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Articles du Vendredi : Sélection du 21 octobre 2016

Climat-biodiversité: comment se faire entendre du Politique?

Valéry Laramée de Tannenberg
www.journaldelenvironnement.net/article/climat-biodiversite-comment-se-faire-entendre-du-politique,75708?xtor=EPR-9

PPE : des erreurs à corriger d’urgence


http://energie-climat.greenpeace.fr/ppe-des-erreurs-a-corriger-durgence

Emilie Hache : « Pour les écoféministes, destruction de la nature et oppression des femmes sont liées »

Émilie Massemin
https://reporterre.net/Emilie-Hache-Pour-les-ecofeministes-destruction-de-la-nature-et-oppression-des

Eloi Laurent: «L’économie est devenue la grammaire de la politique»

Vittorio De Filippis
www.liberation.fr/debats/2016/02/22/eloi-laurent-l-economie-est-devenue-la-grammaire-de-la-politique_1435143

Climat-biodiversité: comment se faire entendre du Politique?

Valéry Laramée de Tannenberg
www.journaldelenvironnement.net/article/climat-biodiversite-comment-se-faire-entendre-du-politique,75708?xtor=EPR-9

Une journée durant, une communauté de chercheurs, liée au Giec et à l’IPBES, s’est demandé comment chuchoter efficacement à l’oreille des politiques.

C’est désormais un rendez-vous régulier. Chaque année, les chercheurs participant à la Plate-forme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) rencontrent leurs collègues du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (Giec). L’occasion de lancer des passerelles entre les mondes de la biodiversité et du climat. A l’agenda de ces troisièmes rencontres, qui se sont tenues à Paris le 13 octobre: la prise de décision. Ou comment faire comprendre aux politiques l’urgence du problème

Vocabulaire commun

La première difficulté est d’ordre linguistique. Nombre d’intervenants ont rappelé que scientifiques et politiques ne parlent pas le même langage, ne manipulent pas les mêmes concepts. «D’où l’importance des médiateurs», s’amuse l’écrivain Frédéric Denhez, aux manettes de l’animation de la journée. Ce n’est pas faux. «Nous n’avons pas su, regrette le président de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité, Jean-François Sylvain, créer une unité de mesure de l’érosion de la biodiversité, comparable aux 2°C des climatologues.»

Scientifiques trop neutres

Sans compter que la demande des décideurs a changé: «Nous sommes passés du temps de la description des problèmes à celui de leur résolution», confirme Sébastien Treyer de l’Institut pour le développement durable et les relations internationales (Iddri). Ce qui ne remplit pas forcément d’aise les chercheurs. Tous sont d’accord pour expérimenter et décrire. Plus rares sont ceux à vouloir accompagner l’action. Et c’est bien ce que leur reproche la société civile: «Les scientifiques sont trop neutres», lâche Jean-David Abel, vice-président de France Nature Environnement. Mais n’est pas Julius Oppenheimer ou James Hansen qui veut.

Idées simples, audibles et recyclables

Autre critique, l’inadéquation de leur discours avec les attentes des politiques. «Les ministres ont besoin d’idées simples, qu’ils sont prêts à entendre et dont ils peuvent se resservir par la suite», résume Brice Lalonde. Et l’ancien ministre de l’environnement d’interpeller directement les membres de l’IPBES: «Vous avez publié un excellent rapport sur les pollinisateurs, qui professe une révolution de l’agriculture. C’est précisément là-dessus qu’il fallait insister.»

«Le jeu de rôle politicien complique sérieusement les choses», avoue Jérôme Bignon. «Beaucoup de mes amis LR partagent complètement le point de vue des ONG à propos des pesticides, mais ils ne le diront jamais», avoue le sénateur de la Somme.

Faut-il chercher l’origine de ce hiatus dans la composition des équipes qui peuplent les labos? «Nous appelons la société à changer ses habitudes, nous avons donc un fort besoin des sciences sociales», acquiesce l’ingénieur Sébastien Treyer. Des sciences sociales, sans doute. Mais aussi d’une plus grande ouverture sur les parties prenantes. «La science influe sur la décision publique. Il suffit de voir l’évolution des dates d’ouverture de la chasse des oiseaux migrateurs. Mais le plus souvent, ce ne sont pas les scientifiques qui sont à l’origine de ces avancées mais le lobbying des associations environnementales», note le chercheur en sciences politiques Guillaume Sainteny.

