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Articles du Vendredi : Sélection du 22 décembre 2017

Une année de phénomènes climatiques extrêmes pour la planète et l’Amérique de Trump

AFP
www.ladepeche.fr/article/2017/12/20/2708273-annee-phenomenes-climatiques-extremes-planete-amerique-trump.html

Les catastrophes naturelles et les désastres ont coûté plus de 300 milliards de dollars en 2017

AFP
Le Monde

Climat : « On ne mesure pas l’ampleur du danger »

Simon Roger, Stéphane Foucart
Le Monde

Trump, Macron: même combat

Thomas Piketty
http://piketty.blog.lemonde.fr/2017/12/12/trump-macron-meme-combat/

Climat : « l’enjeu est d’assujettir le droit commercial au droit environnemental et social »

Laurent Berger (Secrétaire général de la CFDT), Philippe Frémeaux (Président de lʼInstitut Veblen) et Audrey Pulvar (Présidente de la Fondation pour la Nature et l’Homme)
Le Monde

Une année de phénomènes climatiques extrêmes pour la planète et l’Amérique de Trump

AFP
www.ladepeche.fr/article/2017/12/20/2708273-annee-phenomenes-climatiques-extremes-planete-amerique-trump.html

L’Amérique a été frappée en 2017 par des ouragans spectaculaires, des inondations et des incendies ravageurs, phénomènes extrêmes dont la fréquence et l’intensité coïncident de plus en plus clairement, selon les scientifiques, avec le changement climatique imputé aux activités humaines.

L’année écoulée est aussi celle où les Etats-Unis ont décidé de se retirer de l’accord de Paris sur le climat, M. Trump estimant qu’il pénalise la première économie mondiale et favorise la Chine.

A la fin août, Houston, quatrième ville des Etats-Unis, se retrouvait subitement sous les eaux après le passage de l’ouragan Harvey. Des dizaines de morts, des évacuations massives, des milliards de dollars de dégâts sont à déplorer pour cette riche région pétrolière des Etats-Unis.

Une semaine plus tard, c’est Irma et ses vents de près de 300 km/h qui déferle sur plusieurs îles des Caraïbes et provoque l’évacuation de millions d’habitants en Floride. Plusieurs îles, comme Saint-Martin (territoire français) ou Barbuda sont dévastées. Le désastre, une fois de plus, amène les dirigeants de ces petits Etats insulaires à tirer la sonnette d’alarme contre le réchauffement climatique.

Puis ce sera au tour de la tempête Maria de semer la destruction sur la petite île indépendante de la Dominique puis à Porto Rico, territoire associé aux Etats-Unis.

Plus récemment, c’est en Californie que le changement climatique a une fois de plus été montré du doigt. Des incendies d’une gravité sans précédent ont brulé les vignobles de la région de San Francisco puis certains quartiers de Los Angeles.

« Ces feux – parmi les plus importants depuis plus de 80 ans – sont un exemple de ce qui nous attend » dans le futur, a accusé le gouverneur démocrate de Californie Jerry Brown, en référence au réchauffement et à la sécheresse qu’il engendre.

Jerry Brown fait partie de ces gouverneurs et maires de grandes villes qui veulent poursuivre l’effort engagé contre le réchauffement climatique malgré la décision de Donald Trump se sortir de l’accord de Paris.

Signé en décembre 2015 par 196 pays, ce traité vise à limiter la hausse de la température planétaire à moins de deux degrés au-dessus des niveaux de l’ère pré-industrielle pour éviter des effets catastrophiques dont une forte montée du niveau des océans avec la fonte accélérée des glaces polaires.

L’administration Trump a également, dans son premier rapport sur la stratégie de sécurité nationale, éliminé le réchauffement de la liste « des menaces » où il figurait en bonne place depuis vingt ans en raison de ses effets déstabilisants dans certains pays.

Pour Donald Trump, il s’agit d’embrasser les énergies fossiles au nom de l’indépendance du pays et pour créer des emplois au moment où le reste du monde cherche à investir dans l’énergie solaire et éolienne.

« Ensemble, nous allons commencer une nouvelle révolution énergétique », avait-il lancé en juin dernier.

