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Articles du Vendredi : Sélection du 10 juin 2016

Forêt : au nom de l’économie, on détruit un capital naturel

Un garde forestier
https://reporterre.net/Foret-au-nom-de-l-economie-on-detruit-un-capital-naturel

Bettencourt, Arnault… comment les milliardaires échappent à l’impôt sur la fortune


http://actualites.nouvelobs.com/economie/20160607.OBS2085/la-liste-secrete-des-50-rescapes-de-l-isf.html?cm_mmc=Acqui_MNR-_-NO-_-WelcomeMedia-_-edito&from=wm#xtor=EREC-10-[WM]-20160608

Nicolas Hulot : « Avec les migrants, où est passée notre humanité ? »

Nicolas Hulot (Producteur, écrivain et président de la Fondation Nicolas Hulot pour la nature et l’homme)
www.lemonde.fr/idees/article/2016/04/30/nicolas-hulot-avec-les-migrants-ou-est-passee-notre-humanite_4911290_3232.html

Mourir pour la « Hiérarchie des normes »

Alain Lipietz
http://lipietz.net/spip.php?article3153

Forêt : au nom de l’économie, on détruit un capital naturel

Un garde forestier
https://reporterre.net/Foret-au-nom-de-l-economie-on-detruit-un-capital-naturel

La politique de l’Office national des forêts, contrainte par l’économie, vise à une surexploitation du bois, en oubliant les fonctions écologiques des forêts, juge l’auteur, lui-même forestier.

 

Que ce soit pour se nourrir, se loger, se chauffer ou simplement pour ses loisirs, depuis tout temps la forêt est pour l’homme un bien commun. Sans elle l’humanité n’aurait tout simplement pas pu subsister.

Pour ses besoins, notamment l’agriculture, l’homme l’a longtemps surexploité. À tel point, qu’en France dès le XIIIe siècle, des ordonnances royales ont commencé à réglementer son exploitation avec, entre autre, la création des « Eaux et forêts ». Malgré cela, la forêt a continué à subir une surexploitation et ce n’est que vers le XIXe siècle que la situation s’est améliorée. Ainsi est créé en 1965 le descendant du service des eaux et forêts : l’Office national des forêts.(ONF)
L’ONF, organisme d’État, a depuis ce jour en charge la gestion de la totalité des forêts publiques soit environ 25 % des forêts françaises (4,6 millions d’hectares). Son rôle est, au nom de l’État, et donc des citoyens, d’assurer une gestion durable des forêts. Cette gestion durable doit bien sûr prendre en compte la totalité des fonctions de la forêt : production de bois, accueil du public et bénéfice environnemental. De ce fait, l’ONF assure un service public qui ne peut être rentable. Par exemple, la surveillance, la recherche ou la création de sentiers sont des activités non commerciales qui ne peuvent ni ne doivent rapporter de l’argent. Pour assurer le bon fonctionnement de l’ONF, l’État verse donc chaque année une certaine somme, appelée versement compensateur, qui couvre les besoins financiers nécessaires au bon fonctionnement de l’établissement.

Or, comme chacun le sait l’État cherche à économiser de l’argent partout où il peut. Il aimerait donc pouvoir réduire au maximum la part du versement compensateur dans le budget de l’ONF. Pour cela, l’Office doit devenir rentable. Dans cette optique, depuis une vingtaine d’année, plusieurs milliers de postes ont notamment été supprimés.

 

Les engins forestiers peuvent maintenant arracher directement les arbres

Tout les 4 ans, l’État signe avec le conseil d’administration de l’ONF un « contrat d’objectif et de performance » (COP), qui donne les grandes lignes que l’Office doit suivre. Le COP 2016-2020 vient d’être signé. France nature environnement, qui fait parti du conseil d’administration, ainsi que l’ensemble des organisations syndicales, a voté contre.