Toujours les mêmes

Parfois sourds, souvent ignorants des questions scientifiques, les politiques regrettent de ne pouvoir fréquenter plus souvent les chercheurs: «Les parlementaires disposent de très peu de temps pour s’informer, réfléchir», confirme le sénateur (LR) Jérôme Bignon. Et les outils dont ils disposent sont loin d’être satisfaisants. «A l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, on voit toujours les mêmes personnes», regrette l’ancien rapporteur de la loi sur la reconquête de la biodiversité.

PPE : des erreurs à corriger d’urgence


http://energie-climat.greenpeace.fr/ppe-des-erreurs-a-corriger-durgence

Avec plus de six mois de retard, Ségolène Royal a enfin dévoilé son projet de programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), à savoir le texte qui doit mettre en musique par décrets les dispositions inscrites dans la loi sur la transition énergétique (TE) votée l’été dernier. Las, l’histoire d’une longue procrastination se prolonge, prenant les traits d’une farce au goût amère.

Le gouvernement procrastine (encore)

Car si la Loi transition énergétique avait au moins le mérite d’inscrire noir sur blanc l’ambition de réduire la part du nucléaire dans le mix électrique français à 50% d’ici à 2025 contre 75% aujourd’hui, ce projet de PPE n’y répond en aucune manière. Or, cet objectif n’est pas une question annexe : en effet, si rien ne vient faire sauter le verrou du nucléaire, les énergies renouvelables ne pourront jamais se déployer massivement, faute de marché disponible. Il est donc impératif de sortir du nucléaire pour aller vers un monde renouvelable.

Première déception : cette PPE continue, dans la lettre, de procrastiner dangereusement sur la question des réacteurs à fermer. Elle renvoie en effet cette question à la seconde période de la PPE, soit 2019-2023. Le projet présenté comporte ainsi trois pages consacrées au nucléaire sur environ 300 pages.

Le projet présenté n’est pas cohérent

Ensuite, ce projet de PPE n’est pas cohérent avec les objectifs de la loi TE – c’est ce que nous expliquons dans une note d’analyse détaillée transmise au ministère de l’Environnement. Il reste quelques mois avant la publication du décret final (qui devrait sortir à l’automne) et nous demandons que les ajustements nécessaires soient effectués.

Pour atteindre un objectif de 50% de nucléaire en 2025, il faut prendre en compte deux variables : l’évolution de la demande domestique en électricité et l’évolution des exportations. On obtient ainsi les besoins de production à cette date. Or dans le projet présenté, aucune donnée fiable n’est donnée sur l’évolution de la consommation intérieure, et la part des exportations est artificiellement gonflée.

Ainsi, d’après nos calculs, le scénario du gouvernement nous mène à une part du nucléaire dans la production située entre 65% et 75% en 2023 – ce qui correspond à la fermeture de 2 à 12 réacteurs. Une hérésie car si la demande intérieure reste stable (ce qu’anticipe RTE) et la demande extérieure décroît, notamment sous la pression d’énergies renouvelables en plein boom partout dans le monde, ce sont au moins une vingtaine de réacteurs qu’il faudrait fermer pour rester dans les clous.

Des risques de sûreté

En outre, si l’on s’en tient au projet PPE actuel, il faudrait prolonger au-delà de 40 ans (leur durée de vie initialement prévue) un certain nombre de réacteurs, ce qui fait courir des risques de sûreté conséquents. Au moment où EDF et AREVA sont pris dans un scandale de pièces non conformes et dans une spirale économique négative, cette ambition entêtée paraît aujourd’hui nettement plus incertaine, aussi bien financièrement que techniquement, que le remplacement des réacteurs par un déploiement massif des énergies renouvelables. Rappelons que sur ce point, la France, qui se targue d’être l’artisan d’un accord historique sur le climat lors de la COP21, est largement en retard sur ses voisins européens.

Bref, le gouvernement doit rectifier le tir, et vite. La France a déjà trop perdu de temps et d’énergie avec l’atome, une technologie dangereuse devenue trop coûteuse.

Emilie Hache : « Pour les écoféministes, destruction de la nature et oppression des femmes sont liées »

Émilie Massemin
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Dans les années 1980, des féministes anglo-saxonnes font le lien entre destruction de la nature et oppression des femmes. Elles inventent de nouvelles formes de mobilisation et produisent textes et rituels pour se réapproprier leur corps, leur esprit et leur environnement.

