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Articles du Vendredi : Sélection du 23 septembre 2016

Le réchauffement des océans affecte déjà tous les écosystèmes, prévient l’UICN

Marie Astier
https://reporterre.net/Le-rechauffement-des-oceans-affecte-deja-tous-les-ecosystemes-previent-l-UICN

Climat : Nicolas Sarkozy, dangereux marchand de doute

Par Christophe BONNEUIL, historien , Jean Jouzel, Climatologue, ex-GIEC , Maxime Combes, Economiste , Nicolas Haeringer, Militant au mouvement écologiste 350.org , Valérie Cabanes, juriste , Geneviève Azam, Economiste et Stefan Aykut, politiste
www.liberation.fr/debats/2016/09/16/climat-nicolas-sarkozy-dangereux-marchand-de-doute_1499625

Sarkozy, Trump : le climatoscepticisme comme stratégie de campagne ?

Pierre André Doctorant en philosophie, Centre international de philosophie politique appliquée, Université Paris-Sorbonne – Sorbonne Universités
https://theconversation.com/sarkozy-trump-le-climatoscepticisme-comme-strategie-de-campagne-65484

Le régionalisme écologiste, un antidote au repli nationaliste

Tudi Kernalegenn
https://reporterre.net/Le-regionalisme-ecologiste-un-antidote-au-repli-nationaliste

Quelle impunité face à la grande délinquance de la haute finance ?

Jérôme Duval
www.cadtm.org/Quelle-impunite-face-a-la-grandeL’incohérence des listes de paradis fiscaux

Le réchauffement des océans affecte déjà tous les écosystèmes, prévient l’UICN

Marie Astier
https://reporterre.net/Le-rechauffement-des-oceans-affecte-deja-tous-les-ecosystemes-previent-l-UICN

Le grand congrès mondial de la biodiversité, rendez-vous de l’Union internationale de conservation de la nature (UICN), s’est achevée à Hawaï. La situation de la biodiversité mondiale ne s’améliore pas. Et les océans sont maintenant aussi durement affectés par les activités humaines.

 

C’est le plus grand rassemblement des experts de la biodiversité dans le monde. Le congrès de l’Union internationale de conservation de la nature (UICN) s’est clos samedi 10 septembre, après dix jours de discussions à Honolulu, à Hawaii, dans le Pacifique. Plus de dix mille décideurs politiques, universitaires, membres d’ONG, représentants des peuples autochtones ou dirigeants d’entreprises étaient réunis pour ce rendez-vous organisé tous les quatre ans par l’UICN. Cette structure qui rassemble ONG, chercheurs et organismes gouvernementaux est avant tout connue pour sa liste rouge des espèces menacées, mise à jour à l’occasion du Congrès. Mais comme vous l’expliquait ce vendredi Reporterre, l’actualisation de ce document est permanente. Cette grande réunion a donc surtout permis aux observateurs et défenseurs de la biodiversité dans le monde de tirer la sonnette d’alarme, et donner des pistes pour mieux la protéger.

93 % du réchauffement de la planète par les océans

En particulier, un rapport sur le réchauffement des océans a été dévoilé. Il indique que depuis 1970, 93 % du réchauffement de la planète dû aux activités humaines aurait été absorbé par les océans. L’UICN en résume les conséquences : « Le réchauffement des océans affecte déjà tous les écosystèmes, des régions polaires jusqu’aux régions tropicales, et conduit des groupes entiers d’espèces comme les planctons, les méduses, les tortues et les oiseaux de mer à remonter de 10 degrés de latitude vers les pôles. Cela entraîne la perte des aires de reproduction pour les tortues et les oiseaux de mer, et affecte les chances de succès de la reproduction des mammifères marins (…). En détruisant l’habitat des poissons et en poussant les espèces de poissons à se déplacer vers des eaux plus froides, le réchauffement des océans affecte les stocks de poissons dans certaines zones, et devrait entraîner une réduction des prises dans les régions tropicales. »

Des effets sur le climat, la diffusion des maladies animales et végétales qui mettent aussi en danger la santé humaine, l’augmentation du nombre d’ouragans, etc, sont également signalés.