Relance du charbon et du pétrole

Au début de l’automne, M. Trump a signé une proclamation pour faire de l’Amérique un exportateur net d’énergie d’ici 2026 en relançant l’exploitation du charbon et des réserves jugées très importantes de gaz et d’huile de schiste qui se trouvent sur des terres fédérales protégées.

Pour ce faire, il a déjà annoncé l’ouverture à l’exploration pétrolière et gazière de vastes zones dans le golfe du Mexique et en Alaska et signé plusieurs dizaines de décrets démantelant les réglementations de protection environnementale dont le « Clean Power Plan » mis en place par son prédécesseur Barack Obama pour limiter les émissions carboniques des centrales électriques.

« L’administration Trump a fait en moins d’un an plus pour démanteler la politique de lutte contre le réchauffement climatique que la pire des administrations précédentes dans ce domaine durant deux mandats », a pointé Michael Mann, un climatologue de l’Université de l’Etat de Pennsylvanie, en référence à la présidence de George W. Bush.

Pour Alden Myer, directeur de la stratégie à l’ONG, Union of concerned scientists, « l’impact dévastateur » des actions de Donald Trump sur le climat « pourrait n’être qu’une aberration de trois ou quatre ans sans impact durable s’il ne fait qu’un mandat ».

Dans le reste du monde, 2017 a aussi été l’année de plusieurs phénomènes climatiques extrêmes. De fortes moussons ont dévasté l’Inde, le Bangladesh et le Népal, faisant plus de 1.200 morts et détruisant habitations, récoltes et cheptel.

En Europe, des sécheresses ont frappé l’Espagne et le Portugal qui a ont été ravagés par des incendies de forêt.

« Le climat des États-Unis est fortement imbriqué dans le changement climatique terrestre », relevaient les auteurs de la Quatrième évaluation nationale du climat (Fourth National Climate Assessment), mandaté par le Congrès américain et publiée en novembre.

Ces scientifiques soulignaient aussi que « la période actuelle est la plus chaude de l’histoire de la civilisation moderne ».

Les catastrophes naturelles et les désastres ont coûté plus de 300 milliards de dollars en 2017

AFP
Le Monde

Lʼannée 2017, marquée par les ouragans qui ont frappé les Caraïbes et les Etats-Unis, est la troisième année la plus coûteuse pour les assurances et lʼéconomie mondiale.

Les pertes économiques liées aux catastrophes naturelles et aux désastres causés par lʼhomme devraient atteindre 306 milliards de dollars (258 milliards dʼeuros) en 2017, a annoncé, mercredi 20 décembre, Swiss Re. Le réassureur helvétique estime par ailleurs que 136 milliards de cette somme seront pris en

charge par les assureurs, contre 65 milliards en 2016. Lʼannée 2017, notamment marquée par les ouragans Harvey, Irma et Maria qui se sont abattus sur les Caraïbes et le Sud-Est des Etats-Unis — le pays le plus

touché par les catastrophes naturelles — est ainsi la troisième année la plus coûteuse pour les assureurs, les pertes économiques ayant fortement progressé par rapport à lʼexercice 2016, durant lequel elles sʼétaient élevées à 188 milliards de dollars.

Une accélération au second semestre

« Les pertes économiques et indemnisées se sont accélérées au second semestre, en raison surtout des ouragans qui ont frappé les Etats-Unis et les Antilles, et des incendies de forêt en Californie », analyse Swiss Re. Les cyclones ont engendré à eux seuls 93 milliards de dommages couverts par les assurances, a évalué le deuxième réassureur mondial, précisant que la facture nʼest toutefois pas encore définitive compte tenu de lʼampleur et de la complexité des dégâts.

Sʼy sont ensuite ajoutés les incendies en Californie, les dommages immobiliers que devront prendre en charge les assureurs étant pour lʼinstant évalués à 7,3 milliards de dollars. Lʼannée a également été marquée par les tremblements de terre au Mexique, dont les frais sont estimés à plus de 2 milliards de dollars.

