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Articles du Vendredi : Sélection du 9 mars 2012

Défense: le changement climatique sous-estimé

Marielle Court
Le Figaro du 28.02.2012

Fukushima ne doit pas être le nom du désastre nucléaire

Chikako Mori, sociologue, maître de conférences à l’université Hitotsubashi (Tokyo)
Le Monde du 09.03.2012

Nucléaire ou effet de serre Ni l’un, ni l’autre mon général !

Fabrice Flipo, Philosophe
Enbata-Alda ! du 08.03.2012

Le nucléaire, une névrose française ?

Patrick Piro, journaliste couvrant les questions d’ écologie au sein de l’hebdomadaire Politis
Enbata-Alda ! du 08.03.2012

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Défense: le changement climatique sous-estimé

Marielle Court
Le Figaro du 28.02.2012

Selon un rapport parlementaire, le réchauffement climatique pourrait modifier les équilibres géostratégiques.

Il ne se passe guère de jours sans que l’on parle de changement climatique, mais c’est la première fois que des députés abordent cette question sous un angle de sécurité. «Les conséquences du changement climatique en matière de sécurité et de défense sont un enjeu fondamental dont les pouvoirs publics doivent se saisir d’urgence», affirment André Schneider et Philippe Tourtelier, respectivement élus UMP du Bas-Rhin et PS d’Ille-et-Vilaine.

Et, paradoxalement, ce ne sont ni la France ni l’Europe, pourtant engagées dans la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre, qui sont en pointe sur ce dossier, mais bien les États-Unis, alors même qu’un certain climatoscepticisme règne au sein de la population et chez une partie des autorités politiques. «Aux États-Unis, le réchauffement climatique n’est plus simplement une question environnementale, c’est devenu un enjeu stratégique majeur. Cet aspect n’est pas envisagé aussi clairement en Europe», poursuivent les deux parlementaires.

Anticiper les conséquences

Les auteurs du rapport d’information balaient tout un ensemble de risques, qu’il s’agisse de la montée du niveau des océans et de l’impact que cela peut avoir sur les nappes phréatiques ou sur les populations vivant dans les grands deltas ou l’augmentation attendue du nombre et de la violence des événements climatiques extrêmes. Ils évoquent la fonte de l’Arctique, qui ouvre de nouvelles voies maritimes, ainsi que le stress hydrique susceptible de provoquer une baisse des rendements agricoles, notamment en Afrique. Ils soulignent encore les enjeux énergétiques et les migrants climatiques qui, selon les Nations unies, pourraient se compter en millions d’ici à 2020…

La dégradation des ressources en eau potable, la baisse de la production de nourriture, l’augmentation des tempêtes et des inondations ou encore les migrations sont «autant de facteurs qui montrent comment des conséquences directes du changement climatique pourraient alimenter des conflits potentiels», estiment les députés.

Pour y faire face, la défense doit tout d’abord anticiper pour elle-même les conséquences du changement climatique. Qu’il s’agisse de l’accès à certaines ressources ou de la gestion de ses équipements. Les infrastructures portuaires peuvent être grandement perturbées du fait de l’élévation du niveau de la mer. « Les modifications climatiques se répercutent sur la performance des équipements et systèmes d’armeset notamment les performances des radars», écrivent à titre d’exemple les auteurs du rapport. Mais ils jugent surtout nécessaire de mettre en place une stratégie de gestion des risques.

La France a des efforts à faire

Si les États-Unis «sont en pointe» sur cette question, précise le rapport, «c’est une problématique qui, en France, gagnerait à être davantage prise en compte par le ministère de la Défense». Selon les députés, si le ministère de la Défense a bien mesuré la nécessité de réduire les émissions de gaz à effet de serre, «il ne semble pas avoir pris en compte la problématique du changement climatique et de la sécurité dans toutes ses dimensions».

Une critique qui vaut pour l’Europe en général, à l’exception notable de la Grande-Bretagne, qui fait figure de bon élève. «Le débat demeure encore largement dans les mains des scientifiques. Or anticiper et planifier le monde de demain relève bien de la responsabilité du politique», précise encore les rapporteurs. «Nous entendons bien secouer le cocotier»,conclut André Schneider.