 

Ce nouveau COP prévoit entre autres :

« d’accroître la mobilisation du bois au bénéfice de la filière et de l’emploi. » En terme clair : récolter plus. Il est ainsi prévu de prélever en 2020 environ 1 million de m3 de bois en plus qu’en 2014 ! « La FNCOFOR (Fédération nationale des communes forestières) et l’ONF sensibiliseront les collectivités propriétaires à la nécessité, pour la gestion durable, d’assurer le développement de la récolte des bois en forêts des collectivités. »

De plus, dans le chapitre « accueillir le public en forêt », il est expliqué en substance que les forêts à destination essentiellement récréative coûtent chères, rapportent peu et que, donc, : « L’État, la FNCOFOR et l’ONF mèneront des actions de sensibilisation du public de façon à améliorer l’acceptation sociale des récoltes de bois. » Promeneur, attention chute d’arbre !

 

Le développement du bois énergie : « La biomasse forestière représente déjà une part prépondérante des énergies renouvelables (…). L’accroissement de la valorisation économique du bois énergie peut également déclencher l’amélioration des peuplements forestiers pauvres (taillis, etc.). » Ce qui signifie que l’on va maintenant exploiter des forêts qui autrefois ne l’étaient pas, car cela devient rentable. Présenter le bois énergie comme une solution écologique est un non-sens.

D’une part, en raison de la quantité de « matière » que nécessitent les grosses structures comme, par exemple, la centrale de Gardanne. D’autre part, cela va inciter à sortir de forêt du bois de plus en plus petit alors qu’autrefois celui-ci restait sur place et permettait, entre autre, d’enrichir le sol. Sans oublier que, certes, le bois est une énergie renouvelable mais, pour une forêt, vingt ans c’est du très court terme alors qu’une centrale biomasse doit être alimentée en permanence ;

Pour le volet social, « un recours accru à des salariés de droit privé » ne laisse rien présager de bon quant à la pérennité sur le long terme du service public forestier.

Voici un petit aperçu de ce qui est prévu dans ce nouveau COP. La gestion purement commerciale prend tout doucement le pas sur la gestion multifonctionnelle. Quand on voit comment sont gérées certaines forêts privées (heureusement pas toutes) avec, entre autre, une priorité donnée aux essences à croissance rapide, ça donne une bonne idée de ce que peut devenir une forêt quand la rentabilité est privilégiée

 

L’ONF est très souvent décrié en raison des coupes de bois et c’est malheureusement parfois légitime. Cependant, l’exploitation forestière est un mal nécessaire car, si la forêt ne fournissait pas de bois, cela fait bien longtemps que l’homme l’aurait bétonnée ! Aujourd’hui, l’ONF pratique encore, tant bien que mal, une gestion raisonnée. Avec ce COP, ça ne pourra plus être le cas.
Le plus incroyable est que tout ceci se passe dans l’indifférence générale. L’ONF est sous tutelle du ministère de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire…. et de la Forêt.

 

Si M. Le Foll a prononcé le mot forêt trois fois depuis le début de son mandat, c’est déjà beaucoup ! Aucun « grand » média n’a évoqué le sujet. Pas même quand des personnels de l’Office font grève ou occupent des sites. Une organisation syndicale a rédigé un contre-projet et mis en ligne une pétition. En trois mois, elle a recueilli moins de 1.700 signatures.
Au lendemain des fanfaronnades de la COP21 et à l’heure où les luttes écologistes se développent, on en vient à se demander si l’avenir de nos forêts intéresse encore quelqu’un…

 


Bettencourt, Arnault… comment les milliardaires échappent à l’impôt sur la fortune

http://actualites.nouvelobs.com/economie/20160607.OBS2085/la-liste-secrete-des-50-rescapes-de-l-isf.html?cm_mmc=Acqui_MNR-_-NO-_-WelcomeMedia-_-edito&from=wm#xtor=EREC-10-[WM]-20160608

Quelques calculs et… un gros manque à gagner pour les caisses de l’Etat. En toute légalité, révèle “Le Canard enchainé”.

Total à payer au titre de l’ISF pour Liliane Bettencourt, la femme la plus riche du monde ? Zéro euro. Oui, vous avez bien lu. Le “Canard enchaîné” révèle dans son édition du mercredi 8 juin la liste, dressée par Bercy, des 50 contribuables, parmi les plus fortunés de France, qui bénéficient de très hauts plafonnements de leur impôt.