Parmi les catastrophes les plus coûteuses figure aussi le cyclone Debbie, qui sʼétait abattu en mars sur les régions côtières du nord-est de lʼAustralie, engendrant 1,3 milliard de dollars de pertes assurées.

Plus de 11 000 personnes sont mortes ou portées disparues en 2017 en raison de catastrophes naturelles, a également précisé le groupe zurichois.

Climat : « On ne mesure pas l’ampleur du danger »

Simon Roger, Stéphane Foucart
Le Monde

Pour Jerry Brown, gouverneur de lʼEtat de Californie, le risque que pose le dérèglement climatique est « existentiel ».

Dans la foulée du One Planet Summit organisé par la France, le gouverneur de Californie Edmund G. Brown – mieux connu sous le nom de Jerry Brown – a été fait, mercredi 13 décembre, docteur honoris causa de lʼEcole normale supérieure. Lʼinstitution de la rue dʼUlm saluait ainsi lʼun des responsables politiques américains les plus emblématiques de la lutte contre le changement climatique et qui, depuis quarante ans, a mis la préservation de lʼenvironnement au coeur de son action et de sa réflexion. A lʼoccasion de son passage à Paris, il a répondu aux questions du Monde.

Que retenez-vous du One Planet Summit, organisé le 12 décembre par la France, pour les deux ans de lʼaccord de Paris ?

Ce qui mʼa le plus frappé, cʼest la prise de parole du président Macron et des autres chefs dʼEtat sur le danger existentiel que représente le réchauffement. Je viens des Etats-Unis, je nʼai pas lʼhabitude dʼentendre cela de la part du président Trump.

Jʼétais récemment à un forum à Vladivostok en Russie, où se sont exprimés le  président Poutine, le président sud-coréen [Moon Jae-in], le premier ministre japonais [Shinzo Abe] et le président de Mongolie [Khaltmaagiyn Battulga]. Tous ont parlé des activités économiques de leurs pays sans dire un mot du

changement climatique ou des émissions de CO2. Au sommet de Paris, au moins, jʼai entendu des dirigeants concernés par le sujet, même si cette prise de conscience est insuffisante face à la réalité du danger décrit par les scientifiques.

Au Sommet de la Terre, à Rio de Janeiro en 1992, des propos forts avaient été tenus, les grands traités environnementaux ont été adoptés, mais rien nʼa jusquʼà présent entravé le réchauffement. Croyez-vous dans lʼefficacité de la gouvernance climatique ?

Jʼétais à Rio, jʼai assisté à ces discours. Mais depuis, les preuves scientifiques se sont accumulées sur les effets du dérèglement climatique : lʼacidification des océans, lʼélévation des températures, la sécheresse, les feux de forêts… Au moment où je vous parle, la Californie est en proie à des incendies. La compréhension des mécanismes du changement climatique sʼest largement répandue, mais les responsables politiques, les patrons dʼentreprises sont-ils à la hauteur pour répondre à cette urgence ? Non.

Les acteurs non étatiques mènent des politiques climatiques souvent volontaristes. Est-ce eux qui vont « sauver la planète », laissant les gouvernements à la traîne ?

Une chose est sûre, la Terre sera sauvée. Mais lʼespèce humaine, elle, ne mesure pas clairement lʼampleur du danger. Aujourdʼhui, 204 acteurs non étatiques, représentant plus dʼun milliard dʼhabitants et 40 % du PIB mondial, réunis dans le collectif Under2 Coalition, se sont engagés à maintenir la température sous le seuil des 2 °C. Mais lʼun de ces acteurs vient dʼapprouver un projet de centrale pour lʼexportation de  charbon. On ne peut pas à la fois parler de décarbonation et prendre une telle décision !

Lʼeffort que nous avons à faire pour réduire notre empreinte carbone est immense : on approche du camp de base mais on nʼa pas encore débuté lʼascension du mont Everest. Une transformation de notre regard et de nos comportements sʼimpose. Le dernier rapport de lʼAgence internationale de lʼénergie indique que le monde consomme 96 millions de barils de pétrole par jour et que lʼon en consommera 80 millions dans les prochaines années. Quitter la civilisation basée sur une économie carbonée pour un monde totalement décarboné revient à parcourir le chemin qui sépare la Rome païenne de lʼEurope chrétienne, à cette différence près quʼon dispose seulement de quelques décennies pour y arriver !

