancs en particulier, des nuisances environnementales. Le concept de racisme environnemental permet de penser ensemble discriminations racistes et questions environnementales.

En quoi l’ouragan Katrina qui a dévasté la Nouvelle-Orléans en 2005 est-il le révélateur de ce racisme environnemental ?

Ces inégalités environnementales s’inscrivent dans la durée. Et parfois, cette temporalité s’accélère, notamment lors des catastrophes naturelles. L’ouragan Katrina a été une expression extrêmement visible, y compris médiatiquement, du racisme environnemental. Les personnes âgées et les Noirs, issus majoritairement des classes populaires, ont particulièrement souffert au moment où l’ouragan a frappé, mais aussi dans la durée. Comme le montre Naomi Klein dans La Stratégie du choc, Katrina a été l’occasion pour la municipalité de gentrifier le centre-ville, et d’empêcher le retour des populations noires pauvres.

Le racisme environnemental existe-t-il en Europe et en France ? Sous quelles formes ?

La littérature sur cette question porte beaucoup sur le monde anglo-saxon. Du fait de la centralité de l’esclavage dans l’histoire des États-Unis, la problématique du racisme environnemental y tient une place plus forte que dans d’autres pays. Mais ces problèmes existent aussi en France sous des dénominations différentes. Par exemple, j’évoque dans le livre le cas du saturnisme, lié aux peintures dans les logements anciens dégradés qui ont souvent été habités par des immigrés africains subsahariens [2]. Une étude statistique de 2012 sur la justice spatiale en France révèle également que si la population étrangère d’une ville augmente de 1 %, il y a 29 % de chances en plus pour qu’un incinérateur à déchets, émetteur de différents types de pollutions comme les dioxines [3], soit installé. Les incinérateurs ont donc tendance à se trouver à proximité de quartiers populaires ou d’immigration récente, car les populations qui s’y trouvent ont une capacité moindre à se défendre face à l’installation par les autorités de ce genre de nuisances environnementales. Ou parce que les autorités préfèrent préserver les catégories aisées ou blanches de ces nuisances.

Le cas de la Grèce montre aussi comment une crise économique peut se transformer en crise écologique. Là-bas comme ailleurs, se chauffer au fioul coûte beaucoup plus cher que de se chauffer au bois. La crise économique a accéléré les coupes illégales en Grèce et la déforestation. Dans le même temps, les licenciements des gardes forestiers du fait des mesures d’austérité ont accéléré indirectement la déforestation. Crise économique et crise écologique sont une seule et même crise.

Certains estiment que les pauvres polluent beaucoup plus que les riches, en particulier du fait du poids démographique des pays les plus pauvres. Que répondez-vous à cela ?

Ce que j’appellerai « écologie de droite » repose sur deux piliers. D’une part, la confiance dans les mécanismes de marché pour régler le problème du réchauffement climatique (marchés carbone, de produits financiers comme les obligations catastrophe ou les dérivés climatiques…), et d’autre part l’obsession pour la démographie. « L’écologie de gauche » devrait être extrêmement critique vis-à-vis de tous les arguments démographiques. Il faut admettre que des populations qui sont en situation de survie, notamment dans les pays du Sud, peuvent engendrer des dévastations écologiques. Dès lors que la survie de populations est en jeu, la question environnementale est secondaire. Développement et écologie sont intimement mêlés. Mais il existe par ailleurs des travaux qui montrent que l’empreinte écologique des populations les plus riches est bien supérieure, du fait de leur consommation, à celle des populations pauvres. La question n’est pas démographique mais relève de la dynamique du système. La crise environnementale est liée au capitalisme et aux inégalités qu’il génère.

S’attaquer au capitalisme serait donc une façon de résoudre la question environnementale ?

Oui, tout à fait ! Quatre caractéristiques du capitalisme en font un système néfaste pour l’environnement. D’abord, le capitalisme est productiviste : il cherche en permanence à augmenter la productivité pour générer des profits. Il n’y a pas dans le capitalisme de mécanisme d’auto-limitation, mais une logique de fuite en avant permanente. Le deuxième aspect est la dimension prédatrice du capitalisme : il ne peut survivre que grâce à la prédation sur les ressources naturelles. La troisième caractéristique est que le capitalisme – industriel en particulier – est lié à un système énergétique basé sur les énergies fossiles, le carbone (charbon, pétrole, gaz). Enfin, il repose sur une injonction permanente à consommer toujours plus, qui a des effets catastrophiques sur l’environnement. Le problème est donc fondamentalement lié à la dynamique du capitalisme et à ses effets sur l’environnement et les inégalités.

Remettre en cause le capitalisme suppose de mettre en question l’avenir de secteurs industriels polluants – pétrole, chimie, automobile… – et donc l’avenir de leurs salariés. Comment résoudre ce dilemme ?