Émilie Hache est maîtresse de conférence au département de philosophie de l’université Paris-Ouest-Nanterre-La Défense. Spécialiste en philosophie pragmatique et en écologie politique, elle est l’auteure de l’essai Ce à quoi nous tenons. Propositions pour une écologie pragmatique. Elle publie cet automne Reclaim, un recueil de textes écoféministes (éd. Cambourakis).

 

Reporterre — Qu’est-ce que l’écoféminisme ?

Émilie Hache — Il s’agit d’abord d’un mouvement politique qui s’est déroulé principalement aux États-Unis pendant les années 1980. Pendant une dizaine d’années, des centaines de femmes, féministes, pacifistes, anarchistes et antinucléaires ont organisé des blocages de centrales, des sit-in, des camps… Le plus grand camp écoféministe contre l’installation de missiles nucléaires à Greenham Common, en Angleterre, a duré de 1981 à 2000, soit près de vingt ans !

Les premiers textes écoféministes ont été écrits pendant cette période. C’étaient des textes poétiques, thérapeutiques, politiques, qui mélangeaient plein de choses et interrogeaient la façon qu’on a, dans la modernité, de séparer les différentes dimensions de l’existence comme celles du monde.

Dans les années 1990, à la fin de la Guerre froide, les mobilisations ont cessé, car le risque nucléaire a pris une autre forme. Une partie de l’écoféminisme s’est institutionnalisé et est devenu un objet de recherche académique. La plupart des publications de ces années-là n’étaient plus des textes écoféministes en tant que tels, mais des textes universitaires sur l’écoféminisme.

Un des problèmes est que ces universitaires, notamment les philosophes, dépolitisaient l’écoféminisme en en faisant une éthique environnementale parmi d’autres et en ne renvoyant jamais à l’histoire de ces mobilisations. En ce sens, de manière intentionnelle ou non, l’histoire politique du mouvement a été court-circuitée et ne fait pas partie de ce qui nous a été transmis, une génération plus tard.

Comment est né ce mouvement ?

Il est issu du bouillon de culture incroyable des années 1970 aux États-Unis, en particulier de l’articulation entre les mouvements féministe et écologique. La catastrophe nucléaire de Three Mile Island, le 28 mars 1979 en Pennsylvanie, lui a apporté une grande visibilité. Un groupe de militantes féministes a organisé la conférence « Women and Life on Earth », en mars 1980 à Amherst (Massachusetts), qui réunit à leur grande surprise plusieurs centaines de femmes.

Suite à ça, les écoféministes ont lancé leur action la plus spectaculaire, la Women’s Pentagon Action, le 17 novembre 1980, à Arlington (Virginie). Des milliers de femmes se sont rassemblées sur le lieu du pouvoir militaire. Elles chantaient, hurlaient de colère, pleuraient, étaient accompagnées de grandes marionnettes ; certaines étaient habillées en sorcières et lançaient des sorts au Pentagone, elles tissaient les portes avec du fil de laine… Le style écoféministe était né. L’année suivante, elles ont organisé la même action qui a réuni le double de femmes.

Mais quel lien faisaient ces femmes entre des luttes qui ne concernent pas spécifiquement les femmes — les mobilisations antinucléaires, pacifistes, environnementales — et le féminisme ?

Les écoféministes faisaient effectivement un lien entre la destruction de la nature et les différentes formes d’oppression des femmes. Pour elles, ce lien se décline à travers toute l’histoire occidentale.

Pour ne parler que de la modernité, Silvia Federici, une chercheuse italienne auteure de Caliban et la sorcière, a réécrit l’histoire de l’émergence du capitalisme du point de vue des femmes. Pour elle, la mise en place de ce système économique et politique leur plus grande défaite historique : on les sort du monde du travail et on les enferme à la maison pour qu’elles fassent des enfants.

Dans cette histoire, l’épisode de la chasse aux sorcières occupe une place majeure. Pour le dire vite, les femmes qui n’acceptent pas cette nouvelle organisation économique et sociale ont été brûlées ; plus de 100.000 furent tuées dans toute l’Europe. Etaient particulièrement visées les sages-femmes, qui ont un pouvoir sur la naissance donc sur la force de travail, matière première du capitalisme.