Appel à la prudence sur la biologie de synthèse

La biologie de synthèse est devenue plus facile avec la technique Crispr-CAS9 de découpage des gènes

Dans un tout autre domaine, les membres de l’UICN ont également appelé à la prudence en ce qui concerne la biologie de synthèse, qui permet de manipuler les gènes des espèces. Cette technique pourrait permettre de sauver certaines espèces, par exemple en leur donnant des gènes de résistance à certaines maladies, mais pourrait aussi gravement perturber les écosystèmes. La motion adoptée sur le sujet « appelle la directrice générale et les commissions [de l’UICN] à évaluer de toute urgence les incidences des techniques de forçage génétique », et également à effectuer une évaluation, d’ici 2020, des « organismes, composantes et produits issus de la biologie de synthèse ».

Cette position semble répondre à l’appel lancé par des écologistes connus comme Vandana Shiva ou David Suzuki. La biologie de synthèse, ou pilotage des gènes, permet d’introduire des gènes dans une bactérie, par exemple, pour qu’elle produise une substance donnée : un médicament, ou du carburant, entre autres.

Enfin, le Congrès a adopté des « Engagements d’Hawai’i ». Trois « problématiques essentielles » sont mises en avant comme axes des politiques de conservation de la biodiversité pour les décennies à venir : les liens entre « diversité biologique et culturelle » ; l’importance « des océans du monde pour la conservation de la biodiversité »  ; et « la menace à la biodiversité issue de la disparition de l’habitat et des espèces exotiques ».

Comme solutions pour préserver la biodiversité, le rôle des peuples autochtones, mais aussi des jeunes est mis en avant. Cinq défis sont listés : « conserver la nature face à l’agriculture industrielle », « préserver la santé des océans du monde », « mettre fin au trafic d’espèces sauvages », faire face « aux changements climatiques » et « s’engager avec le secteur privé ».

« Nous devons entreprendre des transformations profondes dans la façon dont nos sociétés humaines vivent sur Terre, et notamment sur nos schémas de production et de consommation  », avance également le texte.

Les déclarations de l’UICN n’engagent aucun État. « Mais n’étant pas une assemblée de gouvernements, l’UICN peut se permettre de lancer des alertes et prendre des positions plus fortes, note Jean-David Abel, responsable biodiversité à France Nature Environnement, une association membre de l’UICN en France. On espère que ces déclarations auront un impact sur la Convention sur la diversité biologique des Nations Unies, qui a lieu dans seulement trois mois. Car pour l’instant il y a beaucoup de déclarations de bonnes intentions, mais il faut que les pays les déclinent en programmes de protection précis. Il faut une prise de conscience, comme pour le changement climatique, et l’UICN a la légitimité pour lancer l’alerte. »

Un dixième de la nature sauvage de la Terre s’est artificialisé en vingt ans seulement

Une recherche parue dans la revue scientifique Current Biology constate qu’en vingt ans, la superficie des espaces sauvages – ne subissant pas de perturbation humaine – a diminué de 10 %. « Aujourd’hui, les milieux sauvages se dégradent à une vitesse supérieure à celle de leur protection, prévient James Allan, un des chercheurs. Si on continue à ce rythme, il ne restera aucune parcelle de nature vierge d’ici à la fin du siècle. »

Climat : Nicolas Sarkozy, dangereux marchand de doute

Par Christophe BONNEUIL, historien , Jean Jouzel, Climatologue, ex-GIEC , Maxime Combes, Economiste , Nicolas Haeringer, Militant au mouvement écologiste 350.org , Valérie Cabanes, juriste , Geneviève Azam, Economiste et Stefan Aykut, politiste
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En confirmant son virage climato-sceptique sur France 2 jeudi soir dans «l’Emission politique», l’ex-président vient de saper des dizaines d’années de pédagogie et d’information menées par les scientifiques et les ONG.

 

Devant un parterre de chefs d’entreprise, Nicolas Sarkozy a nié l’origine humaine du réchauffement climatique, considérant qu’il fallait «être arrogant comme l’homme pour penser que c’est nous qui changions le climat». Un virage climato-sceptique confirmé sur France 2 jeudi soir dans «l’Emission politique». N’en déplaise à l’ancien chef de l’Etat, les systèmes d’observation du climat, déployés aux quatre coins de la planète, ne sont pourtant pas «arrogants». Avec constance, les satellites, les systèmes de mesure au sol, sur mer, en avion ou en ballon, enregistrent les données essentielles qui permettent de décrire l’évolution du climat. Le constat est clair. Les mesures sont fiables. Indiscutables. «Sans équivoque» et «sans précédent», selon les termes du GIEC, le réchauffement climatique est d’origine anthropique.