J’ai essayé dans mon ouvrage de construire un langage, des concepts et un imaginaire qui puissent être partagés par deux mouvements souvent séparés, les mouvements écologistes au sens large et le mouvement ouvrier. Pour cela, je me suis beaucoup appuyé sur l’approche marxiste. Le marxisme parle aux mouvements ouvriers au travers de catégories comme les inégalités, l’impérialisme, la lutte des classes. Et ces catégories aident à comprendre la crise environnementale. L’évolution des secteurs de l’industrie doit être réfléchie par les acteurs et syndicats de ces secteurs. Mais le préalable, quand on travaille dans une perspective marxiste écologique, est d’essayer de construire une grille d’analyse commune qui parle aux uns et aux autres, et qui permette de trouver des solutions.

Comment faire prendre conscience aux classes populaires des pays « riches », actrices de la consommation de masse, que les inégalités écologiques sont aussi mondiales ?

Il y a un travail à faire de réactivation du concept marxiste d’impérialisme. Il faut parvenir à montrer que cette exploitation des pays du Sud par les pays du Nord, et l’exploitation des classes moyennes et populaires dans les pays du Nord sont le fruit d’une même logique, d’un même mécanisme. Le capitalisme est producteur d’inégalités. Quelque chose de crucial se joue autour des notions de dette écologique et de dette économique. Il suffit de voir le succès du livre du chercheur états-unien David Graeber (lire notre entretien) : la dette et l’austérité, toutes deux extrêmement liées, sont des questions politiques centrales aujourd’hui. Il faudrait étudier la manière dont la dette économique entraine des réformes de l’État et des privatisations, et dont la dette écologique, via l’exploitation du Sud par le Nord, vient accentuer ce phénomène.

Selon vous, qu’est-ce que « l’écologie qui vient » ?

« L’écologie politique qui vient » est une écologie qui se fond dans les autres problématiques. Elle n’est pas cloisonnée mais se mêle de ce qui ne la regarde pas : inégalités, finance, guerre, lutte des classes… La question écologique doit être pensée à partir des catégories habituelles de la gauche radicale. Le mouvement sur le racisme environnemental, ou la manière dont certains syndicats – comme Sud – se réinventent au contact des catégories populaires, semblent préfigurer un lien accru entre la question écologique et la problématique des inégalités par exemple. Poser la question du changement climatique en rapport avec les inégalités environnementales permet de rendre les choses concrètes et peut constituer un véritable levier de mobilisations.

 

A lire : Razmig KEUCHEYAN, La nature est un champ de bataille. Essai d’écologie politique, Hors Collection ZONES/La Découverte, mars 2014. Pour commander ce livre dans la librairie la plus proche de chez vous, rendez-vous sur le site lalibrairie.com.

Notes

[1] Razmig Keucheyan est docteur en sociologie et maître de conférences à l’université de Paris-IV-Sorbonne. Il est l’auteur de Constructivisme. Des origines à nos jours (Hermann, 2007), d’une anthologie des Cahiers de prison d’Antonio Gramsci, Guerre de mouvement et guerre de position (La Fabrique, 2012) ainsi que de Hémisphère gauche, cartographie des nouvelles pensées critiques, Zones/La Découverte, 2013, 2eéd..

[2« Le saturnisme est une maladie ancienne qui a refait son apparition à Paris dans les années 1980. On l’observe principalement dans l’habitat ancien dégradé. Les catégories de la population affectées sont celles qui résident dans ces immeubles : principalement à cette époque des immigrés africains subsahariens. C’est l’absorption des écailles et des poussières de peinture qui provoque le saturnisme. L’air que l’on respire, on le voit, a une teneur éminemment politique. » Note de l’auteur.

[3] Voir cette publication du CNIID (Centre national d’information indépendante sur les déchets).

NAMIBIE Les miracles du revenu minimum garanti

Herbert Jauch
www.courrierinternational.com/article/2010/04/29/les-miracles-du-revenu-minimum-garanti

Dans le cadre d’un projet pilote, les habitants d’un village déshérité ont reçu chaque mois l’équivalent de 10 euros. Deux ans plus tard, le bilan est vraiment positif, se félicite Herbert Jauch, le responsable du programme.

 

On débat dans de nombreux pays de l’instauration d’un revenu minimum garanti (RMG) qui ne soit assorti d’aucune condition contraignante. Pourquoi la Namibie a-t-elle pris les devants avec ce projet pilote ?
HERBERT JAUCH La Commission d’orientation nationale a, dès 2002, recommandé le versement d’un revenu minimum à tous les citoyens pour mieux s’attaquer aux inégalités sociales. La Namibie est, selon les Nations unies, le pays qui présente les plus grands écarts de revenus au monde. Comme le gouvernement n’a pu se décider à instaurer un RMG, les Eglises et les syndicats ont lancé un projet pilote.

Pourquoi avoir choisi le petit ­village d’Otjivero ?

Nous voulions un endroit dans lequel il ne se passerait rien pendant au moins deux ans : pas de programme de création d’emplois, pas de projet d’aide au développement, pas de rentrées financières. Il ne devait y avoir que le revenu minimum, soit 100 dollars namibiens (environ 10 euros) par personne et par mois. Otjivero avait l’air d’être dans une situation tellement désespérée que nous avons pensé au début que le RMG ne servirait pas à grand-chose, hormis une légère réduction de la pauvreté.