Le Pentagone se soucie du climat

Depuis, le Pentagone  produit les Quadriennal Defense Review Report. Le dernier (2010) cite pour la première fois le changement climatique «qui jouera un rôle majeur dans l’avenir  de l’environnement sécuritaire», rapporte les deux députés. En 2009, la CIA,  qui dispose d’une cellule consacrée au réchauffement climatique  et à ses conséquences, avait aussi publié un rapport sur les effets  du changement climatique  pour la sécurité des États-Unis. «Davantage que prévenir l’avenir, l’intérêt de cet ouvrage était  de mettre en lumière les véritables enjeux du monde à venir,  les principaux facteurs à prendre  en compte afin d’éviter de futurs conflits», souligne encore  le rapport.

Fukushima ne doit pas être le nom du désastre nucléaire

Chikako Mori, sociologue, maître de conférences à l’université Hitotsubashi (Tokyo)
Le Monde du 09.03.2012

Si le débat sur le nucléaire n’occupe qu’une place modeste dans la campagne présidentielle, presque plus personne, en France et dans le monde, n’ignore le nom de Fukushima : très peu connu jusqu’à l’accident du 11 mars 2011, le nom de cette préfecture située sur la côte nord-est du Japon trouve aujourd’hui un écho planétaire. Des organes de presse ont même créé pour l’occasion une rubrique « Fukushima ». Tout comme Tchernobyl, et davantage que Three Mile Island, ce nom est désormais un synonyme de catastrophe nucléaire.

Pourtant, force est de constater que l’ensemble des Japonais (médias, intellectuels, hommes politiques et les sinistrés eux-mêmes) désigne cet événement non par ce nom de lieu, mais par sa date : le 11 mars. C’est d’ailleurs cette appellation qui a été retenue, à l’unanimité, lors du Congrès mondial contre le nucléaire qui s’est tenu en janvier à Yokohama. Dès lors, la question se pose : pourquoi ce glissement d’une date à un lieu ? Et en quoi ce problème de dénomination est-il important, eu égard à un phénomène aussi grave, classé au niveau 7, le plus élevé sur l’échelle internationale ?

S’il est préférable de nommer cet événement le « 11 mars », c’est d’abord que le nom de Fukushima se révèle trompeur. D’une part, la préfecture (d’une superficie de 13 782 km2) est très inégalement touchée par le rayonnement nucléaire : la région côtière est gravement contaminée tandis que, dans l’arrière-pays, les dégâts nucléaires, sans être inexistants, sont d’un niveau comparable à celui de l’agglomération de Tokyo.

D’autre part, plusieurs régions qui n’appartiennent pas à cette préfecture (le sud de Miyagi ou le nord d’Ibaragi par exemple) sont également atteintes. La contamination ne se limite pas aux frontières administratives, elle ne se réduit donc pas au nom de Fukushima.

De surcroît, si on lui laisse porter tout le poids de cette catastrophe, ce nom risque de constituer un symbole d’horreur qui génère des discriminations. Déjà, des enfants réfugiés de Fukushima ont été rejetés à l’école par peur de la « contamination radioactive ». Certaines mères tentent même de faire modifier le lieu de naissance de leurs enfants à l’état civil pour y effacer le nom de Fukushima. Personne ne veut plus acheter désormais de produits de Fukushima, et les agriculteurs qui s’efforcent de sauver une partie de leur récolte sont quasiment traités comme des criminels.

Lors de mon passage dans la région, j’ai été frappée par les propos de deux écolières de 11 ans : « Nous, les filles de Fukushima, ne pouvons plus nous marier. On dit que nous ne devons jamais porter d’enfants. » Ces paroles m’ont rappelé la jeune héroïne de Pluie noire – le célèbre roman de Masuji Ibuse paru en 1966, adapté au cinéma par Shohei Imamura et primé à Cannes en 1989 -, qui n’arrive pas à se marier parce qu’elle a été irradiée à Hiroshima. Sous le nom propre de Fukushima, les victimes sont de plus en plus considérées comme des agresseurs, voire traitées comme des démons.

Enfin, invoquer « Fukushima » pour désigner la catastrophe empêche de prendre conscience que la vie de beaucoup d’autres Japonais a complètement changé depuis cette date. Dans la ville d’Iwaki, à 60 kilomètres de la centrale, les habitants vérifient chaque matin lors du bulletin météo le taux de radioactivité de leur quartier. Les enfants vont désormais à l’école munis d’un dosimètre distribué par la préfecture.