Le capitalisme consacre en parallèle la destruction généralisée de la nature. Dans The Death of Nature (1980), l’historienne des idées et philosophe américaine Carolyn Merchant rappelle qu’avant la modernité, le charbon n’est prélevé qu’en toutes petites quantités, parce que le sous-sol était considéré comme un ventre précieux et sacré. Mais cette vision de la nature a été progressivement défaite par les philosophes, poètes et hommes de science au cours des XVIe et XVIIe siècles en parallèle d’un changement de comportement effectif à son égard.

Merchant cite ainsi Descartes ou Bacon. Tous plus misogynes les uns que les autres, ils utilisent en permanence des métaphores sexistes à l’égard de la nature pour expliquer comment passer d’une épistémé de la nature sacrée, considérée comme un tout vivant, à quelque chose qu’on peut complètement détruire, en considérant que la nature est féminine. L’articulation de la destruction de la nature et de l’oppression des femmes ressemble à un ruban de Möbius : les femmes sont inférieures parce qu’elles font partie de la nature, et on peut maltraiter la nature parce qu’elle est féminine.

Les écoféministes ont donc une réflexion critique à l’égard de l’idée de nature telle qu’elle a été élaborée dans la modernité ainsi que sur la façon de concevoir la féminité à cette même période. Mais, pour ces femmes, il ne s’agissait que d’une étape. Elles ont proposé ensuite de se réapproprier aussi bien l’idée de nature que ce qui relève de la féminité. Ce geste de réappropriation/réhabilitation/réinvention peut se traduire par reclaim, qui est le concept majeur des écoféministes.

Comment ?

Par exemple, en renouant avec une nature vivante, que certaines considèrent comme sacrée. Si l’on cherchait le type de pensée qui hérite le plus de l’écoféminisme, c’est la permaculture. Une grande partie des écoféministes sont engagées dans la permaculture, réarticulant les humains à leur milieu, sortant du dualisme nature/culture en s’appuyant sur l’intelligence du vivant. Starhawk, par exemple, une grande figure de l’écoféminisme des années 1980, anime aujourd’hui des ateliers de permaculture sociale.

Et pour ce qui est de la réappropriation de la féminité ?

Pour les écoféministes, c’était une chose de dire que les femmes n’ont pas un gène du repassage, que l’instinct maternel n’existe pas forcément ; c’était autre chose de se faire avoir une seconde fois en jetant, avec son propre pouvoir d’enfanter, la valorisation de son corps tellement dénigré dans une culture misogyne, ses compétences sociales de soin à autrui, etc. C’est cela qu’elles entendaient par la revendication (reclaim) de ce qui a été distribué socialement comme étant féminin…

Elles souhaitaient revaloriser ce qui a été dévalorisé, aussi bien les corps que les compétences intellectuelles ou émotionnelles des femmes, retrouver de l’estime de soi, de la confiance en soi, etc.

Il y a des textes incroyables qui décrivent des rituels, des groupes de parole dans lesquels cette reconquête est recherchée collectivement. Cela n’a pas été compris par une grande partie des féministes de l’époque, notamment par les féministes matérialistes françaises, qui ont accusé les écoféministes d’essentialisme (essentialisme, c’est-à-dire l’idée qu’il existerait une nature féminine par essence – et de même une nature masculine en soi).

D’où vient cette critique ?

Il faut la remplacer dans son contexte. Dans les années 1990, aux États-Unis, tout le milieu féministe parlait d’essentialisme. Il faut comprendre les raisons tout à fait légitimes de cette critique liées à la violence de l’assignation de genre faite aux femmes ; mais disons que l’on a peut-être jeté le bébé avec l’eau du bain et l’écoféminisme, par le fait même de toucher à cette idée de nature, a été emporté avec.

 

 

 

Le reproche d’essentialisme fait aux textes écoféministes tient beaucoup à leur style absolument pas académique, souvent poétique, qui cherche à sortir du dualisme nature/culture, corps/esprit, etc. C’est ce que la théoricienne de la littérature et critique littéraire indienne Gayatri Chakravorty Spivak a appelé un essentialisme stratégique, mais cela n’a pas été compris, quand bien même ces dernières se sont toujours défendues d’être essentialistes au premier degré.

Comment l’écoféminisme s’articule-t-il aux mouvements appelés écoféministes dans les pays du Sud, représentés entre autres par Vandana Shiva ?