L’astuce ? Le “bouclier fiscal”, apparu en 1988, modifié par Juppé, puis Villepin et enfin Sarkozy, supprimé en 2011 par le même Nicolas Sarkozy, mais revenu grâce au Conseil constitutionnel, qui considère depuis 2005 qu’au-delà de 75%, l’impôt devient “confiscatoire”.

Conséquence, explique Bercy sur le site Service-public.fr, “l’impôt sur les revenus de 2015 ajouté à l’ISF 2016 ne doit pas dépasser 75% des revenus perçus en 2015. En cas de dépassement, la différence vient en déduction du montant de l’ISF. L’excédent en revanche n’est jamais restitué.”

90% de pertes pour l’Etat

Reprenons l’exemple de Liliane Bettencourt, qui a déclaré autour de 80 millions d’euros de revenus en 2015. Le montant de son plafonnement (75% de 82 millions d’euros) est de 61.452.312 euros. Or, c’est déjà le montant qu’elle a payé en impôt sur le revenu et en CSG, selon le “Canard enchaîné”. Donc si on additionne son impôt sur le revenu (61.452.312 euros) au montant de son ISF (61.312.871 euros), cela donne 122.765.183 euros, bien plus, évidemment, que le montant du plafonnement initial. La différence entre l’ISF et ce montant total (donc 122.765.183 euros – 61.312.871 euros = 61.452.312 euros, soit, c’est logique, le montant du plafonnement) est ensuite soustrait au montant de son ISF. Donc 61.312.871 euros – 61.452.312 euros = zéro euro à payer !

En d’autres termes, si le contribuable a déjà atteint le montant du plafonnement, avec ses impôts sur le revenu, il peut soustraire ce montant de son ISF ! Si son ISF initial est plus faible que ce plafonnement… son ISF final est égal à 0 !

 

Prenons un autre exemple : Bernard Arnault. 8.047.623 euros d’ISF, un plafonnement de 5.804.392 euros, déjà atteint en impôt sur le revenu. Conséquence : l’ISF est ici ramené à 2.243.231 euros.

 

Au total, selon le document que s’est procuré le “Canard enchaîné”, les 50 contribuables cités dans le tableau ont payé 21.211.492 euros d’ISF, alors que le montant total de leurs ISF initiaux était de… 219.598.568 euros, dix fois plus. En d’autres termes, l’Etat a perdu, par ce mécanisme, 90% de la somme qui lui était initialement due…

Nicolas Hulot : « Avec les migrants, où est passée notre humanité ? »

Nicolas Hulot (Producteur, écrivain et président de la Fondation Nicolas Hulot pour la nature et l’homme)
www.lemonde.fr/idees/article/2016/04/30/nicolas-hulot-avec-les-migrants-ou-est-passee-notre-humanite_4911290_3232.html

Cinq ans de conflits en Syrie, 5 millions de réfugiés dans les pays voisins, 7 millions de personnes déplacées à l’intérieur de la Syrie, 1 million de personnes ayant traversé l’Europe, et cela s’ajoute à l’inexorable exode des damnés de la terre qui fuient l’Afrique, ses conflits et la désertification. Derrière les chiffres qui effraient et qui effacent les hommes et leurs souffrances, peut-on mettre des visages et des histoires ? Peut-on surtout réaliser que cela pourrait être chacun d’entre nous si le hasard de la loterie génétique et géographique ne nous avait pas fait naître du bon côté de la barrière ?

Le pire n’est pas dans l’incapacité de l’Europe à faire face à cette tragédie ordinaire, mais dans l’absence de l’expression d’une simple volonté. Pas la moindre organisation humanitaire digne de ce nom face à des horreurs annoncées et si prévisibles. L’Europe démontre, si besoin était, sa faiblesse politique et le peu de cas que nous faisons de nos valeurs.