 

Les mères échangent des recettes de cuisine qui peuvent limiter, paraît-il, la contamination alimentaire : les concombres marinés au vinaigre, les carottes pelées et bouillies longtemps dans l’eau salée, ce qui permettrait de réduire les niveaux de césium… Le nucléaire pénètre jusque dans les conversations quotidiennes : plutôt que de dire : « Il fait doux aujourd’hui, pourvu qu’il fasse plus doux demain », on dit désormais : « Le taux radioactif a baissé aujourd’hui, pourvu qu’il baisse encore demain. »

Or, l’avènement de ce nouveau mode de vie ne touche pas que les zones proches des centrales accidentées. Même à Tokyo, certaines mères d’enfants en bas âge ne vont plus dans les supermarchés, leur préférant la vente par correspondance de légumes cultivés dans le sud.

La contamination atteint notre langage même. Une nouvelle expression est née depuis l’accident : pour faire circuler des informations, on emploie désormais le mot kaku-san (« diffusion »), qui était auparavant réservé aux matières chimiques et radioactives. Sur ce sujet, on se reportera au livre de Michaël Ferrier, Fukushima. Récit d’un désastre (Gallimard, 272 p., 18,50 €), qui décrit bien cette nouvelle façon de vivre, ni tout à fait vivante, ni tout à fait morte, qu’il nomme « la demi-vie ».

On ne nomme pas un événement par hasard. La comparaison, non pas avec la Shoah bien sûr, mais avec la façon dont en France le film de Claude Lanzmann a fini par imposer ce nom, à la place d' »holocauste », pour affirmer l’unicité de cet événement dans l’histoire, nous invite à réfléchir sur les raisons pour lesquelles « Fukushima » prévaut en dehors du Japon. Un fait attire l’attention : après l’attentat qui a frappé le 11 septembre 2001 les tours jumelles du World Trade Center, nul n’a utilisé le nom de « Manhattan ».

C’est au contraire une date qui a été adoptée par le monde entier, celle du 11 septembre, devenue depuis lors un nom propre : 9/11 (nine eleven), 11-Septembre. Une telle dénomination s’est imposée avec la conscience que ce drame n’affectait pas seulement les New-Yorkais ou les Américains, mais l’humanité dans son ensemble.

Bien sûr, nul n’ignore que l’appellation « Fukushima » s’est imposée à l’étranger pour des raisons géographiques, parce que, tout comme Tchernobyl ou Hiroshima, « Fukushima » se réfère à la région où le désastre a eu lieu. Mais ces noms de lieux n’éloignent-ils pas l’événement dans une imprécision exotique en laissant confusément à penser que l’accident nucléaire, c’est toujours le problème des autres ?

D’une certaine manière, le mal est déjà fait : « Fukushima » est aujourd’hui employé au détriment du « 11 mars » pour nommer cet événement. Mais c’est précisément la raison pour laquelle nous devons faire attention à ce dont Fukushima est le nom : afin qu’il ne reste pas ce nom à consonance étrangère, qui a pour effet – et peut-être pour fonction – de particulariser le problème, et de ne pas considérer cette réalité comme un cataclysme étranger qui ne nous concernerait que de loin.


Le 11 mars 2011 un séisme, de magnitude 9, survenu au large de l’île de Honshu, fut suivi d’un tsunami qui a provoqué 21 000 morts et disparus. Puis, un accident nucléaire, le plus grave depuis celui de Tchernobyl en 1986, se produisit dans la centrale Fukushima.

Nucléaire ou effet de serre Ni l’un, ni l’autre mon général !

Fabrice Flipo, Philosophe
Enbata-Alda ! du 08.03.2012

Le nucléaire a, dans notre pays, un effet de sidération extraordinaire. Nombre de nos concitoyens estiment en effet que sans nucléaire, on risque de revenir à la bougie. Discutez avec un passant : très vite, il vous demandera comment on continuera de soigner le cancer, sans le nucléaire. Et pourtant il existe des pays où l’on dispose de toutes les commodités modernes, sans nucléaire ! Citons l’Autriche, par exemple. Tout se passe comme si, en France, on oubliait systématiquement 80% du problème ! Du coup, entre irradiés ou surchauffés, on nous somme de choisir. Un tel choix est absolument dénué de fondement, il faut le dire et le répéter.