Point d’arrogance ici. Tout ceci, on le sait. L’accumulation des études, des rapports et des données permet juste d’affiner l’analyse, d’en préciser les effets. Et d’accentuer le message d’urgence, tant les conséquences des dérèglements climatiques se font, chaque année passant, plus durement sentir : notre printemps exceptionnellement pluvieux, notre été exceptionnellement chaud, et le flot des réfugiés climatiques jetés sur la route par ces dérèglements globaux ne nous le rappellent-ils pas au quotidien ? C’est donc au mépris de la communauté scientifique et de savoirs accumulés depuis des dizaines d’années que Nicolas Sarkozy fait naufrage sur les rives dangereuses, mais vouées à disparaître sous la montée des eaux, des «marchands de doute» (1).

Les forces politiques, économiques et médiatiques qui nient le réchauffement climatique, ou son caractère anthropique, ont d’ailleurs récemment perdu beaucoup du terrain. Jusqu’à la déclaration de Nicolas Sarkozy, elles avaient quasiment disparu en Europe. Elles semblaient également en perte de vitesse aux États-Unis où l’accumulation de catastrophes climatiques a conduit de nombreux Américains à abandonner leur position climato-sceptique. Tony Abbott (Australie) et Stephen Harper (Canada), climato-sceptiques notoires, ont été écartés du pouvoir. Avec ses déclarations, Sarkozy rejoint donc Donald Trump dans un cercle de plus en plus réduit de chefs d’Etat ou candidats au poste suprême qui nient l’évidence scientifique et s’accrochent à leur idéologie.

«Je préférerais qu’on parle d’un sujet plus important» dit Nicolas Sarkozy, à propos de ce qu’il appelle «le choc démographique», choc dont «l’homme» serait «directement responsable». Un «choc démographique» mis en avant pour écarter «l’urgence climatique» des priorités. Rien de mieux que la croissance démographique des pauvres pour disculper les riches de leurs propres responsabilités : ne sont-ce pas les pays asiatiques et africains les plus peuplés, aujourd’hui, et demain plus encore ? N’est-il pas plus aisé d’imaginer introduire un contrôle de la natalité dans les pays pauvres plutôt que chercher à réduire nos propres émissions de gaz à effet de serre ?

Un tel raisonnement, aussi éculé que fallacieux, fait mouche chez celles et ceux qui refusent de voir les données en face : faut-il rappeler que l’Afrique émet à peine 3,3% des émissions mondiales – moins que le Japon pour une population 10 fois plus importante – et qu’un habitant du Nigéria émet en moyenne 10 fois moins qu’un habitant de la France, et 34 fois moins qu’un habitant des Etats-Unis ? Soyons précis : rien n’empêche d’agir pour que les émissions de gaz à effet de serre – et plus largement l’empreinte écologique – des pays du Sud n’explosent pas. Mais le plus sûr moyen d’y parvenir n’est pas de stériliser les pauvres, mais bien de s’assurer que le mode de vie occidental, insoutenable, ne soit pas étendu aux quatre coins du globe.

Pour se distinguer au cours d’une primaire de droite qui semble autoriser tous les mensonges, Nicolas Sarkozy mobilise deux figures argumentatives classiques de la rhétorique réactionnaire mise en évidence par Hirschman (2) : l’inanité (futility) du caractère anthropique du réchauffement climatique et la mise en péril (jeopardy) à travers le «choc démographique» qui serait ignoré. Il ne manque que l’effet pervers (perversity) pour réunir toutes les figures simplistes et viciées d’une rhétorique qui vise à disqualifier, ici, une communauté scientifique dans son ensemble.

Une telle stratégie n’est guère surprenante tant le phénomène du réchauffement climatique percute nos certitudes, les valeurs occidentales et notre système économique. Nicolas Sarkozy cherche à insinuer le doute pour refuser de prendre à bras-le-corps les conséquences politiques, économiques et matérielles de l’entrée dans l’anthropocène, cette nouvelle ère géologique où l’histoire courte des sociétés humaines se trouve inextricablement liée à l’histoire longue de la planète Terre. Une stratégie bien commode donc pour qui ne veut pas modifier en profondeur ses comportements et les soubassements matériels de notre (mal)développement qui conduisent à ce qu’à peine 20 % de la population mondiale consomme 80 % des ressources, générant l’essentiel du réchauffement climatique mondial.