En pointe dans les renouvelables, lʼEtat de Californie est aussi le troisième  plus gros producteur de pétrole et de gaz des Etats-Unis… Nʼest-ce pas un paradoxe ?

La Californie produit en effet du gaz, mais importe 77 % de ses besoins en énergie fossile pour faire tourner les moteurs des voitures. La contradiction la plus notable, cʼest que la Californie a 32 millions de véhicules, à essence pour la plupart. Ces véhicules parcourent 345 milliards de miles [555 milliards de kilomètres] par an. Notre objectif est de réduire la consommation de pétrole de 50 % dʼici 2030, en privilégiant les véhicules et les bus électriques, car si nous nous contentons de baisser notre production de pétrole, nous devrons en

importer, par bateau ou par train. Nous essayons de nous extraire de cette dépendance pétrolière, mais cela prend du temps.

Pendant plus de 20 000 ans, la Californie nʼa compté que 300 000 habitants, elle nʼavait pas de centrale au charbon et pas de voiture. Mais comment fait-on avec 40 millions dʼhabitants, la population actuelle de notre Etat ? Cʼest une vraie question. Nous nʼavons pas dʼautre choix que de

faire évoluer nos technologies et la manière dʼorganiser nos vies.

Comment expliquez-vous que les Etats-Unis ont la plus forte proportion de climatosceptiques au monde, jusquʼau sommet du pouvoir ?

Peut-être est-ce la tradition de lʼOuest américain, où prévaut un profond scepticisme sur lʼaction de lʼEtat, voire sur lʼexistence même de lʼEtat fédéral. Les républicains et les intérêts économiques conservateurs sont si profondément attachés à la libre entreprise que lʼidée dʼune régulation gouvernementale pour infléchir les émissions de dioxyde de carbone représente une menace quʼils combattent par le déni. Je ne sais pas si lʼon peut expliquer cela autrement : la plupart des membres du Parti républicain assurent quʼil nʼy a pas de changement climatique anthropique. Le monde politique est totalement contaminé par le court terme et lʼémotion du moment. Le changement climatique nʼest une préoccupation que pour un petit nombre de personnes, alors que tout le monde a un avis sur le système de santé, sur la violence de certains faits divers, sur lʼimmigration mexicaine.

« LE MONDE POLITIQUE EST TOTALEMENT CONTAMINÉ PAR LE COURT TERME ET LʼÉMOTION DU MOMENT »

Les Californiens sont-ils conscients que les épisodes de sécheresse et les incendies en série quʼils subissent sont liés au dérèglement du climat ?

La moitié de la population en est consciente. Mais cette prise de conscience pousse-t-elle à agir, à opérer les changements nécessaires ? Je mentionnerai un signe positif, le programme de reconduction des quotas de carbone pour 2020-2030, qui devrait permettre de réduire entre 20 % à 25 % de nos émissions de gaz à effet de serre.

Nous avons obtenu le vote favorable de 8 représentants républicains à la Chambre. Cʼest sans précédent, mais cʼest un pas modeste… Même chez les démocrates, la volonté de réaliser ces changements reste faible !

Estimez-vous, comme Michael Bloomberg, que le choix de Donald Trump de sortir de lʼaccord de Paris permet dʼencourager le reste de lʼAmérique à remplir les engagements de la COP21 ?

Je suis dʼaccord. Trump produit des dégâts réels sur la politique de réduction des émissions engagée par Barack Obama et renvoie une image épouvantable du déni climatique. Cʼest particulièrement effrayant  lorsquʼil explique que le changement climatique est un canular chinois. Dans la culture qui est la nôtre – la culture du shopping, du sport, de la fragmentation du pouvoir –, ce qui est diffus et lointain est difficile à prendre en compte. Il y a tant de choses qui nous mobilisent quʼun danger cataclysmique mais  apparemment lointain nous semble moins important. Moi jʼy réfléchis depuis longtemps, mais ce nʼest pas le pain quotidien du monde politique.