 

Energie finale consommée :  voir dans son ensemble !

Le nucléaire c’est moins de 20% de l’énergie consommée en France, 6% dans le monde. Ses inconvénients sont connus : prix qui ne cesse de grimper, impasses, risque majeur, dangerosité des matières transportées, impliquant une gestion militaire, passage possible du civil au militaire, etc. Un développement massif de cette source atteindrait au mieux 3 fois la capacité mondiale actuellement installée, d’après le scénario Sunburn. Le nucléaire fournirait donc 10 à 15% de la consommation finale, au grand maximum. On aurait donc encore une fois oublié 85 à 90% du problème.

 

Renouvelables : variables déterminantes

Ces 85% seront forcément faits par les renouvelables, à terme, puisqu’aucune autre solution n’existe. Donc si les renouvelables ne peuvent pas remplacer les fossiles, pour diverses raisons, notamment le fait qu’elles entrent en concurrence avec des usages vitaux du sol, alors cela signifie que nous devrons consommer moins d’énergie, tout simplement. Auquel cas en effet il faudra en effet réduire le niveau de vie des plus riches. Et si les renouvelables ne marchent pas du tout, il faudra en effet revenir à la bougie. Bref ce sont bien les renouvelables qui sont la variable déterminante, pas le nucléaire.

 

Depuis un an,  le Japon a montré  la voie en matière de sobriété

Les pro-nucléaires qui doutent que les renouvelables puissent un jour remplacer les fossiles pensent donc au fond qu’on va revenir à la bougie. Auquel cas le nucléaire n’y changera rien, bien au contraire on imagine la difficulté de gérer ces installations dans des sociétés qui vont se simplifier et utiliser de plus en plus de «low tech». Si on pense que revenir à la bougie est évitable, c’est par les renouvelables que ça passe. C’est donc là qu’il faut investir, et arrêter de faire du catastrophisme en parlant de retour à la bougie. Le Japon a montré la voie, en matière de sobriété. Pour sortir malgré lui du nucléaire du jour au lendemain, ou presque, les mesures mises en place n’ont aucunement le caractère d’une violation des droits de l’Homme : des pulls à la maison, moins de publicité etc.

 

Croire dans la sobriété et les renouvelables

Le philosophe Pascal avait justifié le bien-fondé de la croyance en Dieu par l’argument suivant : en croyant, je gagne tout (je peux espérer de gagner le Paradis), sans rien perdre (Dieu ne me demande pas d’adhérer à l’Eglise), tandis qu’en ne croyant pas, je ne gagne rien, et je perds tout (le Paradis devient inaccessible). Le nucléaire une sorte de pari de Pascal inversé. Croire en lui ne nous assure rien, en termes de crise énergétique, puisque ce sont les renouvelables et la sobriété qui feront la différence. Par contre cela nous garantit d’avoir tous les maux du nucléaire, et nous prive de ressources financières nécessaires pour d’autres usages. Croire dans la sobriété et les renouvelables, à l’inverse, nous permet d’espérer dans une solution à la crise énergétique. Si l’objectif est de vivre mieux, alors le nucléaire ne nous sert plus à rien.

Le nucléaire, une névrose française ?

Patrick Piro, journaliste couvrant les questions d’ écologie au sein de l’hebdomadaire Politis
Enbata-Alda ! du 08.03.2012

Patrick Piro, journaliste de formation scientifique, couvre depuis 25 ans les questions d’écologie, notamment au sein de l’hebdomadaire Politis. Il vient de publier un livre “Le nucléaire, une névrose française ?” et participera le samedi 10 mars, à partir de 19h00, à une soirée débat, au Cinéma l’Atalante de Bayonne sur le thème du nucléaire, dans le cadre de cycle de conférences“Un an après Fukushima, l’énergie en questions !”. Voici l’interview d’Alda!

 

Avec 58 réacteurs sur son sol et 75% de son l’électricité qui est d’origine nucléaire, quels sont les mécanismes  qui expliquent que l’Hexagone soit arrivé à un tel niveau de dépendance au nucléaire ?

L’exceptionnelle hégémonie du nucléaire en France, qui n’a son pareil nulle part ailleurs dans le monde, trouve son explication dans la trajectoire historique du pays au cours du 20ème siècle. La France, autrefois grande puissance mondiale, s’est trouvée déchue de sa position. Pour la retrouver, et justifier une place au sein du club des cinq «grands» à la table du Conseil permanent de sécurité des Nations unies, elle a misé sur le développement de la bombe atomique.