De ce constat, découle l’objectif que nous devons poursuivre : partager équitablement le gâteau de notre budget carbone planétaire. C’est à dire poursuivre un patient et (trop) lent travail visant à réduire les inégalités et décarboner l’économie mondiale. Pour que l’ensemble de la population mondiale ait accès à une vie digne tout en respectant les limites planétaires et climatiques, la seule voie qui permettrait de respecter l’article 2 de l’Accord de Paris qui enjoint les Etats à tout faire pour contenir le réchauffement climatique en deçà de 2°C, et idéalement en deçà de 1,5°C.

Au lendemain de la COP21, les propos tenus par Nicolas Sarkozy devraient le disqualifier irrémédiablement aux yeux de l’opinion et des commentateurs de la vie politique, lui qui vient de saper des dizaines d’années de pédagogie et d’information menées par les scientifiques et les ONG. Plutôt qu’insinuer le doute pour esquiver le débat sur les transformations nécessaires, les candidats à la présidentielle seraient bien avisés de s’assurer que l’ensemble de leurs propositions en matière économique, urbanistique, agricole, etc. tiennent compte de l’impératif climatique. Les turpitudes politiques passées, couplées à l’irresponsabilité des multinationales du secteur des combustibles fossiles, nous on fait perdre plus d’une génération d’action publique ambitieuse sur le climat.

Nous n’avons plus de temps à perdre. Il en va de notre avenir. Et d’une campagne présidentielle qui ne vire pas à la caricature mais qui s’occupe des grands défis du XXIe siècle.

(1) Conway Erik et Oreskes Naomi, Les marchands de doute, éd Le Pommier, coll. « Essais et documents », 2012.

(2) Hirschman, A.O., 1991. Deux siècles de rhétorique réactionnaire, Paris, Fayard.

Signataires :

Stefan Aykut, politiste et sociologue des sciences, co-auteur de Gouverner le climat ?, (Presses de Sciences Po), Geneviève Azam, économiste, co-auteur de Crime Climatique Stop ! L’appel de la société civile (Seuil), Christophe Bonneuil, historien des sciences, co-auteur de L’évènement anthropocène, (Seuil), Valérie Cabannes, auteur de Un nouveau Droit pour la Terre, pour en finir avec l’écocide, (Seuil), Maxime Combes, Economiste, auteur de Sortons de l’âge des fossiles ! Manifeste pour la transition, (Seuil), François Gemenne, politiste, co-auteur de l’Atlas des migrations environnementales, (Presses de Sciences Po), Nicolas Haeringer Auteur de Zéro fossile, Désinvestir du charbon, du gaz et du pétrole pour sauver le climat, (Les Petits Matins), Jean Jouzel, ancien Vice Président du groupe scientifique du GIEC.

Sarkozy, Trump : le climatoscepticisme comme stratégie de campagne ?

Pierre André Doctorant en philosophie, Centre international de philosophie politique appliquée, Université Paris-Sorbonne – Sorbonne Universités
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« Cela fait 4 milliards d’années que le climat change. Le Sahara est devenu un désert, ce n’est pas à cause de l’industrie. Il faut être arrogant comme l’Homme pour penser que c’est nous qui avons changé le climat… »

Ce sont là les mots, rapportés par Marianne, de l’ancien président de la République française et candidat à la primaire de droite, Nicolas Sarkozy, lors d’une réunion organisée par l’Institut de l’entreprise, le 14 septembre 2016.

En adoptant de tels propos – atypiques dans le discours politique en Europe continentale – l’ancien chef de l’État français fait sienne la rhétorique climatosceptique déjà à l’œuvre chez certains responsables politiques américains, à l’image de Donald Trump. On se rappelle que l’une des promesses du candidat à la présidentielle outre-Atlantique consiste à annuler l’accord de Paris sur le climat.

Nicolas Sarkozy nous enjoint donc, plutôt que de nous inquiéter du changement climatique, à nous préoccuper « d’un sujet plus important : le choc démographique. »

Un changement climatique massif et rapide

Affirmer que le changement climatique n’est qu’un problème de second ordre et que l’homme n’en est pas le seul responsable, c’est s’inscrire dans la droite ligne des climatosceptiques.

Certes, les modifications du climat ont toujours existé sur Terre. Mais le changement climatique auquel nous faisons face se démarque par deux caractéristiques essentielles : son ampleur et sa vitesse.