CʼEST PARTICULIÈREMENT EFFRAYANT LORSQUʼIL [TRUMP] EXPLIQUE QUE LE CHANGEMENT CLIMATIQUE EST UN CANULAR CHINOIS

Quel pays pourrait compenser ce retrait américain et sʼaffirmer comme le nouveau leader de la lutte contre le réchauffement ?

La France, ou lʼAllemagne peut-être. Mais cʼest très difficile de trouver un pays leader, car aucun pays nʼest seul responsable du réchauffement de la planète. Le climat nʼa pas de patron. Cʼest à chacun dʼentre nous de se restreindre. Nous allons organiser, en septembre 2018, à San Francisco, un sommet de la Under2 Coalition, où seront invités tous les acteurs non étatiques, patrons, gouverneurs, maires de grandes villes. Comme à Paris le 12 décembre, cette réunion internationale permettra encore aux gens de se rencontrer, de se parler et, jʼespère, dʼavancer.

Hors du climat, quelle décision, prise par lʼadministration Trump, a le plus nui à la protection de lʼenvironnement aux Etats-Unis ?

Trump réduit la taille des parcs nationaux, il réduit les capacités de lʼAgence de protection de lʼenvironnement à faire respecter les réglementations environnementales en vigueur, il réduit les taxes destinées à subventionner lʼachat de voitures électriques, pour les éoliennes, il cherche à réduire lʼeffort de recherche qui nous est vital… Il fait beaucoup de dégâts.

Le changement climatique est loin dʼêtre le seul problème auquel nous devons faire face.

La prolifération nucléaire est une menace majeure, les ventes dʼarmes aussi.

Lʼespèce humaine développe des technologies toujours plus puissantes mais ne sʼaméliore pas en termes de sagesse et de tempérance. La courbe des capacités de destruction sʼélève rapidement, tandis que la courbe de notre sagesse et de notre tempérance reste plate. Il y a là un inquiétant hiatus.

Trump, Macron: même combat

Thomas Piketty
http://piketty.blog.lemonde.fr/2017/12/12/trump-macron-meme-combat/

On a coutume d’opposer Trump et Macron : d’un côté le vulgaire businessman américain, aux tweets xénophobes et climato-sceptiques ; de l’autre l’esprit européen éclairé, soucieux de dialogue des cultures et de développement durable. Tout cela n’est pas entièrement faux, et de surcroît bien agréable pour nos oreilles françaises. Mais si l’on regarde de plus près les politiques menées, on est frappé par les similitudes.

En particulier, Trump comme Macron viennent de faire adopter des réformes fiscales extrêmement proches, et qui dans les deux cas constituent une incroyable fuite en avant dans le mouvement de dumping fiscal en faveur des plus riches et des plus mobiles.

Récapitulons. Aux Etats-Unis, le Sénat a validé les grandes lignes du plan Trump : le taux de l’impôt fédéral sur les bénéfices des sociétés sera réduit de 35% à 20% (avec en outre une amnistie quasi-complète pour les profits rapatriés des multinationales) ; un taux réduit d’environ 25% va être institué pour les revenus des propriétaires de sociétés (en lieu et place du taux supérieur de l’impôt sur le revenu de 40% applicable aux plus hauts salaires) ; et l’impôt sur les successions va être fortement réduit pour les plus hautes fortunes (et même totalement supprimé dans la version adoptée par la Chambre).

Voici ce que cela donne du côté de Macron et de la France : le taux de l’impôt sur les sociétés va être réduit graduellement de 33% à 25% ; un taux réduit de 30% va être institué pour les dividendes et intérêts (en lieu et place du taux de 55% applicable aux plus hauts salaires) ; et l’impôt sur la fortune va être supprimé pour les plus hauts patrimoines financiers et professionnels (alors que la taxe foncière n’a jamais été aussi lourde pour les moins riches).