Les compétences nucléaires militaires ont par la suite glissé vers l’industrie civile : les processus de la physique atomique en jeu sont similaires.

Au début des années 1970, quand survient le premier choc pétrolier, la France, pétrie des rêves de grandeur et d’indépendance hexagonales légués par De Gaulle, concocte un projet pharaonique pour se dégager en partie de la dépendance au pétrole du Moyen-Orient : remplacer ses centrales électriques, dont la majorité tournent au fioul, par des réacteurs nucléaires.

En 1974, Pierre Messmer, premier ministre de Pompidou, annonce le plus ambitieux programme jamais envisagé dans cette filière. 58 réacteurs seront construits à une vitesse record. Il en avait même été envisagé quatre fois plus, au regard de prévisions délirantes —  heureusement invalidées —, telle que le doublement tous les dix ans de la consommation électrique…

 

Comment la méconnaissance d’alternatives crédibles a rendu les citoyens si fataliste ?

Aucun débat n’a eu lieu au Parlement en 1974. Les communistes râlent un peu, parce qu’on a préféré la technologie étasunienne Westinghouse : il existe un consensus au sein des partis sur la priorité de desserrer l’étreinte pétrolière et de tirer profit de la situation pour doter le pays d’un pôle d’excellence industriel qui renforcerait son poids sur la scène internationale.

François Mitterrand, avant son arrivée au pouvoir en 1981, avait bien évoqué une consultation des Français sur le nucléaire : il n’en fera rien, il adhérait, sur le fond, aux prémices du programme. Qu’il va même amplifier, notamment par la création de la filière mox qui réutilise le très dangereux plutonium.

Seuls les écologistes ont porté avec constance l’opposition au nucléaire.

À mesure que les années ont passé et que la part du nucléaire a augmenté, le piège s’est refermé : il n’a pratiquement jamais été question ne serait-ce que de débattre de l’avenir du parc nucléaire français.

 

L’évolution récente du parti socialiste, qui envisage par la voix de François Hollande de réduire sa part à 50%, rompt avec le pacte pro-nucléaire historique en France, même si cette option n’est qu’un timide aggiornamento.

 

Malgré Fukushima, le Gouvernement français persiste dans la voie du nucléaire. Comment comprendre cette situation ?

La France est dans le piège qu’elle s’est tendue à elle-même : avec 75% de nucléaire dans sa production électrique (voire plus selon les années), elle a mis tous les œufs dans le même panier, imbue d’un savoir-faire technologique qu’elle pensait à l’abri de tout aléa. Alors, quand bien même l’Autorité de Sûreté du Nucléaire (ASN) a reconnu dans son rapport de janvier qu’un accident du type Fukushima n’est pas à exclure, elle n’a pas pu tirer d’autres conclusions que «on ne ferme aucune centrale» : on renforce les contrôles, on demande à EDF des travaux d’amélioration de la sûreté et… on croise les doigts. Voilà pourquoi les pro-nucléaires blindent tous les arguments.

Au Japon, un an après Fukushima, il ne reste plus que deux réacteurs sur 54 en fonctionnement : ils n’obtiennent pas l’autorisation de redémarrer, car la défiance de la population est à son comble. Le pays s’en tire parce que le nucléaire ne représentait que 30% de la production. En France, en cas d’accident, un scénario similaire serait à redouter, ajoutant une catastrophe économique au désastre.

Autre volet fondamental de l’obstination française : le constructeur de réacteurs Areva, qui domine toute la filière du combustible nucléaire, et EDF, premier électricien au monde, sont parmi les «fleurons» nationaux, et la filière emploie près de 300 000 personnes. Renoncer au nucléaire reviendrait à démanteler quarante ans de politique énergétique et industrielle centralisée, tenue par une élite — le corps des ingénieurs des Mines —, et qui rêve encore de beaux marchés à l’exportation. L’objectif de la construction de l’EPR de Flamanville n’est pas d’accroître la production d’électricité au pays, déjà excédentaire, mais de maintenir le savoir-faire des équipes nationales dans les conquêtes internationales.

 

Quelles sont les autres failles dans la logique des tenants du nucléaire ?