Ce dérèglement est en effet loin d’être bénin. Dans son cinquième rapport, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) – qui réalise la synthèse des travaux des climatologues et représente une forme indéniable de consensus scientifique – projette dans certains de ses scénarios une augmentation de la température moyenne à la surface du globe de plus de 5 °C d’ici à la fin du siècle.

Le changement est, d’autre part, si rapide que la faune, la flore et même probablement l’humanité ne pourront s’y adapter à temps sans une vague d’extinction majeure. Le GIEC a de plus réaffirmé qu’il était « extrêmement probable » que les émissions anthropiques de gaz à effet de serre couplées à d’autres facteurs humains soient « la cause principale du réchauffement observé depuis le milieu du XXe siècle. » La science discrédite donc les propos de Nicolas Sarkozy comme de Donald Trump.

Donald Trump sur l’Accord de Paris de 2015 (The Guardian, mai 2016).

Les plus vulnérables en première ligne

Or le changement climatique menace d’avoir des conséquences humaines désastreuses, en particulier pour les populations les plus vulnérables.

Ce sont ainsi leur santé (paludisme, dengue, choléra), leur sécurité alimentaire (sécheresses, inondations, élévation du niveau des mers) et leur existence même (vagues de chaleur, ouragans) qui sont directement menacées.

Mais ce sont aussi l’économie mondiale, la faune et la flore, et même la culture (on pense ici à la disparition des États insulaires confrontés à la montée des eaux), que le changement climatique met en péril.

La croissance démographique n’est qu’une seule facette de ce problème. Les émissions mondiales de gaz à effet de serre, ainsi que d’autres problèmes environnementaux, dépendent certes du paramètre de la population – et il serait absurde de le nier. Mais un autre facteur joue un rôle essentiel : celui de la consommation des populations.

Il y a ainsi, en raison de niveaux et de modes de consommation différents, de profondes inégalités dans la répartition mondiale des émissions de CO2, comme le rappelle une étude de Thomas Piketty.

Dans les régions à la plus forte croissance démographique (Asie du Sud et Afrique), les émissions moyennes par habitant sont ainsi de 2,4 tonnes de CO2 contre 20 tonnes pour les Américains et 9 pour les habitants des pays d’Europe de l’Ouest.

Pour cette raison, on ne compte parmi les 10 % des plus grands émetteurs mondiaux, représentant 45 % des émissions mondiales, que 1 % d’Indiens contre 40 % de Nord-Américains et 19 % d’Européens. Plus que le poids démographique, c’est la consommation qui importe.

Un déni de science et de responsabilité

Il apparaît donc malhonnête de nier la gravité du changement climatique en la dissimulant sous la menace d’une population grandissante.

Ce n’est en rien une coïncidence si certains candidats politiques en campagne se livrent peu scrupuleusement à ce jeu mensonger. Il s’agit d’une manœuvre populiste cherchant à gagner la faveur de l’électorat à travers un discours complaisant.

Le changement climatique a notamment pour effet d’attribuer aux pays développés une responsabilité éthique majeure, en raison de leurs contributions historique et présente aux émissions de gaz à effet de serre et de leur plus grande capacité technologique et financière à y faire face.

Il revient donc aux responsables politiques et aux citoyens des pays les plus riches de jouer un rôle de leader dans la transformation de leur infrastructure énergétique et de leurs modes de consommation ; ils se doivent aussi d’aider les plus vulnérables à s’adapter aux effets néfastes du changement climatique.

Un tel discours n’est cependant pas recevable pour ceux qui affirment que leur mode de vie « n’est pas négociable », pour reprendre une expression employée en 1992 par Georges Bush lors du Sommet de la Terre à Rio. C’est ici qu’entre en jeu le populisme et son discours de complaisance : en niant les vérités scientifiques, il caresse l’électorat dans le sens du poil. Pire, il le corrompt moralement.

Les implications morales du climatoscepticisme

La corruption morale, théorisée par le philosophe américain Stephen Gardiner, consiste à subvertir le langage de l’éthique afin de dissimuler et de défendre des intérêts particuliers immoraux. Ce phénomène est particulièrement menaçant dans le contexte de « tempête morale » où nous plonge le changement climatique.

C’est bien à une tentative de corruption notre sens moral que se livre Nicolas Sarkozy dans son récent discours : en empruntant le vocabulaire de la responsabilité (« sujet plus important ») pour désigner la limitation de la population mondiale comme une priorité politique par rapport au changement climatique, il donne à des intérêts égoïstes immoraux les atours de l’éthique afin de justifier le statu quo.