Recevoir de l’argent sans condition, sans travailler, est-ce que cela peut faire bouger les choses ?
Ce sont des préjugés auxquels nous nous heurtons en permanence. Si les gens d’Otjivero ne travaillent pas, ce n’est pas parce qu’ils sont paresseux mais tout simplement parce qu’il n’y a pas de travail. Le fait est qu’ils n’ont pas dépensé cet argent pour s’acheter de l’alcool et qu’ils ne l’ont pas dilapidé pour rien.
Qu’en ont-ils fait ?

Nous avons pu observer une chose surprenante. Une femme s’est mise à confectionner des petits pains ; une autre achète désormais du tissu et coud des vêtements ; un homme fabrique des briques. On a vu tout d’un coup toute une série d’activités économiques apparaître dans ce petit village. Cela montre clairement que le revenu minimum ne rend pas paresseux mais ouvre des perspectives.
Vous auriez pu parvenir au même résultat avec des microcrédits ciblés.

Contrairement aux microcrédits et à beaucoup de programmes d’aide au développement classiques, le revenu minimum a un impact non seulement sur la production, mais aussi sur la demande. En Afrique, le pouvoir d’achat se concentre en général dans quelques centres, ce qui force les gens à quitter les campagnes pour les villes, où les bidonvilles finissent par s’étendre. Le RMG permet à des régions rurales de se développer, il crée des marchés locaux et permet aux gens d’être autosuffisants.
Quels effets avez-vous pu constater à Otjivero ?

Le nombre de personnes vivant au-dessous du seuil de pauvreté est passé de 76 à 37 %. Avant l’expérience, près de la moitié des enfants étaient sous-alimentés, aujourd’hui ils sont moins de 10 % ; 90 % finissent leur scolarité, avant, ils n’étaient que 60 %. Et la criminalité a baissé.

 

Pourquoi demandez-vous la création d’un RMG pour tous les Namibiens et pas seulement pour les pauvres ?
Cela demanderait beaucoup trop de travail et coûterait beaucoup trop cher de vérifier les besoins de chacun. De plus, il ne faut pas pénaliser les gens qui ont trouvé un travail ou qui se sont construit une existence. Celui qui gagne bien sa vie et qui est riche reverse le RMG à l’Etat par ses impôts.
La Namibie pourrait-elle se permettre de verser un revenu minimum à tous ses habitants ?

La Commission d’orientation l’a calculé depuis longtemps. Le RMG coûterait 5 à 6 % du budget national. Pour le financer, il faudrait relever légèrement le taux maximum d’imposition, qui est de 34 % actuellement, et la taxe sur le chiffre d’affaires. Le gouvernement pourrait également introduire des prélèvements sur les exportations de matières premières et lutter contre l’évasion fiscale.
Mais le versement du RMG serait très lourd à gérer.

Bien au contraire ! Les coûts de gestion représentent environ 10 %. A Otjivero, nous avons utilisé des cartes à puce personnelles pour l’identification des intéressés et ça s’est très bien passé. Et la poste namibienne affirme qu’il serait rentable pour elle d’ouvrir un bureau dans chaque ville en cas d’instauration du RMG. Même avec deux retraits d’argent sans frais par mois, ça vaudrait encore le coup.

Qu’est-ce qui empêche la Namibie d’introduire le RMG ?

Le gouvernement n’est pas encore tout à fait convaincu. Notre ministre de l’Economie a compris que le revenu minimum constituait un instrument simple et bon marché pour changer les choses. Il y a cependant des résistances du côté du ministère des Finances et de notre Premier ministre, qui émet encore des réserves.
L’expérience menée à Otjivero n’a-t-elle donc pas convaincu ?

La pression exercée par le Fonds monétaire international (FMI) n’est pas sans effet en Namibie. Le FMI a présenté des chiffres erronés sur le coût du RMG. Il prend par exemple en compte les plus de 60 ans, alors qu’ils ne sont pas concernés par le RMG. Il craint que la Namibie démontre que le RMG fonctionne. Ce système deviendrait alors très intéressant pour des pays comme le Brésil et l’Inde.
Comment réagissez-vous à cela ?

Nous faisons le tour du pays avec des gens d’Otjivero pour qu’ils racontent leur histoire. Et nous sommes soutenus partout ! Nous espérons pouvoir arriver à nos fins dans le courant de l’année prochaine. L’important, c’est que la pression de la base soit forte. Quand les électeurs l’exigeront, la SWAPO, le parti au pouvoir, ne pourra plus dire que ça ne l’intéresse pas.

 

Herbert Jauch

Ce chercheur spécialiste des syndicats a dirigé jusqu’en janvier 2010 l’Institut namibien des ressources et de recherche sur le travail (LARRI). Il est membre de la Basic Income Grant Coalition (BIG) de Namibie. Cette alliance, qui regroupe Eglises, syndicats, associations de jeunes et de femmes, a lancé le revenu minimum garanti en 2008. Grâce à ce projet financé par des dons, les 1 000 habitants d’Otjivero âgés de moins de 60 ans ont reçu 100 dollars namibiens (10 euros) par mois pendant deux ans.