La France, jadis patrie des droits de l’homme, n’est-elle devenue que le pays de la Déclaration des droits de l’homme ? Face aux barbelés de Calais ou aux expulsions de Vintimille, on peut se le demander. Est-ce la perspective des prochaines échéances électorales qui nous tétanise au point d’en faire un contre-argument électoral ? Est-ce la peur légitime du terrorisme que nous reportons abusivement sur ce phénomène ? Sommes-nous prisonniers de nos amalgames ? La classe politique tout entière s’est peu exprimée sur le sort de ces familles. Il n’a été question que de « tri » entre les migrants économiques et les réfugiés. On a juste invoqué le ­contrôle aux frontières et agité le ­spectre de « l’appel d’air ».

Quotas sordides

Sommes-nous si peu nombreux à être troublés par l’accord conclu entre ­l’Europe et le président turc pour refouler les nouveaux arrivants en Grèce vers la Turquie qui héberge déjà plus de 2 millions de réfugiés ? Est-ce démagogique de noter que le Liban abrite l’équivalent d’un quart de sa population, un million et demi de réfugiés, et que ­l’Europe, avec un demi-milliard d’habitants, échoue et renâcle à en accueillir quelques dizaines de milliers ?

L’histoire témoigne de situations où l’Europe et la France ont su gérer l’accueil de déplacés très nombreux sans provoquer de chaos. Je pense notamment aux conséquences de la guerre au Vietnam (en 1979, au moment de la crise des boat people, nous avons accueilli 150 000 personnes) ou de l’indépendance algérienne.

Et nous mégotons sur des quotas sordides, la France peinant à proposer d’accueillir 30 000 réfugiés dans les deux années qui viennent. Cette arithmétique glaciale est juste un déni de réalité. Toutes les barrières du monde ne pourront endiguer cette vague de détresse. Il en est du désespoir comme de l’eau : rien ne l’arrête, elle finit toujours par trouver son chemin.

L’histoire n’est jamais amnésique et mettra en relief où nous auront mené cette lâcheté collective et nos petits reniements. Nul doute qu’elle nourrira à brève échéance la haine de demain à ­notre égard. Mettons-nous une seconde dans la peau de ces pauvres damnés qui ont fui la barbarie et la mort, ont rejoint l’Europe ou ses frontières au terme d’une odyssée inhumaine pour échouer ici ou là dans un nouvel enfer, parqués comme des pestiférés. Le Parlement danois a même décidé de confisquer aux arrivants leurs maigres biens en gage de leur hébergement, sous l’œil à peine choqué de la communauté européenne.

J’ai conscience qu’on ne répond pas aux crises avec de bons sentiments. Plus encore, j’ai conscience de l’extrême complexité, de la gravité de la situation et d’être incapable d’esquisser un scénario de résolution. Mais peut-on distinguer dans cet entrelacs ce qui procède du traitement au long terme, notamment la fin du conflit syrien, et de la misère en Afrique, de l’urgence humanitaire pure, et s’y concentrer prioritairement ?

Ce qu’a fait Damien Carême, le maire de Grande-Synthe, sur sa seule volonté et contre l’avis de l’Etat, avec l’aide de Médecins sans frontières pour transformer un cloaque en camp digne de ce nom, n’est-il pas un exemple reproductible  ? Ce qu’a décidé la commune de ­Cancale (Ille-et-Vilaine) en mettant à disposition un hôpital désaffecté pour des dizaines de familles ne peut-il pas être une initiative qui inspire un plan national  ? Au passage, soulignons que, dans ces deux cas, tout s’est fait avec le soutien de la population et sans le moindre incident. Précisons aussi qu’à Grande-Synthe, une permanence humanitaire est assurée entre autres par des bénévoles bretons qui, d’habitude, organisent le festival des Vieilles Charrues.

Héros invisibles

Juste pour dire qu’heureusement, dans l’ombre et sans soif de reconnaissance, il y a une belle citoyenneté qui agit, des héros invisibles. Oui, il y a de nombreux exemples où l’on résiste à la résignation, qui doivent inspirer une mobilisation et un plan d’action. Dans le même esprit, notons la magnifique initiative civile et européenne de l’ONG SOS Méditerranée – associée à Médecins du monde – qui, avec son bateau Aquarius, est la seule à assurer une veille permanente en haute mer pour secourir les naufragés. C’est en creux une honte pour l’Europe… Comment 28 Etats n’ont-ils pas été capables de réunir une flotte humanitaire pour sauver des vies que l’on sait à l’avance en péril ? On peut et on doit encore le faire.