De plus, il repousse la responsabilité morale sur les pays en développement, accusés de laisser leur population se multiplier. Ce refus des responsabilités transfère injustement les coûts liés au changement climatique sur les plus vulnérables et les générations futures.

Il ne faut ainsi pas se laisser abuser par ces discours populistes qui, en période électorale, cherchent à corrompre notre sens moral en niant la vérité scientifique du changement climatique et en détournant notre attention vers d’autres sujets. La vigilance ainsi qu’une certaine éthique du discours s’imposent.

Le régionalisme écologiste, un antidote au repli nationaliste

Tudi Kernalegenn
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L’écologie politique a développé un discours contre le nationalisme centralisateur et uniformisateur. Ce régionalisme « civique, démocratique et pluraliste », explique l’auteur de cette tribune, mérite d’être considéré à l’heure du rejet de l’altérité et du repli sur soi.

Tudi Kernalegenn est enseignant et chercheur en science politique à l’Institut d’études politiques de Rennes. Il a publié récemment Histoire de l’écologie en Bretagne (éditions Goater, 2014) et L’Union démocratique bretonne. Un parti autonomiste dans un État unitaire (avec Romain Pasquier, Presses universitaires de Rennes, 2014).

Contrairement à la plupart des autres familles politiques, l’écologie politique est fondamentalement rétive à la glorification de l’État-nation. À la place d’une France une et indivisible, les écologistes promeuvent traditionnellement une France plurielle et régionalisée. Ce discours est toutefois peu audible, voire marginalisé, dans l’ambiance cocardière actuelle et mérite d’être mieux valorisé comme antidote à la fermeture sur soi et au rejet de l’autre, comme recette pour une démocratie inclusive et dynamique.

De E. F. Schumacher (« Small is beautiful ») à René Dubos (« Penser global, agir local »), les premiers écologistes ont, dès leurs textes fondateurs, rejeté les grandes structures hiérarchisées et complexes, considérant que les États centralisés et unitaires ne pourraient pas résoudre les problèmes dont ils étaient la cause. Ils ont alors élaboré un régionalisme écologiste qui a pris deux grandes formes : le biorégionalisme et l’écorégionalisme.

Le biorégionalisme s’est principalement développé dans le monde anglo-saxon. Pour ses promoteurs, les divisions administratives sont des construits artificiels qui éloignent les habitants de leur environnement. Ils proposent de calquer la vie politique et administrative sur des régions « naturelles » — définies par des critères « objectifs » et spécifiques, tels que l’hydrologie, le climat, la végétation — pour développer un rapport sain et soutenable à l’environnement. Habiter de telles régions permettrait selon eux de devenir conscient de l’identité écologique du lieu, de reconnaitre que chaque région est spécifique et unique. L’objectif est d’en devenir autochtone, de se réenraciner pour habiter le lieu de manière responsable à long terme. C’est ce que les biorégionalistes appellent la « réhabitation ». Le problème, toutefois, est de définir ces régions « naturelles ».

Des « espaces de participation civique »

En Europe, et notamment en France, s’est développée une autre approche, l’écorégionalisme. Celle-ci prend notamment ses sources dans la pensée personnaliste et fédéraliste de Denis de Rougemont et de Bernard Charbonneau, pionniers de l’écologie.

La quête qui conduit de Rougemont aux régions provient de sa conviction que toute tentative de construire quelque chose de neuf à partir des États-nations est voué à l’échec : vouloir démocratiser l’État-nation, écrit-il, ce serait comme vouloir humaniser une chaîne de montage, alors que c’est la condition prolétarienne elle-même qu’il faut supprimer.

Pour Denis de Rougemont, les régions doivent avant tout être imaginées comme des « espaces de participation civique » : par sa taille humaine, la région redonne à ceux qui l’habitent la possibilité d’agir sur les problèmes qui les concernent directement et qu’ils comprennent. Contrairement à l’État-nation en outre, la région telle que théorisée par de Rougemont relève d’une logique ascendante et non descendante du pouvoir : elle est l’expression et la garante des individus et des communautés locales qui la composent et non au service d’un pouvoir central.