Pour la première fois depuis l’Ancien Régime, on décide ainsi d’instituer dans les deux pays un régime fiscal explicitement dérogatoire pour les catégories de revenus et de patrimoines détenues par les groupes sociaux les plus favorisés. Avec à chaque fois un argument supposé imparable : la masse des contribuables captifs et immobiles n’a d’autre choix que de bien traiter les plus riches, faute de quoi ces derniers auront tôt fait de quitter le territoire et de ne plus les faire bénéficier de leurs bienfaits (emplois, investissements, et autres idées géniales inaccessibles au commun). « Job creators » pour Trump, « premiers de cordée » pour Macron : les mots varient pour désigner ces nouveaux bienfaiteurs que les masses doivent chérir, mais le fond est le même.

Trump comme Macron sont sans doute sincères. Il n’en reste pas moins qu’ils témoignent tous deux d’une profonde incompréhension des défis inégalitaires posés par la mondialisation. Ils refusent de prendre en compte des faits qui sont pourtant aujourd’hui bien documentés, à savoir que les groupes qu’ils favorisent sont déjà ceux qui ont accaparé une part démesurée de la croissance des dernières décennies. En niant cette réalité, ils nous font courir trois risques majeurs. Au sein des pays riches, le sentiment d’abandon des classes populaires nourrit une attitude de rejet vis-à-vis de la mondialisation, et de l’immigration en particulier. Trump s’en sort en flattant la xénophobie de ses électeurs, alors que Macron espère se maintenir au pouvoir en misant sur l’attachement majoritaire de l’opinion française à la tolérance et l’ouverture, et en rejetant ses opposants dans l’anti-mondialisme. Mais en réalité cette évolution est lourde de menaces pour l’avenir, en Ohio et en Louisiane comme en France ou en Suède.

Ensuite, le refus de s’attaquer aux inégalités complique considérablement la résolution du défi climatique. Comme l’a bien montré Lucas Chancel (Insoutenables inégalités, Les petits matins, 2017), les ajustements considérables des modes de vie exigés par le réchauffement ne pourront être acceptés que si l’on garantit une répartition équitable des efforts. Si les plus riches continuent de polluer la planète avec leurs 4×4 et leurs yachts immatriculés à Malte (exemptés de tout impôt, y compris de TVA, comme les Paradise papers viennent de le démontrer), alors pourquoi les plus pauvres accepteraient-ils la hausse par ailleurs nécessaire de la taxe carbone?

Enfin, le refus de corriger les tendances inégalitaires de la mondialisation a des conséquences extrêmement néfastes sur notre capacité à réduire la pauvreté mondiale. Les prévisions inédites qui seront publiées le 14 décembre dans le Rapport sur les inégalités mondiales sont claires : suivant les politiques et les trajectoires inégalitaires choisies, les conditions de vie de la moitié la plus défavorisée de la planète suivront des évolutions totalement différentes d’ici à 2050.

Terminons sur une note optimiste : sur le papier, Macron défend une approche des coopérations internationales et européennes qui est évidemment plus prometteuse que l’unilatéralisme de Trump. La question est de savoir quand nous sortirons de la théorie et de l’hypocrisie. Le traité Ceta conclu entre l’UE et la Canada quelques mois après l’accord de Paris ne contient par exemple aucune mesure contraignante sur le climat et la justice fiscale.

Quant aux prétendues propositions françaises de réforme de l’Europe, qui font frémir de fierté nos oreilles hexagonales, la vérité est qu’elles sont totalement floues : on ne sait toujours pas quel sera la composition du Parlement de la zone euro ni quels seront ses pouvoirs (de menus détails, sans doute). Le risque est grand que tout cela débouche sur du vide. Pour éviter que le rêve macronien ne débouche sur le cauchemar trumpiste, il est temps d’abandonner les petites satisfactions nationalistes et de se pencher sur les faits.

Climat : « l’enjeu est d’assujettir le droit commercial au droit environnemental et social »

Laurent Berger (Secrétaire général de la CFDT), Philippe Frémeaux (Président de lʼInstitut Veblen) et Audrey Pulvar (Présidente de la Fondation pour la Nature et l’Homme)
Le Monde

Pour les signataires de cette tribune au « Monde », Laurent Berger, Philippe Frémeaux et Audrey Pulvar, les règles de lʼOMC et les traités de libre-échange comme le CETA doivent intégrer les objectifs de lʼaccord de Paris contre le réchauffement.