Nous devons aussi, à court terme, ­réduire les délais de traitement des ­demandes d’asile (environ seize mois). Nous devons ouvrir des couloirs humanitaires pour substituer aux voies irrégulières massives de passage des voies régulières à la hauteur. Et un corridor pour réinstaller en Europe les réfugiés directement depuis les pays voisins de la Syrie.

 

Il faut aussi un appui beaucoup plus massif aux pays voisins de la Syrie pour les aider à faire face à l’afflux. Tout cela n’exonère pas la maîtrise des frontières et la lutte contre les passeurs. Mais surtout ne peut-on organiser une coordination Etat, régions, territoires, communes pour évaluer les capacités de chacun à se partager l’accueil ? Et, à plus grande échelle, un sommet international pour répartir les obligations de solidarité et d’assistance face à la crise des migrants me semble une nécessité première.

 

J’entends déjà la remarque sur nos sans-abri qui ne sont pas mieux lotis. Mais nous devons avoir un sursaut de conscience, pour eux aussi. Où sont les Aron et Sartre qui, en 1979, avaient traversé la cour de l’Elysée pour demander à Giscard d’accueillir les boat people ? Où sont les concerts des artistes pour les enfants syriens, les collectes dans les écoles comme dans les années 1980 pour l’Ethiopie ? Et que dit la jeunesse face à la plus grande crise humanitaire depuis la seconde guerre mondiale ?

 

Maudits soient nos yeux fermés  ! Ce qui nous fait défaut, ce ne sont pas les moyens, c’est la compassion. Je sais que les gens heureux – ni les autres d’ailleurs – n’aiment qu’on leur parle de choses tristes. La douleur des faibles se renforce de la faiblesse et de l’indifférence des nantis.

Mourir pour la « Hiérarchie des normes »

Alain Lipietz
http://lipietz.net/spip.php?article3153

La paralysie progressive de la France dans un conflit social cristallisé sur l’article 2 de la Loi El-Khomri (la majoration des heures supplémentaires) parait surréaliste. Pourtant l’enjeu est immense : la défense de la hiérarchie de normes.

 

La « hiérarchie des normes » a été théorisée avant-guerre par le grand philosophe du droit Hans Kelsen (on parle de Pyramide de Kelsen). Il s’opposait principalement à la doctrine de la décision souveraine formulée par le philosophe nazi Carl Schmitt, reprise aujourd’hui par certains philosophes d’extrême-gauche critiques de la démocratie libérale.

En gros, elle affirme que ni la monarchie ni la démocratie ne peuvent faire n’importe quoi en matière de droit. Chaque norme juridique doit respecter une norme supérieure. Toute loi doit respecter la constitution et celle ci une certaine conception des droits de la personne humaine, non pas « naturelle », mais soit intégrée à la constitution, soit reconnue au niveau international.

La question se complique en fait de deux manières. D’abord, on vient de le voir, du coté international. Quid au dessus de la constitution nationale ? La hiérarchie actuellement admise considère que les traités, et en particulier la loi de l’Union européenne, dominent les constitutions nationales, ce qui pose parfois problème. Quant aux Traités internationaux, le seul principe admis est l’ancienneté : les clauses phyto-sanitaires de la FAO, vieilles comme la quarantaine, dominent l’OMC qui – malheureusement – domine les Accords Internationaux sur l’Environnement plus récents (une des batailles importantes pour les écologistes !)

Mais face à l’article 2 de la loi El-Khomri, la Charte européenne des droits fondamentaux et la directive Temps de travail (qui oblige par exemple à 11 heures de repos par jour) apparaissent comme des garanties salutaires !

Le problème dans la démocratie sociale

La difficulté principale que pose la loi El-Khomri est l’articulation entre démocratie représentative et démocratie sociale. Nous sommes dans un pays « de droit romain » qui donne la primauté à loi votée par les députés sur le contrat passé entre partenaires sociaux, ce qui n’est pas le cas dans les sociales-démocraties classiques de l’Europe du Nord, « de droit germanique » (et c’est une des grandes difficultés de la construction d’une « Europe sociale ».)