Pour Bernard Charbonneau aussi, la région est un outil et un niveau institutionnel pour lutter à la fois contre le repli nationaliste et contre l’individualisme libéral. L’autonomie des régions, explique-t-il, est une nécessité pour s’opposer à la standardisation orchestrée par le marché et l’État. Cette autonomie doit toutefois se conjuguer avec le fédéralisme pour unir solidairement les sociétés locales dans le respect des différences de chacune, pour maintenir l’équilibre entre le particulier et l’universel.

Attachement indéfectible à la diversité

Chaque parti écologiste européen a ensuite adapté cette vision écorégionaliste à sa propre réalité sociale, à sa propre histoire idéologique, en intégrant par exemple l’héritage régionaliste du PSU (Parti socialiste unifié), pour ce qui est des Verts français. Pour autant, des invariants caractérisent, au-delà des frontières, la position écologiste sur la question nationale et régionale.

Tout d’abord, le régionalisme écologiste se caractérise par un attachement indéfectible à la diversité : il n’y a pas de région ou de culture supérieure aux autres. D’où le soutien d’EELV à la reconnaissance de la coofficialité des langues dites « régionales » là où elles sont parlées, pour qu’elles puissent s’épanouir dans l’espace public.

Ensuite, le régionalisme écologiste n’est pas identitaire, mais démocratique. Il ne s’agit pas d’alimenter la nostalgie du passé, mais de permettre aux citoyens de construire l’avenir, en fonction de leurs besoins et de leurs aspirations. C’est le sens de la revendication de « fédéralisme différencié » porté par EELV, pour permettre l’émergence de véritables autonomies « à l’espagnole », avec possibilité de différenciation des compétences transférées.

Enfin, le régionalisme écologiste est profondément solidaire : la région n’est pas une fin en soi, mais participe d’un tout, du local à la planète.

Ainsi, l’écologie politique a élaboré un discours fort et cohérent contre le nationalisme jacobin, uniformisateur et centralisateur, qui a pris la forme d’une véritable doxa en France. Alors que les crispations semblent s’accentuer contre toute forme d’altérité, le projet écologiste d’un régionalisme civique, démocratique et pluraliste mérite d’être reconsidéré. C’est peut-être la bouffée d’oxygène dont nos sociétés ont tant besoin.

Quelle impunité face à la grande délinquance de la haute finance ?

Jérôme Duval
www.cadtm.org/Quelle-impunite-face-a-la-grandeL’incohérence des listes de paradis fiscaux

Le cas du Panama qui fait grand bruit est loin d’être la seule aberration en matière fiscale. Comment expliquer, par exemple, que les Bermudes – où la Société générale détient une filiale qui a réalisé 17 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2013 avec zéro salarié -, aient été retirées de la liste française des paradis fiscaux en janvier 2014 |1| ? Comment la Belgique a pu attendre 2015 pour placer officiellement le grand-duché de Luxembourg sur la liste belge des paradis fiscaux ? Comment peut-on imaginer que certains États européens, l’Union européenne (UE), le Groupe d’action financière, organisme intergouvernemental de lutte contre le blanchiment d’argent (Gafi), l’OCDE ou le FMI aient des listes de paradis fiscaux distinctes ?

Cette incohérence des fausses solutions apportées par des acteurs censés lutter contre la fraude et l’évasion fiscale encourage l’impunité des grands délinquants financiers qui jouissent par ailleurs d’une justice sur mesure, tolérante ou sans cesse contournée.

La directive sur le « secret des affaires » protège les délinquants et emprisonne les journalistes

Quelques jours seulement avant le procès du lanceur d’alerte Antoine Deltour à l’origine des révélations « LuxLeaks » et dix jours après le début des révélations des « Panama papers » sur les sociétés offshore dans les paradis fiscaux, la directive européenne sur la protection du « secret des affaires » était adoptée au Parlement européen le 14 avril 2016.

Malgré une pétition contre cette directive signée par plus de 500 000 personnes, une large majorité des eurodéputés adoptent le texte par 503 voix pour, 131 voix contre et 18 abstentions sur les 652 eurodéputés présents au Parlement ce jour-là.

Côté Français, seuls les 10 représentants d’Europe Ecologie-Les Verts et du Front de gauche ont voté contre, laissant le FN, le PS et la droite voter majoritairement pour.

Côté belge, seulement trois eurodéputés ont voté contre cette directive sur les 20 qui ont pris part au vote |2|.

Dans l’ensemble, on observe, une fois de plus, une grande entente entre les deux grandes familles libérales au Parlement européen, le Parti populaire européen (PPE) et les socio-démocrates (S&D), qui ont majoritairement voté pour cette loi liberticide.