Dans Staying alive, Vandana Shiva raconte l’histoire du mouvement Chipko, à savoir des femmes indiennes qui, dans les années 1970, se sont battues contre la déforestation en Inde en protégeant les arbres avec leur corps — Chipko signifie « mouvement de l’étreinte ». Cette lutte était un combat de femmes parce qu’en Inde, c’étaient les femmes qui faisaient vivre leur famille en travaillant dans les collines et la forêt. Mais elles ne se sont jamais appelées écoféministes ni même féministes ou écologistes.

Les écoféministes se sont passionnées pour le mouvement Chipko, parce qu’elles étaient sensibles au fait que leur recherche de liens avec la nature soit partagée par d’autres. Elles y ont retrouvé la même démarche de reclaim que dans leur mouvement. Par ailleurs, l’existence de ce mouvement leur permettait de répondre à l’objection selon laquelle l’écoféminisme serait uniquement un truc de bourgeoises blanches du Nord.

Et quelles relations existent entre l’écoféminisme et les autres mouvements de femme américains pour la justice environnementale ? Par exemple la mobilisation du Love Canal, où dans les années 1970, des riverain-e-s des chutes du Niagara ont protesté contre la présence de milliers de tonnes de déchets toxiques dans les sous-sols ?

Le mouvement de femmes pour la justice environnementale était principalement un mouvement de femmes noires issues des classes populaires héritant du mouvement des droits civiques ainsi que des

femmes latinos et blanches de classe populaire.

Pour des raisons à chaque fois différentes, tenant à l’histoire de leur communauté, elles ne se disaient ni féministes ni écolos et ne se reconnaissaient pas du tout dans les grands mouvements environnementaux mainstream de mecs qui expliquent que tout ce qui compte, c’est préserver la belle nature, la wilderness.

On pourrait parler d’un activisme environnemental de femmes, qui prend différentes formes : le mouvement Chipko, les écoféministes californiennes, le mouvement de justice environnementale… Ariel Salleh, une chercheuse et activiste écoféministe marxiste australienne, plaide pour toutes les appeler écoféministes. Il s’agit d’une stratégie politique pour donner une masse critique au mouvement. Je ne suis pas d’accord avec elle. Il me semble important de respecter le choix de ces femmes : si elles disent qu’elles ne sont pas écoféministes, parce qu’elles viennent d’une autre histoire, il faut en tenir compte.

Et en France, où en est-on de l’écoféminisme ?

Pour le dire vite, les écologistes français des années 1970 étaient des machos. A l’inverse, les féministes françaises étaient dans leur majorité matérialistes et n’avaient pas grand-chose à faire des questions écologistes. Françoise d’Eaubonne a été une des rares à faire ce lien-là. Elle animait le groupe Ecologie et féminisme au sein du Mouvement de libération des femmes (MLF) et a fondé l’association Écologie-féminisme en 1978. Mais, de fait, l’écoféminisme en France est mort-né.

Je pense que la situation est en train de changer. Plusieurs signes le montrent : par exemple, qu’une maison d’édition, les éditions Cambourakis, se mette à republier des textes comme Rêver l’obscur — Femmes, magie et politique, de Starhawk, ou croit dans une anthologie de textes écoféministes. Elle va aussi traduire et publier pour la première fois Greenham Women Everywhere, d’Alice Cook et Gwyn Kirk, sur le camp écoféministe de Greenham Common. De même, j’ai de plus en plus de réactions intéressées chez mes étudiantes, qui veulent faire des mémoires dessus, etc. Et depuis un peu plus de trois ans que je travaille sur l’écoféminisme, je suis de plus en plus sollicitée !

Eloi Laurent: «L’économie est devenue la grammaire de la politique»

Vittorio De Filippis
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 «La fonction du mythe, c’est d’évacuer le réel», écrivait Roland Barthes. L’économie est devenue une mythologie qui désenchante le monde. Les mythes économiques sont de fausses évidences qui se présentent comme naturelles. Certes, la contestation interne et externe de la «science économique» monte en puissance. Mais elle ne suffit pas. Car les mythes économiques, dont la doxa libérale se gorge en permanence, ont enseveli le débat public et ont mortifié la parole politique. Dans Nos mythologies économiques (éd. Les liens qui libèrent), Eloi Laurent, économiste et enseignant à Sciences-Po et Stanford, déconstruit quinze mythes économiques contemporains. Vaste et beau programme que celui de cet essai convaincant et affûté qui espère immuniser les citoyens contre les mystifications économiques.