En France depuis le XIXe siècle la hiérarchie est la suivante : Droits de l’Homme – Constitution – Loi – conventions collectives de branche – accords d’entreprise. Chaque étage constitue un minimum et une base interprétative pour l’étage inférieur. La dynamique du progrès social était donc initiée par un accord d’entreprise « pionnier » (la régie Renault, pour la durée des congés…) qui se généralisait ensuite à la branche puis devenait de par la loi un minimum, effet cliquet qui interdisait le retour en arrière et protégeait les pionniers d’une concurrence excessive par le coût salarial (le fameux « dumping social »).

La hiérarchie des normes a commencé à être érodée « à gauche » par la ministre Martine Aubry dans la loi Aubry 2 qui stipulait que des accords de branche pouvaient déroger à la loi dans certains cas (l’amplitude de la journée de travail par exemple). Pour elle, et pour de nombreuses personnes à gauche ou chez les écologistes, ce n’était pas si grave, parce que justement cela rapprochait la France des pays d’Europe du Nord, qui de fait protégeaient « mieux » leurs salariés. Nous verrons que cela pose quand même des problèmes.

Mais la loi El-Khomri (qui est en fait une loi « Macron 2 » avec un zeste de Rebsamen dedans, zeste qui « justifierait » le soutien de la direction confédérale Cfdt) va beaucoup plus loin. Citons le justificatif (le chapeau de la loi, qui va servir de base pour le travail interprétatif des juges) , qui va bien au delà du point d’application pratique de l’article 2 (la majoration des heures sup) : « La primauté de l’accord d’entreprise en matière de durée du travail devient le principe de droit commun  ».

Ce qui devient dans l’article 2 lui-même : « Une convention ou un accord d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut, une convention ou un accord de branche peut… »

Où est le problème ? Tout simplement que dans les entreprises où le pouvoir syndical ou le pouvoir collectif des travailleurs est faible, le contrat sera très défavorable, surtout si l’entreprise est par ailleurs en difficulté, exerçant ainsi une concurrence vers le bas sur toutes les entreprises. L’effet cliquet a disparu, ou alors il joue… vers le bas.

L’autoritarisme dont font preuve Valls et (pour une fois) Hollande vise évidemment cet effet là : s’aligner dans la concurrence international sur cette « course vers le bas » (rush to bottom) à coup de dumping social, qui fait rage depuis les années 80 et la « nouvelle mondialisation ».

Comment font les autres ?

Ce choix est évidemment catastrophique pour l’avenir de la France dans la hiérarchie internationale. Car il existe une autre stratégie compétitive : la concurrence par la qualité, qui mobilise la recherche appliquée, la formation professionnelle, l’implication du savoir–faire des salariés dans la course à la qualité et la productivité. Officiellement, c’est même la stratégie européenne, la stratégie de Lisbonne, la « compétitivité par la connaissance ». C’est plus concrètement la stratégie dite allemande, rhénane, scandinave (et même japonaise, ce qui n’est pas entièrement exact).

Il se trouve que ces pays sont en même temps « de droit germanique » (par opposition au droit romain) et considèrent que dans la hiérarchie des normes le contrat passe avant la loi. D’où l’idée, répétée depuis des décennies par la Cfdt et la « deuxième gauche », d’une supériorité congénitale du contrat sur la loi.

Mais on peut démontrer en économie mathématique (voir l’Annexe de l’article cité plus haut) que les pays qui choisissent cette stratégie doivent maintenir un dispositif d’effet cliquet « vers le haut ». Ce peut être, à défaut de loi… l’accord de branche, justement ! Et encore, la même démonstration montre que ça ne marche pas pour toutes les branches (mais ça facilite la vie pour les branches les plus « qualifiées »). D’où le dualisme du marché du travail qui caractérise depuis longtemps l’Allemagne (et à plus forte raison le Japon. En Suède règne aussi l’accord de branche, mais il existe une solidarité inter-branches). D’où aussi l’échec de la stratégie de Lisbonne, faute, entre autres, d’un plancher social européen.