Cette directive, proposée en novembre 2013 par la Commission européenne, menace « le travail d’enquête des journalistes et, par ricochet, l’information éclairée du citoyen », protège les entreprises et leurs manœuvres illégales en interdisant la divulgation de leurs « secrets économiques » auprès de l’opinion concernée.

Elle compromet sérieusement le travail des journalistes, lanceurs d’alertes, ONG et autres acteurs qui tentent de faire remonter des informations sensibles d’utilité publique. « Cela va créer un renversement de la charge de la preuve pour les journalistes, qui devront prouver que la diffusion de l’information était légitime », prévient Véronique Marquet, membre et avocate du collectif Informer n’est pas un délit |3|. « Cela revient à leur demander, poursuit-elle, s’ils sont prêts à assumer le risque d’être condamnés, ce qui constitue une vraie arme de dissuasion à disposition des entreprises. »

Criminalité financière et dénonciation : deux poids deux mesures

Pour parachever le scandale, poursuivant la même logique, la justice luxembourgeoise vient de placer les intérêts des multinationales au-dessus de l’intérêt général. Tandis que les organisateurs de l’évasion fiscale jouissent d’une totale impunité, la 12e chambre correctionnelle du tribunal d’arrondissement de Luxembourg a condamné le lanceur d’alerte français Antoine Deltour à 12 mois de prison avec sursis, et 1 500 euros d’amende. Raphaël Halet, autre lanceur d’alerte, est condamné à 9 mois de prison avec sursis et 1000 euros d’amende |4|.

Ces deux lanceurs d’alerte ont pourtant permis aux citoyens européens de découvrir comment des centaines d’entreprises multinationales ont pu échapper massivement à l’impôt, en passant des accords secrets avec le Luxembourg. Ils ont révélé des informations cruciales pour l’intérêt général et devraient être protégés et récompensés plutôt que poursuivis et condamnés.

Leurs condamnations font écho aux poursuites de l’un des fondateurs du mouvement Alternatiba puis d’Action non violente COP 21 (ANV-COP 21), Jon Palais. Activiste de l’association Bizi ! (« vivre », en basque), il est accusé de « vol en réunion » et sera jugé en procès le 9 janvier 2017 pour avoir participé à une réquisition citoyenne de chaises dans une agence de la BNP Paribas à Paris.

La banque française, qui affiche un bénéfice net de 6,7 milliards d’euros pour l’année 2015, est fortement implantée dans les paradis fiscaux et judiciaires, avec 170 filiales déclarées, dont une bonne partie encore en activité. Sa récente décision de fermer ses succursales aux îles Caïmans britanniques est largement insuffisante. Les capitaux qui s’évadent dans les paradis fiscaux manquent cruellement à l’État qui s’endette pour affronter ses dépenses.

Rappelons qu’en France, le rapport du groupe de travail du Collectif pour un audit citoyen (CAC), détermine que plus de la moitié de la dette publique provient des cadeaux fiscaux et des taux d’intérêts excessifs. Dans son livre Offshore, paradis fiscaux et souveraineté criminelle, Alain Deneault nous éclairait sur les conséquences de cette fraude : « Frauder le fisc ne se résume plus dès lors à économiser des coûts mais consiste à mettre à mal le financement des institutions publiques, et par conséquent la notion même de bien public, pour constituer offshore des pôles de décision occultes sur des questions d’envergure historique. » |5|

Notes

|1| Bercy a retiré les îles des Bermudes et les dépendances britanniques de Jersey de la liste française des États et territoires non coopératifs en matière fiscale, dans un arrêté publié dimanche 19 janvier 2014 au Journal officiel.

|2| « En ce qui concerne les eurodéputés belges, sur nos 21 représentants, 20 ont pris part au vote. 12 ont voté pour, cinq se sont abstenus et seulement trois ont voté contre. » (Julien Vlassenbroek, journaliste web de la RTBF). En savoir plus.

|3| Le collectif Informer n’est pas un délit avait réuni plus de 310 000 signatures mardi 16 juin 2015, alors que la commission juridique du Parlement européen donnait son feu vert à la directive sur le secret des affaires. Page Facebook du collectif.

|4| Ils ont décidé de faire appel à la décision de la justice luxembourgeoise

|5| Offshore, paradis fiscaux et souveraineté criminelle, de Alain Deneault. Ed. La fabrique, 2010.