L’économie encadre les règles et les usages de la parole politique, au point que nous vivons sous l’emprise des mythologies économiques, dites-vous. Comment en est-on arrivé là ?

L’économie est devenue la grammaire de la politique. Elle a conquis l’espace que devrait occuper une parole politique qui est devenue dévitalisée. A chaque fois que la politique démissionne, elle s’abrite derrière la nécessité économique. Résultat : les mythologies économiques sont au pouvoir. On martèle ainsi que la France est un pays inadapté à la mondialisation, qu’il faut qu’elle défasse son modèle social pour s’ouvrir aux réalités du monde. Ce programme économique largement partagé à gauche et à droite est un conte pour enfants. Le monde est partout en France, jusque dans le village le plus reculé, et les Français sont partout dans le monde, jusque dans le village le plus reculé. Notre modèle social est notre plus grand atout pour affronter les chocs d’une mondialisation complexe et incertaine dont l’Europe ne nous protège pas, et il a été largement réformé. Le plus grand mythe contemporain est, à cet égard, celui de l’impuissance publique.

Vous contestez cette impuissance ?

Je la conteste formellement : le politique joue l’impuissance. Il met en scène l’impuissance de l’Etat pour servir les intérêts du marché que, par ailleurs, il contrôle. C’est cela le propre du néolibéralisme. Comment croire à la fable de l’impuissance publique face aux marchés alors que nul autre que l’Etat ne peut créer ou détruire des marchés ?

Les mythologies économiques sont à l’œuvre dans la réforme du droit du travail ?

Oui, alors qu’il n’y a rien de convaincant qui laisse entendre que déréguler le marché du travail permettra de réduire massivement le chômage. La France, avec le même droit du travail qu’aujourd’hui, connaissait un taux de chômage de 7 % avant la crise financière et l’austérité. On ne trouve pas en économie la preuve incontestable que le salaire minimum fait augmenter le chômage. Au contraire, les études les plus convaincantes montrent que l’existence d’un salaire minimum permet de réduire les inégalités sans aggraver le chômage. Mais le politique s’empare du fantasme de la flexibilité, et ce discours devient un impératif social. Et les citoyens finissent par s’en convaincre : ce discours s’ancre dans les esprits à la manière d’une croyance. Et l’économie devient une espèce de nébuleuse de légendes à usage social.

Comment les mystifications économiques ont-elles permis au néolibéralisme de s’insinuer dans les esprits comme un discours économique normal ?

Prenons le discours selon lequel il faudrait produire des richesses avant de les distribuer. L’économie mythologique veut que les inégalités soient un mal nécessaire pour atteindre l’efficacité économique. La société serait confrontée à un arbitrage entre égalité et efficacité, et devrait choisir d’abord l’efficacité pour, plus tard, si possible, atteindre l’égalité.

La croissance suffirait à faire reculer les inégalités. Parce que nous avons cru à cette mystification politique, nous sommes passés à côté de la gravité de la crise des inégalités.

Quel était le vrai problème ?

Les inégalités sont non seulement injustes, mais elles sont inefficaces. Elles entravent le dynamisme économique, le développement humain et le développement soutenable. Dans le domaine de l’éducation en France, c’est l’ampleur des inégalités scolaires qui explique la faible performance des élèves aux tests internationaux. Il faut donc retourner complètement la mythologie : on ne sortira de la crise actuelle que si nous nous attaquons d’abord aux inégalités. Nous sommes enfermés dans ce discours, qui martèle que l’Etat doit être géré comme un ménage, comme une entreprise…

Une autre mythologie ?

Contrairement aux ménages et aux entreprises, l’Etat a pour lui d’être durable. C’est parce qu’il a pour mission de garantir, dans le long terme, la cohésion sociale au sein des frontières nationales qu’il doit échapper aux horizons temporels, par définition finis, des familles et des entreprises. On affaiblit la puissance publique en la rivant aux horizons réduits de la comptabilité privée, au point de prendre des risques considérables avec la stabilité du système social. L’Etat ne doit surtout pas se serrer la ceinture au moment où tout le monde fait de même dans l’économie, au nom dont ne sait quel devoir d’exemplarité. Lorsqu’il le fait, il transforme les phases de récession économique en dépression sociale. Et, c’est l’erreur fondamentale qui a été commise par les partisans des politiques d’austérité menées en Europe à partir de 2010. Depuis, l’investissement public se tarit. Or, c’est le fait de ne pas investir aujourd’hui qui constitue une faute de gestion ! Ce qui n’affranchit pas les puissances publiques d’une réflexion sur la qualité de leurs dépenses d’investissements.