En Allemagne, longtemps il n’y a pas eu de Smic, à cause de la « primauté du contrat sur la loi » dans sa hiérarchie des normes. Mais en contrepartie, l’accord de branche était sacré : les entreprises produisant la même famille de produits ne pouvaient se faire concurrence à coup de bas salaires.

Du coup il y a les « bonnes branches » (comme celle de la toute puissante fédération syndicale IG Metall) et les « mauvaises branches » (les services, y compris la sous-traitance), où s’organise peu à peu la résistance grâce à la fédération syndicale Verd-i.

Autre problème pour les sociales-démocraties d’Europe du Nord : comme les conventions collectives sont des accords de droit privé, la participation de toutes les entreprises à l’accord de branche est un fait non pas légal mais social (comme l’unicité syndicale), qui est remis en cause par la libre circulation européenne. Ce problème a été mis en lumière d’abord en Suède, quand une entreprise estonienne s’y est installée… sans participer à l’accord de branche, et donc en payant en dessous des tarifs syndicaux !

L’affaire fut portée devant la Cour de Justice Européenne de Luxembourg, sorte de Conseil d’État de l’Union européenne. La CJE, largement fondée par des juristes de tradition française, tout en réaffirmant le droit de grève et les objectifs de l’Europe sociale, a statué que l’entreprise estonienne avait bien le droit de ne pas s’inscrire dans une fédération patronale et donc d’échapper à tout accord de branche (arrêt Laval). Mais (tradition française oblige !) la CJE a précisé que si la Suède tenait tant à garantir un salaire minimum, elle ne pouvait se contenter de conventions collectives de branche, elle n’avait qu’à voter une loi ! Même jeu avec des affaires équivalentes en Allemagne (arrêts Viking, Rufhert et Luxembourg).

Bref, la hiérarchie des normes est nécessairement un peu plus complexe qu’il n’y paraît. Quand la Cfdt prétend que la loi el-Khomri renforce la démocratie sociale (réduite à la négociation contractuelle), elle oublie de dire que mêmes les « pays-bons-élèves du contrat » ont dû se résoudre à mettre en place un plancher législatif. Et surtout pas renoncer à la primauté des conventions collectives de branche !

L’autoritarisme vallsien

Le second problème avec la loi El-Khomri est un problème de méthode. Qu’on le veuille ou non, la hiérarchie des normes, qu’elle soit française ou allemande, est un point clé du système des relations sociales et plus généralement du « vivre ensemble ». C’est le cadre général du mode de régulation social. La remettre en cause implique soit une longue négociation (et encore, au sortir d’une grand crise nationale, comme à la Libération), un « compromis institutionnalisé », soit un acte d’autorité.

Et dans ce second cas, on sort de la philosophie « Kelsen » pour la philosophie « Carl Schmitt », celle de la souveraineté sans limite du pouvoir politique. Non pas « l’État » au sens de Gramsci (qui suppose une guerre de position pour agir sur les mentalités), mais le gouvernement « souverain » qui change la société par des lois d’exception. Carl Schmitt explique justement que le « souverain » est celui qui agit en état d’exception…

Je ne dis pas que la loi El-Khomri ou Valls sont nazis ou maoïstes ! Je dis simplement que le renversement brutal de la hiérarchie des normes « à la Carl Schmitt » fait logiquement système avec l’usage du 49-3 et la prolongation indéfinie de l’état d’urgence (appliqué non seulement aux djihadistes mais aussi aux opposants à NDDL ou à la loi El-Khomri).

D’où, en face, la radicalisation des formes de lutte, et l’alliance, inimaginable même en 68, entre les syndicats, Nuit Debout et les « casseurs ». Quand ni les sondages (à 65 % favorables au retrait de la loi), ni les députés du propre parti gouvernemental, ni les syndicats majoritaires (CGT + FO +SUD) ne peuvent obtenir le respect d’une hiérarchie des normes plus que centenaire et s’enracinant dans une culture juridique « romaine » remontant à Philippe le Bel, si ce n’est à Childebert et Brunehilde, quand il n’y a plus de norme s’opposant au « souverain », alors sonne l’heure de la violence.