Tribune. A la tribune de la COP23 à Bonn, le 17 novembre, Emmanuel Macron a prôné une réforme de la politique commerciale (http://www.elysee.fr/declarations/article/discours-du-president-de-la-republique-emmanuel-macronlors-de-la-cop23-a-bonn) afin de garantir le respect des ambitions climatiques affichées par la communauté internationale. Il est le premier chef dʼEtat ou de gouvernement dʼun pays du Nord à faire explicitement le lien entre le commerce et le climat.

Pour que ses propos ne restent pas lettre morte, il est urgent de soumettre les règles du commerce international à lʼaccord de Paris, ainsi quʼau respect des objectifs de développement durable des Nations unies. Cette exigence doit désormais être portée par lʼUnion européenne (UE) à lʼOrganisation mondiale

du commerce (OMC), mais aussi dans les accords bilatéraux, à commencer par le CETA (accord UE-Canada) et le Jefta (accord UE-Japon), dont la conclusion a été annoncée le 8 décembre. Cette question nʼa malheureusement pas été abordée lors de la 11e conférence ministérielle de lʼOMC, qui sʼest déroulée du 10 au 13 décembre à Buenos Aires.

Le respect de lʼaccord de Paris – dont les pays signataires sʼengagent à contenir le réchauffement climatique bien en dessous de 2 °C dʼici à la fin du siècle – doit devenir une condition sine qua non pour lʼoctroi et le maintien dʼavantages commerciaux dans les accords de commerce. Si la mention de lʼaccord de Paris dans le chapitre développement durable de ces accords est un premier pas important, elle nʼest pas suffisante.

En effet, lʼenjeu est ni plus ni moins dʼassujettir le droit commercial au droit environnemental et social. LʼUE donnerait un signal fort à ses futurs partenaires commerciaux, mais aussi au monde entier, sur sa volonté de concrétiser les engagements pris lors de la COP21. Elle serait ainsi en mesure de dénoncer un accord commercial si le partenaire décidait par exemple de quitter lʼaccord de Paris, comme le Canada lʼavait fait pour le protocole de Kyoto en 2011.

En outre, lʼaccord pourrait être partiellement suspendu si le partenaire déviait de la trajectoire de baisse dʼémissions de gaz à effet de serre fixée, ou encore sʼil nʼhonorait pas les engagements de financement climat promis aux pays les plus vulnérables. En miroir, lʼUnion sʼengagerait à se montrer exemplaire en la matière. Avec un tel dispositif, le CETA deviendrait le premier accord compatible avec lʼobjectif climatique des 2 °C.

Accélérer le mouvement

Par ailleurs, des avantages commerciaux pourraient être ouverts aux partenaires de ces accords bilatéraux, à proportion de leurs progrès concernant des mesures environnementales comme la réévaluation à la  hausse de leurs engagements climatiques ou la fin des subventions aux énergies fossiles.

Cette réforme des règles du commerce international présenterait un double avantage : elle permettrait dʼabord de démontrer au secteur privé son intérêt direct à opérer et investir dans des Etats respectant leurs engagements climatiques. Surtout, elle rendrait lʼaccord de Paris réellement contraignant et favoriserait les échanges économiques entre partenaires les plus vertueux à propos du climat.

Le cri dʼalarme de 15 000 scientifiques  doit nous inviter à accélérer le mouvement pour la transition écologique et à transformer lʼensemble de nos politiques publiques en conséquence de lʼurgence climatique. Actuellement, une vingtaine dʼaccords de commerce dits de nouvelle génération sont en cours de négociations.

Ainsi, lʼaccord en discussion avec le Mercosur, pourtant décrié par le président Macron aux Etats généraux de lʼalimentation, serait sur le point dʼêtre finalisé. Ces accords seront-ils compatibles avec les engagements pris par lʼUE et ses partenaires à la COP21 ? Lʼexamen de leur contenu démontrera si les leçons du CETA ont effectivement été tirées et si la France est prête à mettre sa politique commerciale en conformité avec ses ambitions climatiques.