Qui est d’ailleurs l’une de ses raisons d’être…

Oui. Mais, malheureusement, cette question de l’utilité sociale des investissements passe souvent à l’arrière-plan. Est-il socialement utile que les collectivités locales françaises cofinancent des stades de football dont les bénéfices reviennent à des clubs privés, alors même que la baisse de leurs dotations les empêche d’investir dans des crèches ou dans des universités ?

Pourquoi dites-vous que ceux qui affirment que les régimes sociaux sont financièrement insoutenables le font de manière intéressée ?

Parce que répandre la crainte du prochain effondrement de la Sécurité sociale vise à rendre toutes ses réformes acceptables. Les mythologies économiques ont une fonction de contrôle social. Certes, les régimes sociaux sont sensibles à la conjoncture de court terme. Mais, dès que l’emploi repart, les comptes sociaux retrouvent leur équilibre et connaissent même d’importants excédents, comme au début des années 2000.

Justement, les extrêmes droites européennes ne s’arc-boutent plus seulement sur les «identités nationales», mais sur l’attachement des modèles sociaux…

C’est ce que je qualifie de mythologie social-xénophobe et, hélas, elle a des adeptes jusque dans les rangs de la droite républicaine. Sa rhétorique se veut froidement réaliste. Ce n’est pas seulement qu’il y aurait «trop d’immigrés», explique-t-elle, c’est qu’il y aurait trop d’immigrés pour trop peu de ressources disponibles. Ce serait la générosité de notre système social qui attirerait les misérables du monde entier, alors même que notre modèle serait menacé. La France, épuisée par trop de générosité sociale, devrait se recroqueviller sur elle-même pour refaire ses réserves. On perçoit le paradoxe : nous serions à la fois trop riches pour ne pas devoir attirer et trop pauvres pour ne pas devoir refouler.

Quel est mythe le mieux ancré dans ce discours social-xénophobe ?

C’est celui qui veut que la période actuelle se distingue par des flux migratoires considérables et incontrôlables. C’est le contraire qui est vrai. Les migrants ne représentent, dans notre mondialisation, qu’environ 3 % de la population mondiale. Comme souvent, le discours mythologique est un écran de fumée toxique. La vraie question, en France, n’est pas l’insoutenabilité de l’immigration actuelle, mais la défaillance de l’intégration sociale des immigrés d’hier et de leurs enfants. Ce n’est pas le «grand remplacement» qu’il faut redouter, c’est le «grand appauvrissement» de cette France qui ne parvient pas à réaliser socialement sa diversité qu’il faut déplorer.

 

Un autre mythe social-xénophobe consiste à faire croire qu’il ne sert à rien de consacrer des moyens publics importants à l’intégration des immigrés car ceux-ci ne voudraient pas s’intégrer ?

Oui, ce mythe social xénophobe est puissant. Or, les études disponibles sont riches d’un enseignement fondamental : les enfants d’immigrés sont capables de faire aussi bien que les natifs, mais à condition d’en avoir les moyens. Le déterminant «culturel», qui est censé être la loi d’airain séparant ceux qui veulent vraiment s’en sortir de ceux qui font semblant, s’efface devant les logiques sociales.

Comment échapper à ces mythologies économiques ?

En combattant le culte de la fatalité économique. Les mythologies économiques ont désenchanté le monde. Les politiques doivent cesser d’en appeler à ce pouvoir supérieur que serait l’économie.

L’espoir ? C’est que les citoyens s’immunisent contre ces mystifications politiques qui les ont aveuglés sur les vrais défis de notre temps. L’économie mythologique se veut une injonction permanente au changement et à la réforme mais elle enferme, dans le même temps, les individus dans le monde tel qu’il est en disqualifiant les dissidences et en étouffant les pensées nouvelles. Il nous faut construire de nouveaux récits communs positifs, dans l’esprit de la mythologie grecque, où la raison et le rêve seront sur un pied d’égalité.