Les brèches les plus anciennes sont connues, depuis longtemps, certaines se sont fortement élargies :

*le risque intrinsèque, tristement illustré par Fukushima, accident survenu dans un pays de haute technologie et qui démontre que le nucléaire n’est pas maîtrisé, comme on nous le vend depuis des décennies.

*la négation de la démocratie : opacité, dissimulation, mensonges, régime d’exception pour toutes les procédures, etc.

*l’impasse des déchets : après plus de 50 ans de promesses, la seule solution actuelle consiste à tenter de les enfouir très profondément.

*le risque de prolifération : le plutonium, dont la France recèle de grandes quantités, est une des matières premières de la bombe atomique. Ce qui se passe actuellement en Iran est l’exacte illustration de la perméabilité incontrôlable entre les filières civile et militaire.

Des brèches plus récentes pourraient alimenter des arguments majeurs — c’est dans le domaine économique, comme toujours :

*le coût du démantèlement et du traitement des déchets : on n’en a toujours aucune idée précise, sauf qu’aujourd’hui c’est plus officiel que jamais, comme l’a montré le dernier rapport de la Cour des comptes en janvier.

*le coût du programme nucléaire français : de l’ordre de 230 milliards d’euros, c’est plus qu’annoncé jusque-là. Ce qui ébranle nettement la légende du nucléaire bon marché. Rapporté au mégawattheure produit, il est aujourd’hui pratiquement concurrencé, peu s’en faut, par l’éolien !

*les factures d’électricité : encore un pseudo «avantage» français qui part en fumée. La stabilité à bas niveau du prix du mégawattheure n’était qu’une diversion, faute de connaître les vrais coûts. Avec les travaux post-Fukushima, il faut s’attendre à une croissance de 30% d’ici à 2016.

*le mégawattheure produit par l’EPR sera prohibitif, au moins 60% plus cher que celui du parc nucléaire actuel : il apparaît donc aujourd’hui économiquement déraisonnable d’imaginer remplacer les vieux réacteurs par des neufs. Le paradoxe est total : la sûreté en pâti potentiellement, et les pro-nucléaires ont beau jeu d’expliquer que les renouvelables ne sont pas à la hauteur — leur filière a pompé la quasi totalité des crédits de recherche et de développement pendant toutes ses années.

 

Quelles sont les alternatives crédibles d’une sortie du nucléaire ?

Fukushima a mis en évidence les plans dits de «transition énergétique», qui entendent sortir à la fois des énergies fossiles et du nucléaire. L’accident a renforcé la nécessité d’options radicales. Le scénario français «Négawatt» est l’un des plus percutants. Il s’appuie, comme tout plan de transition énergétique, sur une politique de réduction considérables des consommations énergétiques, crédible parce que les gaspillages sont considérables — nous n’en avons qu’une faible conscience. Simultanément, dans le domaine de l’électricité, les centrales nucléaires fermeraient selon une planification leur imposant de ne pas dépasser 40 années de service, alors que les énergies renouvelables montraient en puissance, à la faveur d’investissements résolus. En 2033, la France est libérée de ses réacteurs. Mais aussi des énergies fossiles dans le transport, une question finalement beaucoup plus complexe à traiter que celle de la sortie du nucléaire(*).

D’autres pays, beaucoup moins dépendant de l’atome que la France, ont pris le taureau par les cornes après Fukushima. La Belgique et la Suisse ont annoncé l’abandon du nucléaire, l’Italie a refusé d’y retourner et l’Allemagne, surtout, a engagé sa sortie dès août dernier, avec la fermeture de 8 réacteurs sur les 17 qu’elle possède. Gageons que les élites françaises pro-nucléaire suivront cette évolution avec attention, car l’Allemagne a déclaré s’être engagé dans une véritable révolution industrielle, avec pour fer de lance les économies d’énergie et la priorité aux renouvelables.

 

(*)www.negawatt.org  et Samedi 10 mars à 10h00 à Saint-Jean- de-Luz (Salle de la Grillerie de la Sardine, sur le Port) : « Le scénario Negawatt ». Conférence publique avec Paul Neau.

 

Autre rendez-vous à ne pas manquer :

Dimanche 11 mars à 11h30 à Bayonne (Place Saint-André), Grande Chaîne Humaine pour exiger la sortie du nucléaire, et la fermeture immédiate de la Centrale de Garoña.